CHAPITRE II
DES MESURES DE PROTECTION JURIDIQUE DES MAJEURS

Consacré aux mesures de protection juridique des majeurs, ce chapitre II, après avoir présenté le régime commun, d'une part, à toutes les mesures de ce type (section 1) et, d'autre part, aux seules mesures judiciaires (section 2), présente les règles propres à chaque régime : sauvegarde de justice (section 3), curatelle et tutelle (section 4) et mandat de protection future (section 5). L'accompagnement judiciaire, dont le régime est fixé au chapitre suivant, ne constitue donc pas une mesure de protection juridique.

Les différences entre ces mesures tiennent sans doute aux conséquences qu'elles emportent sur la capacité juridique des personnes protégées -ce qui justifie la terminologie retenue par le projet de loi- mais aussi -et de manière peut-être plus évidente- aux causes qui peuvent justifier leur ouverture : les mesures de protection juridique, qu'elles soient judiciaires ou conventionnelles, ne peuvent être ouvertes que pour une cause médicale -l'altération des facultés personnelles de l'intéressé- tandis que la mesure d'accompagnement judiciaire peut être ordonnée, quel que soit l'état du majeur, pour rétablir son autonomie dans la gestion de ses prestations sociales lorsque les actions mises en place dans le cadre de la mesure d'accompagnement social personnalisé ont échoué.

Section 1
Des dispositions générales
Art. 425 du code civil : Conditions et finalité
de la protection juridique des majeurs

Cet article définit les conditions et la finalité de la protection juridique des majeurs.

1. Les conditions requises pour placer un majeur sous protection juridique

Aujourd'hui, une mesure de protection peut être ouverte dans deux hypothèses prévues par l'article 488 :

- soit en cas d'altération des facultés personnelles, mentales ou corporelles, de l'intéressé ;

- soit lorsque ce dernier, par sa prodigalité, son intempérance ou son oisiveté, s'expose à tomber dans le besoin ou compromet l'exécution de ses obligations familiales.

Le projet de loi conserve la première et supprime la seconde.

Le maintien de l'exigence d'une altération des facultés mentales ou corporelles médicalement constatée

Il prévoit ainsi qu'une mesure de protection juridique peut être ouverte lorsqu'une personne se trouve dans l'impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d'une altération , médicalement constatée , soit de ses facultés mentales , soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l'expression de sa volonté .

Sur proposition de sa commission des lois et avec l'accord du Gouvernement, l'Assemblée nationale a substitué le verbe « empêcher » au verbe « entraver », qui figurait dans la rédaction initiale du projet de loi, « afin que l'ouverture d'une mesure de protection juridique en cas d'altération des facultés corporelles soit subordonnée à une impossibilité absolue pour la personne d'exprimer sa volonté 48 ( * ) . »

De fait, certains de nos concitoyens qui souffrent d'importantes infirmités motrices, notamment à la suite de graves accidents de la circulation routière, sont privés de l'usage de la parole mais peuvent, par le biais d'assistance technique et d'un entourage attentif, se faire comprendre et exprimer leur volonté. L'amendement adopté par l'Assemblée nationale est ainsi conforme au principe de nécessité qui doit gouverner l'ouverture d'une mesure de protection juridique.

L' altération des facultés mentales peut actuellement résulter de trois causes limitativement énumérées par l'article 490 : une maladie, une infirmité ou un affaiblissement dû à l'âge. Cette énumération n'étant pas exhaustive, elle n'est pas reprise par le projet de loi. D'autres causes peuvent en effet être invoquées : dans son rapport au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale, M. Emile Blessig cite en exemple « la dépression ou le stress post-traumatique qui est défini comme un trouble mais pas toujours comme une maladie, et qui pourtant altère les facultés mentales en modifiant le discernement ». Ces causes ne suffisent d'ailleurs pas : la loi impose que l'altération des facultés crée un besoin de représentation ou d'assistance.

Quant à l' altération des facultés corporelles , elle doit, pour justifier une mesure de protection, empêcher l'expression de la volonté. Selon la jurisprudence, une altération des facultés corporelles provoquant une simple gêne de l'expression de la volonté ne justifie pas l'ouverture d'une mesure de protection 49 ( * ) . En revanche, faute de condition quant à la durée de l'altération, la maladie ou l'infirmité peut être évolutive ou définitive.

L'hypothèse de l'altération des facultés physiques est donc assez rare, en pratique limitée aux paralysies sans perte d'intelligence, et l'altération des facultés mentales est, de loin, la cause majoritaire d'ouverture de mesures de protection .

Cette altération doit être constatée par un médecin spécialiste inscrit , en application de l'article 1245 du nouveau code de procédure civile, sur une liste établie chaque année par le procureur de la République après avis du préfet . Le constat médical constitue une formalité substantielle dont l'omission rend la requête irrecevable 50 ( * ) et qui s'impose au juge des tutelles 51 ( * ) . Les conditions d'application de cette exigence sont désormais précisées aux articles 431 et 431-1 pour les mesures de protection judiciaires et à l'article 481 pour le mandat de protection future.

