EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Votre commission est saisie, en première lecture, du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme, déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 9 juillet 2014 et transmis au Sénat le 18 septembre 2014.

Le dépôt de ce projet de loi s'inscrit dans une action menée par le Gouvernement en deux volets pour lutter contre le terrorisme.

En premier lieu, le plan de lutte contre la radicalisation violente et les filières terroristes a été présenté le 23 avril 2014 en conseil des ministres. Il comprend notamment des mesures de prévention destinées à repérer et empêcher certaines personnes de se rendre sur les théâtres d'opérations de groupe terroristes, en particulier en Syrie.

En second lieu, le présent projet de loi comprend une série de dispositions visant à adapter l'action des pouvoirs publics - services de la lutte anti-terroriste et autorité judiciaire - aux nouvelles formes prises par le terrorisme. Il s'agit notamment de prévenir et de sanctionner les départs à l'étranger ayant pour but de participer à des activités terroristes, de pouvoir réprimer pénalement la préparation d'actes terroristes par des individus isolés, de doter l'autorité administrative de nouveaux instruments pour entraver l'apologie et la provocation au terrorisme, en particulier sur des sites internet et sur des réseaux sociaux, de mettre à niveau les moyens des services enquêteurs en matière de nouvelles technologies.

Au cours de leurs travaux, vos rapporteurs ont entendu de nombreuses personnes engagées dans la lutte anti-terroriste, fonctionnaires de police ou magistrats, ainsi que des spécialistes de la question. Ces auditions leur ont permis de faire le point sur l'efficacité de notre dispositif administratif et pénal de lutte contre le terrorisme, moins de deux ans après l'adoption de la loi du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, et les ont convaincus de la nécessité d'apporter certaines modifications à ce dispositif.

Ces modifications sont d'ailleurs d'ampleur limitée tant notre législation, dont les deux pivots sont, d'un point de vue procédural, la compétence concurrente de la juridiction de Paris et, sur le fond, l'incrimination d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, est construite sur des bases solides.

Après les améliorations apportées par l'Assemblée nationale, votre commission a toutefois effectué des modifications supplémentaires afin de renforcer un dispositif qui, d'une part, confère à l'autorité administrative des prérogatives proportionnées au danger que fait courir le terrorisme à la sécurité publique, d'autre part, permet la répression judiciaire en respectant les principes de légalité et de nécessité des peines.

I. UNE MENACE TERRORISTE QUI PREND DE NOUVELLES FORMES

La France dispose d'une législation anti-terroriste progressivement élaborée depuis une trentaine d'années et qui a fait la preuve de son efficacité (A). Toutefois, les évolutions récentes - et en grande partie inédites - de la menace terroriste conduisent le Gouvernement à proposer un nouvel ajustement de cette législation (B).

A. UNE LÉGISLATION ANTI-TERRORISTE PROGRESSIVEMENT MISE EN PLACE DEPUIS 1986 EN RÉACTION AUX ACTES TERRORISTES PERPÉTRÉS SUR LE TERRITOIRE NATIONAL

La prise en compte spécifique par le législateur des faits de terrorisme a débuté par le vote de la loi n°86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme et aux atteintes à la sûreté de l'État . Adoptée à la suite d'une série d'attentats intervenus en 1985 et 1986 à Paris, cette loi définissait l'intention terroriste comme « une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ». Cette intention devait s'ajouter à certains crimes et délits déjà prévus par le code pénal pour constituer les infractions terroristes.

La même loi prévoyait, parallèlement aux règles de compétence de droit commun des juridictions locales, la compétence concurrente nationale des juridictions pénales parisiennes en matière de terrorisme avec des magistrats spécialisés (juges d'instruction, tribunal correctionnel, cour d'assises et cour d'appel), la possibilité de prolonger la garde à vue de 48 heures et d'effectuer des perquisitions, visites domiciliaires et saisies de pièces à conviction sans l'assentiment de la personne chez laquelle elles ont lieu. Par la suite, le nouveau code pénal a repris dans son article 421-1 le principe d'une série d'infractions de droit commun (atteintes aux personnes, aux biens, blanchiment, etc.) qui deviennent terroristes dès lors que l'intention terroriste leur est associée.

