2. De nouvelles règles de représentativité

La position commune sur la représentativité, le développement du dialogue social et le financement du syndicalisme est le fruit d'une longue réflexion, amorcée il y a déjà plusieurs années.

a) Une longue phase de réflexion

Par lettre du 20 décembre 2005, le Premier ministre, alors Dominique de Villepin, avait demandé à Raphaël Hadas-Lebel, qui présidait à l'époque la section sociale du Conseil d'État, de formuler des propositions pour réformer les règles de représentativité syndicale et de validité des accords collectifs, les modalités du dialogue social au sein des petites et moyennes entreprises et pour aborder la question, plus générale, des moyens des organisations syndicales et de leur financement.

Remis au Premier ministre en mai 2006, le rapport Hadas-Lebel présente, après un état des lieux, deux scénarios d'évolution : le premier est qualifié de scénario d'adaptation, le second, plus ambitieux, de scénario de transformation.

Les deux scénarios envisagés dans le rapport Hadas-Lebel

* Le scénario d'adaptation

Ce scénario prévoit d'aménager les règles actuelles, sans remettre en cause leurs fondements. Il envisage quatre mesures principales :

- la révision périodique de la liste des organisations représentatives ;

- la mise à jour des critères de représentativité, qui pourraient être regroupés autour de trois considérations principales : la capacité d'influence et l'indépendance ; l'activité et l'expérience de l'organisation ; le respect des valeurs républicaines (qui se substituerait à l'attitude patriotique pendant l'Occupation) ;

- la clarification des prérogatives attachées à la qualité d'organisation syndicale représentative ;

- la simplification des procédures de reconnaissance de la représentativité dans la branche et dans l'entreprise, qui pourrait relever d'une procédure administrative.

* Le scénario de transformation

Dans ce scénario, la représentativité des syndicats est appréciée, à tous les niveaux, à partir de leurs résultats aux élections . Les autres critères de représentativité serviraient de garde-fous permettant de s'assurer de la nature syndicale des organisations en présence.

Plusieurs résultats électoraux pourraient être pris en considération :

- une première possibilité est d'utiliser les résultats des élections prud'homales : toutes les organisations syndicales, sans distinction, peuvent participer à ces élections ; elles présentent cependant l'inconvénient de fournir un résultat global, au niveau national, qui ne permet pas de connaître l'influence d'un syndicat dans une branche ou dans une entreprise ;

- une deuxième possibilité consiste à collationner les résultats des élections des délégués du personnel ; cependant, l'élection de délégués du personnel n'est obligatoire que dans les entreprises de plus de dix salariés et se solde souvent, dans les petites entreprises, par un constat de carence, faute de candidats ; de plus, les organisations représentatives disposent du monopole de présentation des candidatures au premier tour de ces élections, ce qui désavantage les nouvelles organisations ;

- une troisième possibilité consiste à organiser une élection de représentativité au niveau de la branche. L'organisation d'une telle consultation est déjà possible, en application de l'article L. 132-2-2 du code du travail, et devrait donc être généralisée.

Il est bien sûr envisageable de s'appuyer sur une combinaison des résultats de ces divers scrutins pour apprécier la représentativité syndicale.

Il est nécessaire, enfin, de définir un seuil de représentativité , permettant de déterminer quelles organisations bénéficient des prérogatives attachées à la représentativité syndicale ; fixer ce seuil à un niveau élevé, 10 % par exemple, inciterait les organisations syndicales à se regrouper. Un seuil trop faible favoriserait la dispersion syndicale.

Le Premier ministre a ensuite demandé au Conseil économique et social (CES) de faire connaître sa position sur les différentes recommandations contenues dans le rapport Hadas-Lebel.

Dans son avis adopté le 29 novembre 2006, le CES estime que « l'arrêté du 31 mars 1966 n'est plus en harmonie avec les nécessités de l'enrichissement du dialogue social et doit être abrogé » . Il propose également d'abandonner la notion de caractère « irréfragable » de la représentativité au profit de la notion de « représentativité nationale » , qui serait reconnue périodiquement à la suite de consultations électorales.

