INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Depuis des années déjà, nombreuses sont les communes qui offrent à leurs habitants un service d'accueil en cas de grève dans les écoles élémentaires et maternelles et qui allègent ainsi la charge qui pèse sur les familles à cette occasion.

En janvier 2008, le ministre de l'éducation nationale décidait l'expérimentation d'un service minimum d'accueil. En janvier et en mai dernier, 2 000 à 2 900 communes se sont engagées dans des conventions avec l'État afin d'accueillir les élèves dont les professeurs étaient en grève.

Chacune de ces initiatives a permis de simplifier la vie des familles qui pâtissent, à l'occasion de chaque journée de mobilisation dans l'éducation nationale, d'une double interruption du service public.

En délivrant des enseignements aux élèves, l'école fait en effet plus que les accueillir, elle fait d'eux des citoyens cultivés, réfléchis et responsables. Pour autant, nous ne saurions oublier qu'elle remplit aussi une fonction d'accueil et qu'elle y est aidée par les collectivités territoriales lorsque celles-ci organisent la prise en charge dans le temps périscolaire.

Chaque grève prive donc non seulement les élèves des enseignements qu'ils auraient dû recevoir, mais il contraint également les familles à trouver un mode d'accueil qui puisse se substituer à l'école et pèse ainsi à l'évidence plus lourdement sur les ménages les moins aisés.

En souhaitant la généralisation du service d'accueil, le président de la République a donc entendu dépasser ces inégalités et offrir à toutes les familles un même service. C'est l'objet même de ce projet de loi, qui institue un droit d'accueil pour les élèves des écoles élémentaires et maternelles publiques.

Au-delà des débats que cette initiative a pu faire naître, votre rapporteur voit dans la consécration de ce droit un progrès tangible pour les pères et les mères qui n'auront plus à prendre un jour de congé pour garder leur enfant ou à recourir dans l'urgence aux solidarités familiales et locales.

Mais la reconnaissance de ce nouveau droit ne doit pas se faire aux dépens des principes tout aussi essentiels que sont le droit de grève et la libre administration des collectivités territoriales.

Au coeur du texte soumis est notre assemblée, il y a donc une exigence, celle de trouver le bon équilibre qui permettra d'accorder un nouveau droit aux familles et aux élèves sans pour autant faire peser une charge excessive sur les libertés des professeurs et des communes.

C'est dans cet esprit que votre rapporteur a mené ses travaux, en se donnant pour objectif de rechercher avec pragmatisme et sans idéologie la meilleure manière de concilier ces libertés et droits également fondamentaux.

Il serait en effet préjudiciable à l'intérêt tant des familles que des professeurs ou des communes de faire de l'institution du service d'accueil un débat essentiellement idéologique. L'opinion publique est en effet très largement favorable à l'institution d'un tel service, un sondage PEEP-BVA réalisé en septembre 2007 montrant ainsi que 78 % des parents soutiennent l'idée d'offrir un accueil en cas de grève.

Les propositions de votre commission seront donc inspirées par le souci d'enrichir et d'améliorer le texte chaque fois que cela est possible, afin de permettre à ce nouveau droit de s'exercer dans les meilleures conditions, sans faire peser pour autant de contraintes excessives sur les communes.

l'accueil des élèves du primaire en cas d'absence ou de grève des enseignAnts : un droit qui attendait encore sa consécration

A. ACCUEILLIR LES ÉLÈVES PENDANT LE TEMPS SCOLAIRE, UN SOUCI RÉCURRENT POUR LES COMMUNES, LES FAMILLES ET L'ÉDUCATION NATIONALE

1. De l'obligation d'instruction au droit à la scolarisation

L'obligation scolaire est au fondement de l'école républicaine. C'est en effet la loi du 28 mars 1882 qui dispose, en son article 7, que « l'instruction est obligatoire », achevant ainsi la constitution de l'école de Jules Ferry dont les trois attributs sont gravés dans nos mémoires : elle est en effet publique, gratuite et obligatoire.

