Rapport n° 146 (2011-2012) de M. Jacques MÉZARD , fait au nom de la commission des lois, déposé le 30 novembre 2011

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N° 146

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2011-2012

Enregistré à la Présidence du Sénat le 30 novembre 2011

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi de M. Gilbert BARBIER et plusieurs de ses collègues visant à punir d'une peine d' amende tout premier usage illicite de l'une des substances ou plantes classées comme stupéfiants ,

Par M. Jacques MÉZARD,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Pierre Sueur , président ; MM. Jean-Pierre Michel, Patrice Gélard, Mme Catherine Tasca, M. Bernard Saugey, Mme Esther Benbassa, MM. François Pillet, Yves Détraigne, Mme Éliane Assassi, M. Nicolas Alfonsi, Mlle Sophie Joissains , vice-présidents ; Mme Nicole Bonnefoy, MM. Christian Cointat, Christophe-André Frassa, Mme Virginie Klès , secrétaires ; MM. Jean-Paul Amoudry, Alain Anziani, Philippe Bas, Christophe Béchu, Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Corinne Bouchoux, MM. François-Noël Buffet, Gérard Collomb, Pierre-Yves Collombat, Jean-Patrick Courtois, Michel Delebarre, Félix Desplan, Christian Favier, Louis-Constant Fleming, René Garrec, Gaëtan Gorce, Mme Jacqueline Gourault, MM. Jean-Jacques Hyest, Jean-René Lecerf, Jean-Yves Leconte, Antoine Lefèvre, Roger Madec, Jean Louis Masson, Jacques Mézard, Thani Mohamed Soilihi, Hugues Portelli, André Reichardt, Alain Richard, Simon Sutour, Mme Catherine Troendle, MM. André Vallini, René Vandierendonck, Jean-Pierre Vial, François Zocchetto.

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

57 et 147 (2011-2012)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le mardi 29 novembre 2011 sous la présidence de M. Jean-Pierre Sueur, président, la commission des lois a examiné le rapport de M. Jacques Mézard et établi son texte sur la proposition de loi n° 57 (2011-2012) de M. Gilbert Barbier et plusieurs de ses collègues, visant à punir d'une peine d'amende tout premier usage illicite de l'une des substances ou plantes classées comme stupéfiants.

M. Jacques Mézard a rappelé que les dispositions pénales actuelles qui répriment l'usage de stupéfiants, quel qu'il soit, d'une peine délictuelle maximale d'un an d'emprisonnement et de 3.750 euros d'amende ne sont pas adaptées pour les primo-usagers. De fait, elles ne sont pas appliquées au risque d'entretenir un sentiment d'impunité, alors même que le cannabis s'est répandu auprès d'une frange importante de la population française et des jeunes en particulier.

Sur la base de ces constats, la commission a estimé nécessaire d'approuver le dispositif de la proposition de loi visant à créer une peine d'amende de troisième classe sanctionnant le premier usage illicite constaté de stupéfiants. Elle a rappelé que ce texte ne constitue en aucune manière un premier pas vers une dépénalisation mais qu'il vise, au contraire, à assurer une répression effective, parce que proportionnée, de comportements présentant un risque sérieux pour la santé.

La proposition de loi est le fruit d'une réflexion approfondie dépassant les clivages politiques traditionnels : elle reprend en effet une proposition de la mission commune d'information de l'Assemblée nationale et du Sénat sur les toxicomanies, co-présidée par MM. Serge Blisko et François Pillet dont le rapport a été adopté en juin 2011. Le principe même de la contraventionnalisation avait été également défendu par la commission d'enquête sénatoriale sur la politique nationale de lutte contre les drogues illicites de 2003.

Votre commission a adopté un amendement rédactionnel de son rapporteur ainsi que la proposition de loi ainsi rédigée.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Alors même qu'il constitue une infraction pénale, l'usage du cannabis s'est largement répandu auprès d'une large frange de la population française et des plus jeunes en particulier -plus du quart des Français déclaraient en 2005 avoir expérimenté cette substance. Il semble, paradoxalement, qu'une forme d'impunité découle d'un régime répressif si rigoureux qu'il n'est guère, en pratique, appliqué, du moins aux primo-usagers. En effet, aux termes de l'article L. 3421-1 du code de la santé publique, l'usage de stupéfiants, quel qu'il soit, est passible d'une peine délictuelle d'un an d'emprisonnement et de 3.750 euros d'amende.

Face à ce constat, la mission commune d'information de l'Assemblée nationale et du Sénat sur les toxicomanies co-présidée par MM. Serge Blisko et François Pillet, dans son rapport adopté le 29 juin 2011 1 ( * ) , a préconisé la création d'une peine d'amende de troisième classe sanctionnant le premier usage illicite constaté d'un stupéfiant. La présente proposition de loi présentée par M. Gilbert Barbier et plusieurs membres du groupe RDSE reprend cette proposition.

Ce texte ne constitue en aucune manière un premier pas vers la dépénalisation de l'usage des stupéfiants . Il vise, au contraire, à permettre une répression effective, parce que proportionnée , de comportements présentant un risque sérieux pour la santé.

La contraventionnalisation n'est pas une idée nouvelle. Ainsi, la commission d'enquête sénatoriale sur la politique nationale de lutte contre les drogues illicites avait recommandé en 2003 2 ( * ) d'instituer une contravention pour une première infraction d'usage simple 3 ( * ) .

Depuis lors, pourtant, le cadre législatif n'a pas évolué. Comme l'ont souligné certains des magistrats rencontrés par votre rapporteur, l'inadéquation des dispositions pénales conduit en réalité, dans une large majorité des cas, à l'absence de sanction à l'encontre des primo-usagers -les services de police anticipant même cette situation en renonçant à établir des procédures. Or l'exigence d'une réponse effective paraît déterminante pour la rupture des processus d'addiction.

Selon votre commission, la voie proposée par la proposition de loi devrait contribuer à restaurer la valeur de l'interdit et son caractère dissuasif.

*

* *

I. L'IMPUNITÉ DE FAIT DU PREMIER USAGE DE STUPÉFIANTS

A. UNE BANALISATION PRÉOCCUPANTE DE L'USAGE DU CANNABIS

Comme en témoignent les données réunies en 2005 par l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), la diffusion de drogues tend à progresser dans la période récente.

Elle peut être appréhendée par le taux d'expérimentation de ces substances, c'est-à-dire le nombre de personnes rapporté à la population générale ayant consommé un stupéfiant au moins une fois au cours de leur vie.

L'héroïne, la cocaïne et les drogues de synthèse affectent encore un nombre limité de personnes. Néanmoins, à l'exception de l'héroïne dont le niveau d'expérimentation est stable (sauf pour les garçons de 17 ans où il atteint 1,4 % alors qu'il s'établit en moyenne à 0,9 % pour la tranche d'âge des 15-34 ans -0,7 % pour les 35-64 ans), leur diffusion s'est accrue :

- l'expérimentation de la cocaïne touche 2,6 % des personnes âgées de 15 à 64 ans, soit 1 million de personnes. Elle est passée de 1,2 % en 1992 à 3,8 % en 2005 parmi les 18-44 ans ;

- l'expérimentation de drogues de synthèse au premier rang desquelles l'ecstasy concerne 2 % des personnes âgées de 15 à 64 ans -soit 800.000 personnes (elle s'élève à 3,7 % dans la tranche d'âge 15-34 ans). Elle a plus que triplé entre 1995 et 2005.

La consommation régulière de cocaïne et de drogues de synthèse concernerait pour chacune de ces substances quelque 200.000 personnes.

La diffusion du cannabis est quant à elle d'une toute autre ampleur.

