II. EXAMEN DU RAPPORT (4 NOVEMBRE 2015)

Réunie le mercredi 4 novembre 2015, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a procédé à l'examen des principaux éléments de l'équilibre du projet de loi de finances pour 2016, sur le rapport de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Nous en voilà à cette étape traditionnelle de l'examen du projet de loi de finances qu'est l'analyse des principales orientations du budget de l'année à venir et des hypothèses macroéconomiques qui le fondent.

Le Gouvernement retient, pour 2016, une prévision de croissance de 1,5 %, après 1 % en 2015. Dans son scénario, l'activité française continuerait de profiter des facteurs favorables apparus durant l'année en cours : une certaine reprise économique dans les pays de la zone euro, la faiblesse des taux d'intérêt et du taux de change de l'euro, favorisée par la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE). Cette prévision est en ligne avec celles de la Commission européenne, du Fonds monétaire international (FMI), de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et du Consensus Forecasts . Le Haut Conseil des finances publiques, dont les formulations sont toujours prudentes, considère, quant à lui, que l'objectif est « atteignable ».

Pour autant des incertitudes demeurent : le dynamisme du commerce international pourrait être plus faible qu'anticipé ; l'activité économique aux États-Unis montre, ainsi qu'on l'a vu hier encore dans la presse, des signes de faiblesse ; les économies émergentes affichent un net ralentissement, en particulier en ce qui concerne la Chine ; à cela s'ajoutent les déséquilibres apparus dans les pays émergents et la volatilité élevée des marchés financiers, qui montrent des signes de nervosité depuis les événements intervenus en Chine cet été. On voit que les sujets d'inquiétude ne manquent pas.

Pour ce qui est de l'inflation, le Gouvernement anticipe une progression des prix de 1 % en 2016. Toutefois, le Haut Conseil des finances publiques a estimé que l'accélération de l'inflation pourrait être moins rapide que prévu. Le regard sur l'inflation a changé et les gouvernements, qui craignaient autrefois son envol, souhaitent aujourd'hui la voir redémarrer.

Des facteurs tant favorables que défavorables pourraient influer sur son évolution au cours des mois à venir. D'un côté, un rebond des prix à la consommation pourrait être encouragé par la reprise économique et par un recul du chômage. De même, l'accélération de l'activité en France pourrait conduire à une hausse de l'utilisation des capacités de production, dont la faiblesse actuelle limite les pressions inflationnistes.

Le manque de dynamisme de l'inflation pourrait conduire la BCE à assouplir encore sa politique monétaire dans les prochains mois, en allongeant et en augmentant l'ampleur de son programme étendu d'achats d'actifs. Une telle mesure d'assouplissement serait certes susceptible d'avoir une incidence directe sur le financement de l'économie, mais aurait aussi pour conséquence de réduire le taux de change de l'euro, augmentant ainsi l'inflation importée. Un effet similaire découlerait de la hausse des taux d'intérêt américains, dont tout indique, bien qu'elle soit repoussée de mois en mois, qu'elle finira par intervenir.

D'un autre côté, il semble peu probable que survienne, au cours de l'année 2016, un rebond significatif des prix de l'énergie. Dans un rapport publié en octobre, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) pointe une décélération de la demande mondiale de pétrole et l'abondance de l'offre pétrolière. De même, le ralentissement des pays émergents, notamment de la Chine, pourrait avoir des conséquences désinflationnistes. Nous ne sommes pas à l'abri, si l'on en croit certains économistes, d'un scénario « à la japonaise », avec une inflation en berne des années durant.

J'en viens maintenant à la trajectoire budgétaire proposée par le Gouvernement. Tirant profit d'une amélioration du contexte économique, de même que d'un nouveau report du délai de correction du déficit excessif de 2015 à 2017 par les autorités européennes en mars 2015 - le deuxième depuis le début de la législature -, le Gouvernement a fait du retour du déficit effectif en deçà de 3 % du PIB en 2017 son principal objectif budgétaire. Ainsi, il anticipe un déficit de 2,7 % en 2017, après 3,3 % en 2016.

Toutefois, entre 2014 et 2015, le solde effectif n'afficherait qu'une amélioration très modeste, de 0,1 point, pour s'établir à - 3,8 % du PIB cette année. On peut ainsi s'interroger sur la capacité du Gouvernement à gravir les deux marches nécessaires pour que le déficit revienne sous le seuil de 3 % du PIB, ce qui supposerait d'améliorer notre solde public de 0,5 point de PIB en 2016, puis de 0,6 point en 2017.

Alors que jusqu'à présent, le Gouvernement présentait le solde structurel comme le « pilier » de sa politique budgétaire - souvenez-vous de nos échanges de l'an dernier avec Michel Sapin - il semble que le thermomètre ait changé, et que cet indicateur soit passé au second plan.

Certes, du fait d'une exécution budgétaire 2014 plus favorable qu'anticipé, l'objectif de solde structurel figurant dans l'article liminaire du projet de loi de finances respecte les orientations arrêtées par la loi de programmation des finances publiques 2014-2019. Pour autant, la trajectoire de solde structurel proposée par le Gouvernement ne se conforme pas aux exigences européennes en la matière : elle prévoit une amélioration du solde structurel de 0,4 point en 2015, puis de 0,5 point de PIB en 2016 et 2017, soit des ajustements inférieurs aux recommandations que le Conseil de l'Union européenne a assorties à sa décision de report du délai de déficit excessif.

Par ailleurs, le Gouvernement n'est en mesure d'afficher un ajustement structurel de 0,5 point de PIB par an entre 2016 et 2018, soit le niveau minimal requis pour les États soumis à la procédure de déficit excessif, que grâce à la modification des modalités de calcul du solde structurel, intervenue dans le cadre du programme de stabilité 2015-2018. Il semble que la stratégie budgétaire gouvernementale consiste en une interprétation étroite du Pacte de stabilité et de croissance, se bornant à une amélioration du déficit effectif.

Une telle stratégie n'est pas sans danger : il est évident que le respect de ces engagements est très largement tributaire du rythme de la croissance économique ; or, la reprise pourrait être moins rapide que prévu, en particulier dans un contexte de ralentissement des économies émergentes. Dans cette hypothèse, l'amélioration du déficit effectif serait moindre qu'espéré et notre pays ne serait pas en mesure de présenter les ajustements structurels demandés par les autorités européennes, s'exposant par conséquent à des sanctions.

La trajectoire de redressement des comptes publics proposée par le Gouvernement ne permettrait pas, si la croissance était inférieure de ½ point aux prévisions, de faire revenir le déficit effectif en deçà de 3 % du PIB en 2017, et le taux d'endettement continuerait de croître sur toute la période, pour atteindre plus de 98 % du PIB en 2017.

Ce risque d'aléa conjoncturel n'est pas le seul. On en entend moins parler aujourd'hui, mais ce que j'exposais naguère sur le risque grec vaut toujours. La France reste exposée, au titre du prêt bilatéral qu'elle a accordé à la Grèce et de sa participation au Fonds européen de stabilité financière (FESF), à voir son déficit public se dégrader dans l'éventualité de l'annulation d'une partie de la dette de la Grèce.

À titre d'exemple, une réduction de 10 % de la dette publique grecque aurait pour effet, l'année où elle interviendrait, d'accroître le déficit public de 4 milliards d'euros, soit près de 0,2 point de PIB. À cela viendraient s'ajouter les pertes de recettes liées au non remboursement du capital et des intérêts devant débuter en 2020.

Annoncé par le Gouvernement dès la fin de l'année 2013, le programme d'économies de 50 milliards d'euros au cours de la période 2015-2017, dont 16 milliards d'euros en 2016, demeure inchangé.

M. Maurice Vincent . - Il est gravé dans le marbre.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Certes, mais ce qui étonne, c'est qu'alors que des annonces de dépenses nouvelles ont été faites, rien n'a bougé de ce côté : comment seront-elles compensées ?

À titre indicatif, il convient de relever qu'une part importante de l'effort en dépenses serait supportée par les administrations de sécurité sociale, qui devront réaliser, en 2016, des économies d'un montant de 7,4 milliards d'euros sur un total de 16 milliards - un objectif déjà difficile à atteindre. Francis Delattre y reviendra dans quelques instants, lorsqu'il nous présentera son rapport sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Bref, l'intangibilité de ce chiffre de 50 milliards d'euros porte à s'interroger. Je l'ai dit, les annonces de dépenses nouvelles sont nombreuses : les financer sans accroître notre déficit supposerait de trouver des économies pour les compenser, donc de faire évoluer cet objectif de 50 milliards d'euros.

Le fait est que certaines de ces dépenses nouvelles ne sont pas, à ce jour, financées. S'il était nécessaire, nous en sommes tous d'accord, d'actualiser la loi de programmation militaire (LPM), comme cela a été fait en juillet dernier, j'observe que le besoin de financement, qui sera de 2,2 milliards d'euros en 2016 et de près de 7 milliards d'euros sur la période 2016-2019, n'a pas été compensé.