Le CES ne se prononce pas sur le choix de la consultation électorale permettant d'apprécier la représentativité syndicale. Il indique seulement que cette consultation doit intervenir de manière suffisamment espacée pour éviter une trop grande instabilité. Il suggère de retenir un seuil de représentativité égal ou supérieur à 5 %.

L'avis du CES avait été adopté à une large majorité (132 voix pour, 58 contre) ; trois organisations syndicales s'y étaient cependant opposées (CFTC, FO, CFE-CGC), de même que, côté employeurs, le Medef et la CGPME. Ces organisations estimaient en effet que la représentativité syndicale ne saurait obéir aux mêmes règles que la représentation politique et découler prioritairement d'élections 2 ( * ) . Elles réaffirmaient leur attachement à un syndicalisme d'adhésion, qui tire sa légitimité du nombre et de l'activité de ses adhérents, et craignaient que l'organisation d'élections de représentativité éloigne encore davantage les salariés des organisations syndicales et favorise les surenchères électoralistes. En revanche, la CGT et la CFDT avaient approuvé l'avis.

b) Le temps des choix : la conclusion de la position commune et sa transcription dans la loi

Au début de l'année 2007, Gérard Larcher, alors ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle, a engagé une série d'entretiens bilatéraux avec les organisations syndicales et patronales pour examiner avec elles les pistes de réforme envisagées. Le Gouvernement de François Fillon s'est ensuite saisi de ce dossier dès sa prise de fonction.

Le nouveau Premier ministre a mis en oeuvre la procédure prévue par la loi de modernisation du dialogue social du 31 janvier 2007 3 ( * ) , selon laquelle toute réforme du droit du travail doit être précédée d'une concertation avec les organisations patronales et syndicales, les partenaires sociaux pouvant alors faire connaître au Gouvernement leur intention d'ouvrir une négociation sur le thème considéré.

En application de cette procédure, il a adressé aux partenaires sociaux, le 18 juin 2007, un « document d'orientation sur la démocratie sociale » , dans lequel il les invitait à se prononcer sur l'évolution des règles de représentativité syndicale et de validité des accords collectifs et sur les moyens à mettre en oeuvre pour faciliter le développement de la négociation collective dans les petites et moyennes entreprises (PME).

A la suite de la conférence du 19 décembre 2007 sur l'agenda social pour 2008, le Premier ministre a adressé aux partenaires sociaux un document d'orientation complémentaire, où il les invitait à se saisir également de la question des règles de financement des organisations syndicales et d'employeurs et de l'assouplissement des règles de négociation collective en matière de temps de travail.

Le Gouvernement avait demandé aux partenaires sociaux de lui faire connaître leurs propositions, sur l'ensemble de ces sujets, avant le 31 mars 2008. Les négociations se sont engagées le 24 janvier et ont abouti à la conclusion d'une position commune le 9 avril.

Une « position commune » n'a pas la même valeur juridique qu'un accord national interprofessionnel (ANI). Elle n'est pas créatrice de normes et exprime simplement la position de ses signataires. Elle n'est pas non plus soumise aux mêmes règles de validité qu'un ANI, ce qui conduit certains à estimer que la signature d'une position commune constitue un procédé « déloyal » 4 ( * ) ; depuis la loi Fillon de 2004, la validité d'un ANI est en effet subordonnée à l'absence d'opposition de la part d'une majorité d'organisations représentatives de salariés, soit trois syndicats sur cinq.

Or, la position commune n'a été approuvée que par deux syndicats - la CGT et la CFDT - et, côté patronal, par le mouvement des entreprises de France (Medef) et la confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME). La troisième organisation patronale, l'union professionnelle artisanale (UPA), a refusé d'apposer sa signature.

