EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs

Longtemps absent de la réflexion sur les institutions françaises, le cumul des mandats locaux et nationaux puis européens s'est progressivement imposé comme un objet de débat public au sein de la société française. Enraciné dans l'histoire politique de la France, il reste une pratique courante dans les limites désormais des règles posées, à double reprise, par le législateur en 1985 et en 2000. Il demeure ainsi une des « trois caractéristiques du système parlementaire français » 1 ( * ) que Michel Debré pointait dans un article 2 ( * ) de 1955.

La critique du cumul des mandats s'est pourtant développée ces dernières années au point que, selon la formule de M. Marc Abélès, « l'opinion glisse sans nuance de l'image du cumulant à celle du cumulard » 3 ( * ) . Dans cette perspective, la commission sur la rénovation et la déontologie de la vie publique, présidée par l'ancien Premier ministre Lionel Jospin, concluait ainsi en 2012 que « notre pays doit (...) rompre avec sa vieille habitude du cumul des mandats », jugeant que cette réforme symbolique relevait d'une « ardente obligation » dans le sens de la rénovation de la vie publique. Reste que ce point de vue n'est pas unanimement partagé et que le bien-fondé même d'une incompatibilité entre mandat local et mandat parlementaire fait toujours débat, notamment au sein de notre assemblée.

Dans ce contexte, le Gouvernement a déposé le 3 avril 2013 un projet de loi organique et un projet de loi visant à fixer une interdiction de cumul des fonctions exécutives locales et d'un mandat parlementaire national ou européen que l'Assemblée nationale, après avoir renforcé la logique de la réforme proposée, a adoptés le 9 juillet 2013 à la majorité absolue de ses membres. Notre assemblée est ainsi appelée à se prononcer sur les deux textes qui lui sont transmis.

I. LE CUMUL DES MANDATS ÉLECTORAUX ET DES FONCTIONS EXÉCUTIVES : UNE PRATIQUE CONSTANTE ET TRADITIONNELLE EN FRANCE

A. UNE PRATIQUE ENRACINÉE DANS L'HISTOIRE POLITIQUE FRANÇAISE

La pratique du cumul des mandats peut trouver plusieurs explications historiques tant la détention d'un mandat parlementaire et d'un mandat local est longtemps apparue comme complémentaire.

Dans son article de 1955, Michel Debré relevait alors que, sous la III ème République, « la droite, dont les positions locales étaient bonnes, et dont un grand nombre de membres étaient conseillers municipaux ou généraux, devait trouver le cumul chose naturelle et même souhaiter son extension afin de réserver l'avenir, cependant que la gauche républicaine n'insistait pas sur l'application d'un principe de « non-cumul » dont l'importance échappait à beaucoup, et qui paraissait moins nécessaire à mesure que les républicains eux-mêmes s'installaient en province » 4 ( * ) .

L'absence de règles limitant le cumul des mandats était d'autant plus logique qu'existait alors dans la doctrine la distinction entre les élections « politiques », au niveau national puisque les parlementaires participaient à l'expression de la souveraineté nationale, et les élections « administratives » puisque l'élu local n'avait vocation qu'à administrer au plan local sans réelle autonomie à l'égard du pouvoir central. En effet, le cumul des mandats était largement admis comme une conséquence du degré avancé de centralisation du pays dans l'histoire nationale. Dans cette configuration, l'exercice d'un mandat parlementaire était alors pour le conseiller général un moyen de disposer de plus de pouvoir à l'égard du représentant du pouvoir central, le préfet. Comme le résumait Michel Debré, « dès lors, quand, maire d'une ville ou administrateur élu d'un département, on ne veut ni ne peut se révolter contre le pouvoir central, il faut tenter de pénétrer à l'intérieur des mécanismes qui font, à Paris, le gouvernement et l'administration du pays » 5 ( * ) .

Ainsi, tout en soulignant « l'ancienneté du phénomène », M. Guillaume Marrel, maître de conférences en sciences politiques, relève « sa croissance et sa stabilisation sous la Troisième République, puis sa reconstruction sous la Quatrième République », la V ème République montrant à cet égard « une systématisation du cumul » 6 ( * ) .

Enfin, le cumul d'un mandat parlementaire avec des fonctions locales a longtemps été un moyen pour les élus de disposer d'un « statut »
- protection, moyens humains et financiers, etc. - qui n'existait alors que pour les parlementaires. Le mandat de député ou de sénateur était ainsi la garantie pour un élu de percevoir une indemnité inexistante au niveau local en raison du principe de gratuité des fonctions électives locales. Ce point met en évidence le lien généralement souligné entre la question du cumul des mandats et celle du statut de l'élu qui devrait résulter de la plus forte restriction des possibilités de cumul.


* 1 Au côté du cumul des mandats, Michel Debré considérait comme les deux autres caractéristiques du système parlementaire français, la multiplicité des commissions permanentes et le vote des absents par procuration implicite.

* 2 Michel Debré, Trois caractéristiques du système parlementaire français, revue française de science politique n° 1, 1955, p. 21-48.

* 3 Marc Abélès, Une donnée stable de la culture politique française, Le débat n° 172, 2012, p. 27-32.

* 4 Michel Debré, Trois caractéristiques du système parlementaire français, précité.

* 5 Michel Debré, Trois caractéristiques du système parlementaire français, précité.

* 6 Guillaume Marrel, L'institutionnalisation républicaine du système des cumuls. Jalons pour une socio-histoire du cumul des mandats électifs (1830-1958), Colloque du groupe d'études sur la vie et les institutions parlementaires (GEVIPAR), 2010.

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