EXAMEN EN COMMISSION

Réunie mercredi 7 octobre 2015, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial, sur la mission « Immigration, asile et intégration ».

M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial . - Je vous annonce tout de suite que je demanderai de réserver notre position sur les crédits de cette mission. En effet, le Gouvernement a annoncé qu'il abonderait la politique d'immigration de 279 millions d'euros en 2016, mais nous n'avons aucune idée de leur répartition. D'après les informations orales dont nous disposons, 85 millions d'euros seraient fléchés sur les deux programmes 303 et 104 de la présente mission. Dans l'attente de la répartition de ces crédits, dont le montant pourrait représenter plus de 10 % des crédits de la mission, je préfère réserver notre position.

Dans cette mission, il y a quelques points positifs, un nombre certain de points négatifs, et beaucoup d'interrogations.

Parmi les points positifs, je citerai la construction des places en centre d'accueil des demandeurs d'asile. Je l'avais déjà souligné et salué les années passées, il y a là un véritable effort puisque l'on construit entre 3 000 et 4 000 places de CADA par an depuis 2013. Or, je considère que le cadre CADA devrait être le cadre prioritaire d'accueil des demandeurs d'asile, car c'est une structure contrôlée, équipée, accompagnée.

Cependant, il n'en reste pas moins qu'il reste environ 40 % des demandeurs hébergés dans d'autres structures que des CADA - en particulier des centres d'hébergement d'urgence et des hôtels.

Parmi les points négatifs, il reste, comme chaque année, la sous-budgétisation des dispositifs d'hébergement d'urgence et de l'allocation. S'agissant de l'allocation, la dotation inscrite est systématiquement inférieure d'au moins 40 millions d'euros à la dépense constatée de l'année antérieure. Il en va de même, peu ou prou, de l'hébergement d'urgence. En conséquence, il est nécessaire de procéder à des abondements en cours d'année. Ainsi, le budget global de la mission est de 703 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2016, alors que la dépense véritablement constatée en 2014 s'élevait à 770 millions d'euros. Je doute que qui ce soit pense sérieusement qu'il soit possible de dépenser en 2016 moins qu'en 2014 en matière d'accueil des demandeurs d'asile et des migrants. Cette sous-budgétisation systématique est anormale.

L'office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), dont l'essentiel des ressources provient de taxes affectées dont le montant est stable à 140 millions d'euros, voit sa subvention de l'État augmenter de 4 millions d'euros. Mais ce petit effort est largement insuffisant au regard des nouvelles missions qui sont confiées à l'OFII, en particulier la gestion de la nouvelle allocation pour les demandeurs d'asile. Ainsi, les crédits supplémentaires ne permettront pas de renforcer les actions en matière d'intégration, mais, à titre principal de recruter des effectifs pour ces nouvelles missions. Je rappelle que l'allocation temporaire d'attente (ATA) était gérée par Pôle emploi, et mal gérée, car cette prestation était trop marginale pour Pôle Emploi, qui n'en assurait pas un contrôle adéquat. Comme nous l'avions demandé il y a deux ans, l'allocation a donc été transférée par la réforme de l'asile à l'OFII.

S'agissant de l'apprentissage du français, l'objectif fixé par le Gouvernement est de faire en sorte que le niveau de français exigé des étrangers en situation régulière passe du niveau A1.1, qui était le plus bas d'Europe, au niveau A1, qui reste peu élevé. En Allemagne, le niveau requis est le niveau B1. En outre, pour l'obtention de la carte de séjour pluriannuelle, ce n'est pas l'obtention de ce niveau, avec diplôme à la clé, qui sera requis, mais seulement la preuve de l'assiduité aux cours ! Peut-être est-ce une réflexion d'ancien professeur, mais je trouve que ce n'est pas une méthode sérieuse pour vérifier l'acquisition de la langue française. En outre, il y a très peu de moyens pour les stages d'intégration républicaine. Il ne reste plus, en la matière, qu'un stage d'une demie journée dérisoire, pour ne pas dire surréaliste, au cours de laquelle on présente en quelques heures l'histoire de France et les valeurs de la République à un public qui, pour moitié, ne comprend pas le français.

