II. UNE DERNIÈRE PROPOSITION DE LOI DE SIMPLIFICATION CENTRÉE SUR LA VIE DES ENTREPRISES

Comptant initialement 94 articles, la présente proposition de loi n'en comporte pas moins de 153 dans le texte adopté par l'Assemblée nationale, dont 16 sont supprimés mais demeurent en navette.

Comme pour l'examen des précédentes lois de simplification, votre commission a souhaité déléguer l'examen au fond de certains articles aux commissions qui se sont saisies pour avis et de la compétence desquelles ces articles relèvent pleinement.

Ce mécanisme particulier de délégation au fond ne fait pas obstacle, bien entendu, à ce que les commissions pour avis examinent des articles que votre commission des lois a conservés pour leur examen au fond.

Ainsi, ont fait l'objet d'une délégation au fond les articles suivants :

- à la commission des affaires sociales, les articles 28 à 49, 64 à 67, 75, 91, 92 bis A, 93 bis A et 93 bis B ;

- à la commission de la culture, les articles 77 et 82 ;

- à la commission de l'économie, les articles 27, 54 à 56 ter , 58, 60, 60 bis , 62, 63, 68 à 68 quinquies , 71, 72 à 74 ter , 84, 86, 87 bis , 90, 90 bis , 93 bis et 93 nonies ;

- à la commission des finances, les articles 12 bis , 21, 49 bis à 51, 59, 59 bis et 61.

A. LA DÉPÉNALISATION DE LA VIE DES AFFAIRES

Les articles 14 à 20 procèdent à une dépénalisation partielle du droit des sociétés, en substituant des sanctions civiles à des sanctions pénales. À ce titre, quelle que soit leur pertinence au fond, ces articles excèdent largement l'objectif de simplification et mériteraient une discussion spécifique. Ils sont d'ailleurs présentés d'une manière peu lisible, puisque les mêmes infractions sont visées dans plusieurs articles, selon qu'il s'agisse de supprimer ou de modifier une sanction pénale ou encore d'instituer une sanction civile.

La proposition de loi se situe expressément dans la logique du rapport présenté en 2008 par le groupe de travail sur la dépénalisation de la vie des affaires, présidé par M. Jean-Marie Coulon, premier président honoraire de la cour d'appel de Paris 40 ( * ) . Le mouvement de dépénalisation du droit des affaires a été engagé il y a dix ans par la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, avec la mise en place, en lieu et place de sanctions pénales, d'injonctions, jugées plus efficaces, par lesquelles il est demandé au juge des référés d'ordonner à l'intéressé, le cas échéant sous astreinte, de produire une information ou de respecter une obligation 41 ( * ) . La loi n° 2003-706 du 1 er août 2003 de sécurité financière a institué des sanctions civiles, sous forme de nullités, en remplacement de sanctions pénales, jugées inefficaces car jamais appliquées ou en tout cas présentées comme telles.

Pour prolonger la dépénalisation du droit des affaires, le rapport du groupe de travail a préconisé, notamment, la mise en place de « mécanismes civils (...) consistant en une privatisation du contrôle du respect de la règle de droit au profit des acteurs économiques, privatisation justifiée par le caractère privé de l'intérêt qu'elle protège ». Ces mécanismes civils peuvent être préventifs, sous forme d'injonctions, ou répressifs, sous forme de nullités, d'actions en annulation ou d'inopposabilités des actes passés en violation du droit. Les sanctions pénales seraient réservées aux comportements frauduleux et aux infractions les plus graves.

Entendu par votre rapporteur, M. Jean-Marie Coulon a insisté sur l'efficacité du mécanisme de l'injonction prononcée par le juge des référés à la demande d'une partie intéressée, qui est simple et rapide. Il a aussi fait état des divergences entre les conclusions du groupe de travail et les modifications opérées par la présente proposition de loi, étant entendu que le groupe de travail n'a pas émis de propositions pour toutes les infractions visées dans la proposition de loi. Votre rapporteur juge plus pertinentes, pour certaines infractions, les évolutions proposées par le groupe de travail. Les infractions les plus graves doivent toujours encourir une peine d'emprisonnement, quand bien même elles ne seraient que rarement prononcées par les tribunaux, afin d'en conserver la force symbolique autant que dissuasive.

