Rapport n° 368 (2015-2016) de M. Michel MERCIER , fait au nom de la commission des lois, déposé le 3 février 2016

Disponible au format PDF (1,3 Moctet)

Tableau comparatif au format PDF (347 Koctets)


N° 368

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 3 février 2016

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l' état d' urgence (PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE) ,

Par M. Michel MERCIER,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; Mme Catherine Troendlé, MM. Jean-Pierre Sueur, François Pillet, Alain Richard, François-Noël Buffet, Alain Anziani, Yves Détraigne, Mme Éliane Assassi, M. Pierre-Yves Collombat, Mme Esther Benbassa , vice-présidents ; MM. André Reichardt, Michel Delebarre, Christophe-André Frassa, Thani Mohamed Soilihi , secrétaires ; MM. Christophe Béchu, Jacques Bigot, François Bonhomme, Luc Carvounas, Gérard Collomb, Mme Cécile Cukierman, M. Mathieu Darnaud, Mme Jacky Deromedi, M. Félix Desplan, Mme Catherine Di Folco, MM. Christian Favier, Pierre Frogier, Mme Jacqueline Gourault, M. François Grosdidier, Mme Sophie Joissains, MM. Philippe Kaltenbach, Jean-Yves Leconte, Roger Madec, Alain Marc, Didier Marie, Patrick Masclet, Jean Louis Masson, Mme Marie Mercier, MM. Michel Mercier, Jacques Mézard, Hugues Portelli, Bernard Saugey, Simon Sutour, Mmes Catherine Tasca, Lana Tetuanui, MM. René Vandierendonck, Alain Vasselle, Jean-Pierre Vial, François Zocchetto .

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

356 et 369 (2015-2016)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le mercredi 3 février 2016, sous la présidence de M. Philippe Bas, président , la commission des lois a examiné le rapport de M. Michel Mercier et établi son texte sur le projet de loi n° 356 (2015-2016), déposé au Sénat le 3 février 2016 et pour lequel le Gouvernement a engagé la procédure accélérée, prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence .

Le rapporteur a rappelé que l'état d'urgence, déclaré par un décret du 14 novembre 2015 à la suite des attentats survenus à Paris et en région parisienne et prorogé par la loi du 20 novembre 2015, était en vigueur jusqu'au 26 février 2016.

Après avoir indiqué que les travaux menés par le comité de suivi de l'état d'urgence, créé par la commission des lois dès le 25 novembre dernier, avaient permis de rencontrer un grand nombre d'acteurs de la sécurité et de représentants et professionnels compétents en matière de protection des droits et libertés, le rapporteur a souligné la qualité de la relation de travail nouée dans ce cadre avec le ministère de l'intérieur qui a pleinement joué le jeu du contrôle parlementaire de l'état d'urgence.

Il a ensuite indiqué que la mise en oeuvre de l'état d'urgence depuis le 14 novembre avait conduit l'autorité administrative à prendre un grand nombre de mesures de police administrative, notamment avec près de 400 décisions d'assignation à résidence et 3 300 perquisitions administratives. Jugeant contrastés les résultats de ces perquisitions sur le plan de la lutte antiterroriste, avec seulement cinq procédures ouvertes devant le parquet antiterroriste de Paris, il a cependant admis que ces opérations avaient permis de déstabiliser des filières de délinquance ordinaire qui contribuent à alimenter le terrorisme.

Au regard du niveau élevé de la menace auxquels demeurent exposés nos concitoyens, sur le territoire national et à l'étranger, le rapporteur a considéré que l'on pouvait encore considérer que cette situation était de nature à caractériser un « péril imminent » justifiant une nouvelle prorogation pour trois mois de l'état d'urgence. Il a cependant appelé de ses voeux l'élaboration, dans les meilleurs délais, d'une nouvelle législation pénale antiterroriste permettant de renforcer l'efficacité des procédures de droit commun placées sous l'autorité du juge judiciaire.

