N° 299

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 janvier 2016

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la proposition de résolution européenne présentée par M. Michel MAGRAS et Mme Gisèle JOURDA, en application de l'article 73 quinquies du Règlement, relative aux effets des accords commerciaux conclus par l' Union européenne sur les économies sucrières et la filière de la canne des régions ultrapériphériques ,

Par Mme Gisèle JOURDA,

Sénatrice

et TEXTE DE LA COMMISSION

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Michel Billout, Michel Delebarre, Jean-Paul Emorine, André Gattolin, Mme Fabienne Keller, MM. Yves Pozzo di Borgo, André Reichardt, Jean-Claude Requier, Simon Sutour, Richard Yung, vice-présidents ; Mme Colette Mélot, M Louis Nègre, Mme Patricia Schillinger, secrétaires , MM. Pascal Allizard, Éric Bocquet, Philippe Bonnecarrère, Gérard César, René Danesi, Mme Nicole Duranton, M. Christophe-André Frassa, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Pascale Gruny, MM. Claude Haut, Mme Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, Jean-Yves Leconte, François Marc, Didier Marie, Michel Mercier, Robert Navarro, Georges Patient, Michel Raison, Daniel Raoul, Alain Richard et Alain Vasselle ..

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

282 (2015-2016)

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le 4 août dernier, l'Union européenne et le Vietnam ont scellé un accord de principe pour la conclusion d'un accord de libre-échange (ALE). Si cet accord paraît pour l'essentiel globalement équilibré en termes de suppressions tarifaires ou, plus largement, sur l'accès au marché des deux parties, il prévoit une disposition très négative s'agissant d'un « produit sensible » aux yeux de la France et de ses DOM. En effet, comme souvent en matière de négociations commerciales, un contingent de 20 000 tonnes de sucre a été in fine accordé au Vietnam par la Commission, contingent incluant les sucres spéciaux, qui constituent une filière vitale pour les « Régions Ultrapériphériques » (RUP) françaises.

Cette disposition de l'accord avec le Vietnam illustre, au mieux une méconnaissance coupable du caractère stratégique de la filière « canne » dans les RUP françaises en termes de croissance et d'emplois, au pire une tactique délibérée tendant à faire de ces régions des variables d'ajustement pour la conclusion de ces accords commerciaux globaux, dits de nouvelle génération, qui vont en se multipliant.

La délégation du Sénat à l'Outre-mer a présenté, le 10 décembre dernier, un rapport d'information sur lequel votre rapporteure a travaillé avec notre collègue Michel Magras, Président de la Délégation. Il s'agit d'un sujet essentiel pour nos DOM et pour la France. Dans ce document, intitulé « Sucre des régions ultrapériphériques en danger », nous avons présenté les multiples enjeux de la filière « canne » à la Réunion, à la Martinique et en Guadeloupe. Le rapport a notamment relevé la politique étonnamment contradictoire menée par la Commission européenne, oscillant entre d'une part un soutien politique de principe et des politiques agricole et régionale ambitieuses et, d'autre part, une politique commerciale brutale, ignorant les intérêts et spécificités de régions qu'elle prétend par ailleurs promouvoir.

Le présent rapport ne reviendra donc pas sur les analyses et évaluations approfondies contenues dans le rapport de la délégation à l'Outre-mer, mais retiendra les éléments principaux qui justifient pleinement le dépôt de la présente proposition de résolution européenne.

L'ACCORD DE LIBRE-ÉCHANGE UE-VIETNAM : UN RÉVÉLATEUR PRÉOCCUPANT D'UN MANQUE DE COHÉRENCE DE LA COMMISSION EUROPÉENNE

Depuis près d'une dizaine d'années, la Commission européenne s'est engagée dans une politique commerciale de nouvelle génération. Les accords conclus ou négociés dans ce nouveau cadre ciblent, plus encore que les seuls droits de douane, les mesures non tarifaires au commerce qui sont autant d'obstacles qualitatifs aux échanges : les barrières non-tarifaires que constituent les normes, les procédures de certifications et les contrôles d'homologation.

