2. Les interrogations constitutionnelles et l'appréciation de votre commission

Compte tenu du caractère très novateur de la rétention de sûreté, votre rapporteur a accordé une attention toute particulière à la conformité de ce dispositif à nos principes constitutionnels ainsi qu'à nos engagements internationaux au premier rang desquels figure, dans ces domaines, la convention européenne des droits de l'Homme de 1950.

Votre commission a également débattu de manière approfondie de ces questions lors de l'examen du présent projet de loi.

En l'espèce, l'analyse doit être conduite avec une grande prudence. En effet, ni le Conseil constitutionnel, ni la Cour européenne des droits de l'Homme n'ont eu, à ce jour, à se prononcer sur des dispositions identiques 38 ( * ) .

L'interprétation de leur jurisprudence n'autorise aucune certitude. Votre commission a été particulièrement éclairée sur ces questions par les analyses présentées lors de son audition par M. Gilles Lebreton, professeur de droit public à l'université du Havre.

Rappel des dispositions constitutionnelles et conventionnelles

Constitution

- Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789

art. VII - « Nul ne peut être accusé, arrêté, ni détenu que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu'elle a prescrites (...) »

art. VIII - « La loi ne doit établir que des peines strictement nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. »

- art. 66 - « Nul ne peut être arbitrairement détenu .

L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. »

- Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales de 1950

Art. 5 - « Droit à la liberté et à la sûreté

1 Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

a s'il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;

b s'il a fait l'objet d'une arrestation ou d'une détention régulières pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l'exécution d'une obligation prescrite par la loi ;

c [hypothèse de la détention provisoire]

d [hypothèse de l'éducation surveillée]

e s'il s'agit de la détention régulière d'une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d'un aliéné, d'un alcoolique, d'un toxicomane ou d'un vagabond ;

f [hypothèse des étrangers en situation irrégulière]

3 Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1.c. du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurance la comparution de l'intéressé à l'audience.

4 Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.

5 Toute personne victime d'une arrestation ou d'une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »

Au regard des principes posés par ces textes fondamentaux, quatre questions ont retenu plus particulièrement l'attention de votre commission :

- la nature de l'autorité appelée à prononcer la mesure ;

- la proportionnalité de la mesure à l'objectif poursuivi ;

- la justification de la privation de liberté ;

- les modalités d'application dans le temps.

Si les deux premières de ces questions ne semblent pas devoir susciter d'objections majeures, les deux suivantes soulèvent davantage d'interrogations.

* La nature de l'autorité appelée à prononcer la mesure

Gardienne de la liberté individuelle aux termes de l'article 66 de la Constitution, l'autorité judiciaire est en principe compétente pour décider d'une mesure privative de liberté. Sans doute l'autorité administrative peut-elle prononcer une rétention administrative ou, dans le cadre de l'hospitalisation d'office, un internement.

Cependant, dans le premier cas, le juge judiciaire est seul compétent pour prolonger la rétention et il doit intervenir dans « le plus court délai possible » 39 ( * ) .

Dans le second cas, la saisine du juge judiciaire est possible mais non obligatoire. Les dispositions relatives à l'hospitalisation d'office n'ont toutefois pas été déférées au Conseil constitutionnel qui n'a donc pas eu à vérifier la conformité à la Constitution de ce régime dérogatoire.

Au terme du projet de loi, la rétention de sûreté est décidée par une commission régionale composée de trois magistrats et cette décision pourra elle-même être contestée devant une commission nationale composée de trois conseillers à la Cour de cassation.

Ce dispositif paraît donc conforme au principe constitutionnel de la compétence judiciaire pour prononcer une mesure privative de liberté.

En outre, comme l'a observé M. Gilles Lebreton, la convention européenne des droits de l'Homme exige la nécessité d'un contrôle exercée par l'autorité judiciaire à intervalle raisonnable, sur le maintien en détention. Le projet de loi prévoit non seulement une révision annuelle de la situation de la personne soumise à une rétention de sûreté, mais il donne aussi à l'intéressé la faculté de demander tous les trois mois à la commission régionale qu'il soit mis fin à cette mesure. Les conditions posées par la Cour européenne des droits de l'Homme paraissent donc satisfaites.

