B. D'AUTRES MESURES CONCERNANT LE DROIT DES AFFAIRES

1. Des dispositions contestables

L' article 4 ouvre une brèche, certes au profit des petites et moyennes entreprises (PME) 51 ( * ) , dans l'interdiction faite aux administrateurs d'une société qui n'en sont pas préalablement les salariés de souscrire un contrat de travail avec la société dont ils sont administrateurs. Une telle facilité pour les salariés qui sont nommés administrateurs est déjà discutable, raison pour laquelle le code de commerce prévoit d'ailleurs que le contrat de travail doit correspondre à un emploi effectif 52 ( * ) et que le nombre des administrateurs titulaires d'un contrat de travail ne peut dépasser le tiers de l'effectif du conseil, conditions bien modestes selon votre rapporteur. Le cumul entre un mandat social et un contrat de travail constitue en effet un conflit d'intérêts manifeste et ne permet pas à l'administrateur d'exercer son mandat en toute objectivité et sérénité.

À cet égard, votre rapporteur relève que le code de gouvernement d'entreprise élaboré par l'Association française des entreprises privées (AFEP) et le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) 53 ( * ) préconise, « lorsqu'un dirigeant devient mandataire social de l'entreprise, de mettre fin au contrat de travail qui le lie à la société ou à une société du groupe, soit par rupture conventionnelle, soit par démission ». Cette recommandation est plus stricte que le code de commerce et votre rapporteur l'approuve pleinement. Dans ces conditions, il serait particulièrement singulier d'autoriser les administrateurs d'une société anonyme de la taille d'une PME d'en devenir les salariés, sous prétexte de rendre son conseil d'administration plus attractif en offrant la faculté de verser un complément de rémunération sous forme de salaire, quand bien même ce contrat de travail devrait correspondre à un emploi effectif.

En outre, cette faculté concernerait toutes les sociétés, y compris les sociétés cotées. Selon votre rapporteur, une fois ouverte, cette brèche dans le droit des sociétés, qui en fragiliserait nécessairement la cohérence, risquerait à terme d'être étendue à toutes les sociétés quelle que soit leur taille.

Pour les sociétés en nom collectif, les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés par actions, l' article 7 supprime l'obligation de déposer en double exemplaire les comptes annuels au registre du commerce et des sociétés et permet leur dépôt par voie électronique. Il supprime également toute obligation de dépôt du rapport de gestion, sauf pour les sociétés cotées. La suppression du deuxième exemplaire constitue une réelle simplification 54 ( * ) , de même que la faculté de déposer par voie électronique. Sur ce second point, votre rapporteur estime cependant que rien ne justifie l'allongement à deux mois du délai de dépôt fixé en principe à un mois après l'approbation des comptes annuels, sous prétexte de l'utilisation de la voie électronique.

Votre rapporteur désapprouve la suppression du dépôt du rapport de gestion. Propre aux sociétés commerciales 55 ( * ) , le rapport de gestion accompagne les comptes annuels. Présenté à l'assemblée des actionnaires ou des associés, il « expose la situation de la société durant l'exercice écoulé, son évolution prévisible, les événements importants survenus entre la date de la clôture de l'exercice et la date à laquelle il est établi ». Le rapport de gestion contribue ainsi à la transparence de la vie des affaires. Par exemple, les informations figurant dans le rapport de gestion peuvent être utiles pour le tribunal de commerce aux fins d'exercice de ses compétences en matière de prévention des difficultés des entreprises, telles qu'elles sont prévues au livre VI du code de commerce. Sous prétexte de simplification des formalités pesant sur les entreprises, on prive ainsi les tribunaux de commerce d'un moyen précieux d'information qu'ils peuvent utiliser dans l'intérêt même des entreprises. De manière générale, on supprime toute forme de publicité légale pour le rapport de gestion et la faculté pour toute personne de demander à le consulter, prévue par le texte, semble une compensation bien modeste. Dans ce cas, il ne s'agit pas d'une simplification pour les personnes souhaitant prendre connaissance du rapport de gestion, tout au contraire. Ainsi, même pour une très grande société, dès lors qu'elle ne serait pas cotée, le rapport de gestion ne recevrait plus aucune publicité légale.

