IV. LA MISE EN oeUVRE JURIDIQUE

Le 27 juillet 2011, le Conseil d'administration de la BERD a approuvé le principe d'une intervention de la banque selon les trois phases décrites dans le plan d'action conjoint élaboré lors du Sommet du G8 de Deauville. En conséquence, il a soumis au Conseil des gouverneurs trois projets de résolutions correspondant à chacune de ces phases :

• une première résolution a proposé de modifier l'article 1 er de l'Accord portant création de la BERD pour étendre son champ géographique d'intervention ;

• une deuxième a proposé la modification de l'article 18 de l'Accord pour permettre l'intervention anticipée par voie de « fonds spéciaux » ;

• enfin, une dernière résolution a validé l'interprétation de l'Accord permettant les interventions préliminaires restreintes dans la région.

Si les résolutions ont été adoptées par le Conseil des gouverneurs le 30 septembre 2011, les amendements au texte fondateur doivent être approuvés par les pays membres.

A. L'AMENDEMENT À L'ARTICLE 1ER DE L'ACCORD CONSTITUTIF

L'amendement proposé à l'article 1 er propose :

- d'une part d'étendre le périmètre géographique des opérations de la BERD, en ajoutant aux pays d'Europe centrale et orientale et à la Mongolie, « les pays membres de la partie méridionale et orientale du Bassin méditerranéen », sans plus de précision, étant entendu que ce périmètre inclut la Jordanie, qui avait exprimé son souhait d'être bénéficiaire des opérations de la banque et qui a été intégrée à la BERD fin décembre dernier, en même temps que la Tunisie. ;

- d'autre part, de formaliser les modalités d'acceptation d'un pays de ce périmètre comme pays d'opération par un « vote affirmatif des deux tiers au moins du nombre des gouverneurs, représentant au moins les trois quarts du nombre total des voix attribuées aux Membres ».

Les modifications proposées par l'amendement n'identifient pas nommément les possibles bénéficiaires des interventions de la BERD.

La définition de la zone géographique a fait l'objet de débats entre les membres partisans d'un périmètre large (pouvant, par exemple, inclure le Yémen), comme les États-Unis ou la Royaume-Uni, et les membres prônant une zone plus restreinte (rive sud de la Méditerranée), comme l'Union européenne, l'Allemagne, la Russie ou le Japon. Le compromis présenté par le Président de la BERD a finalement été accepté par l'ensemble des Gouverneurs comme un choix équilibré et réaliste au regard des capacités de la Banque. Cette définition recouvre « les pays ayant une rive sur la Méditerranée, ainsi que la Jordanie dont l'intégration est grande ». Il faut, par conséquent, entendre que pourraient théoriquement être concernés dans le futur, outre les quatre pays -Maroc, Tunisie, Égypte et Jordanie--, d'ores et déjà membres, les autres riverains de la Méditerranée, à savoir l'Algérie, la Libye et la Syrie et pourquoi pas le Liban, Israël (qui est d'ores et déjà membre actionnaire de la BERD) et, le cas échéant, l'Autorité palestinienne si celle-ci est assimilée à un pays bien que n'ayant pas formellement le statut d'État reconnu par l'ONU, voire la Mauritanie, pas plus riveraine que la Méditerranée que la Jordanie, mais, comme elle, membre de l'Union pour la Méditerranée 8 ( * ) .Il serait d'abord nécessaire qu'ils deviennent membres. La France n'a pas d'objection de principe à une intégration ultérieure d'autres pays de la zone, à condition qu'il y ait bien sûr un besoin identifié et que ces pays remplissent les critères énoncés à l'article 1 er .

Votre rapporteur comprend que le bénéfice des dispositions de l'Accord doit pouvoir être rapidement mis en oeuvre au profit d'un nouvel État de la région entrant en transition démocratique. Il craint toutefois que l'imprécision de la rédaction entraîne des difficultés le jour où certains États actuels ou à créer dans cette zone marquée par des conflits sérieux demanderont à adhérer ou à bénéficier du statut de pays d'opération.