* La proportionnalité de la mesure au regard du but recherché

L'examen de la proportionnalité de la rétention de sûreté pose une fois de plus la question de la conciliation de deux objectifs de valeur constitutionnelle : le droit à la sécurité et le respect de la liberté individuelle. En l'espèce, la finalité que recherche le législateur est de protéger la société face à des délinquants ayant purgé leur peine après avoir commis des crimes odieux et qui s'avèrent encore dangereux et susceptibles de récidiver. Cette finalité permet-elle de justifier une rétention pour une durée renouvelable d'année en année sans limitation dans le temps ? La question a été posée par de nombreuses personnes entendues par votre commission.

Sans doute, le champ d'application de la rétention a-t-il été étendu par l'Assemblée nationale. Cependant, les critères d'application demeurent strictement encadrés : condamnation à une peine d'au moins quinze ans d'emprisonnement pour une catégorie définie de crimes et à la condition que ceux-ci aient été commis avec circonstances aggravantes.

Enfin, l'extension du champ d'application est cohérente avec l'objet même du texte qui vise à protéger la société des criminels les plus dangereux atteints de troubles graves de la personnalité, quelque soit par ailleurs l'âge de leur victime. Il ne semblait pas souhaitable, à cet égard, de maintenir une distinction entre victimes mineurs et majeures.

En outre, le projet de loi prévoit explicitement que la rétention n'est applicable que si les obligations résultant de l'inscription au FIJAIS, de l'injonction de soin ou du PSEM apparaissent insuffisantes et qu'elle constitue donc « l'unique moyen de prévenir la commission de l'infraction ». Il répond, à ce titre, à l'exigence de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, -rappelée par le professeur Lebreton- de proportionnalité de la privation de liberté à ses motifs (la privation de liberté n'est possible que si aucune autre mesure plus douce ne répond à l'objectif poursuivi).

De même, autre principe jurisprudentiel dégagé par la Cour, l'adaptation du régime de détention à son motif , paraît satisfait par la prise en charge médicale et sociale propre à la personne dans le cadre du « centre médico-socio-judiciaire » où elle serait retenue.

L'absence de limitation dans le temps du dispositif doit sans doute être nuancée. La rétention doit être renouvelée tous les ans par une décision expresse de la commission régionale de la rétention de sûreté. A défaut, la personne serait libérée. Le dispositif paraît à cet égard plus favorable que les régimes de peines indéterminées qui ont été présentés à votre rapporteur lors de déplacements au Royaume-Uni et au Canada.

* La cause de la privation de liberté

Dans notre droit, la privation de liberté est en principe consécutive à la commission d'une infraction. Peut-on, à titre préventif , priver de liberté une personne afin de lui interdire de commettre une nouvelle infraction ?

En droit interne, aucune disposition ou décision de valeur constitutionnelle ne l'interdit ou ne le permet expressément. La privation de liberté est subordonnée à une double condition : elle doit être prévue par la loi « selon les formes qu'elle a prescrites » (article 7 de la déclaration de 1789) ; elle est soumise au contrôle de l'autorité judiciaire (article 66 de la Constitution).

Le cadre conventionnel est néanmoins plus restrictif. La convention européenne des droits de l'Homme prévoit six cas où la privation de liberté est admise : la détention après condamnation, l'arrestation ou la détention découlant d'une ordonnance judiciaire ou d'une obligation légale, la détention provisoire, la détention d'un mineur, la détention de certains malades ainsi que la détention des étrangers. Il importe d'examiner la conformité de la rétention de sûreté à trois d'entre elles (les trois autres à caractère très spécifique -détention provisoire, éducation surveillée des mineurs, étrangers en situation irrégulière- n'étant pas pertinentes en l'espèce).

En premier lieu, la détention peut intervenir après condamnation par un tribunal compétent (article 5 paragraphe 1.a). La Cour européenne des droits de l'Homme a estimé qu'il ne pouvait y avoir condamnation « sans l'établissement légal d'une infraction ». Elle a également considéré qu'une « mesure préventive ou de sûreté » ne pouvait s'assimiler à une condamnation, ce qui ne s'accorderait pas avec le principe de l'interprétation stricte du texte de la convention.

