LA POSITION DE VOTRE COMMISSION.

DÉFINIR STRICTEMENT LE CHAMP DU BREVET ET PRIVILÉGIER LE CERTIFICAT D'OBTENTION VÉGÉTALE.

Votre rapporteur exprime tout d'abord son plein accord l'idée de préserver le COV comme instrument prioritaire de la protection de la propriété intellectuelle sur les végétaux, rejetant le système du brevet, qui est moins adapté aux plantes.

La proposition laisse ouverte la possibilité de breveter les inventions biotechnologiques, comme la CBE et la directive de juillet 1998 l'autorisent. Mais il s'agit d'organiser une coexistence plus harmonieuse entre les deux systèmes, préservant la logique du COV.

De ce point de vue, la recommandation précitée du CEES du HCB propose plusieurs pistes pour lutter contre une place trop large faite au brevet dans le processus d'appropriation du vivant.

Votre commission a adopté un amendement de M. Gérard Le Cam proposant une formulation générale rappelant que les plantes issues de la sélection génétique traditionnelle ne doivent pas pouvoir être brevetées. Il s'agit là d'un rappel de la philosophie générale du droit de la propriété intellectuelle sur le vivant absolument indispensable.

EXTRAIT DES RECOMMANDATIONS DU HCB

Soucieux de préserver une innovation diversifiée, le CEES suggère les 5 évolutions suivantes :

- Accès à l'information sur les brevets.

Face au manque d'information, le CEES a mesuré les inconvénients du statu quo, qui consisterait à laisser les sélectionneurs rechercher les informations pertinentes, ce pour quoi ils n'ont aujourd'hui guère de temps et de moyens. Tout comme les auteurs du rapport « Semences et agriculture durable », le CEES estime préférable que les sélectionneurs aient accès de façon précoce à l'information pertinente sur les brevets déposés et délivrés, afin de pouvoir vérifier si les éléments brevetés sont présents dans le matériel végétal qu'ils manipulent ou produisent et, ce faisant, de déterminer leur « liberté d'exploitation ». Le CEES propose ainsi : 1. que l'information soit accessible via une base de données rendues publiques et comportant, pour chaque variété mise sur le marché, le lien avec les brevets s'y rapportant ; 2. qu'il revienne aux professionnels titulaires des brevets d'informer ainsi les sélectionneurs (et les agriculteurs). Le CEES constate les avancées entreprises en ce sens par l'European Seed Association (ESA) et par l'Union française des semenciers (UFS) ; 3. afin de garantir l'efficacité de ce dispositif, le CEES estime que l'absence d'une telle information devrait être sanctionnée par l'irrecevabilité de l'action en contrefaçon que ce dernier entendra éventuellement mettre en oeuvre (l'idée étant qu'il n'a pas informé, il ne peut agir en contrefaçon).

- Retour aux exigences du droit commun des brevets.

La propriété intellectuelle étant une exception au principe de liberté d'entreprise (et, du même coup, à la libre copie), les membres du CEES rappellent que ne doivent être brevetables que les inventions, lorsqu'elles sont décrites de manière complète et compréhensible, et lorsqu'elles satisfont strictement les conditions de brevetabilité , en particulier la nouveauté et l'activité inventive (cette dernière notion devant s'entendre comme la non-évidence pour l'homme du métier, et donc être appréciée en fonction des connaissances disponibles et non simplement des difficultés techniques surmontées). Doivent enfin être proscrites les revendications trop larges et poursuivi le mouvement que l'OEB semble avoir commencé à engager dans ce sens.

- Approche stricte de la brevetabilité des procédés.

Le CEES insiste sur l'importance de ne breveter les procédés que lorsque l'intervention humaine a un impact déterminant sur l'objet obtenu et lorsque le procédé intervient directement au niveau du génome (à condition que le titulaire du brevet, en cas d'action en contrefaçon, puisse prouver que c'est bien le procédé breveté qui a été utilisé et non un autre). L'OEB devrait maintenir ce cap tracé dans les décisions Brocoli et Tomate ridée, de sorte que ne soit pas contournée l'exclusion des procédés essentiellement biologiques.