À l'issue de cet exposé et après avoir adopté un amendement rédactionnel du rapporteur, la commission des lois a adopté le projet de loi ainsi modifié .

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le 13 novembre 2015, notre pays était victime d'actes terroristes effroyables, causant la mort de 130 de nos concitoyens et en blessant plusieurs centaines d'autres. Dix mois après les événements qui avaient déjà meurtri notre République, ces agissements lâches et cruels sont venus rappeler l'ampleur de la menace à laquelle notre pays est exposé de la part d'organisations terroristes établies à l'étranger qui planifient, coordonnent et exécutent des attaques sur notre territoire. Dans le même temps, les consignes incitant au passage à l'acte individuel émises par ces mêmes organisations rendent la nature de la menace particulièrement diffuse et difficile à appréhender.

Cette situation impose une réponse sans faiblesse des pouvoirs publics.

Il appartient à l'État de prendre toutes les mesures utiles pour renforcer la sécurité des Français, tout en s'inscrivant dans le respect de nos valeurs républicaines et de nos principes constitutionnels.

Pour autant, la France, frappée en plein coeur dans les années 1980 et 1990, ne découvre pas le terrorisme avec la montée en puissance actuelle des filières djihadistes syro-irakiennes. Au cours des trente dernières années, les autorités politiques ont en effet eu le souci constant d'adapter notre législation pénale et doter notre appareil de lutte antiterroriste des moyens adaptés pour combattre ce fléau.

L'année 2015 n'a pas fait exception à cette règle puisqu'à la suite des attentats du mois de janvier le Parlement a été saisi d'un projet de loi visant à combler l'absence de cadre juridique applicable à l'activité des services de renseignement et, en fin d'année après l'attentat avorté dans le Thalys, d'une proposition de loi tendant à renforcer la sécurité des transports collectifs de voyageurs 1 ( * ) .

L'ampleur et le caractère coordonné des attaques terroristes commises dans la soirée du 13 novembre 2015 ont cependant donné lieu à une réaction vigoureuse de la puissance publique avec le rétablissement des contrôles aux frontières nationales et la mise en oeuvre de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence 2 ( * ) , qui permet l'extension temporaire des prérogatives de police de l'autorité civile en cas de « péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public ».

De telles décisions, d'une ampleur inédite, étaient cependant nécessaires. Le Parlement en a du reste convenu puisque les 19 et 20 novembre, le projet de loi prorogeant l'état d'urgence pour une durée de trois mois 3 ( * ) était adopté, dans chaque assemblée, à une très large majorité.

Dans ces circonstances exceptionnelles, les commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat, fortes de l'introduction dans la loi de 1955 de dispositions législatives relatives au contrôle parlementaire de l'état d'urgence 4 ( * ) , se sont attachées à mettre en place les voies et moyens d'un strict suivi des mesures de police prises par le Gouvernement en application de l'état d'urgence.

Ainsi votre commission des lois a-t-elle institué, dès le 25 novembre 2015, un comité de suivi de l'état d'urgence, confiant à votre rapporteur le soin d'en animer les travaux. Par ailleurs, en application de l'article 5 ter de l'ordonnance du 17 novembre 1958 5 ( * ) , le Sénat a donné à votre commission, lors de sa séance du 10 décembre 2015, les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête pour le suivi de l'état d'urgence, pour une durée de six mois.

Le comité de suivi, composé d'un représentant de chaque groupe politique 6 ( * ) , a décidé de procéder à l'audition de différentes personnalités 7 ( * ) , qu'il s'agisse d'acteurs engagés dans le domaine de la lutte antiterroriste ou de représentants ou professionnels compétents en matière de défense des droits et libertés. Plusieurs auditions ont également été organisées devant votre commission 8 ( * ) .

Votre rapporteur tient à souligner le fait que le Gouvernement s'est pleinement prêté à l'exercice de ce contrôle parlementaire d'un type nouveau. Ainsi, les responsables des groupes politiques et des commissions des lois ont été invités chaque semaine, alternativement par le Premier ministre et par le ministre de l'intérieur, pour des échanges sur la mise en oeuvre de l'état d'urgence.

