B. UNE CLÉ DE CALCUL COMPLEXE, ÂPREMENT NÉGOCIÉE ET QUI DEVRAIT PLACER LE SECTEUR BANCAIRE FRANÇAIS À PARITÉ AVEC L'ALLEMAGNE

Le règlement, après avoir fixé les grands principes devant régir la détermination des contributions des banques, renvoie ensuite à deux textes d'application le soin de fixer plus précisément les modalités de calcul :

- un règlement délégué de la Commission européenne , pris en application de la directive BRR et qui définit notamment l'appréciation du « profil de risque » de chaque établissement. Cet acte délégué s'applique à l'ensemble des États membres de l'Union européenne, même ceux qui ne participent pas au MRU et qui disposent de leur propre fonds de résolution national. Il s'applique également aux États membres participants pour l'année 2015, avant l'entrée en vigueur du règlement MRU ;

- des actes d'exécution, adoptés par le Conseil sur proposition de la Commission , et qui déterminent l'application de la méthode de calcul des contributions et les modalités pratiques de l'attribution des facteurs de risque.

Ces textes d'application ont fait l'objet de négociations intenses à l'automne 2014 , sur la base de deux propositions de texte présentées par la Commission européenne en octobre 2014. Ce sont en effet ces textes qui contiennent le « guide pratique » pour définir les contributions individuelles des banques, dont les différents États membres ont cherché à réduire le montant s'agissant des établissements établis sur leur territoire.

En définitive, ces actes délégués et d'exécution prévoient une clé de calcul qui, pour la période transitoire, aboutit à une parité entre les contributions des établissements allemands et français, grâce à plusieurs ajustements longuement négociés .

1. Une période transitoire (« phasing-in ») qui permet de réduire la contribution totale du secteur bancaire français

Des deux contributions définies à l'article 70 du règlement MRU, la contribution forfaitaire en fonction de la taille de l'établissement représente l'élément le plus important . Elle est définie en fonction du total de passif de l'établissement, diminué des fonds propres et des dépôts couverts.

Les établissements français ont un passif important mais, en raison de l'existence de l'épargne réglementée, en grande partie centralisée à la Caisse des dépôts et consignations, et de l'assurance-vie, ils présentent des dépôts couverts d'un montant faible relativement à l'ensemble de leurs ressources . En conséquence, ils sont structurellement désavantagés par la définition de l'assiette de la contribution forfaitaire . Ainsi, si les établissements français ont un bilan cumulé de 8 155 milliards d'euros d'actifs, contre 7 750 pour les établissements allemands, ils disposent seulement de 1 147 milliards d'euros de dépôts couverts, contre 1 639 milliards d'euros pour les établissements allemands 13 ( * ) .

Dans un système de résolution strictement national, cette distorsion du bilan des banques françaises n'aurait guère été problématique, puisque le niveau-cible du fonds de résolution national, fonction du montant des dépôts couverts, aurait été lui-même moins important. Ainsi, dans un système de résolution national, les établissements français auraient dû alimenter le fonds de résolution à hauteur d'environ 11,5 milliards d'euros .

En passant au mécanisme de résolution unique, la contribution des établissements français est donc mécaniquement plus importante . D'après les informations communiquées à votre rapporteur général, en l'absence de toute disposition d'adaptation et de retraitements ( cf. infra ), la part des établissements français dans le financement du FRU aurait été de 17,5 milliards d'euros, soit environ 32 %, contre 14,8 milliards d'euros, soit 27,1 %, pour les établissements allemands, dont le bilan est très proche (cf . supra ).

Le premier enjeu de négociation, pour la France, consistait donc à obtenir que la constitution du FRU, dans la période transitoire de 8 ans, tienne compte du montant que chaque secteur bancaire national aurait acquitté dans un système de résolution national . Il s'agissait de neutraliser partiellement les distorsions liées aux spécificités d'un secteur bancaire. Il s'agissait également de tenir compte du fait que, la mutualisation des ressources du FRU n'étant que progressive ( cf. infra ), il était cohérent de prévoir que les compartiments nationaux soient alimentés conformément au calcul des contributions dans un cadre strictement national.

Cette demande de la France s'est traduite par l'inscription, à l'article 8 du règlement d'exécution du Conseil, d'un mécanisme de « phasing-in » qui consiste à combiner deux composantes, une composante obtenue en application d'un système de résolution national et une composante obtenue en application du système de résolution unique, pour déterminer la contribution annuelle de chaque établissement. La composante « nationale » représente une part dégressive de la contribution annuelle , alignée sur le rythme de mutualisation des compartiments nationaux, comme le montre le tableau ci-dessous ; en 2023, dernière année de la phase transitoire, la contribution due résulte uniquement de l'application du système MRU.