Selon l'OFDT, la France compterait :

- 12,4 millions d'expérimentateurs de cannabis (dont 3,9 millions de consommateurs dans l'année) ;

- 1,2 million de consommateurs réguliers (avec, en moyenne, 10 consommations de cannabis dans le mois).

Sans doute, comme l'a indiqué le directeur de l'OFDT devant la mission d'information commune sur les toxicomanies, la consommation du cannabis -de pair d'ailleurs avec celle du tabac- tendrait à s'infléchir après une stabilisation à un niveau élevé au cours des années 2002-2003.

Il n'en reste pas moins que l'usage du cannabis s'est largement banalisé, en particulier au sein d'une population jeune -ainsi 42,3 % des jeunes âgés de 17 ans déclaraient en 2008 avoir déjà consommé du cannabis 4 ( * ) .

Or si les méfaits des autres drogues sont généralement bien identifiés, ceux du cannabis sont sous-estimés quand ils ne sont pas purement et simplement niés.

Les interlocuteurs de votre rapporteur ont ainsi observé que le degré de toxicité du cannabis est aujourd'hui de dix à quinze fois plus élevé que celui du cannabis commercialisé voici une vingtaine d'années en raison d'une plus forte concentration de principe actif.

Le professeur Jean Costentin, membre de la commission sur les addictions de l'Académie nationale de médecine, a mis en évidence, lors de son audition par votre rapporteur, quatre effets principaux du cannabis :

- la dépendance d'abord. Elle n'apparaît pas immédiatement. En effet, les principes actifs du cannabis peuvent être conservés très longtemps par le corps : un fumeur peut attendre ainsi un certain délai avant d'éprouver le besoin de consommer de nouveau. Ce besoin réapparaîtra pourtant. Ainsi, utilisé comme anxiolytique, le cannabis a pour effet de rendre inopérantes les substances endogènes que sécrète l'organisme pour lutter contre l'anxiété. Aussi lorsque la réserve de principe actif sera épuisée, le sujet anxieux ne pourra obtenir un soulagement que par une dose encore plus importante de cannabis ;

- le lien entre le cannabis et des troubles graves et parfois irréversibles de la santé . Comme l'avait souligné la mission d'information sur la toxicomanie, « les effets néfastes des drogues sur l'organisme sont d'autant plus importants que la première expérimentation se fait jeune et qu'elle laisse place à une consommation régulière et soutenue » 5 ( * ) . En effet, il semble désormais démontré par plusieurs recherches convergentes qu'une consommation précoce de cannabis à des doses élevées à un âge -celui de l'adolescence- où la construction du système nerveux central n'est pas achevée, comporte de lourdes conséquences sur le développement psychique, la mémoire, les processus éducatifs et l'anxiété. Le professeur Jean Costentin a ainsi cité les conclusions de l'étude publiée en 1987 dans la revue scientifique The Lancet sur la base d'une cohorte de 50.000 conscrits en Suède, établissant le fait que d'avoir fumé plus de cinquante « joints » avant la conscription multiplie par six le risque de développer une schizophrénie ;

- la consommation de cannabis , elle-même favorisée par l'usage du tabac, peut aussi être une porte d'entrée vers d'autres substances toxiques aux effets redoutables comme l'héroïne. Les expérimentateurs de cette dernière drogue sont presque toujours passés préalablement par l'usage du cannabis ;

- enfin, les moyens de guérir l' accoutumance au cannabis demeurent limités . La prévention apparaît donc indispensable.

B. UN CADRE LÉGISLATIF LARGEMENT INADAPTÉ À LA RÉPRESSION DU PREMIER USAGE

• En droit, un arsenal législatif très complet

Aux termes de l'article L. 3421-1 introduit dans le code de la santé publique par la loi du 31 décembre 1970, « l'usage illicite de l'une des substances ou plantes classées comme stupéfiants est puni d'un an d'emprisonnement et de 3.750 euros d'amende ». Le cadre pénal n'introduit pas de distinction selon la dangerosité des substances ou selon le mode de consommation (première consommation ou usage régulier). Depuis le nouveau code pénal, ce délit est intégré au code de la santé publique afin d'affirmer la prééminence de la prise en charge socio-sanitaire .

En outre, depuis la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, l'usage de stupéfiants peut faire l'objet de deux séries de circonstances aggravantes :

- lors de la conduite d'un véhicule, l'usage est alors passible de deux ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende ; si le conducteur se trouvait également sous l'empire d'un état alcoolique, les peines sont portées à 3 ans d'emprisonnement et 9.000 euros d'amende (articles L. 235-1 à L. 235-4 du code de la route) ;

- lorsque l'usager est une personne exerçant une profession susceptible de mettre directement en danger la vie d'autrui, comme tel est le cas pour les transporteurs ou une personne dépositaire de l'autorité ou chargée d'une mission de service public dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions (article L. 3421-1 du code de la santé publique) ; les peines sont alors portées à 5 ans d'emprisonnement et 75.000 euros d'amende ;

La provocation au délit d'usage « alors même que cette provocation n'est pas suivie d'effet (...) ou le fait de présenter [cette infraction] sous un jour favorable » est passible de 5 ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende. Si le délit constitue une provocation directe commise au sein des établissements d'enseignement ou aux abords de ceux-ci -lors des entrées ou des sorties des élèves- les peines sont portées à 7 ans d'emprisonnement et 100.000 euros d'amende (article L. 3421-4 du même code).

L'usage de stupéfiants peut en outre être une circonstance aggravante d'autres infractions. Il en est ainsi lorsqu'il accompagne des violences (article 222-13 du code pénal), des faits de viol (article 222-24 du même code), d'agressions sexuelles (articles 222-28 et 222-30 du même code) et d'atteintes sexuelles sur un mineur de 15 ans (articles 222-12 et 227-26 du même code).

La réponse pénale est toutefois nettement plus diversifiée que ce que ce cadre législatif pourrait laisser penser. Elle comprend un aspect répressif mais aussi sanitaire. Le premier de ces deux volets, outre le prononcé d'une peine d'emprisonnement et/ou d'amende, se décline selon trois autres modalités présentant une sévérité croissante. Fort de son pouvoir d'appréciation de l'opportunité des poursuites, le parquet choisit la voie qui lui paraît plus adaptée à la situation de l'intéressé.

- Le rappel à la loi : dans le cadre d'une alternative aux poursuites, s'il « apparaît qu'une telle mesure est susceptible d'assurer la réparation du dommage causé à la victime, de mettre fin au trouble résultant de l'infraction ou de contribuer au reclassement de l'auteur des faits », le procureur de la République peut directement ou par l'intermédiaire d'un officier de police judiciaire, d'un délégué ou d'un médiateur, « procéder au rappel auprès de l'auteur des faits des obligations résultant de la loi » (article 41-1 du code de procédure pénale).

- La composition pénale : ce dispositif susceptible d'être mis en oeuvre « tant que l'action publique n'a pas été mise en mouvement » constitue également une alternative aux poursuites. Instituée par la loi n° 99-515 du 25 juin 1999 renforçant l'efficacité de la procédure pénale afin d'apporter une réponse aux actes de petite et moyenne délinquance souvent classés sans suite, elle permet au procureur de la République de proposer, directement ou par l'intermédiaire d'une personne habilitée, à un délinquant qui reconnaît les faits, plusieurs obligations en contrepartie de l'abandon des poursuites -elle n'est applicable qu'aux délits passibles d'une peine d'amende ou d'une peine d'emprisonnement d'une durée inférieure ou égale à cinq ans, ainsi que, le cas échéant, aux contraventions connexes.

Depuis la loi du 5 mars 2007, elle a été étendue aux mineurs de 13 ans lorsqu'elle paraît adaptée à la personnalité de l'intéressé et sous certaines conditions.