En outre, votre rapporteur souhaite saluer l'excellence de la relation de travail établie avec les services du ministère de l'intérieur qui lui ont communiqué de manière très régulière des éléments statistiques détaillés des mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence, faisant apparaître notamment le nombre de contentieux en cours. Votre rapporteur a par ailleurs été amené à interroger le ministre par courrier à différentes reprises sur différents aspects de la mise en oeuvre de l'état d'urgence, ces demandes ayant reçu à chaque fois une réponse dans des délais très rapprochés. Enfin, le ministère de la justice a également procédé à la communication régulière d'éléments statistiques sur les suites judiciaires données aux perquisitions administratives ainsi que sur les infractions aux obligations résultant de mesures prises en vertu de l'état d'urgence.

L'objectif principal des travaux conduits par le comité de suivi était de porter une appréciation critique et constructive sur les modalités d'utilisation par l'autorité administrative des différentes prérogatives qui lui étaient confiées et d'éclairer votre Haute assemblée dans le cas où le Gouvernement serait amené à solliciter une deuxième prorogation de l'état d'urgence.

Douze semaines après la déclaration d'état d'urgence par le décret du 14 novembre 2015 et sa prorogation par la loi du 20 novembre 2015 précitée, votre commission est saisie d'une telle sollicitation, pour une nouvelle durée de trois mois, avec le présent projet de loi.

Elle doit donc se prononcer sur la justification d'une telle demande, ce qui suppose de s'interroger, d'une part, sur la persistance d'une situation de « péril imminent » et, d'autre part, sur l'efficacité des mesures prises au cours de la période écoulée, mais également sur l'efficacité escomptée pour cette nouvelle période de prorogation.

À la lumière des informations recueillies par le comité de suivi et d'une jurisprudence souvent novatrice, votre rapporteur dressera un bilan de cette première période d'application de l'état d'urgence afin de porter un jugement sur l'efficacité de ces mesures au regard de la lutte antiterroriste et sur l'opportunité d'en prolonger l'application.

I. BILAN DES MESURES PRISES DEPUIS LE 14 NOVEMBRE 2015

A. LE CADRE JURIDIQUE GÉNÉRAL DE L'ÉTAT D'URGENCE

1. L'élargissement des pouvoirs de police de l'autorité civile

Sans entrer dans une présentation détaillée du cadre juridique de l'état d'urgence 9 ( * ) , défini par la loi du 3 avril 1955, votre rapporteur souhaite néanmoins en rappeler les grands principes. L'état d'urgence, qui constitue l'un des régimes de crise aux côtés de l'état de siège et des pouvoirs exceptionnels du Président de la République en application de l'article 16 de la Constitution, peut être déclaré soit « en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public », soit « en cas d'événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ».

Déclaré par décret en conseil des ministres, l'état d'urgence ne peut être prorogé au-delà de douze jours que par la loi. Toutefois, et même si la loi de 1955 n'en prévoit pas expressément la possibilité, les dernières lois de prorogation de l'état d'urgence ont donné au pouvoir exécutif la faculté d'y mettre fin par décret en conseil des ministres avant le terme fixé par la loi de prorogation elle-même 10 ( * ) .

L'état d'urgence peut être déclaré sur « tout ou partie du territoire métropolitain, des départements d'outre-mer, des collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution et en Nouvelle-Calédonie ». Le dispositif de la loi de 1955 distingue les circonscriptions territoriales à l'intérieur desquelles l'état d'urgence entre en vigueur, et dans lesquelles peuvent être prises certaines mesures de police administrative 11 ( * ) , et les zones où l'état d'urgence « reçoit application », au seul sein desquelles des mesures renforcées 12 ( * ) peuvent être mises en oeuvre.