En revanche, la Cour admet qu'une personne condamnée pour une infraction puis libérée après l'exécution d'une partie de sa peine puisse être réincarcérée dès lors que cette privation de liberté présente un lien de causalité avec la condamnation initiale. En l'espèce, la réincarcération justifiée par l'instabilité mentale et la dangerosité de l'intéressé présentait un lien direct avec la condamnation « motivée expressément par sa dangerosité pour la société ». Selon la Cour, il existait un lien suffisant, au regard des exigences de l'alinéa a) du paragraphe 1 de l'article 5 « entre la condamnation du requérant en 1966 et sa réintégration en prison en 1977 » 40 ( * ) . En revanche, dans une autre affaire, la Cour n'a pas vu de lien de causalité entre « la possibilité que le requérant se rende coupable d'autres infractions à caractère non violent et la peine qui lui avait été infligée pour meurtre en 1967 » 41 ( * ) . En d'autres termes, comme l'a confirmé M. Gilles Lebreton, il faut que le motif du maintien en détention soit proche de celui qui a justifié la détention initiale.

En second lieu, la convention européenne des droits de l'Homme autorise la détention pour insoumission à une ordonnance rendue par un tribunal ou à une obligation prescrite par la loi (article 5 paragraphe 1.b). La Cour européenne des droits de l'Homme a entendu de manière stricte cette forme de privation de liberté dont l'objet est de forcer la personne à exécuter une obligation spécifique et concrète qu'elle a négligé de remplir 42 ( * ) .

Enfin, la convention autorise la détention de certaines catégories de personnes -celles susceptibles de propager une maladie contagieuse, les aliénés , alcooliques et vagabonds (article 5 paragraphe 1.e). Si la référence aux « vagabonds » trahit des conceptions aujourd'hui dépassées, la mention aux aliénés retient en revanche l'attention dans la perspective du projet de loi.

La privation de liberté des « aliénés » est subordonnée par la Cour à trois conditions : un « trouble mental réel » démontré par une « expertise médicale objective » ; ce trouble doit présenter « un caractère ou une ampleur légitimant l'internement » ; enfin, il doit être mis un terme à l'internement lorsque le trouble cesse 43 ( * ) .

La rétention de sûreté peut-elle se fonder sur ces dispositions ?

Il convient à cet égard de distinguer l'application de la rétention de sûreté dans le prolongement immédiat d'une peine d'emprisonnement de l'application de cette rétention en cas de manquement aux obligations auxquelles une personne peut être soumise après la sortie de prison.

Le premier cas peut être rattaché à la disposition de la convention selon laquelle la détention est autorisée après condamnation par un tribunal compétent (article 5-1.a).

Le rattachement à la condamnation est toutefois prévu de deux manières différentes par le projet de loi :

- l'article premier du projet de loi (article 706-53-13 nouveau du code de procédure pénale) prévoit que la rétention de sûreté ne peut être appliquée à l'issue de l'incarcération que si la juridiction de jugement a prévu expressément dans sa décision le réexamen de la personne ; cette disposition du projet de loi a été introduite comme l'indique l'objet de l'amendement n °68 présenté par le Gouvernement lors de la première lecture du projet de loi à l'Assemblée nationale, à la suite d'une observation du Conseil d'Etat :

- l'article 12 (II) du projet de loi prévoit que la rétention de sûreté peut être appliquée, sans qu'une telle mention ne figure dans la condamnation, aux criminels les plus dangereux (personnes ayant fait l'objet soit de plusieurs condamnations pour les crimes mentionnés à l'article 706-53-13 du code de procédure pénale dont la dernière à une peine privative de liberté d'une durée égale ou supérieure à quinze ans, soit d'une condamnation unique à une telle peine pour plusieurs de ces crimes commis sur des victimes différentes) -le lien avec la condamnation résultant alors, selon l'objet de l'amendement précité, de la répétition des faits qui est un « indice objectif de dangerosité et de risque de récidive, qui découle effectivement des condamnations puisque celles-ci ont bien déclaré la personne coupable à plusieurs reprises ».

En faveur de cette argumentation, M. Gilles Lebreton a, pour sa part, considéré que la dangerosité qui a motivé une condamnation à une peine d'une durée au moins égale à quinze ans est aussi la raison d'un placement en rétention.

A contrario , notre excellent collègue, M. Pierre Fauchon, a sans doute développé l'analyse la plus rigoureuse en observant que la rétention de sûreté trouvait sa justification dans la dangerosité de la personne et le risque qu'elle présentait pour l'avenir.

La condamnation ne saurait, à cet égard, que jouer le rôle d'un indicateur et d'une garantie, naturellement indispensable pour encadrer l'application de la rétention.

Votre rapporteur estime toutefois qu'aussi logique que soit ce raisonnement, il ne s'inscrit pas dans le cadre conventionnel et ouvre aussi la voie à bien des incertitudes si une rétention devait avant tout reposer sur une dangerosité présumée.