Diverses formules sont retenues par la proposition de loi, consistant aussi en des aménagements de sanctions pénales, et notamment :

- substitution d'injonctions de faire à des sanctions pénales ;

- substitution de nullités absolues d'actes ou d'actions en annulation à des sanctions pénales ;

- suppression de la peine d'emprisonnement et relèvement du montant de la peine d'amende.

À titre d'exemple, le défaut de réunion par le gérant de l'assemblée des associés d'une société à responsabilité limitée est actuellement puni d'une peine de six mois d'emprisonnement et de 9000 euros d'amende, de même que le fait de ne pas soumettre à l'assemblée les comptes annuels et le rapport de gestion. Les peines sont identiques pour les dirigeants d'une société anonyme qui omettent de réunir l'assemblée générale ordinaire des actionnaires ou de lui soumettre les comptes annuels et le rapport de gestion. Dans les deux cas, reprenant les préconisations du rapport du groupe de travail, la proposition de loi dépénalise entièrement le défaut de convocation de l'assemblée 42 ( * ) , estimant qu'un associé ou un actionnaire sera intéressé à saisir le juge des référés pour obtenir une injonction faite aux gérants ou aux dirigeants, le cas échéant sous astreinte, de réunir l'assemblée 43 ( * ) . Il est également prévu que le ministère public puisse saisir le juge des référés, ce qui offre une garantie supplémentaire lorsqu'aucune partie intéressée ne saisit le juge. Le défaut de présentation des comptes annuels et du rapport de gestion à l'assemblée demeure quant à lui soumis à une sanction pénale, mais de manière différenciée puisque que la peine d'emprisonnement est supprimée pour les sociétés à responsabilité limitée, au profit de la seule peine d'amende, tandis que les peines d'emprisonnement et d'amende sont toutes les deux maintenues en l'état pour les sociétés anonymes 44 ( * ) . Le rapport du groupe de travail estimait qu'il fallait maintenir en l'état les sanctions pénales dans les deux cas de défaut de présentation des comptes. Votre rapporteur s'interroge sur la cohérence entre ces deux régimes, que la seule distinction entre une société à responsabilité limitée et une société anonyme ne saurait justifier. Il estime qu'il convient de maintenir la peine d'emprisonnement pour les gérants de société à responsabilité limitée qui ne présentent pas les comptes annuels à l'assemblée, même si, selon les chiffres fournis par le Gouvernement pour la période de 2006 à 2010, aucune peine d'emprisonnement n'a été prononcée, tant à l'égard de gérants de société à responsabilité limitée que de dirigeants de société anonyme. En revanche, il approuve la procédure d'injonction, pour les deux formes de société, qui paraît adaptée en cas de défaut de convocation de l'assemblée. En complément de ces dispositions, la proposition de loi réduit les seuils qui permettent la réunion d'une assemblée à la demande d'une fraction des actionnaires ou des associés 45 ( * ) .

En l'absence de dépôt des comptes annuels d'une société au greffe du tribunal de commerce pour annexion au registre du commerce et des sociétés, la proposition de loi prévoit judicieusement un mécanisme d'injonction sous astreinte à la demande du greffier, qui est le plus à même de constater cette carence, alors qu'aujourd'hui l'absence de dépôt est sanctionnée par l'amende prévue pour les contraventions de cinquième classe. Selon les statistiques fournies par le Gouvernement, de quarante à quatre-vingts contraventions sont constatées chaque année. L'objectif étant de garantir le dépôt des comptes, a fortiori pour repérer les sociétés en difficulté qui sont susceptibles de ne pas procéder au dépôt, l'injonction semble beaucoup plus efficace. Il conviendra parallèlement de supprimer par décret l'amende contraventionnelle.

La proposition de loi prévoit également la suspension des droits de vote dans les sociétés anonymes en cas de constitution irrégulière de la société ou d'augmentation de capital réalisée dans des conditions irrégulières, assortie de la nullité des votes effectués au cours de la période de suspension, jusqu'à régularisation 46 ( * ) , en lieu et place d'une peine d'amende de 9000 euros 47 ( * ) , dont les chiffres fournis à votre rapporteur indiquent qu'elle n'a pas été prononcée entre 2006 et 2010. Votre rapporteur se montre sceptique quant à l'efficacité de la sanction de suspension des droits de vote et de nullité des votes, car il s'interroge sur la personne qui pourrait avoir intérêt à les faire constater. Le rapport du groupe de travail préconisait d'ailleurs le maintien des sanctions pénales. Les sanctions civiles dépendent en effet, pour leur déclenchement, de l'existence d'une partie intéressée à les faire prononcer, ce qui semble ici moins évident.