Les mesures de composition pénale peuvent comprendre l'amende, un travail non rémunéré au profit de la collectivité pour une durée maximale de 72 heures, ne dépassant pas six mois, etc. Décidée par le parquet, elle doit être validée par le président du tribunal. Bien que l'exécution de la composition pénale ait pour effet d'éteindre l'action publique, elle est inscrite au casier judiciaire (article 41-2 du code de procédure pénale).

- L' ordonnance pénale : introduite par la loi n° 72-5 du 3 janvier 1972 pour traiter les contraventions au code de la route, elle concerne désormais plusieurs catégories de délits. Le champ en a ainsi été étendu aux délits d'usage de stupéfiants par la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance. L'ordonnance pénale ne constitue pas une alternative aux poursuites mais une forme simplifiée de traitement des affaires pénales. En effet, aux termes de l'article 495-1 du code de procédure pénale, le ministère public qui choisit de recourir à cette procédure communique au président le dossier de la poursuite et ses réquisitions. Le président statue alors sans débat contradictoire par une ordonnance pénale portant relaxe ou condamnation à une amende et, le cas échéant, à une ou plusieurs peines complémentaires -ces peines pouvant être prononcées à titre de peine principale (comme la suspension du permis de conduire). Les peines d'emprisonnement sont exclues. L'intéressé dispose d'un délai de 45 jours pour faire opposition qui, si elle est formée, a pour effet de renvoyer l'affaire devant l'audience correctionnelle selon la procédure de droit commun 6 ( * ) .

La réponse sanitaire peut s'articuler avec la réponse pénale sous deux formes :

- le stage de sensibilisation aux dangers de l'usage de produits stupéfiants (article 131-35-1) introduit par la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance. Il peut être prononcé comme alternative aux poursuites (article 41-1 du code de procédure pénale), dans le cadre d'une composition pénale (article 41-2 du code de procédure pénale) ou d'une ordonnance pénale et à titre de peine complémentaire. Il peut être prononcé à l'égard des mineurs de 13 ans selon les modalités prévues par les articles 7-1 et 7-2 de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante. Il est destiné aux consommateurs occasionnels et non dépendants et, aux termes du décret d'application n° 2007-1388 du 26 septembre 2007, il a vocation à faire prendre conscience des « conséquences dommageables pour la santé humaine et pour la société de l'usage de tels produits ».

Selon la circulaire relative à la lutte contre la toxicomanie et les dépendances du 19 mai 2008, le stage de sensibilisation est « par principe » à la charge de l'usager. Cependant, une dispense de paiement pourra être accordée « au bénéfice des usagers pour lesquels un stage de sensibilisation apparaît hautement souhaitable et qui sont réellement dans l'impossibilité d'en assumer la charge financière ».

- L' injonction thérapeutique : introduite par la loi du 31 décembre 1970, elle « consiste en une mesure de soins ou de surveillance médicale » (article L. 3413-1 du code de la santé publique). Elle est subordonnée à un examen médical par un médecin relais qui, s'il confirme l'état de dépendance physique ou psychologique de l'intéressé, invite l'intéressé « à se présenter auprès d'un centre de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie ou d'un médecin de son choix ou, à défaut, désigné d'office, pour suivre un traitement médical ou faire l'objet d'une surveillance médicale adaptée ». La mesure peut être mise en oeuvre dans le cadre des alternatives aux poursuites et de la composition pénale, à l'égard de l'usager majeur comme de l'usager mineur de 13 ans, comme modalité d'exécution d'une peine, notamment dans le cadre du sursis avec mise à l'épreuve, y compris en matière d'infractions liées à l'abus d'alcool.

Les circulaires d'application qui se sont succédé depuis l'adoption de la loi du 31 décembre 1970 ont toutes préconisé un emploi modulé de cette large palette de dispositions. Ainsi la « circulaire Perben » du 8 avril 2005 recommande, s'agissant des majeurs :

- le classement sans suite considéré comme à éviter absolument ;

- le classement accompagné d'un rappel à la loi présenté comme approprié aux usagers sans antécédents judiciaires d'infractions à la législation sur les stupéfiants pouvant détenir de très faibles quantités :

- le classement sous condition et le classement avec orientation sanitaire plutôt destiné aux usagers occasionnels ou réguliers ;

- l'injonction thérapeutique estimée convenir aux usagers de drogues dures et polytoxicomanes ;

- la composition pénale pour les usagers récidivants ;

- les poursuites pénales préconisées pour les usagers réitérants, tout en privilégiant les soins.

• En pratique, une réponse pénale très insuffisante pour le premier usage

Selon les témoignages recueillis par votre rapporteur, la pratique des juridictions demeure très disparate d'un ressort à l'autre en fonction des orientations locales de la politique pénale, des effectifs disponibles de policiers ou de gendarmes et de magistrats, du niveau de concentration urbaine... Malgré cette hétérogénéité, un trait commun apparaît : indiscutable lorsqu'il s'agit de lutter contre les drogues dites « dures », la réponse pénale n'est pas à la mesure de l'ampleur prise par la consommation de cannabis en France et au phénomène spécifique de l'usage occasionnel. En effet d'une part, elle apparaît nettement en deçà de la progression du nombre des interpellations. D'autre part, lorsqu'elle existe, elle tend, au mieux, à se concentrer sur les rappels à la loi dont l'effet dissuasif reste douteux.

- La forte augmentation du nombre des interpellations

Selon une synthèse très complète produite par l'observatoire français des drogues et des toxicomanies 7 ( * ) , l'évolution des interpellations depuis la loi de 1970 présente deux traits marquants :

- la multiplication par soixante du nombre d'interpellations pour infractions à la législation sur les stupéfiants au cours des quarante dernières années (2.592 en 1970 à 159.412 en 2009), la part des procédures pour usage passant de 75 à 86 % de l'ensemble des interpellations 8 ( * ) ;

- au cours des quinze dernières années, la part du cannabis parmi les interpellations pour usage est passée de 65 % en 1994 à plus de 90 % en 2009. La moitié des interpellés ont entre 18 et 25 ans ; 10 % sont des mineurs. Le nombre des interpellations en 2009 (124.921) doit néanmoins être rapproché du nombre d'usagers de cannabis dans l'année -estimé à 3,9 millions de personnes en 2005.

- La réponse judiciaire

Le parquet, lorsqu'il a été saisi par les services de police ou de gendarmerie, d'un cas d'usage de stupéfiants, dispose d'une grande liberté d'appréciation. Il peut classer sans suite, proposer une alternative aux poursuites, saisir la juridiction. Il peut aussi ne rien faire.

La mesure du traitement pénal des affaires d'usage de stupéfiants après le stade de l'interpellation souffre d'un biais statistique. Seules en effet les juridictions de la région parisienne 9 ( * ) disposent d'une application informatique permettant d'appréhender les conditions de ce traitement par le parquet. Ces données demeurent néanmoins significatives car ces juridictions représentent 25 % du contentieux en matière d'infractions à la législation sur les stupéfiants . Elles permettent de dégager trois constats :

- le volume d'affaires d'usage de stupéfiants traitées par les parquets entre 2001 et 2008 a été multiplié par 1,7 (passant de 10.261 à 17.353) ;

- la part des classements sans suite et des affaires jugées « non poursuivables » dans l'ensemble des décisions est passé de 29,3 % à 8,5 % dans le même temps ;

- la part (70,4 %) des alternatives aux poursuites reste largement prépondérante -même si les poursuites représentent, en 2008, 21,1 % de l'ensemble contre 16 % en 2001. Les rappels à la loi et les avertissements constituent les trois quarts des alternatives aux poursuites (les injonctions thérapeutiques représentent 10,5 % de l'ensemble).