L' article 10 revient sur les dispositions relatives à la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, introduites par la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement (loi dite « Grenelle 2 ») dans le code de commerce et selon lesquelles, dans les sociétés anonymes, le rapport du conseil d'administration ou du directoire présenté à l'assemblée générale des actionnaires doit comprendre, entre autres, « des informations sur la manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité ainsi que sur ses engagements sociétaux en faveur du développement durable et en faveur de la lutte contre les discriminations et de la promotion des diversités » 56 ( * ) . Un décret en Conseil d'État doit fixer la liste de ces informations sociales et environnementales, qui doivent faire l'objet d'une vérification par un organisme tiers indépendant, dont l'avis doit être transmis à l'assemblée des actionnaires. Ces obligations s'imposent aux sociétés cotées à compter de l'exercice 2011 ainsi qu'aux sociétés qui dépassent des seuils en total de bilan ou de chiffre d'affaires et de nombre de salariés fixés par décret en Conseil d'État à compter de l'exercice 2016. Les sociétés qui établissent des comptes consolidés sont tenues de consolider aussi ces informations sociales et environnementales.

Bien qu'un projet ait été soumis à consultation il y a plusieurs mois 57 ( * ) , le décret prévu n'est toujours pas paru, de sorte que l'obligation ne peut être remplie pour 2011. L'article 10 repousse donc l'application de ces obligations d'un an pour les sociétés cotées, c'est-à-dire à compter de l'exercice 2012. Votre rapporteur tient à souligner la responsabilité du Gouvernement dans ce retard de parution du décret.

En outre, l'article 10 prévoit deux listes d'informations au lieu d'une seule, selon que la société concernée est cotée ou non. Votre rapporteur estime que ce critère de distinction est injustifié au regard de l'objectif poursuivi. S'il est pertinent de prévoir des obligations d'information plus importantes pour les sociétés cotées lorsque sont en cause des informations de nature financière, en vue de mieux informer le marché, les épargnants et les investisseurs, cela n'a guère de sens pour des informations de nature sociale et environnementale, qui doivent pouvoir être aussi portées à la connaissance de la société civile, que la société soit cotée ou non. La responsabilité sociale et environnementale d'une société n'est en rien liée au fait qu'elle soit cotée ou non. Le fait qu'elle ne soit pas cotée ne justifie pas une moindre information du public. S'il fallait retenir un critère pour alléger ces obligations d'information, le seul pertinent serait celui de la taille, afin de soumettre les petites sociétés à des obligations moindres. En effet, il existe de petites sociétés cotées et de grandes sociétés non cotées. La responsabilité doit être plus importante pour les sociétés les plus grandes, c'est-à-dire celles dont l'impact social et environnemental est potentiellement le plus lourd.

Enfin, l'article 10 exonère les filiales et les sociétés contrôlées de l'obligation de publier des informations sociales et environnementales, dès lors que la société-mère présente ces informations de manière détaillée - alors qu'elle doit déjà les présenter de manière consolidée - pour toutes les filiales et sociétés contrôlées, sous réserve pour celles-ci d'indiquer dans leur rapport de gestion comment accéder à ces informations. Sur ce dernier point, si le rapport de gestion n'est plus déposé au registre du commerce et des sociétés, l'information ne sera guère accessible pour le public.

2. Des dispositions hétéroclites

Quelques dispositions ont particulièrement retenu l'attention de votre rapporteur parmi plusieurs dizaines d'articles relatifs au droit des affaires.

L' article 12 relève la part du capital susceptible d'être attribuée sous forme d'actions gratuites aux salariés dans les sociétés anonymes non cotées de la taille des petites et moyennes entreprises. Votre rapporteur s'interroge sur la pertinence de ce traitement différencié entre sociétés non cotées, qui est sans rapport avec l'objectif légitime de simplifier et d'alléger, lorsque c'est possible, les règles applicables aux entreprises les plus petites.

