EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est appelé à examiner, en deuxième lecture, le projet de loi relatif à la lutte contre la piraterie et à l'exercice des pouvoirs de police de l'Etat en mer, après son adoption par l'Assemblée nationale en première lecture, le 25 novembre dernier.

Ce projet de loi intervient dans un contexte de forte résurgence des actes de piraterie ces dernières années, en particulier dans le Golfe d'Aden et au large des côtes somaliennes, qui ont conduit l'Union européenne à lancer sa première opération navale de lutte contre la piraterie maritime « Atalanta », à laquelle la France participe activement.

Le projet de loi comporte trois principaux volets.

Il vise d'abord à introduire dans notre droit un cadre juridique pour la répression de la piraterie, inspiré des stipulations de la Convention des Nations unies sur le droit de la Mer, dite Convention de Montego Bay .

Le projet de loi détermine ainsi les infractions pénales constitutives d'actes de piraterie, les modalités de recherche et de constatation de ces infractions, ainsi que les agents habilités à y procéder.

Le projet de loi reconnaît ensuite une compétence « quasi universelle » aux juridictions françaises pour juger des actes de piraterie commis hors du territoire national.

La compétence des juridictions françaises ne sera toutefois retenue que lorsque les auteurs seront appréhendés par des agents français et à défaut d'entente avec les autorités d'un autre Etat pour l'exercice par celui-ci de sa compétence juridictionnelle.

Enfin, le projet de loi établit un régime sui generis pour la rétention à bord des personnes appréhendées dans le cadre des actions de l'Etat en mer.

Il s'agit ainsi de répondre aux griefs formulés à l'encontre de la France par la Cour européenne des droits de l'homme dans son arrêt dit Medvedyev du 29 mars 2010.

Dans cet arrêt, la Cour de Strasbourg a constaté une violation par la France de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à l'occasion d'une opération d'interception d'un navire suspecté de se livrer au trafic de produits stupéfiants. En l'espèce, il a été reproché à la France de ne pas disposer, à cette époque, d'un cadre légal suffisant organisant les conditions de privation de liberté à bord d'un navire.

La procédure proposée par le projet de loi serait la suivante :

- dès que le commandant met en oeuvre des mesures restrictives ou privatives de liberté à bord d'un navire, le préfet maritime doit en informer sans délai le procureur de la République ;

- le procureur de la République doit, dans les quarante-huit heures qui suivent, saisir le juge des libertés et de la détention, qui est un magistrat du siège ;

- le juge des libertés et de la détention statue sur la poursuite de ces mesures pour une durée maximale de cinq jours, renouvelable dans les mêmes conditions.

Tout en approuvant l'équilibre du dispositif proposé, le Sénat avait apporté en première lecture, à l'initiative de votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, des améliorations substantielles au texte du projet de loi. La commission avait ainsi intégré vingt amendements au texte du projet de loi, dont dix-huit présentés par votre rapporteur. Lors de la discussion en séance publique, notre assemblée avait également adopté un amendement du Gouvernement permettant de reconnaître la qualité de pupille de la Nation aux enfants des victimes d'actes de piraterie.

Sur proposition du rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées, notre collègue député Christian Ménard, auteur d'un excellent rapport d'information sur la piraterie maritime, l'Assemblée nationale a validé l'essentiel des améliorations apportées par le Sénat en première lecture.

L'Assemblée nationale n'a adopté que quatre amendements qui apportent des précisions utiles au texte adopté par la Haute assemblée en première lecture.

I. LES AMÉLIORATIONS APPORTÉES PAR LE SÉNAT EN PREMIÈRE LECTURE

A l'initiative de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, le Sénat a apporté en première lecture de nombreuses améliorations rédactionnelles, mais aussi plusieurs modifications substantielles au texte du projet de loi.