Mécanisme de phasing-in et conséquences pour les deux principaux
États membres contributeurs

en millions d'euros

Année

Part de la composante « nationale » dans le montant de la contribution annuelle

Part de la composante « européenne » dans le montant de la contribution annuelle

Estimation de la contribution des établissements français

Estimation de la contribution des établissements allemands

2015

100 %

0 %

1 107

1 647

2016

60 %

40 %

1 479

1 763

2017

40 %

60 %

1 624

1 727

2018

33,3 %

66,7 %

1 673

1 714

2019

26,6 %

73,3%

1 721

1 702

2020

20 %

80 %

1 770

1 690

2021

13,3 %

86,7 %

1 818

1 678

2022

6,7 %

93,3 %

1 867

1 666

2023

0 %

100 %

1 915

1 654

Total

-

-

14 974

15 241

Source : Direction générale du Trésor

Au total, l'application de ce mode de calcul transitoire permet de réduire significativement la charge pesant sur le secteur bancaire français dans la phase transitoire de constitution du FRU . Il convient de souligner que ce système s'éteindra en 2023. Dès lors, les contributions ex post qui pourraient être demandées à compter de 2023 pour reconstituer les réserves du Fonds en cas d'utilisation seront versées en application du système européen, où la France présente une quote-part de 31,1 % et l'Allemagne de 26,8 % 14 ( * ) . En d'autres termes, la parité avec l'Allemagne ne vaut que pour la période transitoire de constitution du fonds.

2. Des ajustements techniques dans la définition des passifs pris en compte

Par ailleurs, la définition du passif pris en compte pour la détermination de la contribution a fait l'objet d'ajustements techniques, sous la pression de certains États membres.

La France a sollicité et obtenu deux principaux ajustements .

• Afin de tenir compte de l'organisation des groupes bancaires français, notamment des mutualistes, le règlement délégué prévoit, dans son article 5 § 1, que les expositions intra-groupe ne seront pas prises en compte . En effet, dans les groupes mutualistes, les différentes caisses (régionales et centrale) détiennent des participations ou des engagements vis-à-vis des autres caisses membres du même groupe, sans que ces expositions influent sur sa situation financière consolidée. Il en va de même, d'ailleurs, de certains groupes français non mutualistes, en raison d'une organisation interne avec une gestion centralisée de la trésorerie par une caisse centrale. Cet ajustement permet d'éviter qu'un même titre ne soit comptabilisé deux fois, par exemple une première fois dans le chef de la caisse centrale qui émet un titre de dette et une deuxième fois dans le chef de la caisse régionale qui détient un titre équivalent vis-à-vis de la caisse centrale.

Il convient de souligner que l'Allemagne a obtenu que les établissements qui bénéficient d'un système de protection institutionnel, c'est-à-dire d'un système de garantie réciproque des différentes caisses sans consolidation financière du groupe, bénéficient également de la même dérogation 15 ( * ) .

• Par ailleurs, le règlement délégué prévoit que les dérivés sont comptabilisés en tenant compte des accords de compensation qui leur sont le plus souvent associés 16 ( * ) . En effet, lorsqu'elle passe un contrat de dérivés avec un autre établissement, la banque passe sou0vent un contrat en sens inverse pour se couvrir partiellement du risque présenté par le premier contrat. Ainsi, le risque réellement supporté par la banque (qui serait valorisé en cas de résolution) ne correspond pas à la valeur notionnelle des deux contrats, mais au montant net, c'est-à-dire à la différence entre les deux contrats après compensation.

À cet égard, il convient de souligner qu'à l'exception de la Deutsche Bank pour l'Allemagne, la France est le seul État membre à présenter des établissements bancaires disposant d'activités de marché significatives 17 ( * ) , pour lesquelles cet ajustement est particulièrement important.

Au total, d'après les informations recueillies par votre rapporteur général, ces deux ajustements permettraient de réduire d'environ 700 millions d'euros le montant des contributions des banques françaises sur l'ensemble de la période transitoire.