L' article 21 bis ajuste les règles d'information du marché établies par le code de commerce en cas de franchissement de seuils de participation dans le capital d'une société cotée, afin de mieux tenir compte des instruments financiers qui peuvent donner accès au capital ou aux droits de vote. Cette question a fait l'objet d'une proposition de loi déposée récemment par notre collègue Philippe Marini, qui avait retenu un dispositif quelque peu différent 58 ( * ) . Compte tenu des enjeux qu'il représente en matière de prise de participation et de prise de contrôle des sociétés françaises, cet article ne relève en rien de la logique de simplification et mérite toute l'attention du Parlement, à l'occasion de l'examen d'un texte spécifique.

Les articles 23 et 24 procèdent à un « toilettage » de plusieurs lois relatives aux sociétés coopératives ouvrières de production (SCOP) et aux sociétés coopératives d'intérêt collectif (SCIC).

L' article 25 reprend une disposition censurée au titre de la règle dite de l'« entonnoir », par le Conseil constitutionnel, dans la précédente loi de simplification 59 ( * ) et illustre les conséquences de la précipitation dans le travail législatif. En 2010, à la faveur de la discussion au Sénat du projet de loi de régulation bancaire et financière, a été instituée une procédure de sauvegarde financière accélérée, variante de la procédure de sauvegarde limitée aux seuls créanciers financiers. La création de cette procédure était particulièrement urgente. Selon les indications fournies à votre rapporteur, aucune sauvegarde financière accélérée n'aurait encore été ouverte. En effet, hâtivement conçu, le dispositif voté en 2010 ne permet pas de prendre en compte les holdings financières, compte tenu des seuils d'éligibilité à la sauvegarde financière accélérée, qui sont les mêmes que ceux de la sauvegarde avec comités de créanciers (vingt millions d'euros de chiffre d'affaires et 150 salariés). Les holdings financières ont en général peu de salariés et de chiffre d'affaires. Elles étaient pourtant les premières visées par cette nouvelle procédure, en raison de leurs engagements dans des opérations de rachat de sociétés par emprunt, sources de très lourd endettement (opérations dites de « leveraged buy-out » ou « LBO »). Il s'agit donc d'ajouter un critère de total de bilan, qui permet de prendre en compte les participations détenues. Pour correctement cibler ces sociétés, votre rapporteur estime qu'un second critère pourrait être ajouté : le fait que la société établisse des comptes consolidés.

L' article 27 bis vise à limiter aux seuls mineurs âgés de seize ans révolus la possibilité de créer et de gérer une entreprise individuelle. Or, à la demande insistante du Gouvernement, le Sénat avait accepté, à l'occasion de la discussion en 2010du projet de loi relatif à l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée et malgré des réticences de principe, les dispositions des articles 389-8 et 401 du code civil qui ouvraient aux mineurs, sans restriction, cette faculté. Là encore, il s'agit de revenir sur des dispositions votées hâtivement il y a peu et dont on s'aperçoit a posteriori qu'elles posent des difficultés, afin de corriger une malfaçon législative. Au demeurant, une telle disposition mériterait un sérieux contrôle de son application. Selon les informations fournies à votre rapporteur par le Gouvernement, il n'existerait que quelques dizaines de mineurs ayant créé des sociétés, dont certains ont à ce jour moins de seize ans.

L' article 49 bis A transpose une directive du 18 juin 2009 concernant les obligations comptables des sociétés qui établissent des comptes consolidés. Il convient de souligner que la même disposition a déjà été censurée à deux reprises en 2011 par le Conseil constitutionnel, pour des motifs de procédure, ce qui illustre bien les aberrations auxquelles peut conduire la démarche de simplification. Dans la décision sur la loi de simplification et d'amélioration de la qualité du droit 60 ( * ) , cette disposition a été censurée car elle avait été introduite en deuxième lecture sans relation directe avec une disposition restant en discussion. Dans la décision sur la loi relative à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles 61 ( * ) , cette disposition a été censurée comme « cavalier législatif ».