Et je pourrais citer d'autres exemples : l'enveloppe de 15 millions d'euros destinée à favoriser l'accueil des personnes handicapées dans les établissements médico-sociaux français ; la généralisation du service civique, qui devrait être à l'origine d'une hausse de 150 millions d'euros des crédits dédiés en 2017 ; la hausse des financements alloués à l'action de la France pour le climat, de 3 à 5 milliards d'euros d'ici à 2020 ; les mesures catégorielles en faveur des personnels de la gendarmerie et de la police nationale, et j'en passe.

Pour remplir nos engagements auprès de la Commission européenne et ne pas aggraver le déficit, il faudra bien trouver des économies supplémentaires en conséquence.

La comparaison des principaux indicateurs des finances publiques des États de la zone euro s'avère particulièrement défavorable à la France, qu'il s'agisse du niveau du déficit public, de la dette des administrations ou du taux de prélèvements obligatoires.

Parmi les éléments les plus préoccupants figure le fait que les dépenses publiques ont crû, en moyenne annuelle, de 2,1 % en valeur entre 2011 et 2014 en France, contre 0,9 % par an au cours de cette période dans la zone euro. Alors que d'autres pays, et en particulier ceux du Sud, ont fait des efforts d'ajustement importants, la France a laissé croître sa dépense publique.

Le caractère dégradé de la situation budgétaire de la France, relativement à ses partenaires européens, résulte en grande partie d'une maîtrise insuffisante de la dépense publique ; ceci est d'autant plus évident que le taux de prélèvements obligatoires affiche un niveau élevé et a continûment augmenté au cours des dernières années.

Cette situation s'explique sans doute par les difficultés à engager des réformes structurelles rencontrées par un Gouvernement qui privilégie la technique du « coup de rabot ».

De manière plus générale, l'essentiel des efforts d'économies consentis jusqu'à présent a concerné les dépenses les plus aisées à réduire sans réformes. Ainsi, entre 2011 et 2014, seules les dépenses d'investissement ont affiché une baisse relative, leur part dans le PIB ayant reculé de 7,5 % ; en outre, les dépenses dont la progression a été la plus faible au cours de cette période sont celles dédiées aux achats courants de biens et services et à la masse salariale, laquelle a fortement ralenti en raison du « gel » du point d'indice de la fonction publique, et non, comme ont su le faire les pays d'Europe du Sud, en raison de réformes de structure, qui auraient permis de dégager des économies substantielles si bien que l'augmentation de nos dépenses atteint plus du double de celle de la moyenne de la zone euro.

Le Gouvernement ne paraît pas vouloir changer de logique pour les années à venir, puisque les prévisions d'évolution des dépenses publiques qui figurent dans le programme de stabilité 2015-2018 font apparaître que les réductions les plus fortes à l'horizon 2017 concerneraient les achats courants et les investissements - ce qui ne manque pas d'inquiéter. Je rappelle, en regard, que les effectifs de l'État sont repartis à la hausse. De toute évidence, aucune réflexion n'a été engagée quant à la structure des dépenses publiques, au risque de grever fortement les perspectives de redressement des comptes publics à moyen et long termes.

Le rapport que nous avons commandé à la Cour des comptes sur les évolutions de la masse salariale de l'État est plein d'enseignements. Il m'a inspiré des réflexions, que je veux ici vous livrer, sur la durée du travail dans la fonction publique.

La gestion de la masse salariale dans les administrations publiques constitue un enjeu d'importance ; en effet, les rémunérations ont représenté près de 278 milliards d'euros en 2014, soit 23 % de la dépense publique totale. La direction du budget estime le coût de la réduction du temps de travail dans la fonction publique à 2,5 milliards d'euros en année pleine en 2005 - 700 millions d'euros pour la fonction publique d'État et 1,8 milliard d'euros pour la fonction publique hospitalière, les données faisant encore défaut pour la fonction publique territoriale. On voit que l'enjeu est loin d'être négligeable. La Cour des comptes a montré dans son rapport que le temps de travail annuel moyen, à temps complet, était de 1 594 heures dans le secteur public, contre 1 684 heures dans le secteur privé. J'ajoute que, toujours selon la Cour des comptes, seul un quart des fonctionnaires de l'État sont soumis au régime de droit commun de 1 607 heures, ce qui signifie que les trois quarts, dont un nombre important d'enseignants, sont sous régime dérogatoire. Par ailleurs, une étude de l'OCDE publiée en 2013 a fait apparaître que la durée moyenne du travail dans les administrations centrales était inférieure en France à la moyenne des autres pays membres de l'Organisation.

Anticipant sur les questions que vous ne manquerez pas de me poser sur les réformes de structure que nous avons à proposer, je vous dirai qu'en voilà une : réformer le temps de travail dans la fonction publique. La Cour des comptes a estimé qu'une augmentation du temps de travail de 1 % permettrait de dégager une économie, pour l'ensemble de la fonction publique, de 700 millions d'euros. En extrapolant ces résultats, une augmentation d'une heure de la durée hebdomadaire de travail, ce qui correspond à la suppression de quelque six jours de congés, serait à l'origine d'une économie de près de 2 milliards d'euros pour l'ensemble des administrations publiques, en raison du non remplacement de 111 000 agents. À cela s'ajouterait une économie en heures supplémentaires, dont je rappelle que le coût s'élevait à 1,5 milliard d'euros en 2013 dans la seule fonction publique de l'État - sans parler du nombre de rachats de jours de congés épargnés. Il faudra bien, à un moment, lever le tabou.

Mais le Gouvernement ne semble pas prêt à engager des réformes structurelles. Il m'a donc paru nécessaire d'examiner la sensibilité de la trajectoire des finances publiques qu'il retient au rythme d'évolution de la dépense publique, en faisant varier ce dernier selon deux scenarii. Le premier retient une croissance des dépenses en volume de 1,3 % en 2016 et 2017, ce qui correspond au taux moyen d'évolution de la dépense en 2014-2015. Le second retient une croissance des dépenses en volume de 0,7 % sur la même période, soit une progression intermédiaire entre le taux d'évolution constaté en 2014-2015 et la prévision du Gouvernement.

À titre d'illustration, si la progression de la dépense publique en volume était de 0,7 % par an, soit celle du second scénario, le déficit structurel serait de 1,2 % du PIB en 2017. Quant au déficit effectif, il ne reviendrait pas en deçà du seuil de 3 % du PIB en 2017, puisqu'il s'établirait à 3,2 %. La dette publique, enfin, atteindrait 97,3 % du PIB, soit près d'un point de plus que la prévision retenue par le Gouvernement.

Ces résultats montrent bien que le Gouvernement n'a pas droit à l'erreur et devra donner plus de substance à son programme d'économies, en engageant les réformes structurelles nécessaires.

La bonne réalisation du programme de 50 milliards d'euros d'économies paraît d'autant plus importante que celui-ci doit également contribuer à financer les réductions de prélèvements obligatoires annoncées par le Gouvernement au cours des années à venir. Si, comme l'année dernière, des mesures relativement importantes sont prévues pour l'impôt sur le revenu, le taux de prélèvements obligatoires n'en reste pas moins quasiment stable, parmi les plus élevés en Europe et dans le monde : il passerait de 44,6 % du PIB à 44,5 % entre 2015 et 2016, après 44,9 % du PIB en 2014. La baisse n'est donc guère que de 0,1 point. Elle s'expliquerait principalement par les réductions d'impôts opérées au profit des entreprises. En effet, le prochain exercice serait marqué par la montée en charge du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et du Pacte de responsabilité. Ainsi, entre 2014 et 2016, les prélèvements sur les entreprises seraient réduits de 33 milliards d'euros. Mais ces mesures ne font qu'infléchir très légèrement le taux de prélèvements obligatoires.

Malgré la réduction des impôts pesant sur les entreprises, la baisse des prélèvements obligatoires ne serait au total que de 2,4 milliards d'euros en 2016. Les projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2016 porteraient, à eux deux, près de 6 milliards d'euros de baisses nettes des prélèvements au titre de l'année à venir, mais d'autres mesures adoptées dans le cadre de textes financiers antérieurs continuent à monter en charge, à l'instar de la non-déductibilité du résultat des entreprises de certaines taxes, figurant dans le collectif de la fin de l'exercice 2014, qui serait à l'origine d'une hausse des impositions de 0,3 milliard d'euros en 2016. De même, la réforme de la fiscalité écologique intervenue dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2014 conduirait à une hausse des prélèvements de 1,7 milliard d'euros l'année prochaine. Par ailleurs, nul ne sait encore l'incidence que pourraient avoir les mesures du projet de loi de finances rectificative - je pense notamment à celle qui pourrait concerner la contribution au service public de l'électricité (CSPE). Je rappelle enfin, pour mémoire, que l'exercice 2016 devrait être marqué par des hausses d'impôts locaux, pour un montant proche de 0,8 milliard d'euros - révélant un transfert accru de la fiscalité de l'État vers les collectivités territoriales du fait de la diminution de leurs dotations.

Par conséquent, le taux de prélèvements obligatoires ne reculerait que très modérément en 2016, après avoir atteint un point haut en 2014, et serait encore supérieur en 2015 de 1,9 point de PIB à son niveau de 2011. Cette situation est, en grande partie, imputable aux impositions directes pesant sur les ménages, qui représenteraient encore 15,9 % du PIB en 2015, en dépit de la suppression de la première tranche de l'impôt sur le revenu, contre 14,5 % en 2011. On voit, et le ministre lui-même l'a reconnu, que les ménages ont eu à supporter l'essentiel des efforts de redressement des comptes publics et que la récente décélération de la pression fiscale ne leur profite pas véritablement.