Par nature temporaires, les mesures prises en application de la loi du 3 avril 1955 cessent de produire leurs effets juridiques au moment où l'état d'urgence prend fin 13 ( * ) .

2. Les caractéristiques de la déclaration d'état d'urgence du 14 novembre 2015

À la suite des attentats survenus à Paris et en région parisienne le 13 novembre 2015, l'état d'urgence a été déclaré par décret 14 ( * ) , pris lors d'un conseil des ministres réuni dans la nuit du 13 au 14 novembre, sur le territoire métropolitain à compter du 14 novembre à zéro heure. Un second décret 15 ( * ) a, quant à lui, défini les zones, en l'occurrence la totalité de l'Ile-de-France, dans lesquelles étaient applicables les mesures renforcées. Un troisième décret 16 ( * ) , pris le 14 novembre et entré en vigueur à compter du 15 novembre, élargissait à l'ensemble du territoire métropolitain le périmètre de ces zones, les rendant identiques aux circonscriptions territoriales .

Enfin, le 18 novembre ont été pris deux nouveaux décrets, le premier 17 ( * ) déclarant l'état d'urgence, à compter du 19 novembre 2015, à zéro heure à l'heure locale, sur le territoire des collectivités de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique, de La Réunion, de Mayotte, de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin. Le second décret 18 ( * ) a rendu applicables les mesures renforcées sur le territoire de ces mêmes collectivités. Comme l'a souligné notre collègue Philippe Bas, « le périmètre d'application de l'état d'urgence dans ces collectivités est ainsi rendu identique à la totalité de leur territoire, comme en métropole » 19 ( * ) .

La mise en oeuvre de l'état d'urgence à la suite des attentats du 13 novembre 2015 est singulière. En effet, il s'agit de la première fois, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 3 avril 1955, qu'il en est fait un usage aussi large, sur le plan géographique, qu'intense, par leur nombre, des différentes mesures de police administrative permises par ce régime juridique. Le ministre de l'intérieur a largement usé de son pouvoir d'assignation à résidence et les forces de l'ordre ont substantiellement utilisé la faculté qui leur était donnée de réaliser des perquisitions administratives.

B. LES ASSIGNATIONS À RÉSIDENCE

1. Présentation du cadre juridique des assignations à résidence

Les assignations à résidence, dont le cadre juridique a été profondément révisé par la loi du 20 novembre 2015 précitée, voient leurs modalités définies à l'article 6 de la loi du 3 avril 1955. Ce dernier dispose que le ministre de l'intérieur peut prononcer l'assignation à résidence, dans le lieu qu'il fixe, de toute personne résidant dans une des zones où l'état d'urgence reçoit application et à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics 20 ( * ) dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence a été déclaré.

La loi du 20 novembre 2015 a par ailleurs apporté plusieurs précisions aux modalités de mise en oeuvre de ce dispositif et donné au ministre de l'intérieur la possibilité d'assortir l'assignation par des mesures complémentaires, en particulier :

- faire conduire la personne sur le lieu de l'assignation à résidence par les services de police ou les unités de gendarmerie ;

- astreindre la personne à demeurer dans le lieu d'habitation déterminé par le ministre de l'intérieur, pendant la plage horaire qu'il fixe, dans la limite de douze heures par vingt-quatre heures ;

- obliger la personne à se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, selon une fréquence qu'il détermine dans la limite de trois présentations par jour, en précisant si cette obligation s'applique y compris les dimanches et jours fériés ou chômés ;

- ordonner la remise à ces services du passeport ou de tout document justificatif de l'identité, en échange de quoi il est délivré à la personne un récépissé valant justification de son identité sur lequel sont mentionnées la date de retenue et les modalités de restitution du document ;

- interdire à la personne de se trouver en relation, directement ou indirectement, avec certaines personnes, nommément désignées, dont il existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. Cette interdiction est levée dès qu'elle n'est plus nécessaire ;

- placer, sous certaines conditions, la personne sous surveillance électronique mobile.

