2. Deux groupes victimes de leur récente expansion sur de nouveaux segments de marché

L'impact de la crise a été élevé sur les comptes des caisses d'épargne, modéré sur ceux des banques populaires, et très important pour leur filiale commune Natixis, témoignant d'un « apprentissage » difficile de la banque universelle pour les deux groupes, et d'une solidarité financière contrainte à l'égard de Natixis malgré les divisions de la gouvernance.

Les résultats nets sur l'exercice 2008 (sans intégration de la quote-part des résultats de Natixis) ont ainsi été déficitaires de 468 millions d'euros pour le groupe Banque populaire (contre un bénéfice de 1,3 milliard d'euros en 2007), de 2 milliards d'euros pour le groupe Caisse d'épargne (bénéfice de 1,4 milliard d'euros en 2007), et de 2,62 milliards d'euros pour Natixis (bénéfice de 1,1 milliard d'euros en 2007). Natixis est également l'établissement français qui a été le plus touché par « l'affaire Madoff » , avec 375 millions d'euros provisionnés dans les comptes de 2008.

Ces données reflètent non seulement l'impact des véhicules structurés portant des crédits « subprimes » et de la baisse de l'activité, mais encore d'une politique onéreuse d'acquisitions dans le domaine immobilier - Nexity et Foncia en particulier - réalisée en haut de cycle. La perte de valeur de ces participations a conduit les deux groupes à inscrire des provisions pour dépréciation liées aux écarts d'acquisition (« goodwills »).

Les caisses d'épargne ont également subi un important préjudice financier et d'image mi-octobre 2008 avec une perte de 752 millions d'euros sur des opérations de négociation pour compte propre d'instruments dérivés sur des indices d'actions, réalisées par des traders ayant excédé leur mandat et leurs limites de « stop loss ». Bien que l'arrêt de cette activité de trading ait en réalité été décidé peu auparavant la découverte de cette surexposition, cet « incident de marché » a mis à mal la spécificité mutualiste et la réputation de gestion avisée des caisses d'épargne . Il en est résulté le départ des deux principaux dirigeants du groupe, MM. Charles Milhaud et Nicolas Mérindol.

En outre, les deux groupes ont été directement confrontés aux graves difficultés des rehausseurs de crédit dits « monolines » 10 ( * ) au travers de leur filiale Compagnie Ixis Financial Guaranty ( CIFG ), créée en mai 2002 et apportée par Ixis (c'est-à-dire par la CDC) lors de la création de Natixis. Dexia a cependant connu un problème analogue avec sa filiale Financial Security Assurance (FSA) et a bénéficié d'une garantie conjointe des Etats belge et français 11 ( * ) sur les engagements relatifs aux actifs inscrits au bilan de la filiale de gestion d'actifs FSA Asset Management LLC au 30 septembre 2008.

CIFG, vecteur « privilégié » de l'exposition aux subprimes

Au cours de l'année 2006, les encours de créances garanties par CIFG ont doublé, passant de 25 milliards à 53 milliards d'euros. Devant l'ampleur du risque, un mandat de cession a été formalisé mais a échoué en septembre 2007, contraignant la CNCE et la BFBP à racheter CIFG le 20 novembre 2007 et à le recapitaliser à hauteur de 1,5 milliard d'euros.

Début 2008, l'exposition de CIFG aux structures portant les crédits hypothécaires à risque ( subprimes ) était encore estimée à 9,4 milliards de dollars. CIFG n'a cependant perdu sa note AAA chez Moody's que le 7 mars 2008, puis sa dette a été reléguée parmi les placements spéculatifs par toutes les grandes agences de notation.

Une solution a finalement été trouvée début 2009 par la conclusion d'un accord de commutation avec les principaux créanciers de CIFG. Ces derniers ont reçu environ 90 % du capital de la société et un versement en numéraire de 1,4 milliard d'euros, en contrepartie de leur renonciation aux garanties accordées par CIFG sur des obligations risquées. La CNCE et la BFBP ont ainsi significativement réduit leur exposition, puisqu'elles ne détiennent plus conjointement que 10 % du capital de CIFG, et Natixis 7 %.

Les pertes cumulées des deux groupes (Natixis inclus) sur CIFG peuvent au total être estimées à près de 3,5 milliards d'euros.

De par la nature de ses activités, Natixis est structurellement exposée à la crise financière et a enregistré des pertes qui ont contraint la CNCE et la BFBP à la recapitaliser en septembre 2008, à hauteur de 3,7 milliards d'euros . Cette augmentation de capital a été relayée par la souscription de la Société de prise de participation de l'Etat (SPPE) à une première émission de titres super-subordonnés à durée indéterminée (TSSDI), pour 2 milliards d'euros, dont 1,9 milliard ont été apportés à Natixis en décembre 2008.

Natixis a également engagé un recentrage de sa stratégie et de son offre 12 ( * ) et a cantonné dans une structure interne dénommée GAPC (« Gestion active des portefeuilles cantonnés ») les portefeuilles d'actifs qui ne correspondaient plus aux nouveaux choix stratégiques ou requéraient une immobilisation de fonds propres et de trésorerie insuffisamment rémunérée par le profit qu'ils dégagaient. Le montant pondéré de ces actifs, dont une partie est « toxique » ou illiquide, était de 31 milliards d'euros fin décembre 2008 et d'environ 33,7 milliards d'euros en avril 2009 .

Ainsi que l'ont précisé M. François Pérol, président du directoire de la CNCE, directeur général de la BFBP, et Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, lors de leur audition par votre commission des finances (respectivement les 29 avril et 19 mai 2009 13 ( * ) ), une partie de ces actifs a vocation à être détenue à maturité , selon un arbitrage entre accélération du retour du capital et prix de réalisation des actifs, afin de maximiser le potentiel de cession.

Le montant des actifs cantonnés dans GAPC ne correspond en aucun cas à celui des pertes à venir, mais la structure n'en a pas moins amputé le produit net bancaire de Natixis en 2008 de 3,45 milliards d'euros et le résultat net de 3,61 milliards d'euros, de même qu'elle a accru le coût du risque de 874 millions d'euros pour le porter à 1,82 milliard d'euros au total. L'ampleur de ces pertes directement liées à la crise contribue cependant, a contrario , à ne pas remettre en cause l'existence de la banque ni la pérennité de son coeur de métier (affacturage, financements d'entreprises, gestion d'actifs...), qui est demeuré bénéficiaire à hauteur de 987 millions d'euros en 2008.

Néanmoins ces difficultés n'ont fait que mettre davantage en exergue l'inadéquation d'une détention paritaire par deux groupes désormais proches.

* 10 Ces sociétés, pour la plupart américaines, apportent leur garantie à des véhicules structurés émettant des titres obligataires afin de leur permettre de bénéficier de la meilleure notation de crédit possible.

* 11 Accordée, s'agissant de la France, par l'article 123 de la loi de finances rectificative pour 2008 (n° 2008-1443 du 30 décembre 2008).

* 12 La réorientation stratégique de la « banque de financement et d'investissement (BFI) pérenne », selon les termes de Natixis, comprend en particulier un recentrage de la clientèle d'entreprises, une offre simplifiée de produits structurés et d'investissement, le resserrement de la présence internationale, la réduction du profil de risque par le renforcement des contrôles et l'arrêt des activités de négociation pour compte propre ou à niveau élevé de volatilité, et des réduction d'effectifs.

* 13 Cf. les comptes-rendus de ces auditions en annexe du présent rapport.

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