Cette analyse est confortée par le fort accroissement de la part, dans les prélèvements obligatoires totaux, des impositions directes acquittées par les ménages, qui atteindrait 35,7 % en 2015 contre 34 % en 2011, alors que la part de la charge fiscale des entreprises reculerait de 41,9 % à 38,5 %. Ceci explique largement le « ras-le-bol fiscal » évoqué jusque dans les rangs de la gauche.

Loin de moi l'idée de regretter la réduction des prélèvements sur les entreprises, qui avaient atteint des sommets, mais ce que je regrette, c'est l'absence d'effort réel d'économies, et le fait que la France se singularise par le taux de progression de sa dépense publique, qui atteint plus du double de la moyenne de la zone euro. Non seulement nous ne faisons pas les efforts nécessaires que d'autres ont faits, mais le Gouvernement annonce des mesures nouvelles qui ne sont pas financées et supposeraient pourtant que l'on aille au-delà des 50 millions d'euros d'économies programmés. On mesure là les limites d'un ajustement budgétaire reposant essentiellement sur des hausses de la fiscalité. Les Français n'oublient pas que cette majorité avait annoncé un quinquennat en deux phases, et que si un effort fiscal leur était demandé dans un premier temps, viendrait bientôt une réduction des dépenses - que l'on attend toujours. Il eût été préférable que la stratégie budgétaire repose dès le début de la législature sur une baisse de la dépense publique plutôt que sur la hausse de la fiscalité.

Dans le cadre du présent projet de loi, le Gouvernement prévoit une stabilisation de la part de la dette publique dans la richesse nationale à compter de 2016. Cette part se rapproche dangereusement des 100 %  : au cours de l'exercice prochain, la dette représenterait 96,5 % du PIB, soit 0,2 point de plus qu'en 2015. Le Gouvernement table sur une stabilisation en 2017, et une décrue en 2018, mais je préfère, quant à moi, m'en tenir prudemment au cadre de l'annualité budgétaire. Le montant des émissions de dette devrait rester élevé. Ainsi, selon un récent communiqué de l'Agence France Trésor, les émissions de dette nettes des rachats réalisées pour le compte de l'État s'élèveraient à 187 milliards d'euros en 2016, soit un niveau identique à celui observé en 2015.

Avant d'aborder spécifiquement la situation budgétaire de l'État, je souhaiterais m'arrêter quelques instants sur la trajectoire des finances locales proposée par le Gouvernement.

Vous savez qu'en 2016, les concours financiers de l'État aux collectivités territoriales reculeraient de 3,5 milliards d'euros, comme au cours de l'exercice précédent. Si la trajectoire proposée par le Gouvernement prévoit, malgré tout, une augmentation des ressources totales des administrations publiques locales de 1,1 % en 2016, soit de 2,7 milliards d'euros, celle-ci ne permettrait pas de compenser la progression des dépenses locales de 1,2 %, soit 3,8 milliards d'euros, au cours de l'année à venir. Moyennant quoi, les collectivités locales n'auront d'autre choix, pour équilibrer leurs comptes, que de recourir à l'emprunt, de prélever sur leurs réserves de trésorerie ou bien encore de procéder à des hausses d'impôt - d'ores et déjà estimées à 0,8 milliard pour 2016. Sans compter, ainsi que l'a clairement montré le rapport d'information de la délégation du Sénat aux collectivités territoriales, les conséquences immanquables sur l'investissement public de la diminution des concours financiers de l'État.

Les collectivités territoriales n'ont, de fait, que peu de marges de manoeuvre pour procéder aux économies attendues dans le cadre de la trajectoire gouvernementale. De nombreuses hausses des dépenses résultent de décisions de l'État. La Cour des comptes a ainsi estimé le coût de la réforme des rythmes scolaires entre 350 millions d'euros et 620 millions d'euros, celui des normes techniques en matière de transport public à 453 millions d'euros par an jusqu'en 2019, les décisions nationales sur les dépenses de personnel des collectivités territoriales à 450 millions d'euros en 2015 et la revalorisation du revenu de solidarité active (RSA) à 450 millions d'euros en 2015. Ajoutons que le Conseil national d'évaluation des normes a estimé que les 303 projets de textes examinés au cours de l'année 2014 représenteraient un coût brut de 1,4 milliard d'euros en année pleine, pour 633 millions d'euros d'économies.

Dans ces conditions, ainsi que ne manque pas de le souligner l'Association des maires de France (AMF), il est fort probable que la diminution des dotations de l'État se traduise par un nouveau recul des dépenses d'investissement des collectivités territoriales qui restent, à court terme, les dépenses les plus aisément modulables. Sachant que les collectivités locales portent l'essentiel de l'investissement public, ceci pourrait avoir des conséquences dramatiques sur la construction et les travaux publics. Nous aurons l'occasion d'y revenir au cours du débat spécifique que nous aurons sur ce sujet.

J'en viens aux principales caractéristiques du budget de l'État pour 2016.

Les recettes nettes de l'État devraient s'établir à 292,3 milliards d'euros en 2015 et 301,7 milliards d'euros en 2016, soit une hausse de 2,8 %. Une partie de cette augmentation, à hauteur de 1,6 milliard d'euros, provient des recettes non fiscales de l'État. Quant aux recettes fiscales, elles devraient croître de 5,8 milliards d'euros. Cette hausse provient principalement de l'impôt sur le revenu - pour 2,7 milliards d'euros - et de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) - pour 3,2 milliards d'euros.

Si l'on y regarde de près, on constate que la majeure partie de ces augmentations n'est pas liée à des mesures nouvelles mais au dynamisme de l'évolution spontanée des recettes. La seule mesure significative est relative à l'impôt sur le revenu : le relèvement de la décote prévu à l'article 2, dont nous débattrons largement.

En matière de politique fiscale, le Gouvernement fait preuve d'une réelle indécision. Loin du « grand soir » et de l'ambition annoncée d'une « remise à plat », il se contente de petites retouches. Celle de la décote rend l'impôt sur le revenu de plus en plus illisible - les radicaux ne me démentiront pas - et porte à s'interroger sur ce qu'il reste de légitimité à un impôt qui touche de moins en moins de contribuables.

Le projet de loi de finances est assez optimiste quant à l'élasticité des recettes fiscales à la croissance. Le Gouvernement table ainsi sur un rebond tant de la TVA que de l'impôt sur le revenu, selon un scénario qui contraste largement avec ce que l'on a connu dans les années passées. Je rappelle que l'exécution 2014 a fait apparaître 9,7 milliards de moins-values fiscales, ainsi que l'a souligné la Cour des comptes.

J'ai déjà souligné l'augmentation de la charge fiscale pesant sur les ménages. L'impôt sur le revenu est bien sûr concerné : son rendement devrait connaître une hausse de près de 40 % entre 2012 et 2016, passant d'environ 51 milliards d'euros à près de 70 milliards d'euros. L'augmentation du produit de l'impôt sur le revenu ne s'est pas accompagnée d'un accroissement similaire du nombre de contribuables et la concentration déjà importante de cet impôt sur le revenu a été encore accrue par les réformes successives intervenues ces dernières années. Je pense à la réforme du quotient familial, qui pèse pour près de 85 % sur les foyers fiscaux situés dans le dernier décile de la population imposable, ou à la suppression de l'exonération sur les heures supplémentaires.

Une part de l'augmentation globale du produit de l'impôt sur le revenu est certes liée à son évolution spontanée, mais même après neutralisation de la croissance spontanée de l'impôt sur le revenu, ce sont au total près de 7 milliards d'euros supplémentaires qui ont pesé sur les ménages de 2013 à 2016, du seul fait des mesures prises par la majorité gouvernementale depuis 2012.

L'accélération, depuis 2012, des départs des assujettis à l'impôt sur le revenu montre que cette aggravation de la pression fiscale pose problème. Un rapport sur l'exil fiscal, que l'on doit à l'initiative du Parlement, témoigne que le nombre de redevables qui partent pour l'étranger connaît une très forte progression. Nombreux sont les départs vers la Belgique de contribuables dont le revenu fiscal de référence est élevé. Il y a là un vrai sujet.

J'ajoute que la suppression de la première tranche et le relèvement à venir de la décote sont très loin de compenser la progression de 40 % de l'impôt sur le revenu entre 2012 et 2016.

Les dépenses fiscales continuent d'augmenter en 2016 pour atteindre 83,4 milliards d'euros, soit près de 30 % des dépenses du budget général. Cette hausse est d'autant plus problématique que la majorité des dispositifs ne sont pas soumis à évaluation : pour 90 dépenses fiscales sur un total de 450, le Gouvernement est incapable de produire une estimation. Pour 18 d'entre elles, on n'attend aucun bénéficiaire en 2016.

