B. LE MULTILINGUISME INSTITUTIONNEL EN PRATIQUE

1. Les régimes linguistiques spécifiques des différentes institutions communautaires

a) Le régime linguistique du Conseil de l'Union européenne

Sur le fondement de l'article 14 de son règlement intérieur, le Conseil dispose, a priori , d'un régime linguistique dit « intégral » : en effet, « sauf décision contraire prise par le Conseil à l'unanimité et motivée par l'urgence, le Conseil ne délibère et ne décide que sur la base de documents et projets établis dans les langues prévues par le régime linguistique en vigueur ».

Dans la pratique, le multilinguisme intégral est effectif au niveau du Conseil européen et des réunions ministérielles du Conseil de l'Union. S'agissant du fonctionnement linguistique des groupes de travail, c'est-à-dire des réunions de travail des fonctionnaires spécialisés intervenant en amont des réunions ministérielles, le régime linguistique s'adapte en fonction de la nature des discussions. Le fonctionnement linguistique des instances préparatoires du Conseil obéit ainsi à quatre régimes d'interprétation 7 ( * ) :

- un régime complet d'interprétation : en vigueur dans près de 20 groupes ou comités ;

- un régime d'interprétation à la demande : en vigueur dans 88 groupes ou comités ;

- un régime à trois langues (français, anglais, allemand) : en vigueur dans cinq comités dont le COREPER ;

- un régime sans interprétation (français et/ou anglais, selon l'usage) : en vigueur dans 52 comités ou groupes.

Le fonctionnement du Comité des représentants permanents des pays membres de l'Union ( COREPER ) repose sur trois langues de travail, à savoir l'anglais, le français et l'allemand, en vertu d'un usage consacré par un arrangement agréé en décembre 2003.

Quant aux réunions des groupes de travail sur la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), la plupart d'entre elles observent, depuis le 1 er mai 2004 et la réforme du régime linguistique du Conseil, un bilinguisme traditionnel anglais-français .

b) Le régime linguistique du Parlement européen

Le Parlement européen se veut le « champion du multilinguisme » institutionnel. Conformément à l'article 138 de son règlement intérieur, le multilinguisme y prévaut de manière intégrale puisque « tous les documents du Parlement doivent être rédigés dans les langues officielles ». Ce multilinguisme rigoureux est également susceptible de s'exercer à l'oral dans la mesure où « tous les députés ont le droit, au Parlement, de s'exprimer dans la langue officielle de leur choix » et que « les interventions dans une des langues officielles sont interprétées simultanément dans chacune des autres langues officielles et dans toute autre langue que le Bureau estime nécessaire ».

Le Parlement européen est l'employeur le plus important au monde d'interprètes et de traducteurs , qui constituent près d'un tiers de son personnel, soit près de 1 500 personnes. 33 % de son budget est ainsi consacré aux dépenses de traduction et d'interprétation.

Une approche pragmatique a cependant été privilégiée, en pratique, pour contenir les frais de traduction et d'interprétation dans des limites budgétaires acceptables, à travers l'élaboration d'un code de conduite du multilinguisme , établi en 2006, qui consacre un « multilinguisme intégral maîtrisé » reposant sur des besoins communiqués à l'avance et classés selon leur priorité . L'interprétation et la traduction sont donc intégralement assurées pour les sessions plénières et pour tous les documents officiels, mais avec une approche plus flexible concernant certains documents et réunions préparatoires, notamment les réunions de commissions et des groupes politiques.

L'assouplissement des règles du multilinguisme intégral concernant les documents et réunions préparatoires n'est possible qu'à la condition qu'aucun député ne s'y oppose. Or, une tendance au recul du multilinguisme dans le déroulement des réunions de commissions a pu être constatée dans la période récente. Ainsi, la mise en oeuvre systématique du multilinguisme dans les réunions de travail du Parlement apparaît-elle en partie tributaire du volontarisme politique de ses membres .

c) Le régime linguistique de la Commission européenne

Le règlement intérieur de la Commission européenne impose, dans son article 18, l'usage de toutes les langues officielles de la Communauté lorsqu'il s'agit d'actes de portée générale, et pour les autres, celles de leurs destinataires.

S'agissant du collège des commissaires , celui-ci travaille en trois langues : l'anglais, l'allemand et le français. Le manuel des procédures opérationnelles de la Commission prévoit ainsi que « les documents soumis à l'approbation de la Commission en séance [...] doivent être disponibles au moins dans les langues nécessaires aux besoins des membres de la Commission (français, anglais, allemand) ». Cette règle vaut pour les notes internes et les projets de documents , la Commission étant en théorie tenue, dans ses relations avec l'extérieur, conformément aux dispositions de l'article 18 précité, à une stricte obligation de traduction dans toutes les langues officielles de l'Union. Le manuel précise qu' « après approbation de la Commission, les documents ne sont transmis par le Secrétariat général dans une version finale aux autres institutions que si les vingt-trois versions linguistiques sont disponibles ».

Dans un communiqué, daté du 17 septembre 2008, annonçant la nouvelle stratégie de l'exécutif européen en matière de multilinguisme, le commissaire européen en charge du multilinguisme a indiqué que la prochaine Commission décidera en novembre 2009 de l'ajout de nouvelles langues de travail, qui sont actuellement l'anglais, l'allemand et le français 8 ( * ) .

d) Le régime linguistique de la Cour de justice des Communautés européennes et du Tribunal de première instance

En vertu de l'article 7 du règlement n° 1/1958, « le régime linguistique de la procédure de la Cour de Justice est déterminé dans le règlement de procédure de celle-ci ». Toutes les langues des traités peuvent ainsi être langues de procédure. Dans chaque affaire, la langue de procédure est unique , la langue du défendeur étant retenue comme langue de procédure, lorsque celui-ci est un État membre ou un particulier ressortissant communautaire, et le choix de la langue de procédure appartenant au demandeur si le défendeur est une institution communautaire 9 ( * ) . Une fois la langue de procédure déterminée, elle doit être utilisée tout au long de la procédure, tant dans les écrits que lors de la procédure orale.

La Cour nécessitant une langue commune pour délibérer, cette langue est traditionnellement, mais pas statutairement, le français : cette situation n'est pas nécessairement neutre en termes d'effets sur la jurisprudence, la Cour étant en effet susceptible d'être plus sensible à la tradition du droit romano-germanique qu'à la tradition juridique anglo-saxonne, inspirée de la Common law . Le français dispose ainsi d'une position privilégiée au sein d'une institution de quelque 1 800 agents.

e) Le régime linguistique des agences et autres organismes communautaires

L'Union européenne compte près d'une quarantaine d'agences et d'organismes communautaires annexes dont les régimes linguistiques ne font l'objet d' aucune harmonisation . En effet, les règles linguistiques peuvent être prévues par le règlement communautaire créant l'agence, ou bien ce dernier peut déléguer au conseil d'administration le soin de fixer lui-même le régime linguistique de l'agence. Cette situation conduit à s'écarter systématiquement du principe d'égalité des langues et comporte un risque accru d'insécurité juridique .

* 7 Cf. la répartition des instances préparatoires du Conseil en fonction de leur régime d'interprétation indiquée dans l'annexe n° 2.

* 8 EurActiv.com le 15/09/2008 : http://www.euractiv.com/fr/culture/commission-interesse-competences-linguistiques-encourager-prosperite-ue/article-175363

* 9 FENET, Alain, « Diversité linguistique et construction européenne », Revue trimestrielle de droit européen , 37 (2), avril-juin 2001.

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