Il considère aussi que le lien induit par le II de l'article 12 du projet de loi demeure par trop implicite dès lors qu'il semble que la jurisprudence de la Cour de Strasbourg implique que la dangerosité fasse l'objet d'une « motivation expresse » -condition difficile à satisfaire en l'état du droit compte tenu de l'absence de motivation des arrêts de cour d'assises.

Selon votre commission, en revanche, l'exigence d'une mention expresse, dans la condamnation, tendant au réexamen de la personne satisfait pleinement à la stipulation de la convention.

Le deuxième cas d'application de la rétention de sûreté -en cas de manquement à une obligation- pourrait se fonder, quant à lui, sur l'article 5-16 de la convention européenne des droits de l'Homme qui vise le cas d'une personne faisant l'objet d'une détention pour insoumission à une obligation prévue par la loi.

Enfin, la notion d'aliénés visée à l'article 5 paragraphe 1 er pourrait-elle englober la catégorie des psychopathes et des pervers auxquels est susceptible de s'appliquer la rétention de sûreté ?

L'interprétation actuelle de la Cour européenne des droits de l'Homme ne semble pas l'autoriser. Néanmoins, la Cour elle-même a reconnu que le sens du terme aliéné ne cessait d'« évoluer avec les progrès de la recherche psychiatrique » 44 ( * ) .

* L'application de la disposition dans le temps

Le projet de loi prévoit dans plusieurs hypothèses, l'application immédiate de la rétention de sûreté pour les personnes condamnées pour des faits commis avant l'entrée en vigueur de la loi. Selon le Gouvernement, une telle possibilité est conforme à la nature juridique de la rétention de sûreté considérée comme une mesure de sûreté qui ne serait pas soumise au principe constitutionnel de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère.

- La notion de mesure de sûreté

La mesure de sûreté ne comporte pas en principe de dimension punitive. Elle présente un caractère préventif plutôt que répressif. Il s'agit d'une « mesure de défense sociale imposée à un individu dangereux afin de prévenir les infractions futures qu'il pourrait commettre et que son état rend probables, l'aider ou le soumettre à un traitement » 45 ( * ) . Une majorité de la doctrine considère qu'elle peut, à ce titre, s'appliquer rétroactivement .

A la faveur de l'élaboration du nouveau code pénal, le législateur avait entendu fondre les mesures de sûreté au sein des peines 46 ( * ) . Par ailleurs, il a, plus tardivement, assigné à la peine un rôle comparable à celui d'une mesure de sûreté : en effet, « la nature, le quantum et le régime des peines prononcées sont fixés de manière à concilier la protection effective de la société (...) avec la nécessité (...) de prévenir la commission de nouvelles infractions » (art. 132-24 du code pénal).

Cependant, notre droit avait conservé certaines dispositions dont le régime juridique ne s'assimilait pas à celui d'une peine. Ainsi par exemple de la confiscation des objets nuisibles ou dangereux (art. 13-21 du code pénal) qui peut être ordonnée alors même que la personne poursuivie serait relaxée ou acquittée (art. 132-58 du code pénal) ;

Surtout, le législateur a souhaité depuis quatre ans définir de nouvelles mesures de sûreté . Cette inflexion est liée à l'accent mis sur la lutte contre la récidive et à la mise en place, dans cette perspective, de nouveaux instruments de prévention.

Tel est le cas du fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles créé par la loi du 9 mars 2004, du placement sous surveillance électronique mobile et de la surveillance judiciaire institués par la loi du 12 décembre 2005.

Le partage entre peine et mesure de sûreté est parfois délicat. Ainsi, le suivi socio-judiciaire 47 ( * ) et la surveillance judiciaire, bien que proches au regard des objectifs poursuivis, relèvent, en l'état du droit, le premier, de la peine et la seconde de la mesure de sûreté.

- Cependant, l'applicabilité du principe de non-rétroactivité est fonction de la gravité de l'atteinte portée à la liberté plutôt que de la qualification formelle de la mesure .

Le Conseil constitutionnel n'a pas réservé la non rétroactivité aux seules peines. Pour s'assurer qu'une mesure de sûreté ne possède pas le caractère d'une sanction, il faut l'analyser au regard d'un faisceau d'indices comportant la nature de la mesure, sa gravité, ses conditions d'application et la qualification retenue par le législateur 48 ( * ) .