La suppression de l'ouverture d'une curatelle pour cause de prodigalité, d'intempérance ou d'oisiveté

L'article 513 du code civil de 1804 avait prévu la possibilité de nommer un conseil judiciaire au prodigue . Cette possibilité était contestée par certains, en raison de l'atteinte portée à la liberté individuelle, notamment à celle qu'a chaque personne de disposer librement de sa fortune, et défendue par d'autres, qui mettaient en avant l'intérêt du prodigue et la nécessité de le protéger contre ses entraînements, la protection de la famille ou encore le souci d'empêcher les individus sans scrupules de s'enrichir en profitant de la faiblesse d'autrui. En pratique, la dation d'un conseil judiciaire avait essentiellement pour but de protéger les héritiers présomptifs contre les dépenses exagérées de leur auteur et de maintenir l'intégrité du patrimoine familial.

La loi du 3 janvier 1968 a non seulement conservé cette cause d'incapacité mais l'a étendue à l'intempérance et à l'oisiveté . Elle a prévu exclusivement l'ouverture d'un régime de curatelle , sans toutefois exiger de certificat médical 52 ( * ) , au motif que le prodigue, l'intempérant ou l'oisif n'est pas inapte mais a besoin d'une assistance juridique. Enfin, l'ouverture de la mesure a été subordonné au risque que le prodigue, l'intempérant ou l'oisif s'expose à tomber dans le besoin ou à compromettre l'exécution de ses obligations familiales . Sous ses deux réserves, elle a donc permis à tout individu de dilapider ses biens.

Dans leur ouvrage précité, M. Michel Bauer, M. Thierry Fossier et Mme Laurence Pecaut-Rivolier soulignent que : « la curatelle pour prodigalité, oisiveté ou intempérance a été progressivement abandonnée par les juges des tutelles qui en ont mesuré l'inadaptation. Pourtant, selon les textes encore en vigueur, elle pourrait être ouverte, sans même qu'un certificat médical atteste d'une incapacité mentale. Si les juges des tutelles n'y avaient prêté garde, ce texte aurait pu conduire, pourquoi pas, à placer sous curatelle tous les endettés, les chômeurs, les handicapés, les fumeurs. N'étant pas appliqué par les juges des tutelles, il n'est pas non plus invoqué par les services effectuant les signalements. Il est d'ailleurs fort logique de considérer que la prodigalité ou l'intempérance ne peuvent motiver une mesure de protection que si elles sont la conséquence d'un trouble mental tel qu'il justifie à lui seul la mise en oeuvre d'une mesure de curatelle sur des fondements plus classiques 53 ( * ) . »

Dans leur rapport de 1998, les trois inspections générales des services judiciaires, des finances et des affaires sociales avaient toutefois estimé que 20 % des mesures de protection étaient ouvertes pour des motifs sociaux sans altération des facultés mentales.

M. Emile Blessig, rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale, estime quant à lui que « la protection pour prodigalité, intempérance ou oisiveté (...) est à l'origine de l'ouverture de curatelles sans que le majeur soit véritablement dans l'impossibilité de pourvoir seul à ses intérêts. Or, conformément au principe de subsidiarité, la prodigalité, l'intempérance ou l'oisiveté ne justifient pas de priver le majeur de sa capacité juridique ».

La curatelle pour prodigalité, intempérance ou oisiveté doit effectivement disparaître car elle présente le risque d'entraîner les personnes qui rencontrent des difficultés financières vers un régime de protection juridique emportant une privation de leurs droits disproportionnée. Avec la mesure d'accompagnement social personnalisé et la mesure d'accompagnement judiciaire, la curatelle doit retrouver sa véritable place.

2. La finalité de la protection juridique

Conçue dans une optique patrimoniale, la loi du 3 janvier 1968 n'abordait la protection du majeur qu'à travers la préservation de ses biens. La Cour de cassation, dans un arrêt du 18 avril 1989, avait toutefois estimé que cette protection s'étendait à la personne du majeur.

Le second alinéa du nouvel article 425 consacre cette jurisprudence, en mettant en avant la protection de la personne avant celle de ses biens . Il ouvre cependant au juge des tutelles la possibilité de limiter une mesure à l'un de ces deux objets.

* 48 Rapport n° 3557 (Assemblée nationale, douzième législature) de M. Emile Blessig au nom de la commission des lois, page 129.

* 49 Cass. 1 ère civ, 15 juillet 1999.

* 50 Cass. 1 ère civ, 3 juillet 1975.

* 51 Cass. 1 ère civ, 15 juin 1994.

* 52 Article 508-1.

* 53 « La réforme des tutelles - ombres et lumières » - Dalloz juin 2006 - page 152.

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