L'ordonnance pénale (7,8 % des affaires poursuivables en 2008) est réservée à certaines hypothèses. Selon une étude de M. Jean-Paul Jean, avocat général près la cour d'appel de Paris 10 ( * ) , cette voie est privilégiée dans les circonstances suivantes : consommation régulière mais de faible quantité sans véritable dépendance, troisième interpellation dans l'année, non respect de l'injonction thérapeutique, du stage de sensibilisation ou des mesures de comparution pénale.

Comte tenu de la part prise par les alternatives aux poursuites, 14 % seulement des usagers interpellés font l'objet d'une condamnation pénale -même si le nombre de condamnations, à l'échelle nationale, a augmenté entre 2002 et 2008 passant de 21.777 à 42.649 soit un quasi doublement 11 ( * ) . Au reste, le volume des condamnations pour usage a été multiplié par quatre au cours des deux dernières décennies alors que, sur la même période, les interpellations pour usage étaient multipliées par sept. Les amendes et les peines de substitution -travail d'intérêt général, jours-amendes- représentent respectivement 41 % et 15 % des sanctions prononcées pour usage. La peine d'emprisonnement ferme (ou avec un sursis partiel) n'est prononcée que dans 16 % des cas. La durée moyenne (ferme) des peines d'emprisonnement prononcées pour usage a diminué depuis la fin des années 1980 (où elle atteignait 12,7 mois) tant dans les cas où l'usage est la seule infraction (moins de 0,8 mois) que dans ceux où il est associé à d'autres (moins de 3,1 mois).

Au regard de ces données, la mission commune d'information avait souligné l'insuffisance de la réponse pénale « inadaptée aux réalités quotidiennes de la consommation de drogues illicites » et, en conséquence, « très modérément efficace à l'égard de ce que la circulaire relative à la lutte contre la toxicomanie et les dépendances du 19 mai 2008 appelle l'usager simple ».

II. LA PROPOSITION DE LOI : UNE SANCTION PLUS PROPORTIONNÉE ET PLUS EFFECTIVE

A. L'INSTITUTION D'UNE CONTRAVENTION DE TROISIÈME CLASSE

Selon la mission commune d'information, l'impunité du premier usage de stupéfiants est liée à l'inadaptation d'une sanction pénale qui, parce qu'elle est disproportionnée, n'est en pratique jamais appliquée.

Dans le souci d'une réponse plus adéquate, la mission a ainsi proposé l'institution d'une contravention de troisième classe sanctionnant le premier usage de stupéfiants. La proposition de loi s'inspire directement de cette recommandation.

La création d'une contravention de troisième classe présenterait quatre avantages.

D'une part, elle permettrait de fixer une sanction proportionnée à l'infraction . Sans doute le niveau de l'amende -450 euros- reste-t-il élevé. Il s'agit néanmoins d'un montant maximum . Surtout, et tel est bien l'esprit de la mission commune d'information et des auteurs de la proposition de loi, la contravention de 3 e classe -comme toutes les contraventions des quatre premières classes- peut donner lieu au paiement d'une amende forfaitaire d'un montant de 68 euros dès lors que cette possibilité a été prévue par un décret en Conseil d'Etat pour l'infraction concernée (article 529 du code de procédure pénale). Selon le régime commun aux amendes forfaitaires, l'amende doit être payée dans un délai de 45 jours à compter de la constatation de l'infraction ou de l'envoi de l'avis de contravention (article 529-1 du code de procédure pénale). A défaut de paiement ou d'une requête présentée tendant à l'exonération du contrevenant dans ce délai, l'amende forfaitaire est majorée de plein droit (article 529-2 du code de procédure pénale) -soit un taux de 180 euros (article R. 49 du code de procédure pénale). En cas de recours devant le tribunal de police et si la condamnation est confirmée, l'amende prononcée par le tribunal ne peut être inférieure au montant de l'amende forfaitaire (article 530-1 du code de procédure pénale). Le paiement de cette amende a pour effet, en vertu de l'article 529 du code de procédure pénale, d'éteindre l'action publique.

D'autre part, la contraventionnalisation conduit à une simplification de la procédure. Les contraventions des quatre premières classes relèvent du tribunal de police constitué d'un juge de proximité -dont les compétences, supprimées en matière civile par la loi relative à la répartition du contentieux, ont été maintenues au niveau pénal. Ces contraventions ne requièrent pas d'instruction préalable au jugement, sauf à la requête du procureur de la République. Elles permettent la saisine de la juridiction par citation directe.

Ensuite, la condamnation ne sera pas inscrite dans le casier judiciaire (sauf si une mesure d'interdiction, de déchéance ou d'incapacité est prise à titre principal, ce qui est exclu dans l'hypothèse d'une amende forfaitaire). Ainsi tout risque de stigmatisation du premier usager serait conjuré.

Enfin, comme le rappelle la mission commune d'information sur les toxicomanies, « même fixée à un niveau modeste, on peut penser que la contravention alertera les parents des mineurs sur les pratiques de leurs enfants et la nécessité de s'impliquer dans la prévention ».

Le régime contraventionnel ne s'appliquerait que pour l'usage donnant lieu à la première interpellation . Votre commission a adopté en conséquence un amendement de son rapporteur tendant à compléter l'intitulé de la proposition de loi afin de viser comme le précise d'ailleurs l'article premier de la proposition de loi tendant à modifier l'article L. 3421-1 du code de la santé publique, le premier usage illicite « constaté » de stupéfiant.

Si l'infraction est réitérée , ou si elle s'accompagne d'une circonstance aggravante mentionnée au troisième alinéa de l'article L. 3421-1 du code de la santé publique elle retrouve la qualification de délit.

Sur le plan normatif, la contraventionnalisation du premier usage constaté de stupéfiant implique une révision de l'article L. 3421-1 du code de la santé publique et la création d'une contravention de 3 e classe. Bien que la première modification relève du législateur et la seconde du pouvoir réglementaire, les auteurs de la proposition de loi ont souhaité les combiner : selon l'exposé des motifs, « une modification isolée (...) apparaîtrait en soi incompréhensible ».

Aussi le texte de l'article L. 3421-1 du code de la santé publique serait complété afin de prévoir que la première infraction constatée d'usage illicite est passible de l'amende prévue pour les contraventions de troisième classe. Il écarte explicitement de la contraventionnalisation l'usage aggravé de substances illicites dans les hypothèses mentionnées au dernier alinéa de l'article L. 3421-1 lorsque l'infraction est commise dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ces fonctions par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou par le personnel d'une entreprise de transport mettant en cause la sécurité. Il prévoit en outre les mesures de coordination nécessaires aux articles L.3421-2 et L.3421-4 du même code (de sorte, en particulier, que la provocation à la consommation, pour la première fois, de stupéfiant demeure un délit passible d'une peine d'emprisonnement de cinq ans).

Dans un deuxième temps, il appartiendra au pouvoir réglementaire d'instituer l'amende forfaitaire pour cette catégorie d'infraction comme le lui permet le cadre légal posé par la proposition de loi.

B. DES DIFFICULTÉS SURMONTABLES

Le principe d'une contraventionnalisation du premier usage constaté de stupéfiants a soulevé au cours des auditions certaines objections qui, pour l'essentiel, présentent un caractère pratique. Votre rapporteur s'y est montré attentif même s'il n'a pas été convaincu par des arguments qui lui ont paru, par bien des aspects, réversibles.