M. Claude Raynal . - Ce ne sont donc pas des dépenses...

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Mais si aucun contribuable ne s'y intéresse, cela devrait porter à simplifier. Il y a là, pour le moins, un problème de suivi. Sans parler des coûts de gestion. Quand on voit le nombre de postes que perd cette année la direction générale des finances publiques, on se dit que l'on pourrait peut-être lui simplifier un peu le travail.

L'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés totalisent à eux seuls 53,1 milliards d'euros de dépenses fiscales, dont plus de 13 milliards d'euros de crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et 5,5 milliards d'euros de crédit d'impôt recherche (CIR). Si ces dispositifs, qui viennent d'atteindre leur régime de croisière, méritent d'être préservés, il reste des marges de manoeuvre sur le reste. Encore une fois, 88 de ces niches donnent lieu à des dépenses non chiffrées, 57 le sont pour moins d'un million d'euros, 18 n'ont aucun bénéficiaire. J'ajoute que l'incapacité des services à fournir un chiffrage n'est pas sans incidence sur la capacité de contrôle du Parlement.

En 2016, les dépenses du budget général de l'État devraient s'élever à 306,2 milliards d'euros, soit une hausse de 10,6 milliards d'euros par rapport à la prévision révisée pour 2015. Hors mesures de périmètre, la hausse est ramenée à 1,3 milliard d'euros.

Le montant élevé des mesures de périmètre et de transfert est lié à la reprise sur le budget général des aides au logement, des moyens précédemment dévolus à la prime pour l'emploi fusionnée avec le RSA-activité et à la « rebudgétisation » de certains crédits du ministère de la défense.

Je vais m'attacher à analyser les dépenses de l'État sous trois angles : l'évolution d'un exercice à l'autre, posant notamment la question du quantum prévu d'économies tendancielles, la comparaison de la budgétisation avec les normes pluriannuelles régissant l'évolution des dépenses de l'État et enfin la répartition des crédits par destination.

L'évolution tendancielle des dépenses de l'État en 2016 est revue à la baisse par rapport à la prévision retenue dans la loi de programmation des finances publiques, en raison de l'ajustement des hypothèses d'inflation. Hors charge de la dette, pensions et transferts aux collectivités locales et à l'Union européenne, l'évolution tendancielle est ainsi estimée à 5 milliards d'euros par an, contre une évaluation à 5,4 milliards d'euros par an dans la loi de programmation des finances publiques. C'est la composante relative à la masse salariale qui explique cette diminution.

Les économies annoncées sur le champ de l'État et de ses opérateurs par rapport à cette hausse tendancielle s'élèveraient à 5,1 milliards d'euros portant principalement sur les opérateurs - 1 milliard d'euros - et les dépenses d'intervention - 2,7 milliards d'euros. Beaucoup de ces économies ne sont pas documentées : ainsi, sur le total de 2,7 milliards d'euros d'économies sur les dépenses d'intervention annoncé, seuls 375 millions d'euros sont rattachés à des mesures précises. J'ajoute que les économies annoncées dans le projet de loi de finances pour 2016 compenseraient à peine l'évolution tendancielle des dépenses.

En réalité, les crédits des ministères continuent d'augmenter entre 2015 et 2016 et devraient connaître une hausse, à périmètre constant, de 200 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2015.

L'État ne tient pas les engagements pris dans le cadre de la loi de programmation : les crédits prévus par le projet de loi de finances pour 2016 dépassent de plus de 500 millions d'euros les plafonds de la loi de programmation. De même, l'objectif de stabilisation des effectifs de l'État, défini en loi de programmation des finances publiques, n'est pas tenu : ceux-ci augmentent depuis 2015 et la hausse devrait être particulièrement sensible en 2016. C'était jusqu'à présent le ministère de la Défense qui servait de variable d'ajustement, et c'était dans ses effectifs que l'on piochait pour financer, par exemple, les créations de postes dans l'Éducation nationale. On est revenu de cette logique, et la Défense est mieux soutenue, pour des raisons auxquelles nous souscrivons, mais il aurait fallu reporter l'effort ailleurs, pour assurer la stabilité des effectifs de l'État, qui repartent à la hausse, tant en effectifs qu'en masse salariale.

L'impact de la révision de la loi de programmation militaire (LPM) est limité à un surcroît de 4 875 équivalents temps plein travaillés (ETPT). À cette hausse des effectifs de la défense s'ajoute une augmentation supplémentaire de 4 716 ETPT dans les autres ministères. Ce n'est pas raisonnable. Nous agissons, en cela, à rebours de nos partenaires européens. La révision de la LPM aurait dû être gagée par des suppressions sur d'autres ministères.

M. Maurice Vincent . - La défense n'est pas la seule priorité. Que faites-vous de la justice ?

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Cela n'interdit pas de gager ces besoins sur les effectifs d'autres ministères. Si l'on considère que la magistrature, que la police, ont besoin d'effectifs, il faut trouver des économies ailleurs.

M. Richard Yung . - À l'écologie ?

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - On peut trouver des réserves aux ministères des affaires sociales ou de l'agriculture - je pense aux contrôleurs. Songez aux doublons avec les services des collectivités locales. Nous ne manquons pas de propositions et nous en reparlerons.

Le budget de l'État se répartit en trois agrégats d'ampleur comparable : les dépenses de personnel, hors compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions », les dépenses de fonctionnement et les dépenses d'intervention parmi lesquelles deux tiers environ de dépenses de guichet, c'est-à-dire dont le versement est automatique dès lors que le demandeur remplit les conditions requises et sur lesquelles l'État n'a aucune maîtrise.

La méthode du « rabot », je le répète, a touché ses limites, ce dont témoignent les difficultés rencontrées par le Gouvernement pour diminuer les crédits des missions dès lors que ne sont pas redéfinies les politiques publiques associées. La maîtrise des dépenses de l'État suppose d'en redéfinir le champ d'action et les priorités. Sinon, on touche aux limites du système, et le risque est grand voir sacrifiées les dépenses d'investissement.

D'ores et déjà, elles ont été réduites, pour l'État, de 10 % en six ans, et le programme d'investissements d'avenir (PIA) - que l'on peut considérer comme une forme de débudgétisation - n'a pas suffi à enrayer cette diminution. Si l'on ajoute à cela la baisse de l'investissement des collectivités territoriales, il y a de quoi s'inquiéter. Notre pays est un pays qui n'investit plus.

Le solde budgétaire de l'État devrait connaître une légère amélioration en 2016 et passer de 73 milliards d'euros à 72 milliards d'euros. Cependant, la prise en compte des décaissements effectués au titre des investissements d'avenir, conformément aux recommandations formulées par la Cour des comptes dans son rapport relatif à la gestion budgétaire de l'exercice 2014, conduit à alourdir le déficit de l'État. Celui-ci serait en effet de 75,5 milliards d'euros en 2015 et de 74,2 milliards d'euros en 2016.

Le besoin de financement de l'État devrait s'élever à 200,2 milliards d'euros en 2016, en hausse de près de 8 milliards d'euros par rapport à 2015. Il se décompose entre 127 milliards d'euros pour l'amortissement de la dette déjà émise - selon la technique bien connue du sapeur Camembert, on creuse un trou pour en combler un autre - et 72 milliards d'euros de déficit à financer.

La dette de l'État continue donc d'augmenter et devrait atteindre 1 750 milliards d'euros en 2016. La finance est bien le meilleur ami de notre Président de la République puisque les taux d'intérêt restent, pour l'instant, assez faibles, permettant d'alléger la charge de la dette. Cela étant, je ne m'étendrai pas sur les conséquences, que je vous ai largement exposées l'an dernier, d'une remontée des taux de 100 points de base, qui représenterait à terme, sachant que la maturité moyenne de notre dette est de sept ans, plus de 20 milliards d'euros.

M. Vincent Delahaye . - Le rapporteur général a rappelé, s'agissant des hypothèses sur lesquelles se fonde ce budget, que si la prévision de croissance retenue était jugée « atteignable », il n'en va pas de même de la prévision d'inflation, plus discutable. Mais quid des autres paramètres ? L'augmentation attendue de la masse salariale, à hauteur de 2,8 %, surprend. De même que la progression de 5 % de l'investissement, alors que tous les indicateurs, qu'ils concernent les ménages, les entreprises ou les administrations publiques ne devraient pas porter à un tel optimisme.

En ce qui concerne les dépenses, nombre d'économies annoncées ne sont pas documentées, ainsi que l'a relevé la rapporteure générale de la commission des finances de l'Assemblée nationale elle-même. J'aimerais savoir quelles sont les références utilisées pour établir le tendanciel d'évolution des dépenses.

Les 2,2 milliards d'euros qui sont venus s'ajouter à la loi de programmation militaire ne sont pas pris en compte dans ce projet de loi de finances. Ce n'est pas négligeable.

S'agissant des recettes fiscales nettes, les 286 milliards d'euros attendus pour 2016 ne représenteraient-ils pas un record historique ?

Si le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) modère les prélèvements sur les sociétés, n'oublions pas les augmentations importantes décidées en début de quinquennat, qui continuent de produire leurs effets. Cela représente une centaine de milliards d'euros de prélèvements supplémentaires chaque année. J'aurais aimé que notre rapporteur général dresse un tableau permettant de comparer les effets de ces augmentations et les allègements apportés par le CICE, afin d'établir un solde net par année. Je suis presque sûr qu'au total, les prélèvements se sont aggravés.

