C. UN TRAVAIL APPROFONDI DOIT ENCORE ÊTRE CONDUIT SUR L'ENCADREMENT DES PRIX DE TRANSFERT DANS ET EN DEHORS DE L'UNION EUROPÉENNE

L'établissement d'une assiette consolidée d'impôt sur les sociétés emporte la neutralisation de toutes les transactions intragroupe . A ce titre, elle permet d'éliminer l'épineuse question de la fixation des prix de transfert . Toutefois, dès lors qu'il ne semble pas opportun d'adopter une assiette consolidée, il importe que l'Union européenne, par le biais d'autres instruments, s'attache à régler les problèmes inhérents aux prix de transfert .

1. Les prix de transfert : un enjeu majeur de la fiscalité internationale et de la construction du marché intérieur

Dès 1992, le rapport Ruding considérait que les prix de transfert constituaient un enjeu majeur en matière de fiscalité internationale et pour l'achèvement du marché intérieur. L'actualité d'un tel constat perdure ; en effet, les règles encadrant les prix de transfert, telles qu'elles sont actuellement conçues, apparaissent souvent comme des entraves à la construction du marché intérieur et ne semblent pas en mesure de limiter efficacement les transferts injustifiés de bénéfices .

a) La diversité des réglementations relatives aux prix de transfert constitue un obstacle à l'achèvement du marché intérieur

Les entreprises procédant à des transactions intragroupe au sein de l'Union européenne sont tenues de respecter les règles inhérentes aux prix de transfert applicables dans chacun des Etats membres dans lesquels elles détiennent une activité. Une telle situation est à l'origine d'importants coûts de mise en conformité 35 ( * ) , notamment pour établir la documentation requise par les législations fiscales des différents Etats concernés.

Ces différences réglementaires entraînent par ailleurs de nombreux cas de double imposition , par exemple lorsqu'une administration fiscale procède unilatéralement à la rectification d'un prix de transfert. Ainsi, à la fin de l'année 1999, Ernst & Young a publié une enquête 36 ( * ) sur les prix de transfert portant sur dix-neuf pays dont neuf Etats membres ; cette étude établit une relation évidente entre les prix de transfert et la double imposition : selon les entreprises interrogées, 42 % des ajustements de bénéfices imposables portant sur des prix de transfert par les administrations fiscale ont conduit à une double imposition.

Enfin, les divergences de réglementation relative aux transactions intragroupe peuvent aboutir à l'application de pénalités aux entreprises multinationales n'ayant pas justement apprécié leurs prix de transfert.

La diversité des règles inhérentes aux prix de transfert applicables dans les Etats de l'Union européenne entraîne par conséquent des coûts pour les firmes multinationales qui sont autant d' entraves à l'achèvement du marché unique , venant limiter la libre circulation des marchandises mais aussi des capitaux et la liberté d'établissement.

b) Un instrument privilégié de transfert de bénéfices

Les transactions intragroupe demeurent un instrument privilégié de transfert des bénéfices vers des Etats à la fiscalité plus clémente . En effet, les prix de transaction « agressifs » représentent un coût substantiel pour les finances publiques de nombreux pays ; ainsi, dans un contexte américain, l'étude menée par Simon Pak et John Zdanowicz 37 ( * ) a montré que les transferts indirects de bénéfices ont entraîné une perte de recettes fiscales de près de 53,1 milliards de dollars pour les Etats-Unis en 2001. De telles conclusions semblent pouvoir être étendues sans difficulté aux pays de l'Union européenne 38 ( * ) .

Néanmoins, sous l'impulsion de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les exigences documentaires en matière de prix de transfert se sont accrues 39 ( * ) . Comme l'indiquait le Gouvernement en réponse à un questionnaire adressé par votre rapporteur général, « les principes de l'OCDE, s'ils constituent une norme internationale communément admise, ne sont pas applicables en tant que tels en droit interne ».