Néanmoins, les conditions de double majorité offrent aux principaux actionnaires, que sont les États membres de l'Union européenne et les membres du G8, la capacité de régler ces difficultés éventuelles au sein du Conseil des gouverneurs, à un niveau politique approprié, les titulaires étant, dans la plupart des cas, les ministres de l'économie et des finances des pays membres.

Les voix sont réparties en fonction de la participation des membres au capital de la Banque. La France détient 8,6 % des voix, ce qui en fait le deuxième actionnaire de la Banque, à égalité avec l'Allemagne, l'Italie, le Royaume-Uni et le Japon. Le tableau ci-dessous liste les principaux actionnaires et leur poids respectif :

Membres

Droits de vote en %

États-Unis

10,1

Allemagne

8,6

France

8,6

Italie

8,6

Japon

8,6

Royaume-Uni

8,6

Russie

4

Canada

3,4

Espagne

3,4

BEI

3

Union européenne

3

Source MAEE

En d'autres termes, l'élargissement du périmètre d'intervention de la BERD n'entraîne pas l'acceptation automatique des pays concernés comme pays d'opération : toute candidature restera soumise à une approbation spécifique par le Conseil des gouverneurs, sur la base d'un examen détaillé du Conseil d'administration visant à vérifier que ces pays respectent et s'engagent à mettre en pratique « les principes de la démocratie pluraliste, du pluralisme et de l'économie de marché » selon les termes de ce même article 1 er .

Il convient également de préciser que l'article 8 de l'Accord insiste sur le fait que les États bénéficiaires doivent procéder « à une transition résolue vers l'économie de marché », participer « à la promotion de l'initiative privée et de l'esprit d'entreprise et appliquer, grâce à des mesures concrètes ou autres moyens les principes énoncés à l'article 1 er » 9 ( * ) . Autant d'éléments que le Conseil d'administration examine pour éventuellement suspendre ou modifier l'accès aux ressources de la banque d'un État qui « mettrait en oeuvre une politique incompatible avec l'article 1 er ».

Selon le rapport annuel de la BERD, dans les pays où l'application des principes de l'article 1 er est préoccupante, la Banque a adopté une « approche stratégique graduée » qui lui permet « d'ajuster sa portée opérationnelle de manière mesurée et progressive en fonction de la situation économique et politique. Par exemple, en Biélorussie et au Turkménistan, la Banque surveille un ensemble de paramètres économiques et politiques et s'implique activement dans un dialogue de haut niveau avec les autorités pour promouvoir les réformes démocratiques et l'économie de marché » 10 ( * ) . Des mesures de limitation des engagements peuvent être décidées, notamment lorsqu'il s'agit de soutenir des projets gouvernementaux ou d'entreprises liés au pouvoir en place, comme cela a été décidé à l'encontre de l'Ouzbékistan à une date récente 11 ( * ) . Aucun pays n'a, à ce jour, été suspendu par la Banque au motif qu'il ne respectait pas l'article 1 er . L'interruption de tout engagement est une mesure extrême et non nécessairement pertinente, car le soutien à des entreprises privées, créatrices de services à la population et d'emploi, peut aussi être un moyen de diminuer la dépendance à l'égard de l'économie contrôlée par l'État défaillant et de préserver une part d'autonomie de la société civile.

Ainsi que le souligne l'exposé des motifs du projet de loi, l'amendement proposé précise ainsi dans le corps de l'article les modalités de cette approbation, reprenant les principes appliqués par le passé sans base juridique.

S'agissant d'un amendement portant sur l'objet et les missions de la banque, l'unanimité des membres est requise pour son entrée en vigueur, aux termes de l'article 56 de l'Accord.


* 8 L'Union pour la Méditerranée participe au volet politique du Partenariat de Deauville au même titre que l'Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE), l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) et le Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD).

* 9 Tous les trois ans, la BERD redéfinit sa stratégie d'intervention dans les pays d'opération.

* 10 Rapport annuel 2010 de la BERD p.59

* 11 Si le montant des engagements cumulés de 1991 à 2010 en direction de l'Ouzbékistan s'élève à 743 millions d'euros, soit une moyenne annuelle de l'ordre de 37 millions, on notera leur baisse sensible en 2009 (16 millions) et plus encore en 2010 (4 millions).

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