L' article 57 crée un fichier national automatisé des interdits de gérer, dont la gestion serait assurée par le conseil national des greffiers des tribunaux de commerce. Seraient recensées dans ce fichier les personnes à l'encontre desquelles a été prononcée la faillite personnelle ou l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler toute entreprise. Votre rapporteur en approuve le principe, permettant de ne pas procéder à l'immatriculation de sociétés par des déclarants frappés par une interdiction de gérer, d'autant que la tenue de ce fichier est une mission de service public qui ne donne lieu à aucune rémunération du conseil national ou des greffiers. Alors qu'il est aujourd'hui possible d'immatriculer une société dans la journée, trois mois environ sont nécessaires pour la radiation, compte tenu du délai d'appel de l'ordonnance qui prononce la radiation, délivrée par le juge commis à la surveillance du registre, ce qui laisse beaucoup de temps pour agir à une personne interdite de gérer. Dans ces conditions, il est particulièrement utile de pouvoir vérifier sans délai la capacité commerciale, avant toute immatriculation. Votre rapporteur s'interroge cependant sur les conditions de consultation du fichier ainsi que sur la liste des personnes habilitées à accéder aux informations qu'il contient. Le décret en Conseil d'État prévoyant les modalités de mise en oeuvre de ce fichier sera en tout état de cause soumis pour avis à la Commission nationale de l'informatique et des libertés.

Les articles 78 et 79 réforment le régime des annonces légales, tel qu'il résulte de la loi n° 55-4 du 4 janvier 1955 concernant les annonces judiciaires et légales. D'une part, une base de données numérique centralisée permettrait d'assurer la publicité des annonces légales, en complément de la parution dans une publication habilitée à recevoir ces annonces. D'autre part, seraient modifiées les règles de composition des commissions départementales chargées de l'élaboration des listes des publications habilitées à recevoir des annonces légales. Votre commission est sensible à l'importance des annonces légales dans les recettes et donc l'équilibre financier de la presse régionale et départementale, de sorte que l'obligation de publication des annonces légales contribue objectivement à l'existence de la presse locale et, plus largement, à l'objectif de pluralisme de la presse. Votre rapporteur estime cependant qu'il serait pertinent d'aller plus loin en termes de simplification, en substituant à ces commissions départementales relevant des préfets une unique commission nationale d'habilitation, qui serait également chargée de l'uniformisation des tarifs de publication sur l'ensemble du territoire national.


* 51 Au niveau communautaire comme au niveau national, les petites et moyennes entreprises sont définies par des seuils maxima de 250 salariés et 50 millions d'euros de chiffre d'affaires ou 43 millions d'euros de total de bilan.

* 52 La loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques avait prévu, en outre, que le contrat de travail devait être antérieur à la nomination d'au moins deux années. Cette disposition a été supprimée par la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier. La règle est en revanche plus souple pour les sociétés à directoire et conseil de surveillance puisque le critère d'antériorité du contrat de travail n'existe pas.

* 53 Le code AFEP-MEDEF est consultable à l'adresse suivante : http://www.code-afep-medef.com/

* 54 Le deuxième exemplaire est destiné à l'Institut national de la propriété industrielle (INPI), qui centralise le registre du commerce et des sociétés. La dématérialisation des relations entre les greffes des tribunaux de commerce et l'INPI rend ce deuxième exemplaire inutile.

* 55 Depuis 2009, les sociétés à responsabilité limitée à associé unique et les sociétés par actions simplifiées à associé unique sont dispensées de l'obligation d'établir un rapport de gestion, lorsqu'elles remplissent deux des trois critères suivants : total de bilan inférieur à un million d'euros, chiffre d'affaires inférieur à deux millions d'euros et effectifs salariés inférieurs à vingt.

* 56 La loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques avait prévu, pour les seules sociétés cotées, que le rapport devait comporter « des informations, dont la liste est fixée par décret en Conseil d'État, sur la manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité ».

* 57 Ce projet de décret en Conseil d'État est consultable à l'adresse suivante :

http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/2011_03_09_decret_RSE.pdf

* 58 Proposition de loi n° 695 (2010-2011) tendant à améliorer l'information du marché financier en matière de franchissements de seuils en droit boursier. Cette proposition de loi est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl10-695.html

* 59 Décision n° 2011-629 DC du 12 mai 2011.

* 60 Décision n° 2011-629 DC du 12 mai 2011.

* 61 Décision n° 2011-641 DC du 8 décembre 2011.

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