• La difficulté de caractériser la première infraction

Cette caractérisation est indispensable puisqu'elle détermine la qualification de contravention ou de délit. L'identification du primocontrevenant implique le recours à un fichier. Une telle base existe sous la forme du fichier national des auteurs d'infractions à la législation sur les stupéfiants (FNAILS) créé en 1989 par le ministère de l'intérieur aux fins de centraliser toutes les informations recueillies lors des enquêtes de police judiciaire relatives aux stupéfiants. La gestion en est confiée à l'Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants. Il semble surtout obéir à des fins statistiques et n'a pas, à ce stade, de vocation opérationnelle. Cependant selon les informations communiquées à votre rapporteur, le dispositif est prêt techniquement ; en cours de déclaration à la Commission nationale de l'informatique et des libertés, il devrait entrer en activité à la fin de cette année.

Comme l'a observé M. François Thierry, chef de l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants, la mise en place d'un tel système exige non seulement la vérification de l'identité de l'intéressé mais aussi de la référencer afin de constituer une base de données fiable. Néanmoins, une fois ce travail accompli, la charge incombant aux services de police et de gendarmerie devrait s'alléger.

• L'absence d'inscription au casier judiciaire

En principe, les condamnations définitives pour une contravention des quatre premières classes ne sont pas portées au casier judiciaire 12 ( * ) . Selon les représentants de l'USM, « cette situation serait préjudiciable à une bonne individualisation des peines ultérieures en privant les juridictions qui auraient à connaître des nouveaux faits de délinquance de l'approche du passé toxicomane du prévenu sauf s'il consent à le dévoiler lui-même ». Selon votre rapporteur, l'intérêt de l'inscription au casier judiciaire d'un premier usage est limité puisque la saisine du parquet, dans le nouveau cadre envisagé par la proposition de loi, devrait, en principe, résulter d'un comportement réitérant.

En revanche, par l'effet de stigmatisation qu'elle peut présenter, ses inconvénients apparaissent manifestes.

• Le recouvrement des amendes

Plusieurs des interlocuteurs de votre rapporteur se sont interrogés sur l'effectivité de la répression par la voie d'une amende forfaitaire dès lors que le taux de recouvrement est faible. Selon les données de la direction générale des finances publiques, il s'établit pour les amendes forfaitaires majorées (hors contrôles routiers automatisés) à 35,2 % en 2008. Faut-il pour autant se satisfaire de l'impunité au motif que l'exécution de la sanction pénale n'est pas entièrement satisfaisante. Votre rapporteur ne le croit pas.

• L'atteinte à l'efficacité des enquêtes

Plusieurs magistrats ainsi que le chef de l'Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants ont observé que le cadre législatif actuel, autorisant le placement en garde à vue (puisque l'usage de stupéfiants est passible d'une peine d'un an d'emprisonnement) favorisait aussi l'identification des fournisseurs de drogue à l'échelon supérieur. Les auditions des usagers peuvent permettre de remonter les filières au moins jusqu'aux trafiquants de proximité.

Cependant, d'une part, il peut paraître choquant que la garde à vue soit aujourd'hui théoriquement possible pour un premier usage.

D'autre part, en pratique, comme l'ont d'ailleurs admis plusieurs des interlocuteurs de votre rapporteur, les enquêteurs peuvent toujours recourir à d'autres qualifications comme la détention de stupéfiants souvent difficilement séparable de l'usage, pour procéder, le cas échéant, à une garde à vue. L'article 529 (2 e alinéa) du code de procédure pénale prévoit d'ailleurs explicitement que « la procédure de l'amende forfaitaire n'est pas applicable si plusieurs infractions, dont l'une au moins ne peut donner lieu à une amende forfaitaire, ont été constatées simultanément ».

• Une échelle de sanction injuste ?

Certains des magistrats rencontrés par votre rapporteur ont craint que la contraventionnalisation n'entraîne de facto une répression plus lourde des primo-usagers que celle susceptible de s'appliquer aux usagers réguliers.

Au contraire, si la personne se fait interpeller une nouvelle fois après avoir déjà été condamnée au paiement d'une amende forfaitaire, il y a selon votre rapporteur tout lieu de penser que l'autorité judiciaire sera en mesure d'apporter de manière plus rapide et effective une réponse pénale combinant répression et prise en charge médicale. Parce qu'une contravention a déjà été constatée, une peine plus lourde sera ensuite justifiée en cas de réitération. A cet égard, la contraventionnalisation apporte un maillon manquant dans une réponse pénale qui se veut graduée et lui redonne sa cohérence.

• L'institution d'une contravention par la loi

L'institution d'une contravention relève en principe du pouvoir réglementaire. Le Conseil constitutionnel a toutefois admis la compétence législative pour instituer des amendes contraventionnelles 13 ( * ) . En l'espèce, le législateur ne pourrait se borner à exclure les primo-usagers du champ d'application de l'article L. 3421-1 du code de la santé publique sans brouiller le sens même de la proposition de loi : la volonté d'une répression effective de ces comportements. La mention de l'amende prévue pour les contraventions de troisième classe lève toute ambiguïté à cet égard.

C. L'EXIGENCE D'UNE POLITIQUE VOLONTARISTE

La présente proposition de loi ne saurait, à elle seule, à l'évidence, endiguer la diffusion du cannabis au sein d'une large frange de la population, notamment auprès des jeunes. Elle ne prendra tout son sens que si sa mise en oeuvre s'accompagne d'une volonté politique dont on peut douter aujourd'hui.

Selon votre rapporteur, l'action gouvernementale en la matière doit s'articuler autour de deux priorités.

D'abord, il est impératif que l'Etat tienne un discours plus clair sur les dangers du cannabis dont la toxicité s'est beaucoup accrue depuis vingt ans. Pourtant le message sur les méfaits de cette substance est resté diffus. Or comme l'a souligné M. François Thierry, chef de l'Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants, l'opinion en France reste très sensible à une communication axée sur le risque sanitaire. Il est d'ailleurs significatif que si l'usage du cannabis considéré comme un produit « récréatif » s'est répandu dans notre pays bien au-delà de la moyenne des autres pays européens, ni l'héroïne, ni la cocaïne n'ont connu ici la diffusion qu'elles ont pu rencontrer chez nos voisins. L'effet d'une communication adaptée aux enjeux de la consommation du cannabis ne saurait donc être sous-estimé.

Ensuite, les forces de police et de gendarmerie ainsi que la justice doivent être remobilisées autour de la lutte contre l'usage de stupéfiants dans le cadre d'une politique pénale menée de manière coordonnée et continue par le ministère de l'intérieur et celui de la justice.

*

* *

Au bénéfice de ces observations, votre commission a adopté la proposition de loi ainsi rédigée.

EXAMEN EN COMMISSION

MARDI 29 DÉCEMBRE 2011

______

M. Jacques Mézard, rapporteur . - M. Gilbert Barbier a travaillé durant des années sur le sujet : il le connaît bien.

L'usage du cannabis, qui est une infraction pénale, s'est considérablement répandu au fil du temps. L'article L. 3421-1 du code de la santé publique prévoit une peine délictuelle d'un an d'emprisonnement et une amende de 3 750 euros. La mission commune d'information de l'Assemblée nationale et du Sénat sur les toxicomanies, co-présidée par MM. Serge Blisko et notre collègue François Pillet, a remis son rapport le 29 juin 2011 et préconise la création d'une peine d'amende de troisième classe pour sanctionner le premier usage illicite constaté. Cette recommandation est reprise dans la proposition de loi de M. Barbier.