La III e République naissante impose donc la fréquentation de l'école élémentaire à tous les jeunes Français, allant ainsi contre le tropisme naturel de bien des familles dans une France encore rurale. Les enfants y ont en effet vocation dès leur plus jeune âge à assister leurs parents dans les travaux des champs ou à devenir très vite des travailleurs.

En consacrant l'obligation scolaire et en décidant de faire de tous les enfants des écoliers, les grandes lois républicaines des années 1880 marquent ainsi une rupture non seulement politique, mais aussi sociale : l'école communale devient ainsi le lieu naturel d'accueil des enfants qui ne grandissent plus seulement au milieu et sous la garde de leur famille, mais aussi dans l'enceinte scolaire.

La consécration du principe de l'obligation scolaire fait donc partie des facteurs décisifs qui ont permis la modernisation économique et sociale de la France. Cette reconnaissance traduit en effet le souci de faire des progrès de l'instruction la clef des progrès sociaux et politiques futurs.

Mais par ses effets sur l'organisation de la cellule familiale, elle rend également possible les évolutions sociales que supposent de tels progrès : faire de l'enfant un écolier, qui passe ainsi une large partie de ses journées dans les salles de classe, c'est rendre ses parents plus libres et faciliter la transition entre une France essentiellement agricole, où lieu de travail et lieu de vie familiale se confondent, et une France industrielle et commerciale où les parents exercent le plus souvent leur profession hors du domicile familial.

En ce sens, la scolarisation obligatoire et son allongement jusqu'à 16 ans, ont permis de résoudre dans chaque famille l'un des problèmes pratiques les plus épineux qui soient, celui de la garde des enfants, et contribué ainsi progressivement à la modernisation de l'économie et de la société françaises ainsi qu'à l'affirmation concrète de l'égalité entre les sexes.

Si l'école est donc d'abord un lieu d'enseignement, elle est aussi un lieu d'accueil et ces deux fonctions sont indissolublement liées, même si elles ne se confondent pas.

Le droit en vigueur le démontre, puisqu'à l'obligation scolaire, consacrée par l'article L. 131-1 du code de l'éducation, aux termes duquel « l'instruction est obligatoire pour les enfants des deux sexes, français et étrangers, entre six et seize ans » , répond l'obligation, pour les services du ministère de l'éducation nationale, d'accueillir dans ses établissements tout enfant d'âge scolaire.

Celle-ci n'est toutefois pas le corollaire strict de celle-là. L'instruction de l'enfant peut en effet être assurée dans d'autres cadres que les seuls établissements scolaires. L'article L. 131-2 du même code dispose en effet que « l'instruction obligatoire peut être donnée soit dans les établissements ou écoles publics ou privés, soit dans les familles par les parents, ou l'un d'entre eux ou toute personne de leur choix. »

Toutefois, aux termes de l'article L. 131-1-1 du code précité, « cette instruction obligatoire est assurée prioritairement dans les établissements d'enseignement ». L'obligation d'accueillir tout enfant d'âge scolaire dans une école, un collège ou un lycée trouve ainsi sa source dans la volonté du législateur de favoriser la délivrance de l'instruction par voie scolaire. A l'obligation d'instruction répond ainsi un droit à la scolarisation qui doit favoriser leur équivalence.

Le champ de ce droit est même plus large encore, car il s'étend, quoique sous d'autres formes, au-delà de la seule durée de la scolarité obligatoire. L'article L. 113-1 dudit code dispose ainsi que « les classes enfantines ou les écoles maternelles sont ouvertes, en milieu rural comme en milieu urbain, aux enfants qui n'ont pas atteint l'âge de la scolarité obligatoire.

Tout enfant doit pouvoir être accueilli, à l'âge de trois ans, dans une école maternelle ou une classe enfantine le plus près possible de son domicile, si la famille en fait la demande.

L'accueil des enfants de deux ans est étendu en priorité dans les écoles situées dans un environnement social défavorisé, que ce soit dans les zones urbaines, rurales ou de montagne et dans les régions d'outre-mer. »

Le droit à l'accueil en milieu scolaire est ainsi d'ores et déjà consacré, par le législateur, comme la forme privilégiée d'exercice du droit et du devoir d'instruction reconnu à chaque enfant.