Les dispositions de ces accords commerciaux ont par ailleurs un champ d'application plus large couvrant la convergence règlementaire et la promotion de règles exigeantes sur les plans social ou environnemental par exemple..

C'est dans ce contexte-là que la Commission européenne a déclaré la clôture, le 4 août 2015, des négociations de l'accord de libre-échange avec le Vietnam qui avaient été engagées en juin 2012.

Cet accord concerne - à l'exception des investissements - tous les domaines de ces accords de nouvelle génération. Mais, comme pour tous ces accords, les négociateurs européens se devaient de prendre en compte la situation de produits sensibles.

À l'issue des négociations, la partie française a jugé cet accord globalement bon dans la mesure où il permet, en particulier, la libéralisation de 99 % des lignes tarifaires, une ouverture des marchés publics et la protection des indications géographiques, qui sont autant d'éléments positifs.

Pour autant, et comme le décrit le rapport de la délégation à l'Outre-mer, la Commission européenne n'a pas pris en compte le caractère sensible des sucres spéciaux pour la partie française, et ce en dépit des demandes réitérées de la part du gouvernement. En janvier et juin 2015, les responsables français ont en effet alerté la Commission sur la nécessité « d'une exclusion des sucres spéciaux ou du moins d'un contingent très réduit » . En septembre 2015 - un mois après la « clôture provisoire » des négociations -, un nouveau courrier des trois ministres de l'Agriculture, du Commerce extérieur et de l'Outre-mer a renouvelé la demande d'exclusion des sucres spéciaux du contingent de 20 000 tonnes de sucre concédé au Vietnam.

Mais il se trouve que pour la Commission, le risque économique n'est pas avéré. En cas de problème, une clause de sauvegarde permettra d'apaiser les inquiétudes. Elle relève par ailleurs que le Vietnam ne produit pas de sucres spéciaux et que le contingent prévu de 20 000 tonnes ne fait que prendre acte du flux actuel des exportations vietnamiennes.

Cette analyse n'est pas pertinente : elle est une évaluation statique du commerce international alors même que de tels accords créent leurs propres dynamiques, en l'espèce la capacité du Vietnam à prendre appui sur les opportunités que l'accord lui offre pour amplifier substantiellement sa propre filière sucrière, y compris pour les sucres spéciaux.

Si la production annuelle de sucres spéciaux vietnamiens est aujourd'hui limitée dans une fourchette de 1 à 4 tonnes, le Vietnam produit 1,5 million de tonnes de sucre de canne et en est exportateur net depuis 2013. Le savoir-faire de ses producteurs, conjugués à des volumes importants, lui permettront de développer rapidement et massivement sa filière de sucres spéciaux destinés à l'export, et ce à des coûts de revient incomparablement bas.

Cette disposition de l'accord conclu avec le Vietnam illustre, comme votre rapporteure le mentionnait en préambule, le peu de cohérence et de continuité politique de la part de la Commission. Pourtant, dans sa communication du 20 juin 2012, ne pouvait-on pas lire : « Les accords conclus par l'UE tiendront dûment compte des RUP, par exemple lorsque ces accords couvrent des produits fabriqués dans les RUP. Ainsi, les producteurs des RUP pourront faire face à la concurrence, non seulement dans l'UE, mais aussi sur les marchés de pays tiers. Il est désormais commun de joindre aux propositions d'accords commerciaux, tels que les accords de partenariat économique, des analyses d'impact qui devraient, le cas échéant, tenir compte de la dimension ultrapériphérique. L'inclusion de clauses de sauvegarde spécifiques pour les RUP est certes importante, mais il conviendrait d'améliorer l'information à ce sujet afin de garantir que ces clauses sont pleinement exploitées en cas de besoin. » 1 ( * )

On ne saurait mieux dire. Mais il y a, en l'espèce, loin de la coupe aux lèvres.


* 1 Communication de la Commission. Les régions ultrapériphériques de l'UE : vers un partenariat pour une croissance intelligente, durable et inclusive (SWD (2012) 170 final).

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