Concernant le cadre juridique relatif à la répression de la piraterie, et tout en approuvant l'équilibre général du dispositif proposé, le Sénat a souhaité mettre davantage en valeur les dispositions relatives à la lutte contre la piraterie, en insérant ces dispositions en tête de la loi du 15 juillet 1994 relative aux modalités de l'exercice par l'Etat de ses pouvoirs de police en mer et en modifiant son intitulé.

En s'inspirant des mesures prévues en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants et l'immigration illégale par mer, le Sénat a également adopté une disposition permettant aux commandants des navires ou aux officiers de la marine nationale de procéder à la saisie des documents ou objets liés à des actes de piraterie sans autorisation du procureur de la République en cas d'extrême urgence.

Sur proposition de notre collègue André Trillard, le Sénat a aussi introduit la possibilité de procéder à la destruction des embarcations ayant été utilisées par les pirates, dans le respect des traités et accords internationaux en vigueur.

En revanche, notre assemblée a écarté une proposition visant à étendre la répression de la piraterie aux eaux territoriales et intérieures françaises.

En effet, selon la Convention de Montego Bay, seuls les actes commis en haute mer ou dans les eaux ne relevant de la juridiction d'aucun Etat pouvaient être qualifiés de piraterie et les seules exceptions sont celles prévues par les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies qui concernent spécifiquement le cas de la Somalie.

Tout en approuvant la reconnaissance d'une compétence « quasi universelle » des juridictions françaises pour juger des actes de piraterie, le Sénat a rejeté en première lecture l'idée de retenir une compétence universelle, au regard notamment des précédents belge et espagnol et afin de privilégier un traitement judiciaire régional.

Il a également écarté la proposition de subordonner la remise des suspects à un autre Etat à des garanties en matière de procès équitable et de non application de la peine capitale, en estimant que l'inscription de ces garanties n'était pas utile, dès lors qu'elles figuraient déjà dans les normes françaises et internationales, ainsi que dans les accords conclus entre l'Union européenne et les pays concernés.

Le Sénat a estimé que le régime proposé pour la rétention à bord des personnes interpellées dans le cadre de l'action de l'Etat en mer était de nature à concilier les fortes contraintes opérationnelles de l'action en mer et le nécessaire respect des libertés individuelles, ainsi que de nature à répondre aux griefs de la Cour européenne des droits de l'homme dans son arrêt Medvedyev du 29 mars 2010.

Le Sénat a toutefois souhaité préciser les conditions dans lesquelles le procureur de la République doit être informé dans les plus brefs délais des mesures de restriction ou de privation de liberté, afin de garantir une application uniforme de ce régime, quelles que soient la nature de l'opération et l'autorité dont elle relève.

Afin de prendre en compte les situations où ces personnes seraient transférées par la voie aérienne plutôt que par la voie maritime, le Sénat a jugé utile de prévoir que ce régime pourra s'appliquer à bord d'un aéronef.

Le Sénat a également estimé indispensable de préciser que, dès leur arrivée sur le sol français, les personnes faisant l'objet de mesures de coercition seront mises à la disposition de l'autorité judiciaire.

En revanche, notre assemblée n'a pas repris la proposition de prévoir une durée maximale de trente deux jours pour la rétention à bord, en estimant que l'inscription d'un tel délai maximal dans la loi pourrait soulever des difficultés pratiques et que l'autorisation du juge des libertés et de la détention pour prolonger cette mesure tous les cinq jours était de nature à offrir toutes les garanties nécessaires concernant la durée de la mesure.

Enfin, à l'initiative du Gouvernement, le Sénat a adopté un amendement visant à introduire la possibilité de reconnaître la qualité de pupille de la Nation aux enfants des victimes d'actes de piraterie (article 6 bis).

En définitive, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a intégré au texte de loi vingt amendements, dont dix-huit présentés par votre rapporteur, qui ont tous été approuvés par la Haute assemblée en première lecture, ainsi qu'un amendement présenté par le Gouvernement, lors de la discussion en séance publique.

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