EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Après la poignée de mains - devenue historique - entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou, les accords de Matignon signés le 26 juin 1988 mettaient fin aux événements tragiques qui endeuillaient la Nouvelle-Calédonie depuis plusieurs années. Complétés par les accords d'Oudinot conclus le 20 août 1998, ces accords, approuvés par référendum le 6 novembre 1988, jetaient les bases d'un nouveau partage des responsabilités politiques et des richesses économiques, dans la perspective d'un destin commun. Dix ans plus tard, les Calédoniens devaient se prononcer sur le choix ou non de l'indépendance.

Cependant, par la conclusion in extremis d'un nouvel accord au terme de difficiles négociations engagées et restées infructueuses plusieurs années auparavant, le référendum sur l'indépendance du territoire était repoussé d'une quinzaine d'années, dans l'attente de nouveaux transferts de compétences. Il s'agissait de consolider les institutions locales, de poursuivre le rééquilibrage engagé dès 1988 et surtout de façonner un destin commun qui, tout en rendant justice à la population d'origine, n'oublierait pas les habitants issus des vagues ultérieures de peuplement. Pour reprendre les termes de l'Accord de Nouméa, conclu le 5 mai 1998, « le moment [était] venu de reconnaître les ombres de la période coloniale, même si elle ne fut pas dépourvue de lumière ».

Fidèle à son engagement comme signataire de l'Accord de Nouméa, l'État entamait ce processus qui devait se traduire par la révision constitutionnelle du 20 juillet 1998 puis l'adoption par les deux assemblées parlementaires de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999, fixant le nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie. Ce territoire acquérait ainsi un degré d'autonomie inégalé au sein de la République avec un pouvoir législatif conféré à son assemblée délibérante dont le champ d'intervention croissait au fur et à mesure des transferts de compétences voulus par le constituant irréversibles.

Le processus de Nouméa touche à son terme. Une délégation de la commission des lois s'est rendue sur place du 30 juillet au 4 août 2014. Dans leur rapport, nos collègues Jean-Pierre Sueur, Sophie Joissains et Catherine Tasca ont dressé 1 ( * ) un bilan nuancé de l'application de l'Accord de Nouméa. Ils se sont attachés à présenter le « nouveau cycle politique tourné vers l'horizon référendaire qui doit clore ce processus ». Si la classe politique locale est régulièrement interpellée par la société calédonienne sur les fragilités économiques et les inégalités sociales qui perdurent en Nouvelle-Calédonie, elle s'est focalisée ces dernières années sur les enjeux institutionnels qui ont contribué à raviver les oppositions, y compris au sein des camps indépendantistes et non-indépendantistes quant aux solutions à privilégier.

I. L'ORGANISATION D'UNE CONSULTATION SUR L'ACCESSION DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE À LA PLEINE SOUVERAINETÉ

Le congrès de la Nouvelle-Calédonie élu le 11 mai 2014 est désormais en mesure de solliciter, à la majorité des trois cinquièmes de ses membres, l'organisation d'une consultation sur l'accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté. La configuration politique de l'assemblée, à la sortie des urnes, rend cette hypothèse hautement improbable. Toutefois, à compter de mai 2018, il appartiendra à l'État d'organiser cette consultation, avant mai 2019, dans le cadre prévu à l'article 77 de la Constitution. La fixation de ces règles incombe au législateur organique qui doit déterminer « les conditions et les délais dans lesquels les populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie seront amenées à se prononcer sur l'accession à la pleine souveraineté ». En 1998, le Parlement y a consacré le titre IX de la loi organique du 19 mars 1999.

A l'approche de cette échéance référendaire, le Gouvernement a souhaité apporter les modifications nécessaires à la préparation des consultations. En effet, si, à défaut de demande émanant du congrès de la Nouvelle-Calédonie, l'initiative de la première consultation incombe à l'État, le tiers des membres du congrès peut solliciter une deuxième puis une troisième consultation. À chaque consultation et dans les termes actuels de l'Accord de Nouméa, les électeurs auront à se prononcer sur l'accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté, ce qui impliquerait le transfert des compétences régaliennes encore détenues par l'État français, la reconnaissance de sa personnalité juridique sur le plan international et la transformation de la citoyenneté calédonienne en nationalité. Toute réponse positive entraînerait l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie ; la succession de réponses négatives mettrait également fin au cycle ouvert par la signature de l'Accord de Nouméa. Quelle que soit l'issue de ce ou ces scrutins, la Nouvelle-Calédonie devra inventer une nouvelle solution institutionnelle, qu'elle soit celle d'un partenariat privilégié entre deux États souverains ou celle de l'enracinement d'une autonomie renforcée au sein de la République. Les différents scénarii institutionnels envisageables ont été éclairés, à l'aune de la comparaison internationale, par MM. Jean Courtial et Ferdinand Mélin-Soucramanien dans le rapport 2 ( * ) qu'ils ont remis au Premier ministre en octobre 2013.

Le présent projet de loi organique ne remet pas en cause les conditions exigées des électeurs par l'article 218 de la loi organique du 19 mars 1999 pour participer à la consultation. Ces critères font l'objet d'un accord politique entre les différents partenaires locaux, comme nos collègues avaient déjà pu le relever lors de leur déplacement en Nouvelle-Calédonie à l'été 2014 et comme votre rapporteur a pu, à nouveau, le constater lors des auditions qu'il a menées. Si certains appelleront une appréciation qui n'est pas exempte de toute difficulté d'interprétation - il en est ainsi du « centre des intérêts matériels et moraux » emprunté à la jurisprudence relative à la fonction publique -, ces critères d'admission à participer au vote définissent, sans qu'ils soient remis en cause, les contours des « populations intéressées » appelées à se prononcer, en vertu de l'article 77 de la Constitution.


* 1 Rapport d'information n° 104 (2014-2015) de Mme Sophie Joissains, M. Jean-Pierre Sueur et Mme Catherine Tasca, au nom de la commission des lois, 19 novembre 2014, consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/r14-104/r14-1041.pdf

* 2 Jean Courtial et Ferdinand Mélin-Soucramanien, Réflexions sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie , rapport au Premier ministre, octobre 2013.

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