Toutefois, comme le montre le tableau ci-dessous, à ce jour, parmi les membres de l'OCDE avec lesquels les transactions sont les plus importantes, seuls la Belgique, le Japon et la Suisse ne requièrent pas l'établissement d'une documentation.

Le cadre juridique français applicable aux prix de transfert a lui-même fait l'objet d'un renforcement sensible à l'occasion de l'examen des projets de loi de finances rectificatives pour 2009 et pour 2010 40 ( * ) .

Obligations en matière de prix de transfert dans certains pays de l'OCDE

Pays

Existence d'une obligation documentaire en matière de prix de transfert

Exigence quant au contenu de la documentation prix de transfert

Production de certains éléments de la documentation prix de transfert lors du dépôt de la déclaration de résultats

Production de la documentation prix de transfert sur demande de l'administration fiscale

Pénalités appliquées en l'absence de documentation

Existence d'accords préalables en matière de prix de transfert (APA)

Analyse fonctionnelle

Justification de la méthode retenue

Analyse du prix de pleine concurrence

APA unilatéral

APA bilatéral

APA multilatéral

Allemagne

X

X

X

X

X

X

X

X

Australie

X

X

X

X

X

X

X

X

Belgique

X

X

X

X

Canada

X

X

X

X

X

X

X

X

X

X

Chine

X

X

X

X

X

X

X

X

X

X

Corée

X

X

X

X

X

X

X

X

X

X

Espagne

X

X

X

X

X

X

X

X

X

X

Etats-Unis

X

X

X

X

X

X

X

X

X

X

France

X

X

X

X

X

X

X

X

X

X

Inde

X

X

X

X

X

X

X

Irlande

X

X

Italie

X

X

X

X

X

X

X

X

Japon

X

X

X

X

X

Pays-Bas

X

X

X

X

X

X

X

X

X

Portugal

X

X

X

X

X

X

X

X

X

X

Royaume-Uni

X

X

X

X

X

X

X

X

X

Suisse

X

X

X

Source : réponse au questionnaire sur les obligations relatives aux prix de transfert adressé par votre rapporteur général au ministre du budget.

2. Une harmonisation des règles relatives aux prix de transfert au sein de l'Union européenne à consolider
a) Les avancées récentes de l'Union européenne

Progressivement, se met en place un encadrement des prix de transfert au sein de l'Union européenne afin de permettre la pleine réalisation du marché intérieur. A cet effet, le Conseil de l'UE a mis en place en 2001 un Forum sur les prix de transfert. Celui-ci a pour principale vocation de travailler à l'amélioration de la Convention d'arbitrage relative au règlement des différends en matière de prix de transfert , entrée en vigueur en 1995. La Convention tend à permettre le règlement des litiges qui peuvent survenir entre les administrations fiscales d'Etats membres au sujet de transactions intragroupe et a pour caractéristique d'accorder au contribuable la possibilité de prendre l'initiative d'une procédure de négociation. Par ailleurs, le Forum précité a rédigé un code de bonne conduite afin de garantir l'effectivité de l'application de ce dispositif.

En outre, l'action de l'Union européenne dans le domaine des prix de transfert vise à l' approfondissement des relations entre les administrations fiscales européennes , tout à la fois pour lutter efficacement contre la fraude et pour éviter les coûts induits par un éventuel désaccord entre Etats sur les prix de transfert, notamment en recommandant des suspensions de recouvrement des dettes fiscales dans de tels cas.

b) Une harmonisation des exigences de documentation des prix de transfert encore insuffisante au sein de l'Union européenne

Comme cela a été souligné, les différences d'exigences inhérentes à la documentation des prix de transfert parmi les Etats membres sont à l'origine d'importants coûts de mise en conformité pour les entreprises multinationales. Par conséquent, le Conseil de l'UE a adopté dès le 27 juin 2006 un code de conduite relatif à la documentation des prix de transfert pour les entreprises associées au sein de l'Union européenne , visant à harmoniser la documentation que ces entreprises doivent fournir aux autorités fiscales au sujet de la méthode de fixation des prix de transfert qu'elles utilisent pour leurs transactions intragroupe transfrontalières.

