B. UNE SINGULARITÉ FRANÇAISE ?

Si la France ne déroge pas à l'interdiction de cumul entre deux mandats nationaux qui est largement partagée dans les régimes démocratiques, elle se singularise davantage sur la question du cumul des mandats nationaux et locaux. Souvent qualifiée de singularité française voire d'exception nationale, cette situation est une indéniable constante de la vie politique française.

Ce constat ne répond comme le souligne M. Julien Boudon, professeur de droit public, à aucune donnée institutionnelle prédéterminée qui expliquerait cette situation, une comparaison internationale lui permettant même d'affirmer que la pratique du cumul des mandats n'est fonction ni du type de régime politique, ni de la composition de l'échiquier politique, ni de la forme de l'État. À titre d'exemple, un État aussi unitaire et récemment décentralisé que le Royaume-Uni ignore quasiment le cumul des mandats, là où la France connaît de manière continue une pratique de cumul des mandats depuis la seconde moitié du XIX ème siècle.

Par comparaison, les chambres basses des principaux pays européens comptent moins de membres détenant parallèlement un mandat local qu'en France. Alors que plus de 80 % des parlementaires français détiennent un mandat local, cette proportion s'établit à 24 % au Bundestag en Allemagne, 20 % au Congrès des députés en Espagne, 7 % à la chambre des députés en Italie ou 3 % à la chambre des communes au Royaume-Uni.

Une situation de « non-cumul » peut résulter d'une habitude politique rendant inutile toute règle de « non-cumul » ; tel est le cas du Royaume-Uni qui connaît une règle de fait séparant les carrières nationales et locales, ce que M. Jacques Leruez qualifie de « tradition très enracinée » pour ne pas dire « une sorte de déontologie de la culture politique » 7 ( * ) . Toutefois, selon une étude de législation comparée effectuée en juillet 2012 par la direction des délégations et de l'initiative parlementaire du Sénat 8 ( * ) , cette situation, à l'instar des Pays-Bas, fait figure d'exception.

Ainsi, l'article 65 de la Constitution italienne renvoyant le soin à la loi de fixer les incompatibilités avec les mandats de député ou de sénateur, un décret législatif interdit le cumul entre un mandat de parlementaire et la présidence de l'exécutif d'une province ou un mandat de maire pour les communes de plus de 20 000 habitants et, à partir de 2014, 5 000 habitants. Plus directement, l'article 67 de la Constitution espagnole prohibe le cumul du mandat de député et de la qualité de membre d'une assemblée d'une communauté autonome.

Par ailleurs, s'agissant plus spécifiquement du mandat de représentant au Parlement européen, sept pays de l'Union européenne interdisent actuellement le cumul de ce mandat avec un autre mandat local.

PARLEMENTAIRES EXERÇANT UNE FONCTION EXÉCUTIVE AU SEIN D'UNE COLLECTIVITÉ TERRITORIALE OU D'UN EPCI À FISCALITÉ PROPRE

Députés

Sénateurs

Total

Effectifs totaux

575

348

923

N'exerçant aucun mandat local

105

84

189

Au sein des communes :

Maires

240

123

363

Premiers adjoints au maire

32

24

56

Au sein des EPCI à fiscalité propre :

Présidents d'un EPCI

96

52

148

Vice-présidents d'un EPCI

89

54

143

Au sein des conseils généraux :

Présidents de conseil général

11

34

45

Vice-présidents de conseil général

35

16

51

Au sein des conseils régionaux :

Présidents de conseil régional

4

4

8

Vice-présidents de conseil régional

17

5

22

Total des fonctions exécutives
exercées par les parlementaires

524

312

836

Source : rapport de l'Assemblée nationale, n° 1173-1174 du 26 juin 2013.

Cependant, comme tend à le démontrer M. Julien Boudon, une absence de cumul des mandats ou, du moins, une pratique plus limitée résulte généralement moins d'un « tabou culturel » que d'un encadrement juridique de cette pratique. Cet encadrement résulte généralement de dispositions législatives mais ont également, pu être forgées, comme aux États-Unis, par la jurisprudence.

En résumé, comme le souligne le rapporteur de l'Assemblée nationale, « s'il y a bien une spécificité française, celle-ci réside non pas dans l'existence même du cumul des mandats mais dans l'intensité de ce phénomène, la France étant le seul État dans lequel huit députés sur dix disposent d'un mandat local, là où, ailleurs, cette proportion n'excède pas 20 % ».


* 7 Jacques Leruez, Le système politique britannique. De Winston Churchill à Tony Blair, Armand Colin, 2001, p. 42.

* 8 Étude de législation comparée n° 228, juillet 2012, Le cumul des mandats électoraux et des fonctions électives. Cette étude est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/lc/lc228/lc228.html

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