Enfin, dernier exemple, la proposition de loi supprime toute peine d'emprisonnement au profit de la seule peine d'amende pour des infractions commises par un liquidateur aux règles de dépôt des fonds destinés aux créanciers et associés 48 ( * ) . Actuellement sont prévus six mois d'emprisonnement et 9000 euros d'amende. La proposition de loi prévoit uniquement 150 000 euros d'amende. Le rapport du groupe de travail préconisait le maintien de la peine d'emprisonnement. Dans d'autres cas de manquements du liquidateur, la proposition de loi permet au président du tribunal de commerce de le révoquer ou de le déchoir de tout ou partie de son droit à rétribution 49 ( * ) .

Entendues par votre rapporteur, plusieurs organisations représentant les entreprises ont fait part d'une appréciation mitigée sur ce mouvement de dépénalisation, en raison de ses conséquences sur la sécurité juridique des actes et des décisions des organes des sociétés. En effet, contrairement à une nullité dont la constatation peut être demandée au juge, payer une amende ne remet pas en cause la valeur juridique, par exemple, d'une délibération d'une assemblée générale. À cet égard, la rédaction proposée par l'article 14 de la proposition de loi pour l'article L. 225-114 du code de commerce est tout à fait illustrative. Actuellement, l'article L. 225-114 prévoit simplement qu'une feuille de présence, dont les mentions sont fixées par décret en Conseil d'État 50 ( * ) , est tenue pour chaque assemblée générale. L'article 14 ajoute que les décisions de l'assemblée générale sont constatées par un procès-verbal, signées par les membres du bureau de l'assemblée générale et comportent un certain nombre de mentions (date, lieu, mode de convocation, ordre du jour, composition du bureau, nombre d'actions représentées, rapports présentés, résumé des débats, texte des résolutions mises aux voix et résultats des votes). Il dispose que les délibérations peuvent être annulées en cas de non-respect des dispositions très formelles de présentation de la feuille de présence comme du procès-verbal. En d'autres termes, si la feuille de présence omet une mention ou si le procès-verbal omet de signaler par exemple la composition du bureau, toutes les délibérations de l'assemblée générale sont annulables. Votre rapporteur estime qu'il y a là une disproportion entre le manquement et la sanction encourue, qui serait à l'origine d'une plus grande insécurité juridique. À cet égard, le rapport du groupe de travail présidé par M. Jean-Marie Coulon fait état de l'approche du droit communautaire, pour lequel « le droit pénal vient (...) garantir une obligation afin d'éviter des mécanismes civils, notamment les nullités, qui sont considérées comme fragilisant la sécurité juridique des opérations commerciales ». Aussi votre rapporteur estime-t-il que les sanctions de nullité doivent être mises en place avec précaution et discernement, avec le souci de la proportionnalité entre l'infraction et la sanction.


* 40 Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/084000090/index.shtml

* 41 Introduction d'un article L. 238-1 dans le code de commerce, destiné à obtenir la production, la communication ou la transmission d'un certain nombre de documents.

* 42 Article 16 de la proposition de loi.

* 43 Article 14 de la proposition de loi.

* 44 Article 16 de la proposition de loi.

* 45 Article 14 de la proposition de loi : un dixième des associés représentant un dixième des parts (au lieu d'un quart pour chaque critère), outre les associés détenant la moitié des parts, peuvent demander la réunion de l'assemblée des associés dans une société à responsabilité limitée ; un vingtième des actionnaires (au lieu d'un dixième) peuvent demander dans les sociétés anonymes la convocation d'une assemblée spéciale par un mandataire désigné en justice à cet effet.

* 46 Article 14 de la proposition de loi.

* 47 Article 16 de la proposition de loi.

* 48 Article 16 de la proposition de loi.

* 49 Article 15 de la proposition de loi.

* 50 Selon l'article R. 225-95 du code de commerce, la feuille de présence doit mentionner les nom, prénom usuel, domicile, nombre d'actions et nombre de voix de chaque actionnaire présent ou représenté et de chaque mandataire.

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