Nous pouvons être en désaccord sur les conditions d'entrée sur le territoire et sur le nombre d'étrangers accueillis. Mais une fois que ces derniers sont accueillis et quel que soit leur nombre, nous devrions être d'accord pour nous donner collectivement les moyens de les accompagner, de leur permettre de parler français et de les intégrer à la société française. Il n'est pas normal que les réfugiés, à qui la France a accordé sa protection, soient à peine mieux traités et suivis que les demandeurs d'asile déboutés ; c'est pourtant le cas aujourd'hui !

Nous avons eu un débat sur l'accès des demandeurs d'asile au travail : en réalité, ce n'est pas le débat, car qu'ils soient demandeurs d'asile ou réfugiés, l'accès au marché du travail est très compliqué dans la situation économique que nous connaissons. Il faut sortir de l'incantation, donner des droits nouveaux est inutile s'ils ne correspondent pas aux réalités.

De même, je crois que les financements européens devraient également faire partie de cette remise à plat que j'appelle de mes voeux. J'ai rencontré les représentants de certaines associations, qui m'ont indiqué que certaines structures n'avaient toujours pas reçu en 2015 le solde des fonds européens des années 2011 et 2012. Il y a certes des contrôles à réaliser, mais un tel retard, assorti de l'absence de financements de l'État, met les associations dans une situation extrêmement délicate.

Au nombre des interrogations, je tiens à souligner la familiarisation de la nouvelle allocation pour demandeurs d'asile. Nous l'avions souhaité à la commission des finances, car il n'est pas normal que l'allocation d'un demandeur d'asile seul soit équivalente à celle d'un demandeur marié avec deux enfants. Cependant, le Gouvernement a souhaité que cette évolution se fasse à enveloppe constante, si bien que le nouveau barème devrait induire une baisse du montant moyen par allocataire de près de trois euros par jour. Nous avions l'une des allocations pour demandeur d'asile les plus généreuses d'Europe, nous aurons désormais l'une des plus réduites. Sans doute le ministre de l'intérieur souhaite que la réforme se fasse, mais Bercy limite l'enveloppe...

Le Gouvernement a annoncé que la France devrait accueillir, dans le cadre des deux programmes de relocalisation européens annoncés, entre 30 000 et 31 000 demandeurs d'asile supplémentaires entre fin 2015 et fin 2017. Cependant, avec tout le respect que je dois au personnel de l'administration qui établit les prévisions statistiques et budgétaires, l'idée, avancée par le Gouvernement, qu'il entrerait, de façon parfaitement régulière et ordonnée, 1 280 demandeurs d'asile par mois pendant vingt-quatre mois, n'est absolument pas crédible. L'Allemagne, confrontée à des afflux massifs, ne pourra pas lisser le transfert sur vingt-quatre mois.

L'Allemagne aura probablement reçu, d'ici fin 2015, près de 1 200 000 demandeurs d'asile. Elle aurait déjà demandé de nouvelles répartitions européennes pour Noël et pour Pâques prochain. La politique allemande n'est pas pour autant exempte de calcul - à titre d'anecdote, le nouveau directeur de l'équivalent allemand de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) est l'ancien directeur du Pôle Emploi allemand ! Il y avait sans doute une pression du patronat allemand, qui a besoin de main d'oeuvre, mais ce calcul était fait avec un nombre d'arrivées limité à 500 000. Maintenant, l'Allemagne referme les frontières et demande un effort de solidarité de la part de ses partenaires européens.