- Approche stricte de la brevetabilité des produits.

S'agissant de la brevetabilité des produits issus des biotechnologies végétales, le CEES a débattu des scénarios suivants, actuellement envisagés dans différentes enceintes :

1. Introduire une pleine exception de sélection en droit des brevets, de sorte qu'à l'instar du COV, les sélectionneurs puissent utiliser librement le matériel breveté à des fins de sélection et de commercialisation d'une nouvelle variété (l'étendue du monopole sur les procédés restant quant à elle inchangée). Cette proposition formulée par un récent rapport hollandais serait de nature à maintenir un large accès aux ressources génétiques. Mais elle requiert de lourdes modifications textuelles ; elle est par ailleurs de nature à rendre purement et simplement inopérants, et donc sans valeur, les brevets sur les produits, puisque deviendrait gratuitement exploitable non pas le matériel génétique à la base de l'innovation (cas du COV, l'innovation elle-même restant le monopole de son titulaire), mais l'innovation elle-même. Certains doutent par ailleurs de la pertinence économique de cette proposition lorsque le brevet porte sur un OGM pour lequel le breveté doit supporter d'importants coûts d'autorisation de mise sur le marché.

2. Restreindre la sphère du brevetable en excluant de la brevetabilité :

- a. Les plantes issues de procédés essentiellement biologiques (même si ces plantes ne constituent pas des variétés végétales au sens de l'UPOV, variétés instables, espèces etc...).

- b. L'ensemble des gènes, y compris lorsqu'il s'agit de gènes isolés dont la structure et la fonction ont été modifiés ; les acteurs défendant ce scénario estiment que la brevetabilité des gènes est fondamentalement choquante, car la reconnaître signifie s'approprier la connaissance même, sans avoir « inventé » à proprement parler (au point que certains membres du CEES font le lien entre la colonisation de nouveaux territoires dès le XVIème siècle et l'appropriation du vivant par les multinationales). Dans ce contexte, observent-ils, les gènes devraient relever du patrimoine commun de l'humanité et donc échapper à toute protection par brevet, de sorte que soit respectée l'une des exigences fondamentales de la recherche, à savoir la libre circulation des connaissances. Cette voie requiert toutefois des modifications textuelles lourdes et politiquement extrêmement difficiles à mettre en oeuvre à l'échelle internationale. Elle risque par ailleurs d'entraîner une rupture de concurrence entre les nouveaux demandeurs et ceux qui sont déjà détenteurs de brevets sur des gènes.

- c. les gènes (allèles) et caractères natifs. Ne serait pas brevetable un gène qui existe dans une espèce vivante ou toute forme mutante ou allélique d'un gène qui peut être obtenue par l'effet de mutations spontanées ou provoquées par mutagenèse physique (rayonnement) ou chimique (agents mutagènes). Seuls échapperaient à l'exclusion les gènes résultant d'une activité d'ingénierie moléculaire, qui ne sont pas la copie d'un gène de la catégorie précédente et dont l'obtention par mutagenèse est improbable dans le cadre des activités de la sélection semencière.

Après avoir apprécié la plus ou moins grande pertinence de ces scénarios :

- la plupart des membres du CEES recommandent d'exclure de la brevetabilité l'ensemble des gènes, y compris lorsqu'ils ont été modifiés en laboratoire (seul scénario techniquement réalisable d'après eux, même s'il impose de lourdes modifications des textes) ;

- à défaut (c'est-à-dire si cette première recommandation n'était pas possible à mettre en oeuvre) : ils soutiennent la proposition d'introduire une pleine exception de sélection en droit des brevets ; ils estiment de toute façon nécessaire d'exclure de la brevetabilité les gènes (allèles) et caractères natifs ainsi que les plantes issues de procédés essentiellement biologiques ; ils invitent la Grande Chambre de recours de l'OEB, appelée à se prononcer sur la brevetabilité de ces plantes, à répondre par la négative. Tous les membres du CEES soutiennent cette solution a minima.