Le cadre juridique du placement sous surveillance électronique mobile
pour les personnes assignées à résidence

Selon les termes de l'article 6 de la loi de 1955, dans sa rédaction issue de la loi du 20 novembre 2015 21 ( * ) , le placement sous surveillance électronique mobile, sur décision du ministre de l'intérieur, d'une personne assignée à résidence est possible « lorsque la personne assignée à résidence a été condamnée à une peine privative de liberté pour un crime qualifié d'acte de terrorisme ou pour un délit recevant la même qualification puni de dix ans d'emprisonnement et a fini l'exécution de sa peine depuis moins de huit ans ». Le placement est prononcé « après accord de la personne concernée, recueilli par écrit ». La personne concernée est astreinte, pendant toute la durée du placement, au « port d'un dispositif technique permettant à tout moment de déterminer à distance sa localisation sur l'ensemble du territoire national. Elle ne peut être astreinte ni à l'obligation de se présenter périodiquement aux services de police et de gendarmerie, ni à l'obligation de demeurer dans le lieu d'habitation mentionné au deuxième alinéa. Le ministre de l'intérieur peut à tout moment mettre fin au placement sous surveillance électronique mobile, notamment en cas de manquement de la personne placée aux prescriptions liées à son assignation à résidence ou à son placement ou en cas de dysfonctionnement technique du dispositif de localisation à distance ».

2. Une large utilisation des assignations à résidence
a) Bilan quantitatif des assignations

Depuis la déclaration de l'état d'urgence le 13 novembre dernier, 392 décisions d'assignations à résidence ont été prises par le ministre de l'intérieur. L'entrée en vigueur de ces mesures a été particulièrement concentrée dans le temps puisque 307 assignations à résidence , soit les trois quarts, ont été prononcées entre le 15 et le 30 novembre 2015 , un peu moins de 70 au cours du mois de décembre et seulement une quinzaine au mois de janvier 2016.

Votre rapporteur avait, dès le 3 décembre 2015, saisi par courrier le ministre de l'intérieur d'une demande sur les modalités d'application de ce dispositif. Dans sa réponse en date du 8 décembre, le ministre a précisé que les mesures d'assignations avaient été prises pour les deux finalités que constituaient, d'une part, la préservation de la sécurité et de l'ordre publics dans le contexte de la conférence internationale sur le climat (réunion dite de la « COP 21 »), se tenant en région parisienne du 30 novembre au 12 décembre 2015, et, d'autre part, en raison des risques que représentaient les intéressés au titre de leur radicalisation islamiste. Le ministre ajoutait que chaque dossier avait ainsi fait l'objet d'éléments circonstanciés transmis par l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT), donnant ensuite lieu à une instruction par les services du ministère de l'intérieur 22 ( * ) . Au niveau de la phase d'instruction, de nombreuses demandes transmises par l'UCLAT ne se sont pas, en définitive, traduites par une décision d'assignation, le ministère les ayant considérées insuffisamment étayées.

En ce qui concerne les assignations à résidence prononcées pour prévenir les troubles à l'ordre public pendant la COP 21, vingt-sept personnes , sur un total de 103 dossiers transmis par les services, ont fait l'objet d'une telle mesure. Ces assignations ont produit leurs effets juridiques entre leur date de notification aux intéressés, le 24 ou le 25 novembre selon les cas, et le 12 décembre 2015, date de la fin du sommet. Lors de son audition devant votre commission le 2 février dernier, le ministre de l'intérieur a précisé que ces assignations avaient concerné non pas « des militants écologistes mais des individus violents ».

Pour les assignations en lien avec l'islamisme radical, 365 décisions ont été prises par le ministre de l'intérieur, 26 d'entre elles ayant été abrogées après un réexamen par les services ou pour éviter une annulation contentieuse.