Le refus de FO, de la CFTC et de la CGC de parapher la position commune est cohérent avec le vote négatif qu'elles avaient émis, en 2006, lors de l'examen de l'avis du CES. Une évolution peut en revanche être observée du côté du Medef et de la CGPME, qui ont accepté que l'audience électorale devienne le critère essentiel de mesure de la représentativité syndicale afin qu'un compromis puisse se dégager avec la CGT et la CFDT 5 ( * ) .

La position commune est divisée en quatre parties :

- le titre premier porte sur la représentativité des organisations syndicales de salariés ;

- le deuxième sur le développement du dialogue social ;

- le troisième sur le financement des organisations syndicales de salariés ;

- le quatrième regroupe les dispositions finales.

Elle propose d'apprécier la représentativité syndicale en tenant compte de plusieurs critères cumulatifs : les effectifs et les cotisations ; la transparence financière ; l'indépendance ; le respect des valeurs républicaines ; l'influence ; et l'audience, établie à partir des résultats aux élections professionnelles (élection des délégués du personnel et des membres du comité d'entreprise).

Ce nouveau critère d'audience s'accompagne de la fixation d'un seuil, en deçà duquel un syndicat ne peut être considéré comme représentatif. Il est proposé de le fixer à 10 % des voix obtenues au niveau de l'entreprise et de le fixer, à titre transitoire, à 8 % au niveau des branches ou au niveau national interprofessionnel.

Ce seuil, relativement élevé, devrait favoriser un regroupement des organisations syndicales. Dans les pays comparables à la France qui connaissent aussi une situation de pluralisme syndical, on compte généralement deux ou trois syndicats représentatifs, rarement cinq.

La direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du travail compile et publie les résultats des élections aux comités d'entreprise. Même s'il faut se garder d'extrapoler ces résultats à l'ensemble des entreprises - le comité d'entreprise n'est élu que dans les entreprises de plus de cinquante salariés -, ces chiffres donnent une idée de l'impact que pourrait avoir la fixation d'un seuil de 10 % pour chaque organisation syndicale.

Résultats obtenus par cycle électoral
de 2000 à 2005

Listes

2000-2001

2002-2003

2004-2005

Participation

64,1

64,3

64,5

CFDT

22,9

22,4

20,3

CFE-CGC

5,9

6,1

6,3

CFTC

5,7

6,1

6,4

CGT

23,6

23,3

23,6

CGT-FO

12,7

12,6

12,6

Autres syndicats

6,8

7,2

7,9

Non syndiqués

22,4

22,4

22,9

Source : Premières informations - Premières synthèses n° 19.1, mai 2007, Dares.

Avant même l'entrée en vigueur des nouvelles règles, la CFE-CGC et l'Unsa ont d'ailleurs annoncé avoir engagé des discussions exploratoires en vue d'une éventuelle fusion, qui pourrait intervenir fin 2009 6 ( * ) .

Le projet de loi, dans ses articles 1 à 5, reprend fidèlement la position commune en déclinant les nouvelles règles de représentativité au niveau de l'entreprise, du groupe, de la branche et au niveau national interprofessionnel.

* 2 Le Centre d'analyse (CAS) a publié, en mai 2008, une note de veille n° 99 intitulée « La démocratie politique représentative comme modèle pour la démocratie sociale ? ». Il observe que « l'élection (et l'audience électorale qui en découle) a été érigée en principale instance de légitimation des acteurs et en facteur constitutif de la représentativité, comme dans le champ politique. »

* 3 Cf. le rapport Sénat n° 152 (2006-2007) de Catherine Procaccia, fait au nom de la commission des affaires sociales.

* 4 Cf. l'audition de Philippe Louis, trésorier confédéral de la CFTC, p. 147.

* 5 Le départ de l'ancien président de la commission « Relations sociales » du Medef, Denis Gautier-Sauvagnac, réputé favorable au maintien des règles actuelles de représentativité, a pu favoriser cette évolution.

* 6 Cf. l'audition d'Alain Lecanu, secrétaire général « Emploi » de la CFE-CGC, p. 134.

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