Je m'interroge, enfin, sur les « recettes diverses ». Peut-on raisonnablement penser que la vente des fréquences de la bande des 700 MHz, qui doit produire 2 milliards d'euros interviendra en 2016 ? À quoi correspond le produit Coface, inscrit pour 1,7 milliard d'euros ? Même question pour les produits divers, à hauteur de 4 milliards d'euros.

M. Richard Yung . - J'ai trouvé la tonalité de cette présentation positive et encourageante, à rebours du jeu de rôle qui prévaut généralement dans cet exercice. Le rapporteur général nous a ainsi indiqué que l'hypothèse de croissance retenue était raisonnable. J'ajoute qu'elle est prudente : ce chiffre de 1,5 % est probablement en deçà de ce que sera la croissance de l'économie française en 2016. Cela libère la discussion des chicanes habituelles sur les prévisions de croissance.

Les dernières données dont nous disposons sur l'économie américaine sont plus encourageantes que ne le laisse penser le seul ralentissement intervenu au deuxième trimestre : elles montrent qu'au troisième trimestre, la consommation a repris. C'est un moteur important, même s'il ne remplacera pas entièrement le moteur chinois. Le problème, à mon sens, tient davantage à l'inflation. Les derniers chiffres sont loin de l'hypothèse de 1 % retenue - sur les douze derniers mois, on est même à - 0,1%. C'est un vrai souci, et la preuve en est que toute la politique de la BCE tend désormais à remonter vers 2 %. Et l'on peut prédire que cette politique d'achat d'actifs va se poursuivre, voire s'amplifier. Il faudrait remonter au moins à 1 %, sinon plus. Nous sommes loin de l'époque où l'inflation était considérée comme un mal et on lui retrouve, aujourd'hui, quelques charmes.

En ce qui concerne le déficit, vous avez souligné que le plan d'économies de 50 milliards d'euros n'était pas suffisant et qu'il faudrait porter le fer dans les effectifs de la fonction publique. J'observe que lors des discussions à l'Assemblée nationale, Hervé Mariton, expert en la matière, n'en a pipé mot. Il a certes dit que ces 50 milliards d'euros n'étaient que roupie de sansonnet, et que c'est le double qu'il s'agissait pour votre camp de proposer. Comment ? Il faut y prêter l'oreille, car nous savons que l'on a toujours à apprendre de lui : par une réforme des retraites « vigoureuse » - tout est dans cet adjectif -, pour 20 milliards d'euros d'économies ; par une réforme de l'indemnisation du chômage - avec la fin des emplois aidés -, pour 10 milliards d'euros ; par la révision et la simplification des normes, pour 20 milliards d'euros ; par une réforme de la politique du logement, qui mettrait fin à l'hyperfiscalisation et à l'hypersubventionnement, pour 15 milliards d'euros ; par un transfert des recouvrements de la sécurité sociale des Urssaf à Bercy, pour 20 milliards d'euros ; par une économie de 10 milliards d'euros sur les collectivités territoriales. Voilà le tableau. Un tableau dans lequel je ne vois rien, cependant, concernant une réduction des effectifs de la fonction publique.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Nous reparlerons bientôt des 35 heures.

M. Éric Bocquet . - La discussion générale sera l'occasion de détailler nos propres contre-propositions. Pour l'heure, je suis tenté de m'inspirer de notre ami Coluche, à qui l'on doit l'expression « laver plus blanc que blanc », pour vous dire que vous peignez plus noir que noir. Il est vrai que les perspectives en matière budgétaire sont assez sombres, ce qui confirme, à notre sens, que les choix engagés ne sont pas les bons, mais je m'étonne de vous voir adopter la manière noire, car au fond, l'ancienne et la nouvelle majorité partagent le même objectif de réduction drastique de la dépense publique. Les uns proposent 50 milliards d'euros d'économie, les autres 100 milliards d'euros, et la dépense publique est présentée comme un mal absolu. C'est oublier qu'elle participe à la création de richesse.

Il serait utile de faire un point sur le contexte européen. La reprise évoquée reste très timide, et la BCE, contrevenant à ses propres règles, en est venue, depuis le mois d'avril, à injecter 60 milliards d'euros par mois dans les circuits financiers. À cela s'ajoute le « plan Juncker », à hauteur de 315 milliards d'euros sur trois ans. Quel en est le bénéfice pour la France, et comment expliquer que la part qu'elle en retire reste à ce jour sans effet sur l'économie réelle ?

La réforme fiscale dont nous avons besoin, toujours annoncée, n'est pas en vue, comme en témoigne la valse-hésitation de ces derniers jours. En matière de justice fiscale, on reste loin du compte.

Vous avez évoqué l'exil fiscal, qui concernerait un nombre croissant de contribuables. J'aimerais connaître votre avis sur cette question, comme rapporteur général de la commission des finances du Sénat et donc comptable des deniers de la République.

Vous dites qu'il n'y a pas débat sur le CICE et le CIR. Nous le contestons, et nous ne sommes pas les seuls : de plus en plus d'économistes relèvent la difficulté à mesurer leurs effets.

Lorsque vous avez parlé de la dette, vous avez omis de rappeler qu'elle est détenue, pour deux tiers de son montant, par des investisseurs non-résidents. J'aimerais connaître votre point de vue sur cette réalité.

M. Philippe Dallier . - Le fait est qu'un certain nombre d'annonces ne sont pas financées. À celles que vous avez citées, j'ajouterai celle de Marylise Lebranchu concernant la revalorisation des grilles indiciaires de la fonction publique, qui aura un impact sur le budget de l'État et sur celui des collectivités territoriales. Pourrait-on disposer de chiffres précis et les intégrer ?

Même question sur l'évolution des prélèvements obligatoires. A-t-on intégré la hausse à venir des impôts locaux ? Le mistigri de la hausse des impôts est passé de l'État aux maires, dont la plupart devra supporter l'impopularité de ces augmentations. Certaines collectivités ont déjà augmenté leurs impôts en 2015, du fait de la baisse des dotations, et l'on peut penser que le pire reste à venir.

M. Serge Dassault . - Je rappelle que le Fonds monétaire international (FMI) appelle la France à une réforme fondamentale de ses dépenses publiques. Qu'attend-on pour s'y mettre ?

Notre rapporteur général ne considère-t-il pas que ce budget est plus électoraliste qu'il ne répond aux enjeux réels ? On ne résoudra pas les problèmes de la France en achetant des voix. Quel est son sentiment sur les prévisions de déficit pour 2016 et 2017 ? Le Gouvernement s'égosille à dire que l'on arrivera en dessous des 3 % en 2017 : cela me paraît toutefois assez difficile.

Notre rapporteur général ne craint-il pas une augmentation prochaine des taux d'intérêt si, comme on semble le prévoir de l'autre côté de l'Atlantique, les Américains prenaient la décision de remonter les leurs, ce qui serait catastrophique ?

Le nombre de départs de contribuables - plus de 100 000 - a de quoi alarmer. « Faire payer les riches », voilà bien un dogme stupide. Car ils partent investir ailleurs.

Notre rapporteur général a raison de dire que les réductions de dépenses ne sont pas documentées. Il est facile de dire que l'on augmente une dépense aujourd'hui et que l'on compensera ailleurs dans le futur. C'est pourtant ce que l'on fait avec les dépenses de sécurité sociale, alors que l'on pourrait réduire dès à présent un certain nombre de dépenses sociales, qui sont légion.

M. Claude Raynal . - Je veux m'efforcer de lever l'embarras qu'ont pu provoquer chez notre rapporteur général les propos d'allure louangeuse de mon collègue Richard Yung.

Vous jugez l'hypothèse de croissance de 1,5 % retenue en 2016 atteignable, en relevant que l'activité économique continuera de profiter de facteurs favorables : « reprise économique dans la zone euro, faiblesse des taux d'intérêt et de l'euro en lien avec la politique de la BCE, amélioration du climat des affaires, etc. » Vous n'oubliez qu'une chose : les effets de la politique gouvernementale. Mais peut-être cela tient-il dans le « etc. » ?

Je suis surpris de vous voir ressortir la notion de « solde structurel », que vous tirez de la naphtaline où notre commission des finances, consciente que sa définition est difficile à établir et suscite des dissensions entre les économistes, l'avait placée. Sans compter que l'impact sur la croissance d'une politique guidée par cette exigence de réduction du déficit structurel serait considérable, ainsi que l'a magistralement démontré, chiffres en main, Michel Sapin. Je suis étonné, enfin, de voir Les Républicains que vous vous targuez d'être adopter le point de vue incantatoire de l'Union européenne. « De Gaulle, reviens ! Ils sont devenus fous », ai-je envie de m'écrier.