Le réexamen périodique des assignations à résidence

Votre rapporteur note que le ministre de l'intérieur a, par une circulaire en date du 30 novembre 2015 23 ( * ) , demandé aux préfets de procéder à une « réévaluation régulière » de la pertinence des mesures d'assignation à résidence. Le ministre souligne que les personnes intéressées « peuvent en effet apporter des informations nouvelles sur leur situation », susceptibles de l'amener à « reconsidérer le principe même de l'assignation, ou ses modalités, notamment au regard de recours gracieux » dont les préfets auraient pu être destinataires. Il indique d'ailleurs que les services du ministère de l'intérieur en charge des assignations à résidence saisiront les préfets des mesures d'assignation déjà prononcées en vue de leur réévaluation. Enfin, dans cette même circulaire, le ministre invite les préfets, bien que la compétence d'assignation relève des prérogatives du ministre, à se prononcer « en fonction du contexte local » et de leur « connaissance des profils concernés » sur les nouvelles propositions d'assignation à résidence formulées par les services de police ou de gendarmerie, à charge pour eux de valider personnellement toute nouvelle proposition, cette validation devant porter « à la fois sur le principe de la mesure, mais aussi sur ses modalités de mise en oeuvre, en particulier sur le nombre de pointages et l'obligation de demeurer au domicile pendant une plage de temps donnée ».

Au total, 339 assignations à résidence demeurent en vigueur à la date du 4 février 2016. Contrairement à celles prononcées dans le cadre de la COP 21, ces assignations ne cesseront de produire leurs effets qu'à la fin de l'état d'urgence, conformément à l'article 14 de la loi du 3 avril 1955.

b) Modalités de mise en oeuvre des assignations

Au regard des précisions fournies par le ministre de l'intérieur dans sa réponse du 8 décembre et d'autres éléments d'information transmis par ses services, votre rapporteur relève tout d'abord que les personnes concernées sont , dans la plupart des cas, assignées à résidence sur le territoire de la commune de leur domicile et disposent, à de rares exceptions près, d'une dérogation prévue dans l'arrêté d'assignation pour se rendre sur leur lieu de travail si celui-ci n'est pas situé sur le territoire de la commune d'assignation. Tout déplacement sur le territoire d'une autre commune, pour une raison professionnelle ou familiale par exemple, nécessite, pour l'intéressé, d'obtenir une autorisation écrite préalable de la part de l'autorité préfectorale (sauf-conduit). En outre, toutes les assignations sont assorties de l'obligation pour la personne de demeurer la nuit dans un lieu d'habitation, qu'il s'agisse de son domicile propre ou, dans de rares cas, du domicile d'un tiers 24 ( * ) , pendant une période comprise en général entre huit et dix heures . Enfin, l'assignation à résidence est, pour les deux tiers des personnes concernées, assortie de l'obligation de se présenter trois fois par jour au commissariat ou à l'unité de gendarmerie territorialement compétente, cette obligation étant fixée à une ou deux fois par jour pour le tiers restant.

Seules deux assignations ont été complétées par l'obligation de remise des documents d'identité et deux autres cas , distincts des deux précédents, l'ont été par une interdiction d'entrer en relation avec des personnes nommément désignées . En revanche, la faculté donnée aux forces de l'ordre d'escorter la personne sur son lieu de résidence n'a pas été utilisée, de même qu'aucune assignation n'a été assortie d'un placement sous surveillance électronique mobile . Cette absence d'utilisation de la faculté de placement sous surveillance électronique n'étonne en rien votre rapporteur au regard des conditions extrêmement restrictives qui ont été retenues dans l'amendement du Gouvernement, sur lequel le Sénat n'a pu se prononcer en novembre dernier compte tenu des conditions d'examen du texte.

S'agissant du profil des personnes assignées à résidence, votre rapporteur tient enfin à souligner que, selon les précisions fournies par le ministre de l'intérieur lors de son audition, 83 % de ces personnes étaient connues pour leurs liens avec l'islamisme radical et faisaient précédemment, à ce titre, l'objet d'une attention particulière de la part des forces de l'ordre 25 ( * ) .