Sans fixer de quotas, la France s'est engagée à accueillir 19,3 % des demandeurs d'asile concernés. Donc si 100 000 personnes arrivent d'ici la fin de l'année, comment se prépare-t-on à en recevoir plus de 19 000 sur notre territoire ? Le projet de loi de finances pour 2016 ne prévoit rien pour le moment, le budget est construit sans prendre en compte les événements exceptionnels que nous connaissons et en étant d'ores et déjà inférieur à l'exécution 2014... Attendons donc la concrétisation budgétaire des 279 millions d'euros annoncés.

Contrairement à ce que j'ai pu entendre, il y aura davantage de demandeurs d'asile obtenant le statut de réfugié puisque, sur le seul premier semestre 2015, l'OFPRA nous a indiqué que 14 800 statuts de réfugiés avaient été accordés, soit autant que pour l'ensemble de l'année 2014, et que leur prévision s'établissait environ à 25 000 pour l'ensemble de l'année en cours. Or, même si, je le répète, les réfugiés sont « mal traités » dans notre pays, il est vrai qu'ils « coûtent plus cher » que les demandeurs d'asile puisqu'ils peuvent bénéficier d'aides et de prises en charge, comme le revenu de solidarité active (RSA).

Les crédits de la mission se caractérisent donc à la fois par une sous-budgétisation de certains postes, des efforts incontestables, notamment dans la création de places en CADA et d'hébergement d'urgence, une prévision curieuse sur l'allocation puisque la familialisation devrait, me semble-t-il, engendrer une dépense plus élevée, et, enfin, une interrogation sur les moyens supplémentaires alloués pour accompagner le choc migratoire que nous connaissons.

Selon moi, sans tenir compte des charges supplémentaires engendrées pour les collectivités territoriales ainsi que dans les domaines de la police, de la santé et de l'éducation, 350 millions d'euros supplémentaires seront nécessaires pour accueillir le nombre annoncé de réfugiés. Nous aurons le débat avec le Gouvernement qui annonce 279 millions d'euros et attendons de voir comment ils seront répartis.

Voici donc les raisons pour lesquelles je demande la réserve des crédits de la mission. Ce sujet dépasse largement la question de l'opportunité ou non de recevoir ces demandeurs d'asile sur notre territoire : en tout état de cause, il convient de disposer des moyens nécessaires pour accueillir ceux pour lesquels l'État s'est, d'ores et déjà, engagé. Je finirai mon propos en indiquant que l'essentiel des demandeurs d'asile concernés par la répartition européenne obtiennent effectivement le statut de réfugié à l'issue de la procédure, soit à 97 % des demandes de Syriens et 100 % pour les Erythréens par exemple.

M. François-Noël Buffet , rapporteur pour avis au nom de la commission des lois . - Pour compléter les propos de Roger Karoutchi, j'indiquerai simplement que les orientations des réformes initiées par le Gouvernement peuvent éventuellement être partagées, mais qu'elles ont pour handicap majeur de ne pas bénéficier des moyens financiers nécessaires. Si les crédits ne sont pas inscrits, les mesures prises ne se concrétiseront pas et resteront au niveau de la simple déclaration, éventuellement de la bonne intention.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - La sous-budgétisation que nous constatons chaque année prend un relief particulier cette année compte tenu de la crise migratoire. Dispose-t-on d'une évaluation du coût engendré par l'octroi du statut de réfugié en termes de dépenses publiques, en particulier s'agissant du RSA ou de la couverture maladie universelle (CMU) ? L'augmentation du nombre de réfugiés n'a pas qu'un impact sur les crédits de cette mission mais aussi sur les budgets des départements qui assurent le financement du RSA.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx . - Je souhaitais poser la même question que le rapporteur général. La sous-budgétisation des crédits est encore plus préoccupante que pour les années passées, compte tenu du choc migratoire. Les préfets doivent gérer les enveloppes et les moyens d'hébergement, mais cela dépend également de l'adaptation du nombre de places CADA. La crise actuelle aurait dû être l'occasion de revoir les moyens alloués à la mission comme nous le réclamons depuis longtemps.

