C. DES CONTRIBUTIONS QUI S'AJOUTENT À DES CHARGES IMPORTANTES POUR LE SECTEUR BANCAIRE FRANÇAIS AU DÉTRIMENT DU FINANCEMENT DE L'ÉCONOMIE

En tenant compte de l'ensemble des éléments mentionnés précédemment, des estimations de montant des contributions bancaires par année et par pays ont été transmises par le Gouvernement . Ces estimations ne fournissent cependant qu'une vision approximative des montants qui seront réellement payés, pour plusieurs raisons. D'une part, les montants des passifs et actifs tels que retraités à la suite des ajustements mentionnés précédemment ne sont pas connus avec précision et, en tout état de cause, sont susceptibles d'évoluer au cours de la période 18 ( * ) . D'autre part, la contribution en fonction du « profil de risque » de la contribution dépend de plusieurs piliers, dont l'un est un pilier qualitatif, relatif à la « complexité » et à la « résolvabilité » de l'établissement, dont l'appréciation est à la discrétion du Conseil de résolution unique. Or, cet élément est plutôt défavorable aux établissements français dont la taille et les activités de marché sont importantes, et pourrait donc induire une charge supplémentaire de l'ordre de 200 ou 300 millions d'euros par rapport aux estimations présentées ci-dessous.

Sous ces réserves, les estimations fournies par le Gouvernement prévoient que les établissements bancaires français devraient payer une contribution sensiblement équivalente à celle des établissements bancaires allemands, soit entre 27 et 28 % du fonds de résolution . Il convient de souligner que, comme l'illustre le document ci-dessous, les contributions des banques françaises et allemandes représenteraient à elles seules environ 55 % du total des ressources du FRU . Les banques italiennes, troisièmes contributrices, n'en représenteraient que 11 %.

Répartition des contributions au fonds de résolution unique
par secteur bancaire national

Source : commission des finances, d'après la direction générale du Trésor

Montants des contributions par secteur bancaire national
en fonction des différentes méthodes de calcul

en milliards d'euros

État membre d'origine des établissements de crédit

Estimation de la contribution due en application de la directive BRR (A)

Estimation de la contribution au FRU sans ajustements (B)

Estimation de la contribution totale au FRU après ajustements (C)

Gain (+) /perte (-) par rapport à la contribution à un fonds national (C-A)

Autriche

1,8

1,5

1,6

- 0,2

Belgique

3,0

1,3

1,9

- 1,1

Chypre

0,3

0,1

0,1

- 0,2

Allemagne

16,4

14,8

15,2

- 1,2

Estonie

0,05

0,0

0,02

- 0,03

Espagne

7,9

4,1

5,5

- 2,4

Finlande

0,9

1,2

1,1

+ 0,2

France

11,4

17,5

15,0

+ 3,6

Grèce

1,2

0,3

0,6

- 0,6

Irlande

0,8

2,3

1,9

+ 1,1

Italie

5,5

6,0

6,0

+ 0,5

Luxembourg

0,3

1,5

1,1

+ 0,8

Lituanie

0,05

0,03

0,04

- 0,01

Malte

0,09

0,06

0,07

- 0,02

Pays-Bas

3,2

3,3

3,4

+ 0,2

Portugal

1,3

0,6

0,9

- 0,4

Slovénie

0,2

0,04

0,07

- 0,13

Slovaquie

0,3

0,04

0,1

- 0,2

Total

54,7

54,7

54,7

-

Source : commission des finances, d'après la direction générale du Trésor

La charge pesant sur le secteur bancaire français est particulièrement importante. Elle est proche de la part du secteur bancaire français dans le total des actifs bancaires bruts de la zone euro (26 %) mais significativement plus importante que la part de ce secteur dans le total des actifs pondérés par le risque (22 %) 19 ( * ) .

En l'état actuel de notre économie, les marchés bancaires sont fragmentés et les établissements de crédit essentiellement tournés, en termes de prêts aux entreprises, vers leur marché domestique. En conséquence, les contributions au FRU, si elles permettent de mutualiser les ressources de résolution pour l'ensemble de la zone euro, auront en revanche un impact sur le financement de la seule économie française. Si l'externalité positive est partagée sur l'ensemble de la zone euro, l'externalité négative est donc concentrée sur le pays d'origine des établissements .

Or, le secteur bancaire français est confronté à trois charges supplémentaires spécifiques qui pèsent d'ores et déjà sur sa capacité à financer l'économie.

• Tout d'abord, les établissements bancaires subissent une pression fiscale importante . Ainsi, l'article 26 de la loi de finances rectificative pour 2014 20 ( * ) a prévu que les contributions au FRU ne seront pas déductibles de l'impôt sur les sociétés . La non déductibilité, que le Gouvernement a justifié par le caractère assurantiel du fonds de résolution, est également mise en oeuvre par l'Allemagne 21 ( * ) ; elle présente l'avantage de neutraliser l'effet du montant des contributions sur les recettes publiques. Au-delà de ce point de convergence avec l'Allemagne, les banques françaises connaissent cependant une fiscalité plus lourde que leurs concurrentes, en raison du taux d'impôt sur les sociétés auquel elles sont assujetties (38 % en tenant compte de la surtaxe et de la contribution sociale sur les bénéfices), ainsi que de la taxe de risque systémique , qui a également été rendue non déductible par l'article précité.