Enfin, d'après les renseignements provenant du ministère de la justice, les mesures d'assignations à résidence ont donné lieu à 31 infractions dues au non-respect de leurs prescriptions, passibles des sanctions prévues à l'article 13 de la loi du 3 avril 1955, ayant débouché sur le prononcé de 13 peines 26 ( * ) .

L'article 13 de la loi du 3 avril 1955 punit de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le non-respect des limites géographiques de l'assignation tandis que le non-respect, le cas échéant, du maintien dans le domicile la nuit, de l'obligation de présentation périodique au commissariat ou à la gendarmerie, de la remise des documents d'identité, de l'interdiction d'entrer en contact avec une ou plusieurs personnes et du placement sous surveillance électronique mobile l'est d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.

C. LES PERQUISITIONS ADMINISTRATIVES

Alors que seule une perquisition administrative avait été menée lors de la dernière mise en oeuvre de l'état d'urgence en 2005 à l'occasion de la « crise des banlieues », il apparaît que ces perquisitions constituent, depuis le 14 novembre 2015, les mesures de l'état d'urgence les plus utilisées sur le plan quantitatif.

1. Le cadre juridique des perquisitions administratives

En application de la loi du 3 avril 1955, les perquisitions administratives ne peuvent être conduites que dans les zones où l'état d'urgence reçoit application et à la condition que le décret ayant déclaré, ou la loi ayant prorogé, l'état d'urgence en ait prévu expressément la possibilité.

La loi du 20 novembre 2015 a substantiellement étoffé les dispositions de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955, dont la rédaction antérieure était très concise 27 ( * ) . Désormais, l'article 11 dispose que les autorités administratives peuvent ordonner de telles perquisitions « en tout lieu, y compris un domicile, de jour et de nuit (...) lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics ». Sont seuls exclus du champ de ces perquisitions les locaux affectés à « l'exercice d'un mandat parlementaire ou à l'activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes ».

La loi du 20 novembre 2015 est venue également compléter les modalités de déroulement de ces opérations. Ainsi, la décision ordonnant une perquisition, qui prend la forme d'un « ordre de perquisition » signé du préfet ou, le cas échéant, du préfet de police de Paris, précise le lieu et le moment de la perquisition. Les arrêtés de perquisition que votre rapporteur a pu consulter comportent également un exposé sommaire des motivations de la mesure.

Le procureur de la République territorialement compétent est informé sans délai de cette décision. La perquisition doit obligatoirement être conduite en présence d'un officier de police judiciaire territorialement compétent , la loi précisant, à la suite de la proposition formulée par le président Philippe Bas, reprise lors du débat à l'Assemblée nationale, qu'il est le seul habilité à dresser procès-verbal de toute infraction relevée, à charge pour lui d'en informer sans délai le procureur de la République et, le cas échéant, de procéder aux saisies utiles. La perquisition ne peut, par ailleurs, se dérouler qu'en présence de l'occupant ou, à défaut, de son représentant ou de deux témoins.

Dans le cas où la perquisition ne conduit pas à la constatation d'une infraction à la loi pénale, les services de police et de gendarmerie n'ont le droit de procéder à aucune saisie.

Toutefois, avec la loi du 20 novembre 2015, les forces de l'ordre ont désormais la possibilité, hors de toute infraction, de procéder à la consultation des données informatiques contenues par les différents supports présents sur le lieu de la perquisition (ordinateurs, téléphones, tablettes, etc.), mais également des données accessibles par l'intermédiaire de ces systèmes (messageries, systèmes de « cloud », etc.), et de les copier sur tout support pour une exploitation ultérieure.

2. L'utilisation intensive des perquisitions administratives

À la date du 3 février 2016, 3 299 perquisitions administratives avaient été conduites depuis le 14 novembre 2015. Il est cependant à noter l'importante concentration de ces opérations dans les premières semaines suivant la déclaration d'état d'urgence avec un quart du total des perquisitions conduites la première semaine . Un peu plus de 75 % des perquisitions avaient été réalisées au 8 décembre 2015.