2. La confusion entre droit à l'accueil et droit à la scolarisation plaçait les familles en situation difficile en cas d'interruption du service public d'enseignement

Il y avait ainsi une confusion possible entre le droit à l'accueil et le droit à la scolarisation. Or poser l'équivalence entre ces deux notions, c'est accepter qu'en cas d'interruption du service public d'enseignement, la scolarisation et l'accueil ne soient plus assurés.

Ainsi, en cas de grève ou d'absence prolongée d'un professeur qui ne pourrait être immédiatement remplacé, la scolarisation et l'accueil des enfants cessent. Du fait que l'école est plus et autre chose qu'une garderie, on concluait jusqu'à aujourd'hui qu'elle n'avait pas nécessairement vocation à accueillir les élèves en cas d'interruption du service public d'enseignement.

Pour les familles toutefois, il en découlait des difficultés redoutables. Car si l'école fait plus qu'accueillir, elle répond aussi au besoin de garde que rencontre toute famille. Pendant le temps scolaire, l'enfant n'est en effet plus à la charge de ses parents, qui peuvent alors se consacrer pleinement à leurs propres obligations, notamment professionnelles. Dans une société où la double activité est devenue la règle, toute interruption du service public d'enseignement et d'accueil fait naître des problèmes pratiques indiscutables.

TYPE DE FAMILLE AVEC AU MOINS UN ENFANT DE 0-6 ANS SELON L'ACTIVITÉ DES PARENTS

Famille monoparentale, parent actif

5 %

Famille monoparentale, parent inactif

2 %

Couple dont 1 actif

32 %

Couple dont 2 actifs

59 %

Couple, 2 inactifs

1 %

Total

100 %

Source : INSEE, Enquête emploi 2005 (France métropolitaine)

Votre rapporteur tient également à souligner que ces difficultés pèsent très inégalement sur les familles. Si ces dernières ont les moyens de recourir à un mode de garde payant pour la journée ou la chance de pouvoir s'appuyer sur la solidarité familiale, elles parviendront à les surmonter. Mais dans l'hypothèse où ce ne serait pas le cas, elles se trouvent contraintes de prendre un jour de congé ou d'aménager ponctuellement leurs horaires de travail, ce qui se traduit alors par une rémunération plus faible ou par d'éventuelles difficultés professionnelles.

Dans les familles monoparentales, dont le chef de famille est le plus souvent une femme à la situation professionnelle relativement précaire, la question de la garde des enfants en cas d'interruption du service public de l'enseignement devient particulièrement cruciale.

Cette question se pose toutefois avec une acuité particulière dans le premier degré : l'âge des enfants, le principe de l'enseignant unique et l'organisation même des établissements font qu'en cas d'absence ou de grève d'un professeur, l'accueil des élèves est nécessaire, mais ne peut que difficilement être pris en charge par les professeurs eux-mêmes.

Il y a donc à l'évidence un besoin social d'accueil des enfants, y compris en cas d'interruption du service public de l'enseignement, qui trouve son origine dans les évolutions rendues possibles par une scolarisation généralisée, et à laquelle il apparaissait de plus en plus nécessaire de répondre.

3. Les collectivités territoriales et les services de l'éducation nationale ont le plus souvent tenté de répondre au besoin d'accueil

Face à ce besoin, ni les collectivités territoriales, ni les services de l'éducation nationale, ni le législateur ne sont restés inactifs.

Les professeurs eux-mêmes ont en effet conscience de la charge que représente pour une famille l'interruption de la scolarisation de leurs enfants. C'est pourquoi, à défaut d'organiser systématiquement un accueil en cas de grève ou d'absence, des efforts significatifs ont été faits pour prévenir les parents de la survenance d'une de ces interruptions. De plus, lorsque les effectifs concernés le permettent, les élèves des professeurs des écoles absents ou grévistes sont répartis entre les différentes classes des enseignants présents ou non grévistes, ces derniers supportant alors directement la charge de l'accueil. Cette organisation ne peut finalement être mise en oeuvre qu'en cas d'absence d'un nombre significatif de professeurs.