Ainsi le Conseil constitutionnel a considéré que les périodes de sûreté concernant l'exécution d'une peine obéissaient au même régime que la peine 49 ( * ) . Dans la même logique, il a assimilé aux peines « le régime des mesures de sûreté qui les assortissent » - il s'agissait en l'espèce de la période de sûreté de 30 ans 50 ( * ) .

Le Conseil constitutionnel a par exemple précisé que la radiation des listes électorales résultant de plein droit de certaines condamnations pénales en vertu de l'article L. 7 du code électoral doit être considérée comme une peine accessoire en raison de sa nature et de sa gravité (Conseil constitutionnel, n° 2000-2581 du 30 mars 2006).

Par ailleurs, comme l'a rappelé M. Gilles Lebreton, le Conseil tend à assimiler les mesures individuelles défavorables prises en considération de la personne à des peines : un retrait de carte de séjour peut être considéré comme une peine si un caractère punitif lui est attaché 51 ( * ) .

Dans son esprit, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme est assez proche de celle du Conseil constitutionnel. En effet, la Cour apprécie la notion de peine non au regard de la qualification retenue en droit national mais en fonction de la gravité de l'atteinte portée à la liberté.

Ainsi, les sanctions disciplinaires sont assimilables à des sanctions pénales 52 ( * ) a fortiori quand cette sanction disciplinaire peut se traduire par une privation de liberté (hypothèse d'un condamné astreint à exécuter quelques jours de détention supplémentaires parce qu'il s'était mal comporté en prison).

- Sans doute, la jurisprudence du Conseil constitutionnel semble-t-elle ouvrir, sous certaines conditions, la possibilité d'une application immédiate de la mesure lorsque celle-ci repose sur la dangerosité de la personne .

Le Conseil constitutionnel a infléchi sa jurisprudence, lorsque saisi de la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, il a considéré que certaines obligations -en l'espèce, la surveillance judiciaire- pouvaient être d'application immédiate dès lors qu'elles se fondaient sur la dangerosité de la personne et la prévention du risque de récidive :

« (...)

13. Considérant, en premier lieu, que la surveillance judiciaire est limitée à la durée des réductions de peine dont bénéficie le condamné ; qu'elle constitue ainsi une modalité d'exécution de la peine qui a été prononcée par la juridiction de jugement ;

14. Considérant, en second lieu, que la surveillance judiciaire, y compris lorsqu'elle comprend un placement sous surveillance électronique mobile, est ordonnée par la juridiction de l'application des peines ; qu'elle repose non sur la culpabilité du condamné, mais sur sa dangerosité ; qu'elle a pour seul but de prévenir la récidive ; qu'ainsi, la surveillance judiciaire ne constitue ni une peine ni une sanction ;

15. Considérant, dès lors, que le législateur a pu, sans méconnaître l'article 8 de la Déclaration de 1789, prévoir son application à des personnes condamnées pour des faits commis antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi ; » 53 ( * ) .

Le deuxième considérant (14°) laisse entendre qu'une mesure reposant sur la dangerosité de la personne et destinée à prévenir la récidive ne constitue « ni une peine, ni une sanction » et ne serait pas soumise au principe de non-rétroactivité 54 ( * ) .

L'interprétation de la décision du Conseil constitutionnel reste néanmoins délicate dans la mesure où il est possible de soutenir que le deuxième considérant (14°) ne peut se lire indépendamment du précédent (13°). Dès lors, la surveillance judiciaire ne constitue pas une peine non pas seulement parce qu'elle repose sur la dangerosité de la personne mais aussi parce qu'elle est « limitée à la durée des réductions de peine » dont bénéficie le condamné.

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel ne se réfère pas explicitement en l'espèce à la notion de mesure de sûreté mais à celle de « modalité d'exécution de la peine qui a été prononcée par la juridiction de jugement ».

Enfin, la surveillance judiciaire n'emporte pas un enfermement de la personne : dans l'espèce soumise au conseil, elle offre une alternative entre l'emprisonnement et la libération anticipée compte tenu des réductions de peine automatiques.

Au cours de nombreuses auditions auxquelles votre rapporteur a procédé, une grande majorité de magistrats et de professeurs de droit se sont accordés pour reconnaître que la rétention de sûreté ne pouvait s'appliquer de manière rétroactive.