• Enfin, à la demande de l'Allemagne, des contributions forfaitaires très faibles ont été fixées dans le règlement délégué de la Commission européenne et le règlement d'exécution du Conseil pour les banques dont le bilan n'excède pas certains seuils (cf. tableau infra ). Il s'agissait, pour l'Allemagne, de protéger son réseau de petites banques, notamment de Sparkassen , en se fondant sur l'idée que leur système de protection institutionnel limitait les risques de recours au mécanisme de résolution unique.

Contributions forfaitaires des petits établissements de crédit

Seuils de bilan

Montant de la contribution forfaitaire annuelle (en euros)

Passif < 50 millions euros

Actif < 1 milliard d'euros

1 000

Passif > 50 millions d'euros et < 100 millions euros

Actif < 1 milliard d'euros

2 000

Passif > 100 millions d'euros et < 150 millions euros

Actif < 1 milliard d'euros

7 000

Passif > 150 millions d'euros et < 200 millions euros

Actif < 1 milliard d'euros

15 000

Passif > 200 millions d'euros et < 250 millions euros

Actif < 1 milliard d'euros

26 000

Passif > 250 millions d'euros et < 300 millions euros

Actif < 1 milliard d'euros

50 000

Actif < 3 milliards d'euros

50 000
(pour la première tranche de 300 millions d'euros de passif)

Source : article 10 du règlement délégué et article 8 § 5 du règlement d'exécution

3. Des modalités de paiement ayant des conséquences financières significatives pour les établissements restent encore à définir

Les contributions des établissements de crédit au fonds peuvent prendre théoriquement deux modalités : soit des subventions comptant, en « cash » non remboursable, soit des engagements de paiement . Dans le premier cas, le versement est réalisé à fonds perdus et diminue le résultat comptable de l'établissement. Dans le second cas, la contribution n'a pas de conséquences sur le compte de résultat de l'établissement, car elle n'est appelée en « cash » qu'en cas d'intervention du Fonds.

Le règlement MRU prévoit, dans son article 70 § 3, que la part des engagements de paiement dans le total des contributions au FRU ne peut pas dépasser 30 % .

A la demande, notamment, de la France, le règlement d'exécution du Conseil a également introduit un niveau plancher d'engagements de paiement de 15 % (article 8 §3). Ainsi, le montant des engagements de paiement d'un établissement ne peut être inférieur à 15 % du total des obligations de paiement de l'établissement concerné sur l'ensemble de la période ; il ne peut pas non plus être supérieur à 30 % pour chaque annuité.

La détermination du niveau d'engagements de paiement dans cette fourchette entre 15 et 30 % sera à la discrétion du Conseil de résolution unique (CRU) au moment de l'appel de chaque contribution annuelle. Aucune ligne directrice n'est fournie par les textes au CRU, hormis le considérant 16 du règlement d'exécution du Conseil qui indique que le recours aux engagements de paiement « ne devrait compromettre en aucune manière la capacité financière ni la liquidité du Fonds ». D'après les informations communiquées à votre rapporteur général, l'Allemagne a fait valoir, lors de la négociation, qu'il serait cohérent que la part d'engagements de paiement soit plus faible au début de la période, au moment où le FRU est encore peu doté.

Ce choix emporte des conséquences financières importantes pour les établissements : s'agissant des banques françaises, elle peut fait varier de 2,25 milliards d'euros la charge pesant sur le compte de résultat des établissements sur l'ensemble de la période.

Votre rapporteur général estime que, s'agissant d'établissements qui subissent une charge importante en passant d'un système national à un système européen et qui, par ailleurs, ont une très faible probabilité de recours au FRU en raison de leur taille, la part d'engagements de paiement devrait être fixée au niveau le plus élevé possible, afin de réduire les effets du dispositif sur le financement de l'économie.


* 13 Source : Direction générale du Trésor.

* 14 Ces pourcentages tiennent compte des retraitements présentés ci-dessous.

* 15 Les systèmes de protection institutionnel sont présents notamment en Allemagne, s'agissant du réseau des Sparkassen-Landesbanken, en Espagne et en Autriche.

* 16 Article 5 § 3 du règlement délégué, qui renvoie à l'article 429 § 6 du règlement CRD 4 qui prévoit que « lorsqu'ils déterminent la valeur exposée au risque des contrats figurant dans le liste de l'annexe II et des dérivés de crédit, les établissements tiennent compte des effets des contrats de novation et autres conventions de compensation, à l'exception des conventions de compensation multiproduits, conformément à l'article 295 ».

* 17 Il s'agit essentiellement de BNP Paribas et de Société générale.

Page mise à jour le

Partager cette page