M. Vincent Delahaye . - Le rapporteur spécial estime à 350 millions d'euros les besoins supplémentaires qui seraient nécessaires compte tenu du nombre de réfugiés attendus. Quel est le nombre actuel de réfugiés concernés par le budget actuellement prévu de 703 millions d'euros ? Quel montant serait nécessaire pour accueillir les 31 000 personnes qui arriveront probablement d'ici à la fin de l'année 2017, dans les mêmes conditions que celles prévues dans la mission ?

La sous-budgétisation des crédits de la mission pour une année supplémentaire est regrettable et, plus généralement, je condamne cette tendance désormais répandue et qui porte atteinte à la sincérité budgétaire. Il serait utile que la commission des finances fasse la somme de toutes les sous-budgétisations constatées dans le projet de loi de finances pour 2016. Sauf évolution majeure, il n'y a pas de raison que le montant inscrit en prévision ne soit pas au moins identique à celui constaté en 2014.

Mme Fabienne Keller . - Vous indiquez, monsieur le rapporteur spécial, qu'il devrait être difficile de se limiter à l'accueil de 31 000 réfugiés. Est-il possible d'établir les besoins supplémentaires nécessaires, en retenant des hypothèses moyenne et haute du nombre de réfugiés susceptibles d'être accueillis ?

À l'occasion d'un conseil municipal conjoint entre les villes de Strasbourg et de Kehl, il est apparu qu'en Allemagne, le suivi et la préparation de l'accueil des demandeurs d'asile étaient bien mieux organisés qu'en France, même si cela n'exclut pas qu'ils puissent par ailleurs être débordés. La ville de Strasbourg n'était même pas en mesure de dire combien de personnes elle devrait prendre en charge et dans quelles conditions.

La transformation de places d'hébergement d'urgence en places de CADA n'est certainement pas la meilleure solution puisqu'elle ne fait que reporter le problème alors que tous les hivers nous rencontrons déjà des difficultés en matière d'hébergement d'urgence. On fait les Shadoks !

Enfin, quelle est votre appréciation du montant de 1 000 euros accordé aux communes par nouvelle place créée pour l'accueil de réfugiés ? Cette participation de l'État n'est-elle pas très faible et susceptible de conduire à un nouveau transfert de charges vers les communes, alors qu'en Allemagne, pour donner un ordre de grandeur, le coût total de prise en charge d'une famille de réfugiés est estimé à 13 000 euros ?

M. Maurice Vincent . - Je remercie le rapporteur spécial pour son travail, même si je ne partage pas toutes ses conclusions. Je souhaite souligner le fait que le budget accordé pour cette mission a été construit dans le cadre de la procédure normale, sans tenir compte des événements exceptionnels qui se sont produits au même moment.

Le Président de la République et le Gouvernement ont pris une position particulièrement responsable sur ce dossier, en étant généreux tout en tenant compte de nos capacités d'accueil concrètes, contrairement à d'autres pays comme l'Allemagne. L'accueil significatif de 31 000 réfugiés est gérable pour notre pays, ce qui est essentiel pour que cela se passe dans les meilleures conditions.

Il convient de distinguer l'examen des crédits de la mission tels qu'ils nous sont présentés et les moyens supplémentaires qui seront par la suite inscrits pour répondre aux besoins exceptionnels de la situation migratoire actuelle.

S'il est exact que la mission connaît une sous-budgétisation chronique, je souligne également l'effort significatif proposé par le Gouvernement, avec une hausse de 10 % des crédits par rapport à 2015, soit 70 millions d'euros supplémentaires dans un contexte budgétaire pourtant contraint. Mon avis diverge de celui du rapporteur spécial qui ne constate qu'une augmentation de 20 millions d'euros.

J'observe, par ailleurs, qu'alors que le rapporteur spécial nous invite à augmenter les crédits de la mission, y compris en dehors des événements exceptionnels que nous rencontrons, votre famille politique annonce des économies budgétaires à hauteur de 100 milliards d'euros.