Il ne s'agit en aucun cas d'un premier pas vers la dépénalisation. Du reste, la proposition n'est pas nouvelle : la commission d'enquête sénatoriale sur la politique de lutte contre les drogues illicites l'avait déjà formulée en 2003 et le ministre de l'Intérieur de l'époque, devenu président de la République, avait dit clairement devant la commission d'enquête qu'il convenait de gommer la disposition la plus critiquable de la loi de 1970, la peine de prison pour le simple usage. Et le Premier ministre de l'époque, devenu l'un de nos collègues, s'était également prononcé en 2004 pour la substitution d'une amende à la peine de prison, pour sanctionner le premier usage. Puis le statu quo a prévalu, surtout parce que l'on s'inquiétait de la réaction de l'opinion publique...

L'inadéquation entre les dispositions pénales et la réalité est totale, et conduit concrètement à une absence de sanction ; du reste, les services de police et de gendarmerie, le sachant, renoncent eux-mêmes à engager des procédures. C'est l'impunité.

On constate, sur le plan de la santé publique, une banalisation de l'usage du cannabis : 12,4 millions d'expérimentateurs de cannabis, 3,9 millions de consommateurs par an ; 1,2 million de consommateurs réguliers ; 31 % des jeunes de 16 ans ayant déjà « essayé ». Or le degré de toxicité du produit a été multiplié par dix ou quinze en vingt ans. Le principe actif est beaucoup plus concentré, comme nous l'a expliqué le professeur Costentin par exemple. La dépendance est plus forte. Le lien entre le cannabis et certains troubles graves, schizophrénie par exemple, a été mis en évidence chez les jeunes, le développement de leur cerveau n'étant pas achevé. La consommation de cannabis est en outre une porte d'entrée vers d'autres substances.

Le cadre juridique actuel est inadapté au premier usage : peine de prison, amende de 3 750 euros, circonstances aggravantes - conduite d'un véhicule, profession où le contrevenant est susceptible de mettre en danger la vie d'autrui, provocation au délit d'usage... Très peu de constatations parviennent au parquet. Ce dernier a en outre un pouvoir d'appréciation sur l'opportunité des poursuites, et selon les territoires, selon la personnalité des parquetiers, la sanction varie considérablement : simple rappel à la loi, composition pénale, ordonnance pénale, très rarement mesure sanitaire sous forme de stage de sensibilisation ou d'injonction thérapeutique. La réponse pénale n'est pas à la hauteur du phénomène. Depuis la loi de 1970, le nombre d'interpellations a été multiplié par soixante et la part des procédures pour usage est passée de 75 à 86 % des interpellations. Il est vrai que ces interpellations sur le terrain ont une vertu statistique : elles permettent de valoriser dans les chiffres l'activité des services de police... Le volume d'affaires d'usage de stupéfiants traitées par les parquets a été multiplié par 1,7 entre 2001 et 2008 ; la part des classements sans suite a diminué considérablement ; la part des alternatives aux poursuites reste essentielle, rappel à l'ordre, avertissement. Le nombre de condamnations entre 2002 et 2008 a augmenté mais concerne seulement 14 % des usagers interpellés.

Le texte vise à mieux proportionner la sanction à l'infraction de premier usage, afin que la sanction devienne effective. La création d'une contravention de troisième classe présente quatre avantages. D'abord, sanctionner de manière effective le premier usage constaté. Ensuite, appliquer une sanction proportionnée. Le niveau de l'amende reste élevé, 450 euros, mais, si un décret en Conseil d'Etat le prévoit, le montant peut être ramené à 68 euros forfaitaires, comme pour toutes les autres contraventions de troisième classe. Troisième avantage, simplifier les procédures, puisque les contraventions de cette classe relèvent du tribunal de police, autrement dit d'un juge de proximité. Enfin, la condamnation ne sera pas inscrite dans le casier judiciaire.

Ce régime contraventionnel ne s'appliquerait qu'à la première interpellation, les procédures et sanctions actuelles demeurant en vigueur pour l'usage réitéré, ou en cas de circonstances aggravantes. Pour instaurer le nouveau régime, il faut deux modifications, l'une législative, l'autre réglementaire. La proposition de loi vise à les combiner.

Les auditions nous en ont apporté confirmation, il est difficile de caractériser la première infraction sans recours à un fichier. Or une telle base existe : le fichier national des auteurs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, créé en 1989. On nous a dit que ce fichier n'existait plus : après recherches, nous avons appris qu'il entrera en activité fin 2011. Il est prêt techniquement et en cours de déclaration auprès de la Cnil.

La première condamnation pour usage de stupéfiants ne ferait plus l'objet d'une inscription au casier judiciaire : mais l'intérêt d'une inscription pour une première infraction de ce type est limité. Désormais, c'est le comportement réitérant qui provoquera une procédure pénale.

Le taux de recouvrement des amendes forfaitaires, nous objecte-t-on encore, est limité à environ 35%, il ne sert donc à rien de prononcer une peine d'amende. Quel argument ! Pourquoi ne pas supprimer toutes les amendes ? Leur recouvrement dépend de la volonté politique.

Atteinte à l'efficacité des enquêtes, se plaignent certains : le système existant facilite la remontée des filières, via le placement en garde à vue. Mais est-il de bonne politique de placer en garde à vue un usager primo-contrevenant ? Cela paraît choquant. Outre que l'augmentation du nombre de gardes à vue n'est plus à l'ordre du jour, les enquêteurs peuvent toujours invoquer la détention de stupéfiants pour recourir à la garde à vue si les besoins d'une enquête l'exigent.

L'échelle des nouvelles sanctions est-elle injuste ? Nous ne le pensons pas. Les auditions de magistrats ont révélé une très grande diversité d'opinions. D'une organisation professionnelle à l'autre, les avis sont très partagés - l'éventail est impressionnant ! Les nouvelles sanctions sont plus en rapport avec la réalité des faits ; et toute latitude demeure de revenir à l'application du principe délictueux.

Dernière objection, une contravention doit être instaurée par le pouvoir réglementaire, non par la loi. Mais le Conseil constitutionnel a admis la compétence du législateur pour créer des amendes contraventionnelles. Nous pourrions nous borner à exclure les primo-usagers de stupéfiants de l'application de l'article L. 3421-1 ; mais la création d'une contravention de troisième classe lève toute ambiguïté de notre démarche.

Les auditions nous en ont persuadés, les pouvoirs publics doivent avoir un discours plus clair sur les conséquences de la consommation de cannabis, substance dont la toxicité a fortement augmenté depuis vingt ans. Cette proposition de loi démontre un bon sens remarquable et je recommande à la commission de l'adopter.

M. François Pillet . - Merci au rapporteur qui a parfaitement posé les termes du problème. M. Barbier fut le rapporteur de cette mission d'information d'un nouveau genre, qui réunissait quinze députés et quinze sénateurs et dont je fus le co-président. La proposition est issue de ces travaux et de ceux de la précédente mission - plus de 80 heures d'auditions et de nombreux déplacements. Le débat sur la dépénalisation et la légalisation a eu lieu alors. S'il y a un domaine où il faut éviter tout angélisme et toute démagogie, c'est bien celui-là. Je serai toujours hostile pour ma part à la légalisation du moindre petit bout de drogue ; il existe déjà deux substances licites, alcool et tabac, cela suffit. A moins que ceux qui réclament cette évolution acceptent d'en être comptables ultérieurement, lorsque la catastrophe inévitable se sera produite ? Le pétard d'aujourd'hui n'a rien à voir avec son ancêtre à la douce toxicité champêtre, celui que l'on consommait à Woodstock. La puissance du principe actif, THS ou tétrahydrocannabinol, a été multipliée par dix. Les trafiquants ont été des précurseurs en matière d'OGM et, sur Internet, on trouve d'excellentes plantes, triées afin de parvenir au rendement idéal. Je vous invite à relire les déclarations des scientifiques. Si nous autorisions la consommation de cannabis, nous risquerions d'avoir une génération génétiquement modifiée ! Je voterai bien sûr cette proposition de loi.

