N° 289

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2008-2009

Annexe au procès-verbal de la séance du 18 mars 2009

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur la proposition de loi présentée par MM. Yvon COLLIN, Michel CHARASSE, Mme Anne-Marie ESCOFFIER, MM. Nicolas ALFONSI, Jean-Michel BAYLET, Jean-Pierre CHEVÈNEMENT, François FORTASSIN, Mme Nathalie GOULET, MM. Daniel MARSIN, Jacques MÉZARD, Jean MILHAU, Aymeri de MONTESQUIOU, Jean-Pierre PLANCADE, Robert TROPEANO et Raymond VALL visant à exclure les communes de moins de 2 000 habitants du dispositif de service d' accueil des élèves d' écoles maternelles et élémentaires ,

Par M. Philippe RICHERT,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Legendre , président ; MM. Ambroise Dupont, Michel Thiollière, Serge Lagauche, David Assouline, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Ivan Renar, Mme Colette Mélot, M. Jean-Pierre Plancade , vice-présidents ; M. Pierre Martin, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Christian Demuynck, Yannick Bodin, Mme Béatrice Descamps , secrétaires ; MM. Jean-Paul Amoudry, Jean-Pierre Bel, Claude Bérit-Débat, Mme Maryvonne Blondin, M. Pierre Bordier, Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Bruguière, M. Jean-Claude Carle, Mme Françoise Cartron, MM. Jean-Pierre Chauveau, Gérard Collomb, Yves Dauge, Claude Domeizel, Alain Dufaut, Mme Catherine Dumas, MM. Jean-Léonce Dupont, Louis Duvernois, Jean-Claude Etienne, Mme Françoise Férat, MM. Jean-Luc Fichet, Bernard Fournier, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, MM. Jean-François Humbert, Soibahadine Ibrahim Ramadani, Mlle Sophie Joissains, M. Philippe Labeyrie, Mmes Françoise Laborde, Françoise Laurent-Perrigot, M. Jean-Pierre Leleux, Mme Claudine Lepage, MM. Alain Le Vern, Jean-Jacques Lozach, Mme Lucienne Malovry, MM. Jean Louis Masson, Michel Mercier, Philippe Nachbar, Mme Monique Papon, MM. Daniel Percheron, Jack Ralite, Philippe Richert, René-Pierre Signé, Jean-François Voguet.

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Sénat :

219 (2008-2009)

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

En consacrant le droit pour tout élève d'une école maternelle ou élémentaire d'être accueilli pendant le temps scolaire, la loi n° 2008-790 du 20 août 2008 a entendu préciser la traduction concrète que devait revêtir, en matière éducative, le principe constitutionnel de continuité du service public.

C'est pourquoi les nouveaux articles L. 133-1 et L. 133-3 du code de l'éducation organisent cette continuité dans l'enseignement primaire autour de trois principes :

- la continuité du service public de l'enseignement doit être assurée, chaque fois que cela est possible, par le remplacement du professeur absent par un autre enseignant ;

- lorsque le remplacement du professeur est impossible, c'est-à-dire en cas de grève ou en cas d'absence imprévisible, une continuité minimale du service public de l'enseignement doit être assurée par l'organisation d'un service d'accueil distinct du service d'enseignement, mais qui lui reste étroitement associé ;

- lorsque l'État n'est pas en mesure d'offrir lui-même ce service d'accueil, c'est-à-dire en cas de grève massive, il revient aux communes de le mettre en place.

Votre rapporteur tient à le souligner d'emblée, la proposition de loi n° 219 (2008-2009) de notre collègue Yvon Collin et des membres du groupe RDSE n'a pas pour objet de remettre en cause les deux obligations complémentaires que la loi a mises à la charge des pouvoirs publics, mais porte sur la seule répartition des compétences opérée par l'article L. 133-3 du code de l'éducation.

Au fil des mouvements de grève qui ont eu lieu depuis l'entrée en vigueur de la loi, l'utilité du dispositif est en effet apparue indiscutable. Si dans un premier temps, les élèves qui en ont bénéficié sont restés relativement peu nombreux, le service d'accueil a progressivement pris son essor et l'on peut estimer à près de 450 000 le nombre d'élèves accueillis lors de la grève du 29 janvier dernier. 1 ( * )

Ce dernier chiffre témoigne de l'intérêt que revêt le dispositif pour de nombreuses familles. Les perturbations causées par les grèves les atteignaient en effet inégalement : certaines pouvaient compter sur la solidarité familiale ou sur un mode de garde payant, quand d'autres, qui étaient souvent les plus modestes, devaient s'organiser tant bien que mal en prenant un jour de congé et en subissant ainsi directement les conséquences financières de la grève.