En conclusion, votre rapport est relativement modéré et j'en tire la conclusion inverse à la vôtre. Il convient d'adopter les crédits de la mission, compte tenu de l'augmentation déjà prévue et des annonces du Premier ministre permettant de connaître le complément de moyens prévus pour couvrir les besoins exceptionnels attendus. Nous pourrons ensuite discuter de cette enveloppe supplémentaire de 279 millions d'euros et destinée à répondre à nos engagements pris dans le cadre européen.

M. François Marc . - Le rapporteur spécial a fait une présentation très détaillée de la mission et a proposé de réserver le vote sur ses crédits. Je constate pourtant, en lisant ses principales observations, qu'il est favorable au budget proposé sur de nombreux points et qu'il aurait pu le dire oralement. Vous mentionnez ainsi, dans votre note de présentation, la hausse globale des moyens, qui est loin d'être négligeable, l'augmentation des capacités du parc de CADA pour atteindre 33 000 places, la progression de 20 % des crédits consacrés à l'intégration des étrangers en situation régulière, l'augmentation des moyens dédiés à l'intégration des étrangers qui témoigne, je vous cite, d'une « ambition réelle » et enfin le fait que la création de 500 places en CPH est une « bonne nouvelle ». Je vous interroge donc, monsieur le rapporteur spécial, sur l'opportunité de réserver ces crédits compte tenu de l'ensemble de ces points positifs. Pourquoi ne pas y être favorable dès à présent ?

M. Éric Doligé . - Il a été clairement dit que la France accueillera les deux années prochaines plus de 30 000 migrants. Je souhaiterais que puisse être établie une analyse budgétaire du coût pour les finances publiques des personnes qui entrent en France, par tranche de 10 000 : combien coûte l'accueil de 10 000 migrants supplémentaires et comment sont-ils répartis ? Un président de Conseil départemental m'a expliqué que son préfet lui avait écrit pour lui dire que 111 personnes étaient arrivées dans son département et qu'il devait les faire bénéficier du RSA. À ce stade, les départements estiment au moins à 150 millions d'euros la charge qu'ils auront à supporter en raison de l'afflux des migrants. Visiblement, le Gouvernement, conscient que les sommes à engager seront bien supérieures à celles qu'il a prévues dans son projet de loi de finances, considère qu'elles seront prises en charge par les départements ou les communes.

M. Serge Dassault . - Comme l'a dit Roger Karoutchi, il n'y a aucun rapport entre les annonces du Gouvernement et les moyens financiers dont il dispose. J'ajouterai pour ma part que le Gouvernement agit de la sorte de façon systématique et pas seulement sur la question de l'asile ! Il décide des dépenses sans s'occuper des recettes ! Nous ne pouvons pas accueillir tous ces migrants car nous n'avons plus d'argent.

M. Marc Laménie . - L'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) va bénéficier d'une augmentation significative de ses emplois à temps plein (ETP). Ces emplois affectés à des tâches administratives ne seraient-ils pas plus nécessaires sur le terrain ?

M. Thierry Carcenac . - Dans le cadre de cette mission, je ne vois pas comment nous pourrions être hostiles à l'accueil d'un certain nombre de migrants sans donner l'image d'une Europe anachronique. Le Gouvernement a annoncé 279 millions d'euros de moyens supplémentaires et il serait souhaitable de disposer d'une vraie consolidation budgétaire afin que nous puissions mesurer les conséquences de l'accueil de ces migrants en matière de RSA, de mineurs étrangers isolés, etc.

M. Philippe Dallier . - La mission dont nous débattons aujourd'hui est corrélée à la mission « Égalité des territoires et logement », puisque nous savons bien qu'il existe un phénomène de vases communicants entre les deux sujets. Je suis convaincu que la sous-budgétisation pour ces deux missions atteint au moins 500 millions d'euros. Ce chiffre est à rapprocher du milliard d'euros de réduction du déficit budgétaire...