Nous ne savons pas quelle sera la portée de cette loi mais elle aura au moins l'avantage de mettre en place une échelle des peines et de contribuer à prévenir les parents. Ce texte ne peut nuire aux deux objectifs du législateur, à savoir la protection des usagers, mais aussi la protection des victimes de l'usager. Je vous renvoie aux statistiques des accidents de la route qui montre l'implication croissante des consommateurs de drogue dans les accidents, surtout lorsqu'ils ont bu de l'alcool !

Je voterai donc ce texte, qui ne résoudra pas tous les problèmes mais qui mettra un coup d'arrêt à des tentations irresponsables.

M. André Reichardt . - Autant j'approuve le diagnostic posé par notre rapporteur sur la difficulté de mettre en oeuvre l'arsenal législatif actuel, autant je m'interroge sur l'opportunité de créer une sanction complémentaire, fusse-t-elle une contravention. En modulant la sanction, va-t-on réduire la consommation du cannabis ? Demain, on s'achètera une bonne conduite en payant une amende de 68 euros. Si l'on voulait aller vers une certaine dépénalisation, on ne s'y prendrait pas autrement. En outre, les autorités judicaires peuvent ajuster les sanctions, surtout lorsqu'il s'agit du premier usage. Tout ce qui peut faire prendre conscience aux auteurs de l'infraction de la gravité de leur acte doit être privilégié, notamment le stage de sensibilisation aux dangers de la drogue, prévu par la loi de 2007. Ne faudrait-il pas plutôt orienter ces consommateurs vers des structures sanitaires ou sociales plutôt que de leur faire payer une amende forfaitaire ? Plutôt que de nous demander pourquoi nous ne parvenons pas à faire appliquer l'arsenal dont nous disposons, nous nous en remettons à l'avenir en espérant que les choses iront mieux. Je compte sur le débat en séance pour éclairer mon vote final.

Mme Virginie Klès . - Le groupe socialiste estime que cette proposition de loi est bienvenue. On ne peut accepter des peines trop lourdes en première intention, d'autant qu'elles ne sont pas appliquées. Trop d'usagers n'ont aucun retour d'autorité face à la banalisation de la consommation de cannabis.

J'émettrai néanmoins quelques réserves : dans certains départements ruraux, les jeunes interpellés, accompagnés par leurs parents, passent devant un délégué du procureur. Gendarmes et médecins estiment que cette comparution est extrêmement importante et qu'il ne faudrait pas casser ce dispositif, là où il fonctionne. Avec l'amende, les jeunes feront simplement plus attention à ne pas se faire pincer. Il ne faut pas mettre à bas ce qui fonctionne encore.

M. Jean-Pierre Michel . - Merci à MM. Mezard et Barbier de réagir face à une loi dépassée et ignorée. Depuis le VIH et l'hépatite C, des circulaires de santé publique ont invité à ne pas appliquer la loi, alors que l'échange de seringues pratiqué par certaines associations pourrait être considéré comme de la complicité. Pourtant, personne ne veut toucher à la loi de 1970 qui met sur le même plan tous les usagers, quelle que soit la drogue consommée. Nous n'osons pas avoir un vrai débat sur les stupéfiants ni sur les addictions. Qu'est-ce qui est plus dangereux en matière de santé publique ? Le tabac, l'alcool, les jeux, le poker, les stupéfiants et, pour ces derniers, faut-il les mettre tous sur le même plan ? Certainement pas. L'usage du cannabis est très répandu dans certains départements, comme La Réunion, où le soir, en rentrant du travail, on fume son petit joint, ce qui fait moins de mal que les soirées d'étudiants où l'on boit jusqu'à tomber dans le coma. Nous devrons avoir un débat apaisé sur le danger des addictions, mais après la présidentielle. Le président de la Mildt estime que toutes les addictions représentent un danger considérable. Il faudrait donc revoir la loi de 1970 de fond en comble.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat . - Notre groupe ne s'est pas prononcé sur cette proposition de loi. L'idée de se débarrasser d'une loi qui n'est appliquée que par certains tribunaux n'est pas pour me déplaire. J'ai reçu un nombre incalculable d'appels de parents effarés parce que leur fils ou leur fille était en garde à vue pour avoir fumé un joint dans la rue. Mais les contraventions prévues dans ce texte figureront-elles sur un fichier ? Ne serait-ce pas pire qu'aujourd'hui ? En outre, personne ne semble s'inquiéter des raisons de ces consommations exponentielles. En attendant, je ne prendrai pas part au vote.

Mme Corinne Bouchoux . - Ce débat n'est pas sans similitude avec celui que nous avons eu sur l'alcoolisation des jeunes. Ce texte a le mérite de soulever des questions intéressantes mais sommes-nous à même de les trancher ?

Notre rapporteur a-t-il pris connaissance du rapport du professeur Pierre Kopp qui aborde la question de la toxicomanie sous l'angle économique et qui estime que la politique menée à l'heure actuelle coûte plus cher qu'elle ne rapporte ?

M. Pierre-Yves Collombat . - Je crains que nous n'ayons jamais de débat apaisé sur cette question de société, car il n'y a pas de solution ! Pourquoi assiste-t-on à cette explosion des addictions ? Ne nous renvoient-elles pas à certains choix de société ? Mais dans ce cas, nous risquons fort de ne pas être d'accord entre nous ! Nous sommes donc condamnés à essayer de trouver les moins mauvaises solutions afin de sauver ce qui peut l'être. Dans l'idéal, il faudrait que chaque personne commettant une infraction passe devant un juge afin de s'expliquer, mais les choses ne se passent pas comme cela, sauf dans certains territoires. Une pénalisation échelonnée parait être une solution de bon sens.

En revanche, après la petite marche instaurée par le premier alinéa du texte proposé par l'article 1 er de la proposition de loi pour l'article L. 3421-1 du code de la santé publique, faut-il laisser la grande marche de l'alinéa trois ? Ne faudrait-il pas modifier cet alinéa ?

M. Philippe Bas . - Je voterai cette proposition de loi, par souci de santé publique plus que par volonté de réprimer. La portée de la loi de 1970 est faible puisqu'elle pose un interdit qui n'est pas sanctionné. En introduisant une marche d'escalier entre l'absence de peine et une peine lourde, on crédibilise l'interdit en associant le coup de semonce de l'entretien à une sanction pécuniaire effective. Cette proposition de loi va dans la bonne direction, en réaffirmant l'interdit.

M. René Vandierendonck . - Nous sommes en train de créer une commission sénatoriale chargée de l'application des lois. Ne pourrait-on attendre qu'elle fasse le point ? Une vision d'ensemble serait préférable pour bien coordonner les volets préventifs et répressifs.

M. André Reichardt . - Sur un tel sujet de société, pourquoi ne pas légiférer de façon plus exhaustive, comme vient de le dire M. Vandierendonck ? Un renvoi en commission ne serait-il pas préférable ?

M. François Pillet . - De grâce, reportez-vous au travail accompli par la commission multipartite dont je vous ai déjà parlé. Elle a effectué 80 auditions et ses propositions sont fort intéressantes.

Ceci dit, je ne suis pas d'accord sur la dangerosité de certaines addictions : celui qui a fumé un pétard est beaucoup plus dangereux sur la route, qu'un autre qui, avant de prendre le volant, a joué au poker sur Internet.