Nous traversons, d'évidence, une période économique trouble. Nous connaissons les fragilités qui s'imposent à nous. Vous reprochez au Gouvernement d'en rester au chiffre de 50 milliards d'euros de réduction des dépenses. Mais il ne faut pas confondre les adaptations budgétaires annuelles, comme celle qui résulte de la volonté unanime de renforcer les moyens de la défense nationale, donc ses effectifs, ce qui ne va pas sans coût - et qui doit trouver, vous avez raison en cela, sa compensation - avec le programme, structurel, de réduction des dépenses de 50 milliards d'euros, qui doit suivre sa trajectoire. Il s'agit d'un plan d'action sur trois ans dont les chiffres, si l'on veut qu'il reste lisible, ne doivent pas varier sans cesse.

Les réformes structurelles que vous appelez de vos voeux ? Celle que vous proposez nous laisse un peu sur notre faim. Sa seule vertu est de ne pas vous engager dans la course à l'échalote à laquelle on assiste aujourd'hui : 100 milliards, 120 milliards, 150 milliards d'euros, chaque fois que se déclare une nouvelle candidature aux primaires de votre parti, les enchères montent un peu plus. Au regard de quoi, l'économie de 2 milliards d'euros sur la fonction publique que vous avancez n'est pas de taille. D'autant que si vous pensez que l'on peut supprimer six jours de congé sans contrepartie, vous vous faites des illusions.

Vous nous avez présenté un intéressant graphique, qui remonte jusqu'à 2005, sur l'évolution de la charge fiscale des ménages et des entreprises, mais en avez livré un curieux commentaire. Car il fait apparaître que c'est entre 2010 et 2012 que l'effort fiscal demandé aux ménages a commencé à s'alourdir et qu'entre 2012 et aujourd'hui, il n'est passé que de 15,4 % du PIB à 15,9 %. Le Gouvernement n'a fait que poursuivre un mouvement déjà largement entamé.

Quant à votre raisonnement sur l'effort demandé aux collectivités territoriales et son impact sur l'impôt local, on peut le retourner comme un gant. En 2016, dites-vous, l'effort de 3,5 milliards d'euros qui leur est demandé risque de susciter une augmentation des impôts locaux à hauteur de 0,8 milliard d'euros. Et bien, voilà qui montre que 80 % de l'effort ainsi demandé peut être accompli de façon relativement indolore, je veux dire sans augmentation des impôts.

Dire que le pays n'investit plus en mettant en avant la baisse de 10 % des investissements de l'État me semble, pour le moins, excessif. Ce qui doit faire aujourd'hui le moteur de l'investissement, ce n'est pas l'investissement public, qui augmente la charge des prélèvements obligatoires - à rebours de votre voeu de ne pas voir augmenter les impôts. Quant à l'investissement des collectivités locales, il peut s'accommoder d'un recul temporaire : les infrastructures, les équipements publics, sur nos territoires, sont de qualité. En revanche, c'est l'investissement économique qu'il faut rechercher. Il faut faire en sorte que ceux qui créent de la richesse investissent.

M. Marc Laménie . - Mon unique question concernera le poids de la masse salariale des administrations publiques. Sur les 278 milliards d'euros que vous avez mentionnés, quelle est la part de la fonction publique territoriale ?

M. François Patriat . - Notre rapporteur général est souvent mesuré. Je m'explique d'autant plus mal son manichéisme d'aujourd'hui. Aucun pronostic, aucune mesure ne trouve grâce à ses yeux. Au fil de son exposé, je suis passé de la curiosité au doute, puis au désespoir. Il est vrai que je me sens souvent pris, dans nos échanges, entre le désespoir et la béatitude. Pourquoi ne pas tenir compte des réalités, et ne pas voir ce qui est concrètement fait ? Certes, tout n'est pas parfait dans ce budget, mais reconnaissez, même si vous y mettez un bémol, qu'il réduit la dépense publique, et tente de résorber les déficits budgétaires. Pourquoi ne pas relever qu'enfin, grâce aux mesures que prend le Gouvernement, la France et l'Allemagne sont à égalité en termes de compétitivité ?

Sur la baisse des dotations, on en reste invariablement à la partition des pleureuses. Malgré la dramatique réforme de la taxe professionnelle, qui a gravement amputé les ressources des régions, je puis témoigner, en tant que président de région, que les économies qui nous ont été demandées par le Gouvernement - 22 millions d'euros sur deux ans - ne m'ont pas conduit à réduire l'investissement, sans augmenter les impôts - au reste, depuis trois ans, les régions n'en ont pour ainsi dire plus.

Mme Marie-France Beaufils . - Je complèterai ce qu'a dit Éric Bocquet, en revenant sur la diminution des dotations aux collectivités territoriales. Il serait intéressant de connaître les premières réflexions de la commission d'enquête diligentée par l'Assemblée nationale. L'OFCE, qui a travaillé sur les conséquences de cette diminution, considère que son impact sur la dépense publique des collectivités territoriales serait d'environ 0,55 % du PIB. Il eût été intéressant d'avoir quelques détails. La Banque postale a publié une note de conjoncture : l'impact de la baisse des dotations sur l'épargne brute des collectivités serait également un élément intéressant à retenir.

Les collectivités sont des acteurs de la commande au monde économique dont l'efficacité est reconnue par les entreprises, alors que le supplément d'allègements consenti aux entreprises, j'en suis convaincue, n'aura pas la même efficacité sur l'investissement.

M. Roger Karoutchi . - Dans les périodes d'échec, on a tendance, à gauche comme à droite, à pointer du doigt le quinquennat précédent. De grâce, cessons de regarder dans le rétroviseur. Si le Gouvernement, en dépit des moyens de prévision dont il dispose, n'en était pas à reporter la réforme de la DGF, celle de l'allocation adultes handicapés (AAH) et à se rendre compte que les retraités payent des impôts locaux, vous pourriez peut-être faire la leçon à nos candidats à la primaire, mais vu la situation, un peu de modestie ne nuit pas.

A-t-on réellement prévu l'impact de la baisse des dotations aux collectivités locales sur l'investissement productif ? Claude Raynal relève, avec beaucoup d'esprit, qu'une baisse des dotations de 3,5 milliards d'euros est indolore puisqu'elle ne conduit qu'à 800 millions d'euros de hausse des impôts locaux. Mais c'est indolore d'un point de vue fiscal parce que les collectivités vont réduire leurs investissements. Je puis en témoigner pour les Hauts-de-Seine.

M. Claude Raynal . - C'est un choix.

M. Roger Karoutchi . - C'est le choix de ceux qui n'ont plus d'argent.

M. Claude Raynal . - Les Hauts-de-Seine ?

M. Roger Karoutchi . - À force de péréquation.

Je me pose une question : intègre-t-on, dans les prévisions, les évolutions démographiques, qui conduiraient à produire des prévisions différentes en termes de chômage, de retraites ?

M. François Marc . - J'apporterai quelques nuances à la présentation du rapporteur général.

Vous estimez que la trajectoire du solde structurel est devenue secondaire aux yeux du Gouvernement, je le conteste. S'agissant de l'élasticité des recettes, je considère, comme d'ailleurs le Haut Conseil des finances publiques, que la prévision est juste. À la différence des années 2012 et 2013, où elle avait été plus faible que ce que l'on avait anticipé, elle devrait même être supérieure.

Les finances publiques seraient, vous y avez insisté, mal maîtrisées ? Vous relevez l'augmentation annuelle moyenne de 2,1 % en valeur, entre 2011 et 2014, des dépenses publiques. J'attire votre attention sur le fait que si la dépense publique reste élevée, c'est que son augmentation moyenne, entre 2007 et 2012, a été très importante, de 3,2 % par an en moyenne. Depuis 2012, on est entre 1 % et 1,5 %. Ce qui montre assez que des efforts considérables ont été engagés et que votre propos mérite largement d'être nuancé.

J'en viens à l'effort demandé aux ménages. Vous ne pouvez pas dire, à la fois, que de moins en moins de ménages payent l'impôt sur le revenu - ce qui est une réalité, puisqu'ils ne sont plus que 46 % à 47 % à y être assujettis - et que cet impôt est de plus en plus lourd, arguant qu'il aurait augmenté de 40 % entre 2012 et 2016. Il faut mettre ces deux réalités en regard : l'augmentation de l'imposition des ménages les plus aisés a pour contrepartie une augmentation de revenus pour les plus modestes.

Dernière remarque, enfin. Alors que les échéances de nos prêts à la Grèce n'interviendront qu'à l'horizon 2020-2021, il est peu probable que la France soit appelée à contribuer, comme vous le laissez entendre, en 2016.

Mme Fabienne Keller . - Quatre points me semblent particulièrement intéressants. En premier lieu, l'analyse des évolutions de la masse salariale, qui, comme le montre le rapport de la Cour des comptes, n'est pas maitrisée, puisque la charge augmente. En deuxième lieu, l'anesthésie de la dette qui, augmentant en volume alors que sa charge diminue, n'en continue pas moins de frôler les 100 % du PIB. En troisième lieu, l'impôt sur le revenu qui a augmenté de 40 % alors que, n'en déplaise à François Marc, les revenus des plus modestes sont loin d'avoir progressé d'autant. En quatrième lieu, la chute des investissements de l'État, qui, sans le programme d'investissements d'avenir (PIA), serait plus qu'une chute, un crash .