V. - Modification des textes pertinents en matière de contrefaçon.

Enfin, par souci de justice, en cas de dépendance à l'égard de brevets déjà délivrés (sachant que la recommandation première du CEES reste que les gènes natifs soient désormais exclus de la brevetabilité), le CEES considère que les textes relatifs à la contrefaçon devraient être modifiés :

1. Sur les conditions de poursuite pour contrefaçon : sans préjudice du 2, les actes réalisés par le sélectionneur ou l'agriculteur sélectionneur avant la délivrance effective de l'information, ne devraient pouvoir donner lieu à poursuite pour contrefaçon; en conséquence, la recevabilité de l'action en contrefaçon devrait être subordonnée à l'information préalable du sélectionneur ou de l'agriculteur-sélectionneur par le breveté, ses licenciés, sous-licenciés, distributeurs (l'idée étant qu'en paralysant ainsi son droit d'action, le breveté sera incité à informer le plus tôt possible)

2. Sur le fond

- le sélectionneur ou l'agriculteur sélectionneur devrait être reconnu contrefacteur s'il est établi (la charge de la preuve incombant au titulaire du brevet) qu'il a exploité sciemment un élément breveté (cas où l'information avait été placée d'emblée sur la base de données ou elle avait été acquise par le sélectionneur par un autre moyen) ;

- le sélectionneur ou l'agriculteur sélectionneur ne devrait pas être reconnu contrefacteur lorsque la variété a été développée et exploitée dans l'ignorance du ou des éléments brevetés (par exemple lorsque l'information n'a pas été placée ou a été placée tardivement sur la base de données); il devrait alors pouvoir : se prévaloir d'une « possession personnelle antérieure » à la délivrance du brevet, en faisant la démonstration de ce qu'il « possédait » l'invention antérieurement, ce qui lui permettrait de continuer à exploiter cette dernière à titre personnel (sans toutefois pouvoir donner de licence d'exploitation) ; voire purement et simplement poursuivre librement l'exploitation entière de sa variété, à condition qu'il n'excipe pas de la caractéristique conférée par l'élément breveté dès lors que cette caractéristique est nouvelle et non « native ».

REDÉFINIR LES CONTOURS DE LA NOTION DE CONTREFAÇON CONCERNANT LES VÉGÉTAUX.

Le respect du droit de la propriété intellectuelle nécessite un dispositif de sanction des violations de ce droit.

Toute atteinte aux droits du propriétaire du brevet ou du COV est qualifiée de contrefaçon , qui se manifeste le plus souvent au moment de la commercialisation d'un bien ou service par le contrefacteur.

La contrefaçon peut concerner les entreprises qui commercialisent des semences, qui violeraient soit un COV soit un brevet. Mais elle peut aussi concerner des agriculteurs, l'étendue de la protection juridique offerte par le droit de la propriété intellectuelle allant jusqu'aux produits réalisés à l'aide de matériels couverts par le COV ou le brevet.

Or, les incertitudes croissantes concernant les droits de propriété intellectuelle sur les semences peuvent conduire des personnes de bonne foi à être qualifiés comme tels.

C'est pourquoi votre commission a souhaité que la contrefaçon concernant les plantes soit définie de manière circonscrite . Votre rapporteure a donc présenté un amendement réclamant une remise à plat de la notion de contrefaçon, pour ne pénaliser ni les obtenteurs ni les agriculteurs de bonne foi. Votre commission a également adopté un amendement rédactionnel de M. Joel Labbé, ainsi que deux amendements du même auteur précisant que l'information sur les brevets existants doit être disponible pour les sélectionneurs mais aussi pour les agriculteurs, concernés au premier chef.

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Réunie le 8 janvier 2013, sous la présidence de Daniel Raoul, la commission a adopté la proposition de résolution européenne dans la rédaction reproduite ci-après.

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