S'y sont ensuite ajoutées des infractions terroristes définies de manière autonome : l'acte dit de « terrorisme écologique » prévu par l'article 421-2 ainsi que le délit de financement d'une entreprise terroriste prévu par l'article 421-2-2. Surtout, faisant suite aux attentats terroristes commis sur le sol français pendant l'été 1995, la loi du 22 juillet 1996 1 ( * ) a instauré la répression de l'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste , considérée en elle-même comme un acte de terrorisme 2 ( * ) . Cette infraction est largement utilisée dans la mesure où elle permet à l'autorité judiciaire de connaître de la préparation des actes terroristes , avant même, par conséquent, que de tels actes soient commis.

Les règles procédurales en matière de terrorisme ont également évolué. Outre la centralisation dans les juridictions parisiennes déjà citée, qui constitue la dimension la plus importante de cette spécificité procédurale, la durée de la garde à vue en matière d'infractions terroristes a été portée à 144 heures (soit six jours) par la loi du 23 janvier 2006 3 ( * ) , tandis que l'intervention de l'avocat peut être reportée à la 72 ème heure en vertu de la loi du 14 avril 2011 4 ( * ) . En outre, la prescription de l'action publique est de vingt ans pour les délits et de trente ans pour les crimes, au lieu de trois et dix ans dans le droit commun. Enfin, la cour d'assises est composée uniquement de magistrats professionnels.

La loi n° 2012-1432 du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme 5 ( * ) a complété ce dispositif en permettant la poursuite des délits 6 ( * ) terroristes commis à l'étranger par des Français même en l'absence de réciprocité d'incrimination, de dépôt d'une plainte ou de dénonciation préalable par les autorités de l'État où les faits ont été commis, seule demeurant la condition de nationalité française du mis en cause.

Enfin, rappelons que la lutte contre le terrorisme dispose également de moyens juridiques communs à l'ensemble de la criminalité organisée : opérations de surveillance et d'infiltration, mesures conservatoires permettant au juge des libertés et de la détention d'ordonner le gel des avoirs de la personne suspecte, écoutes téléphoniques au cours de l'enquête et opérations de sonorisation au cours de l'instruction, captation des données informatiques.

Outre les infractions spécifiques et les règles de procédure pénale, le législateur a également conféré aux services d'enquête chargés de la lutte contre le terrorisme et de la prévention des actes terroristes des prérogatives particulières . Ainsi, la loi du 23 janvier 2006 précitée a ouvert à ces services, pour une période de trois ans, un accès à des données techniques relatives aux communications téléphoniques et électroniques ainsi qu'aux principaux fichiers administratifs. Elle leur a également permis d'effectuer des contrôles d'identité dans les trains circulant entre la France et les pays limitrophes. Ces dispositions ont été prorogées par la loi n° 2008-1245 du 1 er décembre 2008 jusqu'au 31 décembre 2012 puis par la loi du 21 décembre 2012 précitée 7 ( * ) jusqu'au 31 décembre 2015.


* 1 Loi n°96-647 du 22 juillet 1996 tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire.

* 2 Auparavant, les mêmes faits pouvaient tomber sous le coup de l'association de malfaiteurs, qui existait déjà, mais n'étaient pas qualifiés comme tels, le législateur ayant voulu éviter qu'elle soit punie de peines criminelles pour ne pas nuire à l'efficacité de la répression.

* 3 Loi n°2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, adoptée à la suite des attentats de Madrid et de Londres.

* 4 Loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue.

* 5 Loi n° 2012-1432 du 21 décembre 2012.

* 6 Cette possibilité existait déjà pour les crimes.

* 7 Le régime des interceptions de données de connexion a été unifié avec les dispositions issues de la loi n° 91-646 du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques au sein du code la sécurité intérieure par la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale.

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