• En outre, les banques françaises doivent verser des contributions au titre de la garantie des dépôts . En effet, la directive relative aux systèmes de garantie des dépôts du 15 avril 2014 22 ( * ) oblige les États membres à disposer d'un fonds de garantie des dépôts qui soit doté d'un montant équivalent à au moins 0,8 % du montant des dépôts couverts. Toutefois, l'article 10, paragraphe 6, de la directive permet à un État membre de solliciter de la Commission européenne l'autorisation de déroger à cette obligation et de prévoir un fonds limité à 0,5 % des dépôts couverts. Cette dérogation est soumise à deux conditions : d'une part, la faible probabilité d'une utilisation des ressources du fonds et, d'autre part, une forte concentration du secteur bancaire national, rendant probable l'utilisation du mécanisme de résolution en cas de défaillance 23 ( * ) .

Bien que ces conditions correspondent à la situation française, cette dérogation n'a pas encore été formellement demandée par la France ni, a fortiori , approuvée par la Commission européenne . Or, un niveau-cible de 0,5 % des dépôts couverts correspond, pour la France, à environ 5,5 milliards d'euros. Le fonds de garantie des dépôts et de résolution (FGDR) disposant d'ores et déjà de 3 milliards d'euros, le complément à financer d'ici à 2024 serait de l'ordre de 310 millions d'euros par an. En revanche, si la dérogation n'est pas accordée, le complément à financer sera d'environ 5,8 milliards d'euros, soit environ 725 millions d'euros par an.

Votre rapporteur général souhaite que le Gouvernement français sollicite rapidement de la Commission européenne la dérogation permettant de limiter à 0,5 % des dépôts couverts le niveau-cible du FGDR .

• Enfin, les principales banques systémiques, dont font partie les quatre principaux établissements bancaires français 24 ( * ) , pourraient être prochainement soumis à un coussin de capital supplémentaire, appelé « TLAC » ( Total Loss-Absorbing Capacity ) . Ce coussin est en cours de définition, serait compris entre 16 % et 20 % du total des actifs pondérés par le risque et pourrait s'appliquer à compter de 2019. Le niveau du ratio, ainsi que la nature des fonds propres éligibles au coussin, font l'objet d'études et de négociations entre les différents régulateurs membres du comité de Bâle 25 ( * ) .

Au total, ces charges d'origines diverses (fiscale, réglementaire ou prudentielle), s'accumulent au détriment non seulement de la rentabilité des établissements mais, surtout, de leur capacité à financer une économie française déjà déprimée . C'est bien au regard de ce contexte et de cette préoccupation que le Parlement, en particulier le Sénat, s'est montré vigilant, dès le mois d'octobre, sur la question du montant des contributions des banques françaises au FRU. Pour maintenir cette vigilance, à la fois sur le montant des contributions lui-même, qui est encore susceptible d'évoluer en fonction des dernières données disponibles, mais aussi sur les différents ajustements ou concessions que la France a sollicités (engagements de paiement, niveau-cible du fonds de garantie des dépôts) et leurs conséquences sur le financement de l'économie, votre commission des finances a adopté un amendement visant à prévoir une information annuelle du Parlement sur le montant des contributions au FRU et leur impact économique .


* 18 Il s'agit là en effet de données dynamiques, qui seront actualisées annuellement par le Conseil de résolution unique pour la détermination des contributions exactes de chaque établissement.

* 19 Données BCE, transmises par la direction générale du Trésor. Le total d'actifs bruts doit être distingué du total d'actifs pondérés par les risques, qui tient compte du risque associé à chaque actif, et qui est pris en compte pour la détermination des ratios prudentiels. Or, les établissements français ont, en raison d'une gestion relativement prudente du risque et d'un faible taux de créances douteuses en comparaison de certains établissements européens (qui pâtissent notamment des conséquences de la crise immobilière et de la crise économique), une part dans le total d'actifs pondérés par les risques (Risk Weighted Assets - RWA) de la zone euro plus faible que leur part dans le total des actifs bruts.

* 20 Loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014 de finances rectificative pour 2014.

* 21 L'Allemagne la met en oeuvre depuis la création de son propre fonds de résolution national - Abwicklungsfonds - dans le cadre de la taxe bancaire spécifique qui lui est allouée, la Bankenabgabe .

* 22 Directive 2014/49/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relative aux systèmes de garantie des dépôts.

* 23 En principe, le mécanisme de garantie des dépôts n'est sollicité que lorsque l'établissement est placé en liquidation judiciaire. Les grands établissements sont soumis à une procédure de résolution, où l'autorité de résolution est en mesure, d'une part, de transférer l'activité « dépôts » à une entité protégée et, d'autre part, de financer le coût de la résolution par le biais de dispositifs de financement spécifiques présentés précédemment.

* 24 Seraient soumis à ce TLAC les 30 banques systémiques à l'échelle mondiale, dont font partie pour la zone euro 4 établissements français (BNP Paribas, BPCE, Crédit Agricole SA et Société générale), 2 établissements espagnols (Santander et BBVA), 1 établissement allemand (Deutsche Bank), 1 établissement italien (Unicredit) et 1 établissement néerlandais (ING Bank).

* 25 Les régulateurs européens militent notamment pour que les créances éligibles au renflouement interne, qui doivent représenter 8 % du total du passif des établissements, soient éligibles au TLAC, afin d'assurer la compatibilité et la cohérence des deux régulations.

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