Ma première question ne vous surprendra pas : elle concerne l'investissement des collectivités locales. La déstabilisation récente sur le calcul de la DGF au moment même où les collectivités élaborent leur plan pluriannuel décourage l'investissement. On le ressent clairement sur le terrain : les investissements de bien des collectivités se sont réduits de moitié. Aux effets désastreux sur l'emploi se rajoute l'impopularité des augmentations d'impôts locaux rendues nécessaires par le recul des dotations.

Je veux insister, en second lieu, sur les annonces non compensées. Il est surréaliste d'entendre le Président de la République annoncer en septembre, à l'ONU, une augmentation des crédits dévolus au climat et à l'aide au développement, pour 2 milliards d'euros et 4 milliards d'euros respectivement, et de constater, cinq jours plus tard, à l'occasion de la présentation du budget, que l'aide publique au développement est sacrifiée. Où est la sincérité ? Et je ne parle pas des autres annonces, à l'avenant. Le Gouvernement a le front de nous indiquer que c'est par voie d'amendement que ces annonces, faites il y a plusieurs semaines, et pour certaines au plus haut niveau de l'État, seront financées.

Une suggestion, pour finir. Il serait plein d'enseignements de comparer les grands agrégats de notre budget à ceux d'autres pays européens comme l'Allemagne, l'Espagne, l'Irlande, les Pays-Bas - bref, des pays qui ont fait le choix d'autres stratégies budgétaires.

M. Maurice Vincent . - Notre pays se trouve dans une situation macroéconomique complexe. Il faut à la fois restaurer la compétitivité des entreprises, réduire le déficit public et maîtriser la dette. On peut considérer que les résultats attendus de ce projet de loi de finances restent insuffisants, mais on ne saurait nier qu'ils vont dans la bonne direction. J'ai cru comprendre que vous souhaitiez une réduction plus rapide du déficit public et de la dépense publique mais je vous mets en garde : aller trop vite affaiblirait la croissance et pourrait provoquer une perte de recettes fiscales mettant en péril l'objectif de redressement des comptes publics. C'est pourquoi l'équilibre qu'a retenu le Gouvernement me semble le bon.

Au vu de vos propositions, il est clair que les fonctionnaires sont dans le collimateur. Ce que vous proposez représenterait, nous dites-vous, près de 2 milliards d'euros d'économies. Je relève qu'au regard des masses budgétaires, et surtout de l'effort que vous demandez, ce n'est pas grand-chose. Je relève de surcroît que dans le programme de votre camp, la suppression de l'ISF, dont vous n'avez rien dit ici, représente 5,5 milliards d'euros. Autrement dit, si l'on fait le compte, ce sont encore 3 milliards d'euros de perdus. Sans parler du caractère contestable de tels choix.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx . - J'ai peine à croire à une stabilisation de la dette publique en 2016, ainsi que l'annonce le Gouvernement. Je regrette que le graphique dans lequel vous retracez son évolution ne remonte pas en deçà de 2014, ayant souvenir qu'en 2013, on était à 93,5 % du PIB. Je comprends mal, de surcroît, comment on arrive au chiffre de 2015, de 96,3 %, alors qu'au deuxième trimestre, on était à 97,6 %. Il me semble que se référer au montant des émissions de dette n'est pas satisfaisant. Le Conseil d'analyse économique juge que si la croissance ne progresse pas, on devrait plutôt arriver à 145 % du PIB en 2040. Au regard de quoi, je m'étonne que vous repreniez cette idée d'une stabilisation de la dette publique en 2016.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - J'y mets, au contraire, un point d'interrogation.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx . - Je serais plus tranquille si vous disiez clairement que vous n'y croyez pas.

M. Yvon Collin . - Je reviens sur la question des niches fiscales, ce serpent de mer. Quelle part des dépenses est imputable aux dispositifs successifs d'exonérations fiscales en faveur de l'investissement locatif ? N'est-il pas temps pour notre commission de mener un travail destiné à évaluer l'efficacité de ces dispositifs ? Je sais bien que comme disait le président Chirac, il y a un chien dans chaque niche. Mais qu'il serait peut-être bon, sur celles concernant le logement, d'affronter.

M. Jean-Claude Requier . - Le temps est gris, l'humeur maussade et quand on écoute France Info le matin, c'est pour entendre en boucle la litanie de tout ce qui va mal. Autant dire que l'exposé du rapporteur général m'a donné un coup de plus sur la tête. Il est vrai que l'état des finances publiques et du déficit a de quoi alarmer.

La perception de l'inflation a bien changé. Dans ma jeunesse, c'était l'ennemi - souvenez-vous du blocage des prix sous Raymond Barre. Aujourd'hui, on aspire au retour de l'inflation, d'une inflation douce et équitable, sorte de cannabis qui soulagerait nos douleurs.

Nous autres radicaux sommes enfants de Caillaux : nous sommes pour l'impôt sur le revenu. Pour nous, il ne s'agit pas de réduire le nombre de contributeurs, mais bien plutôt de l'augmenter, et nous aurons sûrement un amendement à proposer en ce sens. Car l'impôt sur le revenu fonde la citoyenneté et l'attachement à la République.

Une question, pour finir. Dans les tableaux que vous nous présentez, il est question, s'agissant des dépenses de l'État en 2016, tantôt de 375 milliards d'euros, tantôt de 306,2 milliards d'euros. D'où vient cette différence ?

M. Philippe Dominati . - Ce budget prévoit un retour du déficit public en dessous des 3 % en 2017. N'oublions pas que cet objectif devait initialement être atteint en 2013, dès la première année du mandat du Président de la République. Et il est vraisemblable qu'il ne le sera pas la dernière.

Je reviens sur le temps de travail dans la fonction publique. Si l'on compare, mission par mission, nos effectifs à ceux de nos voisins, on se rend compte qu'ils sont analogues à ceux d'États développés comme l'Allemagne, l'Espagne ou l'Italie. Et pourtant, nous peinons à accomplir ces missions. Comme le montre le classement de l'OCDE, chez aucun de nos homologues européens, le temps de travail n'est aussi bas qu'en France. Quelles conclusions tirer de ce constat ?

Il a été question, dans votre présentation, de la baisse de la fiscalité pesant sur les entreprises. Elle était plus que nécessaire, tant le risque de décrochage de nos entreprises était élevé. Pour autant, la charge fiscale n'a pas été ramenée à un niveau qui assurerait leur compétitivité au regard des autres grands pays européens. On ne peut pas laisser entendre que cet effort est suffisant. J'aimerais vous voir indiquer quel est le gap qui subsiste et quelles orientations il conviendrait de prendre. Je veux bien que la réforme de la taxe professionnelle ait pénalisé les collectivités territoriales, mais elle a surtout pesé sur les entreprises, qui remettaient cet argent dans l'économie. Ceci pour dire qu'il reste beaucoup à faire pour restituer aux entreprises la part qui leur revient.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Vincent Delahaye a souligné l'optimisme des prévisions en matière d'investissement et regretté que le financement des dépenses nouvelles soit mal documenté. Pour ce qui concerne l'abondement des crédits de la Défense, la vente des fréquences de la bande des 700 MHz doit venir en compensation, mais rien n'est encore certain à ce jour car le processus d'enchères vient d'être lancé par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) : il y aura un délai entre le moment de l'attribution des fréquences et la perception des sommes.

La recette « Coface » est constituée pour une large part du produit de la vente des bâtiments de projection et de commandement à l'Égypte. Il s'agit de la contrepartie de l'indemnisation versée en 2015 aux industriels français du fait de l'annulation de la vente des Mistral.

Nous essayerons de retracer, comme vous le souhaitez, l'effet agrégé de l'augmentation des prélèvements sur les entreprises et des allègements apportés par le CICE. Le fait est que le taux de prélèvements sur les entreprises reste élevé, comme le soulignait à l'instant Philippe Dominati. En dépit du CICE et du Pacte de responsabilité, les mesures fiscales prises l'an dernier, notamment en loi de finances rectificative, et celles des années précédentes, qui continuent à produire leurs effets, ont alourdi la charge. Je pense à la non-déductibilité des charges financières.

Quant aux critères sur lesquels s'appuie le Gouvernement pour élaborer un tendanciel d'évolution des dépenses, vous les retrouverez aux pages 140 à 146 du rapport économique, social et financier (RESF) annexé au projet de loi de finances.

En réponse à Richard Yung, j'indique qu'en estimant l'hypothèse de croissance « atteignable », je n'ai fait que reprendre, par souci d'objectivité, le terme employé par le Haut Conseil des finances publiques. On peut toujours espérer mieux, mais le Haut Conseil reste nuancé. L'inflation, en revanche, pose une vraie question. Tous les gouvernements espèrent une remontée, mais on ne voit rien venir.

Si je m'étonne que le programme d'économies reste à 50 milliards d'euros, c'est que des mesures nouvelles sont annoncées, qu'il faudra bien financer...

Mes remarques sur le temps de travail ont suscité beaucoup de questions. Nous avons commandé un rapport à la Cour des comptes, qui a mené un travail très complet. Il ouvre des pistes. Passer de 35 heures à 39 heures représenterait une économie, sur les trois fonctions publiques, de 7 milliards d'euros. Je suis dans mon rôle en le faisant savoir. D'autres pays ont su faire des efforts en matière de fonction publique et ont une croissance plus importante que la nôtre.