Tel est de moins en moins le cas désormais, la mise en oeuvre du service d'accueil permettant d'éviter que les mouvements sociaux dans l'éducation nationale ne pénalisent plus lourdement une partie de la population.

La création du service d'accueil apparaît donc de fait comme un progrès pour les familles qui, si l'on en croit les sondages, y étaient très favorables et sont désormais nombreuses à y avoir recours.

I. UN SERVICE D'ACCUEIL EN CAS DE GRÈVE QUE LES COMMUNES SONT SEULES À MÊME DE PROPOSER

Si l'existence du service d'accueil n'est pas remise en cause directement par la présente proposition de loi, celle-ci tend à modifier substantiellement la répartition des compétences entre l'État et les communes prévue par l'article L. 133-3 du code de l'éducation.

Aux termes de cet article, « en cas de grève des enseignants d'une école maternelle ou élémentaire publique, les enfants scolarisés dans cette école bénéficient gratuitement, pendant le temps scolaire, d'un service d'accueil qui est organisé par l'État, sauf lorsque la commune en est chargée en application du quatrième alinéa de l'article L. 133-4 ».

A ces dispositions, nos collègues du groupe RDSE proposent d'ajouter deux alinéas ainsi rédigés : « L'obligation de service d'accueil n'est pas opposable aux communes de moins de 2 000 habitants. En outre, elle n'est opposable dans les autres communes que sous réserve du respect, par le directeur de chaque établissement ou celui qui le remplace, de ses obligations de service en ce qui concerne l'accueil des élèves. »

L'adoption de la présente proposition de loi aurait donc un double effet :

- par dérogation au principe posé au premier alinéa de l'article L. 133-3, elle confierait à l'État la compétence de mise en oeuvre du service dans les communes de moins de 2 000 habitants ;

- elle subordonnerait l'obligation pour toute commune de plus de 2 000 habitants de mettre le service d'accueil au respect par le directeur d'école concerné ou celui qui le remplace de ses obligations de service en matière d'accueil des élèves.

L'équilibre de l'article L. 133-3 en serait profondément altéré. Aux yeux de nos collègues du groupe RDSE, une telle modification se justifie pleinement compte tenu des enseignements de l'expérience : celle-ci témoignerait en effet de l'impossibilité d'organiser le service d'accueil dans les communes.

Seul l'État, compte tenu des moyens dont il dispose, serait en effet en mesure de le mettre en oeuvre, à tout le moins dans toutes les communes. Pour votre rapporteur, cette question mérite que l'on s'y arrête dès lors qu'elle est à la base de la répartition des compétences prévue à l'article L. 133-3.

Si l'Etat se révélait en effet capable d'organiser le service dans toute commune, quelle que soit sa taille, alors le principe d'une double compétence serait en lui-même remis en cause. Sur le fond, l'adoption de la présente proposition de loi ouvrirait alors la voie à la remise en cause de la compétence communale pour toutes les collectivités.

Il est donc nécessaire d'examiner à nouveau avec précision les soubassements de l'article L. 133-3 du code de l'éducation.

Par le jeu des références croisées entre les articles L. 133-1, L. 133-3 et L. 133-4, la répartition des compétences entre l'Etat et la commune se fait comme suit :

- l'organisation du service d'accueil à toute autre occasion qu'une grève des enseignants d'une école maternelle ou élémentaire publique relève de la compétence de l'Etat ;

- en cas de grève, l'Etat doit proposer lui-même le service d'accueil dans l'école tant que le pourcentage d'enseignants ayant déclaré leur intention de faire grève ne dépasse pas 25 % des professeurs de l'école. Lorsque cette proportion est atteinte ou dépassée, la compétence revient à la commune.

La répartition des compétences se fait donc autour de deux critères : le motif de l'absence du ou des enseignants ; la proportion des professeurs qui ont déclaré leur intention de faire la grève.

Ces deux critères n'ont d'autre objet que de définir avec la plus large extension possible les cas où l'Etat est capable d'assurer le service . Cette capacité se mesure en effet aux moyens humains et matériels dont il dispose.