Au regard de l'atteinte portée aux libertés individuelles, votre rapporteur, suivi par votre commission, estime difficile d'admettre que les personnes actuellement détenues pour des faits commis antérieurement à la loi puissent se voir appliquer, dès que s'achève leur incarcération, une rétention de sûreté.

Celle-ci pourrait être comprise comme un prolongement de la peine alors même que la juridiction de jugement aura prononcé un emprisonnement d'une durée déterminée.

En revanche, si la prolongation de la surveillance judiciaire au-delà de la durée correspondant aux réductions de peine ainsi que la prolongation des obligations de suivi socio-judiciaire au-delà de la durée initiale fixée par la juridiction de jugement soulèvent aussi certains doutes au regard du principe de non-rétroactivité de la loi pénale, l'atteinte portée à la liberté individuelle paraît, dans le cadre de ces dispositifs, moins grave qu'un enfermement (article premier du projet de loi).

En tout état de cause, la personne soumise à ces nouveaux dispositifs de contrôle, après l'entrée en vigueur de la loi, sera parfaitement informée qu'elle encourt une mesure de rétention en cas de manquement grave à l'une des obligations qui lui aura été fixées. Le principe de non rétroactivité n'aurait donc pas lieu de jouer pour l'application de la rétention de sûreté dans ce cas de figure.

* 38 Le système allemand de la détention de sûreté, le plus proche sans doute de la mesure proposée, fait l'objet de recours encore pendants devant la Cour de Strasbourg.

* 39 Conseil constitutionnel, décision n° 79-109 DC du 9 janvier 1980.

* 40 CEDH, 2 mars 1987, Weeks c/Royaume-Uni.

* 41 CEDH, 28 mai 2002, Stafford c/Royaume-Uni.

* 42 Guzzardi, préc.

* 43 CEDH, 24 septembre 1992, Herczegfalvy c. Autriche.

* 44 CEDH, 24 octobre 1979, Winterwerp c. Pays-Bas.

* 45 Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 4 ème édition.

* 46 Comme le rappelait l'exposé des motifs du nouveau code pénal « Aux fins de simplification, toutes les sanctions pénales relèvent désormais d'une seule catégorie, celle des peines. En effet, coexistent dans notre droit, à côté des peines « principales » des interdictions diverses (...) qualifiées « mesures de sûreté » et soumises à un régime juridique particulier (...). Désormais toutes les sanctions pénales seront, sans distinction, des peines ; elles sont d'ailleurs ressenties comme telles par le condamné ». Il convient par ailleurs de noter que les deux dernières lois d'amnistie du 3 août 1995 et du 6 août 2002 ont assimilé les mesures de police et de sûreté aux peines en indiquant que l'amnistie emporte la remise des unes et des autres sauf dispositions expressément contraires.

* 47 Dans le silence de la loi, la chambre criminelle de la Cour de cassation a qualifié le suivi socio-judiciaire de « peine complémentaire » et estimé, en vertu du principe de non rétroactivité de la loi pénale, qu'il ne pouvait s'appliquer pour des faits commis avant l'entrée en vigueur de la loi (Chambre criminelle de la cour de cassation, 2 septembre 2004).

* 48 Voir notamment Frédéric Desportes, Francis Le Gunehec, Droit pénal général, 14 ème édition, Economica p. 277.

* 49 Conseil constitutionnel, décision n° 1986-215 du 3 septembre 1986.

* 50 Conseil constitutionnel, décision n° 1993-334 du 20 janvier 1994.

* 51 Conseil constitutionnel, décision n° 9, 1997-389 du 22 avril 1997, p. 32.

* 52 CEDH ; 3 juin 1976, ENGEZ c. Pays Bas.

* 53 Conseil constitutionnel, décision n° 2005-527 DC du 8 décembre 2005.

* 54 De même, le Conseil constitutionnel a considéré que les mesures imposées aux personnes inscrites dans le FIJAIS constituaient non pas « une sanction, mais une mesure de police destinée à prévenir le renouvellement d'infractions et à faciliter l'identification de leurs auteurs » 55 . La Cour de cassation en a déduit les conséquences en confirmant l'inscription au fichier d'une condamnation pour des agressions sexuelles aggravées commises antérieurement à la publication de la loi du 9 mars 2004. Sans utiliser le terme de mesure de sûreté, elle a donc considéré que le dispositif n'était pas soumis au principe de non rétroactivité des lois pénales de fond plus sévères

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