B. LA NON-TRANSPOSITION OU LA MAUVAISE TRANSPOSITION DE DIRECTIVE EST UN NON SENS JURIDIQUE...

1. La Cour de justice de l'Union européenne a traditionnellement développé une conception extensive de l'application des directives

La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) défend depuis pratiquement cinquante ans une conception extensive de l'application des directives communautaires. Dès l'arrêt « Van Gend en Loos » du 5 février 1963, la CJUE a admis que les directives puissent produire un effet direct. Or reconnaître un effet direct permet de faire prévaloir directement en droit interne une disposition issue d'une directive. Les directives ne peuvent toutefois produire un effet direct que sous une double condition : d'une part, comme pour toute norme communautaire, il faut qu'elles soient précises et inconditionnelles ; d'autre part, elles ne peuvent produire un effet direct qu'après la fin du délai de transposition lorsque l'État membre n'a pas ou a mal transposé la directive en cause 6 ( * ) . Avant l'expiration du délai de transposition, la Cour de justice a estimé que les autorités nationales devaient s'abstenir de prendre des dispositions de nature à compromettre sérieusement le résultat prescrit par une directive 7 ( * ) . De manière générale, la Cour a souhaité ne pas pénaliser les particuliers du fait de la défaillance de l'État membre et de leur permettre de jouir des droits dont ils auraient normalement pu bénéficier si ce dernier avait correctement transposé la directive. En définitive, les directives ne produisent qu'un « effet direct vertical ascendant », ce qui signifie que si les particuliers peuvent, le cas échéant, les invoquer à l'encontre de l'État, celui-ci ne saurait s'en prévaloir contre les particuliers (« effet direct vertical descendant »), ni les particuliers l'invoquer dans un litige les opposant à d'autres particuliers (« effet horizontal ») 8 ( * ) .

2. Le juge administratif français s'est tardivement rallié à cette interprétation

Le Conseil d'État, à l'occasion de son célèbre arrêt « Cohn-Bendit » du 22 décembre 1978, a établi une jurisprudence hostile à la théorie de l'effet direct des directives que défendait la Cour de justice . La haute juridiction administrative française adopta une lecture littérale de la définition de la directive, dans un sens favorable aux prérogatives des États-membres. Aussi, décida-t-elle qu'une directive ne saurait être invoquée à l'appui d'un recours dirigé contre un acte individuel. Tout effet de substitution est refusé, le juge administratif s'interdisant de substituer la directive à la mesure de transposition nationale lorsque celle-ci fait défaut ou n'est pas conforme à la directive.

Toutefois, au terme d'une longue et complexe évolution de sa jurisprudence, le Conseil d'État a récemment rejoint la position de la Cour de justice. En effet, le 30 octobre 2009, dans l'arrêt d'assemblée du Conseil d'État « Mme Perreux », la haute juridiction a admis l'invocabilité d'un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, s'il se fonde sur des dispositions suffisamment précises et inconditionnelles d'une directive, lorsque l'État n'a pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures de transposition nécessaires.

Par conséquent, dès lors que les directives posent de plus en plus d'obligations précises et inconditionnelles et du fait de l'évolution du juge administratif français, les requérants seront invités à saisir le juge national pour faire valoir le droit communautaire à l'encontre d'un État membre défaillant. On peut craindre alors l'accroissement de l'encombrement des tribunaux ce qui alimentera le mécontentement des justiciables. Quant à l'État, il s'expose à des pénalités financières importantes.


* 6 CJCE, 5 avril 1979, Ratti , aff. 148/78 : Rec. CJCE , p. 1629.

* 7 CJCE, 18 décembre 1997, aff. C-129/96, Inter-Environnement Wallonie ASBL c/ Région wallone : Rec. CJCE 1997, I, p. 7411.

* 8 CJCE, 14 juillet 1994, Paola Faccini Dori c/ Recreb Srl , aff.C-91/92: Rec. CJCE , I, p. 3328.

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