En cas d'absence d'un ou de plusieurs enseignants pour tout autre motif que la grève, l'éducation nationale dispose en effet toujours des moyens nécessaires pour assurer la continuité du service. Il en va ainsi des locaux, puisque les classes des élèves concernés sont par définition disponibles. Quant au personnel nécessaire, la présence des autres enseignants de l'école permet, si aucun remplaçant ne peut être mobilisé, d'assurer le service d'accueil dans de bonnes conditions.

Il en va autrement en cas de grève. Tant que celle-ci reste d'une importance modérée, les enfants peuvent être répartis dans les classes prises normalement en charge par les autres enseignants de l'école. Tel n'est plus le cas quand un quart ou plus des effectifs de professeurs sont en grève. En effet, le personnel manque alors pour assurer le service dans des conditions de sécurité satisfaisantes.

Cette insuffisance d'encadrement ne saurait être palliée par la réquisition de personnel, puisque cette dernière se révèlerait très certainement inconstitutionnelle.

Certes, le préambule de la Constitution de 1946 dispose que « le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le règlementent », ce qui ouvre la possibilité au législateur, pour une raison d'intérêt général suffisante, d'encadrer l'exercice du droit de grève et même, dans certains cas, d'en priver de l'exercice telle ou telle catégorie d'agents. Mais le Conseil constitutionnel a eu l'occasion de préciser les conditions très strictes qui limitent cette faculté.

Ainsi si la loi peut refuser le droit de grève à certains salariés ou agents, ce n'est qu'à ceux dont « la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service dont l'interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays », cette dernière notion n'ayant jamais été définie par le Conseil constitutionnel. 2 ( * ) La grève est ainsi interdite aux policiers, aux agents des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire, aux magistrats, aux agents des transmissions du ministère de l'intérieur, aux militaires ou bien encore aux agents chargés du contrôle et de la protection des matières nucléaires.

De même, la loi peut encadrer l'exercice du droit de grève, afin d'assurer la continuité du service public, qui a elle-même valeur constitutionnelle. Mais cet encadrement doit être proportionné : ainsi le Conseil constitutionnel a-t-il déclaré conforme à la Constitution l'obligation pour certains salariés de déclarer 48 heures par avance leur intention de faire grève au motif que « l'obligation de déclaration préalable instituée par le présent article, qui ne saurait être étendue à l'ensemble des salariés, n'est opposable qu'aux seuls salariés dont la présence détermine directement l'offre de services ». 3 ( * )

Toute disposition qui priverait les professeurs des écoles de l'exercice de leur droit de grève aux fins d'assurer l'accueil des élèves les jours de grève ne pourrait donc qu'être déclarée inconstitutionnelle.

Il en va de même des directeurs d'école, qui sur le plan juridique ne constituent pas un corps distinct de celui des professeurs des écoles. 4 ( * ) Certes, l'article 2 du décret n° 89-122 du 24 février 1989 dispose que le directeur d'école « prend toute disposition utile pour que l'école assure sa fonction de service public. A cette fin, il organise l'accueil et la surveillance des élèves et le dialogue avec leurs familles . »

Mais la portée de cette obligation est limitée. Il s'agit simplement de consacrer la responsabilité du directeur en matière de surveillance et d'accueil durant les heures d'activité scolaire.

L'article D. 321-12 du code de l'éducation prévoit en effet que « la surveillance des élèves durant les heures d'activité scolaire doit être continue et leur sécurité doit être constamment assurée en tenant compte de l'état de la distribution des locaux et du matériel scolaires et de la nature des activités proposées.

« L'accueil des élèves est assuré dix minutes avant l'entrée en classe. Le service de surveillance à l'accueil et à la sortie des classes, ainsi que pendant les récréations, est réparti entre les maîtres en conseil des maîtres de l'école. »

Si le droit en vigueur consacre l'obligation pour les directeurs d'organiser l'accueil et la surveillance des élèves au sein de l'école, cette obligation ne couvre que le temps scolaire ainsi que les temps d'entrée et de sortie des classes.

Elle n'a pas pour effet de limiter le droit de grève des directeurs d'école ou de les rendre responsables de la sécurité et de la surveillance des enfants bénéficiant du service d'accueil proposé par la commune, y compris lorsque celui est organisé au sein de l'école.