Concernant la mission dont je suis les crédits, l'un des objectifs de la ministre était de réduire le nombre de nuitées hôtelières. On voit tout de suite qu'elle pourra difficilement y parvenir dans le contexte que Roger Karoutchi nous a décrit. A-t-il étudié cet aspect des choses, dans la mesure où l'on imagine bien que les gens se logent comme ils le peuvent lorsque les CADA sont pleins ?

Mme Marie-France Beaufils . - Depuis des décennies, la France compte trop peu de places pour accueillir les migrants. Je m'interroge sur les nouvelles places dans les CADA et j'aurais aimé savoir si l'on savait comment elles seront réparties sur le territoire national. S'agit-il réellement de nouvelles places ou seront-elles reconverties au détriment des hébergements pour les personnes sans domicile fixe ?

J'appuie totalement la remarque du rapporteur sur la nécessité de renforcer l'apprentissage du français pour les migrants. Pour avoir accueilli depuis des années des demandeurs d'asile dans ma commune, j'ai pu mesurer la fragilité de cet accompagnement. En revanche, contrairement à ce que j'ai pu entendre, ma commune n'a jamais bénéficié d'aides pour les enfants migrants scolarisés dans ses écoles.

M. François Patriat . - Roger Karoutchi n'a pas mentionné dans son rapport le rôle des collectivités territoriales dans l'accueil des migrants. Aussi bien les communes que certains départements et régions s'impliquent dans plusieurs domaines : l'accueil, les cours de langue.

Une commune de 1 500 habitants de ma région accueille ainsi 70 migrants, pour la plupart Erythréens. Il existe une vraie mobilisation pour accompagner ces personnes dans leurs démarches et dans leur apprentissage de la langue française en dépit des réticences d'une partie de la population.

Et je ne peux pas passer sous silence l'action de certaines régions, comme ma région Bourgogne Franche Comté qui double aujourd'hui l'action de l'Etat, avec tout un accompagnement et une prise en charge dans les lycées pour la formation et l'insertion.

M. Roger Karoutchi , rapporteur spécial . - Je veux tout de suite rassurer François Marc : ma réserve vise à attendre la répartition précise des annonces, mais elle s'oriente plutôt vers un vote négatif. Un budget doit être adapté aux réalités. Vous me dites que le budget de cette mission est en augmentation par rapport aux budgets précédents. Mais la situation a complètement changé cette année et nous le savons depuis le mois de juin lorsqu'a eu lieu la première répartition européenne, dont nous pouvions nous douter qu'elle ne serait pas la dernière. J'attends les 279 millions d'euros et leur répartition pour savoir exactement ce qu'il en est, mais cela fait des années que nous signalons que cette mission est sous-budgétée. Je ne suis pas hostile à l'idée que notre politique d'accueil des étrangers soit dynamique, encore faut-il y mettre les moyens !

Le Gouvernement a évoqué 279 millions d'euros supplémentaires. L'Allemagne avait prévu dans le budget 2016 des moyens en très nette augmentation par rapport à 2015 et, avec l'afflux des migrants, a préparé un plan avec 6 à 7 milliards d'euros de plus par rapport à ses prévisions initiales ! L'équivalent allemand de l'Ofpra va recruter 2 000 personnes alors que l'Ofpra ne comptera que 540 employés en 2016, même avec les augmentations de poste. Le directeur de l'Ofpra, que j'ai entendu, m'a dit qu'il était satisfait des créations de postes dont il bénéficiera, pourvu qu'il n'ait pas à accueillir d'étrangers supplémentaires. S'il en recevait 31 000 de plus, il aurait besoin de 50 à 100 postes immédiatement. Sont-ils comptabilisés dans les 279 millions d'euros ? Je ne sais pas. En tout état de cause, il m'a rappelé que, même si le Parlement voulait que le traitement des demandes d'asile soit effectué en 90 jours au maximum, le chiffre réel s'établissait à 200 jours en juin 2015. Les 90 jours ne pourraient être atteints qu'à la condition de ne pas recevoir d'étrangers supplémentaires ou en bénéficiant de 100 nouveaux postes pour accueillir 31 000 migrants de plus.