De même, le législateur a souhaité rappeler la nécessaire continuité du service public de l'enseignement en prévoyant, à l'article 47 de la loi n° 2005-380 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école du 23 avril 2005 que les enseignants « contribuent à la continuité de l'enseignement sous l'autorité du chef d'établissement en assurant des enseignements complémentaires ». Ces dispositions ont permis de mettre en oeuvre une politique volontariste de développement du remplacement de courte durée, en particulier dans le second degré, en cas d'absence, prévisible ou non, d'un professeur pour un motif personnel.

Enfin, les collectivités territoriales ont également pris la mesure de ce besoin d'accueil et se sont efforcées, dans la mesure du possible, d'y répondre.

Un service d'accueil est en effet offert par certaines communes depuis plusieurs années, ces dernières prenant en charge les élèves pendant la journée en cas d'absence des professeurs. La ville de Montauban accueille ainsi depuis 2002 dans ses centres de loisirs les élèves des écoles de la commune lorsque ces dernières sont fermées à l'occasion d'une grève des enseignants. Ce service était toutefois payant jusqu'à la mise en place, en janvier dernier, du service minimum d'accueil à titre expérimental. Pour chaque enfant accueilli, les familles devaient en effet acquitter la somme, certes modique, de 4 euros.

Pour permettre la diffusion de ce service, le ministère de l'éducation nationale a mis en place en janvier dernier un dispositif baptisé « service minimum d'accueil » (SMA) en cas de grève dans le premier degré.

Les communes qui acceptent de le mettre en place s'engagent à accueillir les élèves dont les professeurs sont en grève, le ministère de l'éducation nationale s'engageant en retour à prendre en charge le coût d'organisation de ce service par le versement d'une indemnité forfaitaire de 90 euros par groupe de 15 élèves accueillis, destinée à permettre la rémunération des personnes mobilisées pour la mise en oeuvre de ce service.

Ce dispositif était offert à coût budgétaire inchangé pour l'État, l'indemnité forfaitaire versée aux communes étant financée par les retenues opérées sur les salaires des enseignants grévistes.

Le SMA a été mis en oeuvre par voie de conventions passées entre les communes volontaires et le ministère de l'éducation nationale à l'occasion des grèves du 24 janvier, du 15 mai et du 28 mai 2008.

L'ampleur du dispositif est toutefois restée limitée par le faible nombre de communes impliquées : 2 075 le 24 janvier, 2 886 le 15 mai et 2 884 le 22 mai. Malgré cela, la présence parmi elles de plusieurs communes de plus de 100 000 habitants a permis de couvrir une part substantielle de la population résidant dans cette catégorie d'agglomérations : 28,96 % le 24 janvier, 23,48 % le 15 mai et 24,44 % le 22 mai.

Votre rapporteur regrette toutefois que le ministère de l'éducation nationale ne dispose pas d'une analyse précise de la taille des communes volontaires et du nombre d'enfants accueillis en moyenne dans chacune d'entre elles.

Néanmoins, les données qui lui ont été communiquées montrent que lors de la grève du 24 janvier 2008, seuls 31 000 élèves ont bénéficié effectivement du SMA, donnant ainsi lieu à ce jour au versement de 186 300 euros d'indemnités aux communes qui les ont accueillis.

Le développement du SMA par voie conventionnelle restait donc encore limité. Il se heurtait en effet à deux obstacles principaux :

- les réticences d'un nombre important de communes, qui voient dans le SMA un dispositif de la seule compétence de l'État et qui estiment peu opportun de s'engager par voie conventionnelle dans la création d'un service offert en cas de mouvement social dans la fonction publique d'État ;

- le recours limité à ce stade des familles au SMA, dès lors qu'il n'est pas offert partout et que ses modalités d'organisation ne sont pas encore connues.

Aussi la généralisation du service d'accueil ne pouvait-elle passer que par la voie législative, afin de donner à chacun les assurances nécessaires quant à son existence et à son organisation pratique.

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