Je ne dis pas - ceci pour répondre à Éric Bocquet - que le CICE est un dispositif idéal, mais il a apporté un peu de stabilité qu'il ne faut pas remettre en cause. Quant au CIR, notre déplacement à Toulouse a montré que même si tout n'est pas parfait - la perfection n'est pas de ce bas monde - il a aidé à relocaliser la recherche en France.

Sur l'exil fiscal, un rapport, que l'on doit à l'initiative du Parlement, est publié chaque année, qui donne des éléments de comparaison. Je le tiens à votre disposition.

La dette est détenue, pour un tiers, par des résidents français, pour un tiers par des résidents de l'Union européenne, et pour un dernier tiers par des résidents hors Union européenne. Si bien qu'en effet, elle est détenue aux deux tiers par des non-résidents, ce qui pose la question d'une hausse des taux d'intérêt si les investisseurs décidaient de se détourner de la France. C'est notre différence avec le Japon, pays surendetté mais dont la dette est essentiellement domestique.

Philippe Dallier s'interroge sur l'impact des mesures dites « Lebranchu », qui d'après les estimations de la Cour des comptes représenteront, à l'horizon 2020, 4 à 5 milliards d'euros par an de dépense - dont 2,5 à 3 milliards d'euros pour la fonction publique d'État. Elles ne monteront que progressivement en charge et auront un impact relativement limité en 2016.

La baisse des dotations aux collectivités produit un double effet : baisse de l'investissement et hausse des impôts locaux. On attend ainsi, pour 2016, une hausse contrainte des prélèvements de 800 millions d'euros.

Le FMI n'est pas seul, Serge Dassault, à appeler la France à des réformes. La Commission européenne le fait aussi. Ce budget est-il « électoraliste » ? Je dirais que le Gouvernement y reconnait les erreurs faites par le passé en matière de fiscalité, qu'il essaie de corriger - ce qui posera, s'agissant de l'impôt sur le revenu, d'autres problèmes.

Je vous rejoins pour penser que le seuil des 3 % ne sera pas atteint en 2017. Quant aux taux d'intérêt, le seul élément qui plaide pour leur stabilité, sachant qu'en effet, les États-Unis ne font que repousser leur remontée de semaine en semaine, c'est la faiblesse de la croissance en Europe.

Sur les départs de contribuables à l'étranger, je vous renvoie, comme Éric Bocquet, au rapport que j'ai signalé.

Je ne suis pas un sectateur du solde structurel, Claude Raynal, mais j'observe que le ministre lui-même a évolué, puisqu'il nous a parlé du déficit effectif exprimé en euros sonnants et trébuchants. Qu'on le veuille ou non, nous sommes tenus par nos engagements européens. Je vous rappelle que nous sommes en procédure de déficit excessif et avons dû prendre des engagements écrits sur un programme de réformes et des mesures de stabilité. La notion de solde structurel fait partie des critères européens, et nous faisons partie de l'Union européenne. Nous ne devons pas nous écarter de nos prévisions de déficit, si bien que toutes les mesures nouvelles devraient être financées par des économies à due concurrence. C'est bien pourquoi je m'interroge sur le fait que le montant de 50 milliards d'euros d'économies programmés ne varie pas.

Les mesures structurelles ? Je viens d'en donner un exemple, pour 7 milliards d'euros, avec le temps de travail dans la fonction publique. Je pourrais vous en citer bien d'autres - le jour de carence, le glissement vieillesse technicité (GVT) -, y compris sur d'autres sujets, comme la réforme des retraites, la contribution aux régimes spéciaux, etc. J'observe que des pays voisins ont fait ces réformes de structures, que nous n'avons pas engagées.

Sur les 278 milliards d'euros représentant la masse salariale des administrations publiques, la part des collectivités territoriales compte pour 77,8 milliards d'euros. Ceci pour répondre à la question de Marc Laménie.

Tenir compte des réalités, François Patriat ? Il n'est que de dresser quelques comparaisons. Le coût horaire du travail est en France de 34,8 euros quand il est de 30,9 euros en Allemagne.

La réforme de la taxe professionnelle ? Cette « taxe imbécile » - le mot n'est pas de moi... - pénalisait les entreprises industrielles de main d'oeuvre. La contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) qui l'a remplacée a d'abord été faite pour y remédier, et c'est un impôt dynamique : la meilleure preuve en est qu'il est très convoité... Si cette contribution n'était pas productive, les régions ne se battraient pas pour elle.

Je rejoins Marie-France Beaufils, qui s'interroge sur l'impact de la baisse des dotations sur l'investissement des collectivités. Toutes les études convergent. Selon l'Observatoire des finances locales, l'investissement des collectivités représentait 58,7 milliards d'euros en 2013 ; Il a chuté de 7,1 % en 2014, à 54,1 milliards d'euros, et de 8,5 % en 2015, à 49,5 milliards d'euros. L'impact de la baisse des dotations est bien double : augmentation de la fiscalité - 800 millions d'euros en 2016 - et baisse de l'investissement, qui fragilise un certain nombre de secteurs. N'oublions pas que les collectivités n'ont pas droit au déficit. Or, la réduction des dépenses de fonctionnement a ses limites, compte tenu de leur rigidité.

Roger Karoutchi a raison de souligner à son tour que la baisse de la DGF a des conséquences directes sur l'investissement.

François Marc m'interroge sur les prêts à la Grèce. Il faut distinguer entre les engagements financiers de la France au titre de la dette grecque et les aides qui seront apportées par le mécanisme européen de stabilité (MES) à la République hellénique. C'est dans le premier cas que réside le risque pour 2016. Je vous renvoie au travail sur l'exposition de la France à un éventuel défaut de la Grèce que nous avons réalisé en juillet.

Les gains salariaux liés aux réformes de l'impôt sur le revenu ? Hors progression spontanée des recettes, l'impact des mesures fiscales sur le revenu atteint 7 milliards d'euros, ce qui va bien au-delà des gains qu'ont pu enregistrer les foyers sortis de cet impôt.

Fabienne Keller a raison de déplorer les effets de la baisse des dotations sur l'investissement des collectivités : près de 10 milliards d'euros entre 2013 et 2015.

Il est juste de relever que les annonces, notamment liées au climat, pour 3 à 5 milliards d'euros d'ici à 2020, ne sont pas, pour l'heure, financées. Quant aux éléments de comparaison que vous demandez, nous vous les fournirons.

En dépit des efforts que relève Maurice Vincent, nous ne sommes pas en phase avec nos engagements européens. La Commission nous a concédé à deux reprises un report de notre engagement de retour du déficit public sous les 3 %. Quant aux pistes que j'ai citées, pour mémoire, elles me sont inspirées par le récent rapport de la Cour des comptes.

Le montant de la dette, Marie-Hélène Des Esgaulx, doit être mesuré au 31 décembre, car les émissions varient en cours d'année, si bien que l'on ne peut considérer que tous les trimestres sont équivalents. Je me permets de vous renvoyer aux simulations réalisées pour mesurer les effets d'une variation de la dépense publique ou de la croissance sur la dette.

Yvon Collin s'interroge sur l'efficacité des dépenses liées aux exonérations en faveur de l'investissement locatif. Notre groupe de travail sur le logement a montré que la dépense attachée aux dispositifs successifs représente un coût annuel de 1,8 milliard d'euros. Il est vrai qu'il faut s'interroger, mais les constructeurs objectent que c'est la seule aide qui leur est consentie et que sans elle, la construction s'effondrerait.

Jean-Claude Requier, fidèle à la mémoire de Joseph Caillaux, pose une vraie question. Le caractère universel de l'impôt sur le revenu, entre la loi de finances pour 2015 et celle-ci, se trouve largement entamé. Même si la contribution sociale généralisée (CSG) n'est pas concernée, il y a là un vrai sujet, auquel je suis sensible.

La différence que vous observez dans le montant des dépenses de l'État tient au prélèvement sur recettes.

Je ne peux que constater, comme Philippe Dominati, que les 3 % ne seront pas atteints en 2017. Il est vrai que les effectifs de la fonction publique sont globalement, en France, en phase avec ceux des autres pays européens. Mais nous avons un vrai problème de temps de travail, ainsi qu'il le souligne. Il y a là une question d'équité. Quand on sait que les sapeurs-pompiers font 90 gardes de 24 heures par an - les présidents de conseils généraux ne me démentiront pas - ou qu'à Paris, les policiers municipaux peuvent être amenés à faire 28 heures de service actif de nuit, on comprend que des comparaisons se fassent.

Je le rejoins sur la fiscalité des entreprises. Je l'ai dit, en dépit de l'oxygène qu'ont apporté le CICE et le Pacte de stabilité, d'autres mesures sont venues alourdir la charge et continuent à produire leurs effets, si bien que le taux de prélèvements obligatoires reste élevé.

J'appelle à la vigilance sur le prochain projet de loi de finances rectificative, qui pourrait encore amener d'autres mesures. Résultat, la France se classe parmi les pays dont le taux de prélèvements obligatoires sur les entreprises est parmi les plus élevés.

La commission a donné acte au rapporteur général de sa communication.

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