Dans cette dernière hypothèse, en effet, les enfants présents dans l'école au titre du service d'accueil n'ont pas été confiés au ministère de l'éducation nationale et ne relèvent pas à proprement parler du cadre scolaire.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle l'article L. 133-6 du code de l'éducation déroge explicitement aux dispositions de l'article L. 216-1 qui subordonnent l'organisation d'activités complémentaires dans les établissements scolaires durant leurs heures d'ouverture à la signature d'une convention entre la collectivité concernée et l'établissement, qui précise notamment les conditions dans lesquelles les agents de l'Etat peuvent être mis à disposition de cette collectivité.

Enfin, votre rapporteur n'a trouvé aucune trace d'une disposition législative ou règlementaire applicable prévoyant des obligations particulières pour les directeurs d'école en cas de grève. En tout état de cause, même si un tel texte était encore en vigueur, il serait sans aucun doute contraire à la Constitution. 5 ( * )

En conséquence, en cas de grève massivement suivie dans l'enseignement primaire, l'Etat est bien dépourvu d'agents pour mettre en place le service d'accueil, sauf à porter atteinte au droit de grève au-delà des limites autorisées par la Constitution.

Si la compétence d'organisation du service d'accueil en cas de grève d'importance était confiée à l'Etat, la seule solution envisageable serait alors le recrutement d'agents non titulaires, à l'instar de ce que font de nombreuses communes.

Toutefois, même si l'Etat était compétent pour les seules communes de moins de 2 000 habitants, le recrutement et la gestion de ces agents de même que l'organisation du service d'accueil seraient, de fait, hors de sa portée.

Les communes de moins de 2 000 habitants représentent en effet 75 % des communes de notre pays. Dans chacune d'elles et pour chaque école concernée, l'Etat devrait recruter des personnels, prévoir les modalités d'organisation du service et surveiller son exécution.

Aux yeux de votre rapporteur, il est permis de douter de la capacité des services de l'Etat d'exercer effectivement une telle compétence. Les seules missions ponctuelles d'ampleur comparable sont les opérations de vote dont l'organisation relève très largement de la compétence du maire, qui est alors agent de l'Etat. C'est dire que l'organisation d'un tel service suppose un tel niveau de déconcentration que l'échelon pertinent est par nature celui de la commune.

Votre rapporteur estime donc difficile de confier la mise en oeuvre du service d'accueil en cas de grève massive à l'Etat. Cette recentralisation de la compétence risquerait en effet de conduire à la disparition d'un service que les communes sont seules à même de proposer.

* 1 L'analyse des données communiquées par les communes afin d'obtenir le versement de la compensation prévue par la loi n'est pas achevée. Ses premiers résultats font apparaître les ordres de grandeur suivants : lors de la grève du 7 octobre 2008, près de 55 000 élèves ont été accueillis ; lors du mouvement du 20 novembre 2008, ils étaient près de 208 000 ; le 29 janvier, 450 000 élèves bénéficiaient du service. Au total, l'État a versé depuis l'entrée en vigueur de la loi des compensations qui équivalent à l'accueil de près de 780 000 élèves.

* 2 Conseil constitutionnel, décision n° 79-105 DC du 25 juillet 1979.

* 3 Conseil constitutionnel, décision n°2007-556 DC du 16 août 2007.

* 4 L'article 1 er du décret n° 89-122 du 24 février 1989 dispose ainsi que « la direction des écoles maternelles et élémentaires de deux classes et plus est assurée par un directeur d'école appartenant au corps des instituteurs ou au corps des professeurs des écoles, nommé dans cet emploi dans les conditions fixées par le présent décret... L'instituteur ou le professeur des écoles affecté dans une école maternelle ou élémentaire à classe unique assure les fonctions de directeur d'école. » Il y a donc bien un emploi de directeur d'école, mais il n'existe ni corps ni statut d'emploi correspondant. L'article L. 411-1 du code de l'éducation prévoit certes qu'un « décret en Conseil d'Etat fixe les conditions de recrutement de formation et d'exercice des fonctions spécifiques des directeurs d'école maternelle et élémentaire », mais près de quatre années après l'adoption de cette disposition issue de la loi n° 2005-380 du 23 avril 2005, le décret d'application correspondant n'a toujours pas été pris.

* 5 Les auteurs de la proposition font référence à une disposition issue des lois dites « Ferry » sur l'école. Il convient toutefois de rappeler que le droit de grève des agents publics a été consacré par une décision du Conseil d'Etat du 7 juillet 1950. Par ailleurs, la reconnaissance constitutionnelle du droit de grève date de 1946.

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