Néanmoins, simple résolution, ce code n'a pas de valeur obligatoire et n'a été suivi que par peu de pays, parmi lesquels figure l'Espagne. C'est pourquoi les efforts de l'Union européenne en direction d'une harmonisation effective des exigences touchant à la documentation des prix de transfert doivent être approfondis . Une telle démarche permettrait à la fois de concilier la liberté de gestion et la diversité des modèles économiques et sectoriels avec une plus grande transparence de la part des entreprises.

Les principes de l'OCDE précités constituent à cette fin une solide base de départ. Il serait donc en tout premier lieu souhaitable que les Etats membres les appliquent, tout particulièrement la Belgique et l'Irlande dont on peut constater qu'elles ont les exigences parmi les plus faibles au sein de l'Union européenne .

c) Une coopération souhaitable des administrations fiscales sur la fixation préalable des prix de transfert

Afin de sécuriser la situation des firmes multinationales en matière de prix de transfert, l'OCDE recommande la conclusion d' accords préalables de prix de transfert (APP) entre les administrations fiscales nationales et les entreprises. Il s'agit d'un accord fixant, préalablement à des transactions entre entreprises associées, un ensemble approprié de critères (concernant par exemple la méthode de calcul, les éléments de comparaison, les correctifs, etc .) pour la détermination des prix de transfert appliqués à ces transactions au cours d'une certaine période. La conclusion d'un tel accord permet ainsi d'éviter les contentieux relatifs à la fixation des prix de transfert entre les contribuables et l'administration fiscale.

La conclusion d' APP communs à plusieurs administrations fiscales d'Etats membres pourrait constituer une voie pertinente pour, d'une part, sécuriser le traitement fiscal des prix de transfert de firmes ayant des activités dans différents pays de l'Union européenne et, d'autre part, diminuer les risques de différends entre ces Etats.

Néanmoins, le nombre d'APP signés apparaît encore faible au regard du nombre d'entreprises concernées. Ainsi, le Gouvernement, en réponse au questionnaire précité, indique que, sur la période 2005-2010 , « 54 accords bilatéraux ont été signés, avec un rythme moyen de 9 accords par an . [...] Pour les accords signés en 2010, la conclusion d'un accord bilatéral ou multilatéral demandait un délai moyen de 26 mois ».

3. Un renforcement nécessaire du contrôle des transferts de bénéfices à destination des pays en dehors de l'Union européenne

Enfin, il est regrettable que l'Union européenne ne se soit pas engagée en faveur d'un encadrement renforcé des transferts de bénéfices à destination des pays tiers . Il apparaît en effet souhaitable qu'une harmonisation des règles applicables aux prix de transfert en partance d'Etats membres et à destination de pays en dehors de l'Union soit engagée, notamment afin de limiter les opportunités d'optimisation fiscale vers les pays « à fiscalité privilégiée ».


* 35 Selon les estimations de la Company Tax Study (2001), les coûts de mises en conformité inhérents aux prix de transfert représentent un à deux millions d'euros par an pour les entreprises de taille moyenne.

* 36 Ernst & Young , Transfert Pricing 1999 Global Survey: Practices, Perceptions, and Trends for 2000

* 37 Pak S. et Zdanowicz D., « Trade with the World. An Estimate of 2001 Lost U.S. Federal Income Tax Revenues Due to Over-Invoiced Imports and Under-Invoiced Exports », 31 octobre 2002.

* 38 Cf. Bartelsman E. et Beetsma R., « Why pay more? Corporate Tax Avoidance through transfer pricing in OECD countries, CES ifo Working Paper Series, Working Paper No. 324, CES ifo Institute, Munich, Août 2000.

* 39 OCDE, Les principes de l'OCDE applicables en matière de prix de transfert à l'intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales , 18 août 2010 pour la dernière édition.

* 40 Articles 22 de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009 et 69 de la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010.

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