Je voudrais ajouter que le chiffre de 31 000 n'est d'ailleurs pas du tout crédible, ne serait-ce que parce que ces migrants bénéficieront ensuite du droit au regroupement familial. En outre, l'afflux de migrants va se poursuivre dans les années à venir...

Puisque l'on sait ce qui va se passer, pourquoi ne pas en tirer les conséquences financières dans le projet de loi de finances ? Le rythme de création de nouvelles places en CADA est très inférieur à l'augmentation du nombre de migrants sur notre territoire ! Il n'y a pas d'efforts en matière d'apprentissage du français, en matière d'intégration, le regroupement familial est passé sous silence...

Indéniablement, beaucoup de vous l'ont dit, la charge du RSA pèsera sur les départements. Pour 15 000 réfugiés, la charge annuelle du RSA représente 80 millions d'euros pour les départements. Si on en accueille 31 000, cela signifie 160 millions d'euros de charges RSA ! Les associations aussi sont très inquiètes : il faut un véritable accompagnement social des réfugiés.

Un plan d'ensemble réunissant tous les acteurs et répartissant clairement les rôles est indispensable. Je suis pour ma part favorable à un véritable plan CADA, lieu qui permet un accompagnement approprié. Au total, fin 2017, on aura 33 000 places de CADA : mais si on a les 65 000 demandeurs d'asile classique et 31 000 demandeurs supplémentaires, ce sera complétement insuffisant.

En conclusion, pour répondre à François Marc, s'il n'y avait pas de crise en Europe je vous dirais que ce budget va dans le bon sens, même s'il est sous-budgété. Mais nous allons subir les conséquences de la crise migratoire et il faudra mettre en place un plan pluriannuel à la hauteur de la situation, comme l'a fait l'Allemagne.

À l'issue de ce débat, la commission décide de réserver sa position sur les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

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Réunie à nouveau le mardi 17 novembre 2015, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a procédé à l'examen des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », précédemment réservés.

M. Roger Karoutchi , rapporteur spécial de la mission « Immigration, asile et intégration » . - J'avais demandé la réserve de cette mission sur la base de trois éléments : la sous-budgétisation chronique de l'hébergement d'urgence et de l'allocation aux demandeurs d'asile ; l'amendement présenté par le Gouvernement à l'Assemblée nationale prévoyant une augmentation de 98 millions d'euros dont nous n'avions pas le détail ; l'incertitude sur l'inscription de crédits supplémentaires pour la construction de places d'hébergement.

La sous-budgétisation, que j'estime à 150 millions d'euros, demeure. Sur les 98 millions d'euros qui constituaient à mes yeux une base de départ pour faire face à l'afflux de nouveaux migrants, l'Assemblée nationale a voté en seconde délibération une réduction, incompréhensible, de 11 millions d'euros. Enfin, nous n'avons pas de précisions sur la construction de nouvelles places de centres provisoires d'hébergement. Un décret vient de réduire l'allocation pour les demandeurs d'asile de 11,50 euros à 6,80 euros par jour pour une personne seule. Je ne suis pas favorable à l'immigration massive, mais comment peut-on imaginer survivre avec 6,80 euros par jour ?

Je vous propose par conséquent de rejeter les crédits de la mission ; je formulerai de nouvelles propositions en séance, le Gouvernement s'étant déclaré disposé à avancer sur le sujet.

À l'issue de ce débat, la commission a décidé de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

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Réunie à nouveau le jeudi 19 novembre 2015, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a confirmé sa décision de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

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