M. Thani Mohamed Soilihi . - Je crains que cette loi ne fasse que déplacer le problème. Je viens d'un département où le phénomène est relativement nouveau : le cannabis commence seulement à entrer dans les collèges et dans les lycées et je crains que cette loi ne soit perçue comme un signal qui en banalise la consommation. Je m'abstiendrai donc.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - D'évidence, il s'agit d'un problème de société, mais je ne vois pas trop l'intérêt de réfléchir davantage alors que plusieurs missions se sont penchées sur la question. Je vous renvoie au rapport du Sénat de 2003 et à celui de l'Assemblée nationale et du Sénat d'il y a quelques mois, fruit de 80 heures d'auditions.

Nous ne pouvons décider d'attendre la nouvelle commission d'application des lois, à moins de vouloir poser un édredon sur la question. La politique menée depuis une génération a échoué et la loi de 1970 n'est pas appliquée car elle ne correspond plus à l'évolution de notre société. Certes, cette proposition de loi n'est pas la panacée, mais elle règle certains problèmes en évitant l'écueil de la dépénalisation.

M. André Reichardt . - Je n'en suis pas sûr.

EXAMEN DE L'AMENDEMENT DU RAPPORTEUR

Intitulé de la proposition de loi

M. Jacques Mézard , rapporteur . - L'amendement n°1 permet d'être plus précis

L'amendement n°1 est adopté.

L'intitulé est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

L'ensemble de la proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort de l'amendement examiné par la commission est retracé dans le tableau suivant :

PROPOSITION DE LOI visant à punir d'une peine d'amende
tout premier usage illicite de l'une des substances ou plantes classées comme stupéfiants

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. MÉZARD, rapporteur

1

Précision

Adopté

ANNEXE 1 - POINTS DE COMPARAISON EUROPÉENS

Les conventions internationales . La convention unique sur les stupéfiants de 1961 et la convention de 1988 contre le trafic illicite de produits stupéfiants et de substances psychotrophes, ratifiées par l'ensemble des Etats de l'Union européenne imposent d'incriminer la production, le trafic, la cession et la détention de stupéfiants. Aucun de ces deux textes n'oblige à incriminer directement l'usage de cannabis .

Le régime d'incrimination de l'usage de cannabis au sein de l'Union européenne permet de distinguer trois groupes de pays :

l'usage de cannabis constitue une infraction pénale dans cinq pays de l'Union européenne (France, Grèce, Suède, Finlande, Chypre)

l'usage de cannabis constitue une infraction administrative (passible de sanctions administratives, en-dehors du cadre pénal) dans sept pays de l'Union européenne (Portugal, Espagne -usage dans les lieux publics-, Luxembourg, Bulgarie, Estonie, Lettonie, Lituanie)

l'usage du cannabis n'est pas interdit par la loi dans 15 pays de l'Union européenne (Belgique, Danemark, Pays-Bas, Italie, Allemagne, Autriche, Royaume-Uni, Irlande, Malte, Hongrie, République tchèque, Pologne, Slovaquie, Slovénie et Roumanie -pays où l'usage est prohibé mais où aucune peine n'est prévue pour le sanctionner). Cependant, la détention de cannabis en petite quantité pour usage personnel constitue une infraction pénale ou administrative même si dans huit pays (Italie, Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Danemark, République tchèque, Pologne, Royaume-Uni) différents mécanismes permettent de ne pas la sanctionner en-deçà de certaines quantités. Ainsi au Royaume-Uni, les directives policières recommandent de ne pas interpeller les détenteurs de « petites quantités » de cannabis lorsqu'il s'agit d'une première infraction 14 ( * ) .

Comme l'a relevé M. François Thierry, chef de l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants, la législation peut se révéler très complexe comme aux Pays-Bas. La détention et la vente de cannabis sont admises dans les coffee shops titulaires d'une licence sous réserve de certaines restrictions : interdiction de publicité pour les drogues interdites, interdiction de vente de drogue dite « dure », interdiction de provoquer des nuisances publiques, interdiction de vente et d'accès aux mineurs, vente maximum de 5 grammes par personne et par transaction. Comme le relève l'étude précitée de l'OFDT, en pratique, dans la rue, la vente et la détention de cannabis pour usage personnel sont rarement verbalisées au-dessous de 5 grammes et, si elles le sont, elles donnent rarement lieu à des poursuites judiciaires. La législation pourrait être transformée afin de réserver les coffee shops aux seuls citoyens ou résidents néerlandais, afin de limiter les nuisances liées au « narco-tourisme ».

ANNEXE 2 - LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

_______

Direction des affaires criminelles et des grâces

- Mme Catherine Sorita-Minard , sous-directrice de la justice pénale spécialisée

Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie

- M. Etienne Apaire , président

Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants

- M. François Thierry , commissaire divisionnaire, chef de l'office

Personnalité qualifiée

- M. Jean Costentin , professeur

FO-Magistrats

- M. Emmanuel Poinas , secrétaire général

Syndicat de la magistrature

- Mme Clarisse Taron , présidente du syndicat de la magistrature

- M. Matthieu Bonduelle , secrétaire général

Union syndicale des magistrats

- Mme Virginie Valton, vice-présidente

- M. Nicolas Léger, secrétaire national

Avocat

- Mme Lagrue , avocate, membre du conseil national des Barreaux


* 1 Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :
http://www.senat.fr/notice-rapport/2010/r10-699-1-notice.html

* 2 Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :
Tome 1 :
http://www.senat.fr/rap/r02-321-1/r02-321-1.html

Tome 2 : http://www.senat.fr/rap/r02-321-2/r02-321-2.html

* 3 M. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales avait déclaré devant la commission d'enquête : « il est nécessaire de mettre en place un dispositif réellement applicable par les policiers, les gendarmes et les magistrats (...) qui doit gommer la disposition la plus critiquable de la loi de 1970, à savoir la possibilité de prononcer une peine d'emprisonnement à l'encontre de simples usagers ».

* 4 Enquête déclarative ESCAPAD réalisée lors de la journée d'appel de préparation à la défense.

* 5 Rapport précité, p. 39.

* 6 La loi relative à la répartition des contentieux, adoptée en dernière lecture par l'Assemblée nationale le 16 novembre dernier, a ouvert au prévenu la possibilité de former opposition au jugement du tribunal correctement rendu à son encontre par défaut.

* 7 Ivana Obradovic, La réponse pénale à l'usage de stupéfiants, Tendances, OFDT, n° 72, nov. 2010.

* 8 La croissance des interpellations reflète pour une large part mais pas complètement l'évolution de la consommation du cannabis. Ainsi depuis 1990, les interpellations pour usage ont augmenté alors que la diffusion du cannabis s'est infléchie au tournant des années 2000. Comme le souligne Ivana Obradovic dans l'étude précitée, les statistiques d'interpellation traduisent aussi l'intensité du travail policier -la constatation de l'usage de stupéfiants « ne nécessite en effet aucune enquête préalable : l'interpellation n'intervient pas après le dépôt d'une plainte mais à l'initiative des services de police et de gendarmerie, qui peuvent avoir intérêt à cibler ce type d'infractions ».

* 9 Paris, Bobigny, Evry, Créteil, Versailles, Pontoise, Nanterre.

* 10 Jean-Paul Jean, les transformations de la politique criminelle envers les moyens de stupéfiants depuis la loi du 5 mars 2007, AJ pénal 2010.

* 11 Elles portent principalement sur l'usage illicite (45 %) puis, dans un ordre décroissant, sur le transport (18 %), le trafic international (5,1 %), l'offre et la cession (3,5 %).

* 12 A l'exception des cas où elles donneraient lieu à titre de peine principale à une interdiction ou une déchéance.

* 13 Conseil constitutionnel, décision n° 82-143 DC du 30 juillet 1982 (blocage des prix et des revenus).

* 14 Source : Ivana Obradovic, Législations relatives à l'usage et à la détention de cannabis : définition et état des lieux en Europe, Note n° 2011-19, OFDT

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