S'agissant des modalités de leur exécution, près de la moitié des perquisitions ont démarré en dehors des heures « légales » prévues par le code de procédure pénale 28 ( * ) , soit après 21 heures et avant 6 heures du matin. Dans sa deuxième communication d'étape sur le contrôle de l'état d'urgence devant la commission des lois le 13 janvier dernier, le président Jean-Jacques Urvoas soulignait que ses interlocuteurs lui avaient indiqué que « cette précaution tactique permettrait d'intervenir sur des cibles dangereuses pour conserver un effet de surprise ou dans des zones connues pour des désordres, afin d'opérer plus discrètement ».

La majorité des perquisitions conduites (60 %) ont concerné des lieux fréquentés par des personnes qui ne faisaient pas l'objet d'une fiche 29 ( * ) au fichier des personnes recherchées (FPR) ou au fichier dit « FSPRT » 30 ( * ) .

Selon les informations transmises à votre rapporteur, le renseignement territorial est le principal service de police à l'origine des demandes de perquisition 31 ( * ) . Le service central du renseignement territorial (SCRT) et ses services zonaux, régionaux ou départementaux (SZRT, SRRT, SDRT) sont à l'origine des renseignements dans 36 % des lieux perquisitionnés. La direction centrale de la sécurité publique, les groupements départementaux de gendarmerie sont respectivement à l'origine de près de 25 % et 17 % des perquisitions. Seules 440 perquisitions reposaient sur des éléments de la direction générale de la sécurité intérieure (12,8 %).

Il convient d'ailleurs de relever que le président Jean-Jacques Urvoas, dans le cadre des déplacements qu'il a effectués dans différents départements, a souligné que « le ciblage des perquisitions avait donné lieu partout en France à une organisation déconcentrée très spécifique, réunissant systématiquement la sécurité intérieure, le renseignement territorial, la direction de la sécurité publique et la gendarmerie nationale, mais aussi la police judiciaire et le parquet », dans le but notamment, selon ses interlocuteurs, de « veiller à ce qu'aucune perquisition administrative ne porte préjudice à une procédure judiciaire en cours, ni a fortiori concerne un individu sous le coup de poursuites judiciaires ». Une analyse similaire a du reste été exposée par le préfet de police de Paris et le procureur de la République de Paris lors de leur audition devant le comité de suivi de votre commission, tous deux soulignant l'étroitesse de la collaboration et la qualité de travail noués dans la conduite des perquisitions administratives.

3. Les suites données aux perquisitions

L'efficacité de cet outil de l'état d'urgence doit faire l'objet d'une analyse au regard de différents éléments.

Lors de son audition devant votre commission le 2 février 2016, le ministre de l'intérieur a tout d'abord indiqué que ces perquisitions avaient conduit à la saisie de 560 armes , dont 208 armes longues, 163 armes de poing et 42 armes de guerre, mais également à la saisie de produits stupéfiants ou d'espèces (plus d'un million d'euros). Il a également précisé que les perquisitions avaient conduit à 341  décisions de gardes à vue à vue donnant lieu à 65 condamnations et 54 incarcérations 32 ( * ) .

Votre rapporteur a également reçu de manière régulière du ministère de la justice des statistiques relatives aux suites judiciaires données aux perquisitions administratives. À la date du 2 février 2016, sur la base de 2 867 perquisitions administratives 33 ( * ) , 571 perquisitions avaient donné lieu à une suite judiciaire, dont 210 pour infraction à la législation sur les armes, 202 à la législation sur les stupéfiants et 159 pour d'autres infractions.

Il convient de noter que les perquisitions administratives ont cependant conduit à un nombre limité de procédures judiciaires pour terrorisme puisque selon les données fournies par le procureur de la République de Paris, seules cinq enquêtes préliminaires ont été ouvertes par la section antiterroriste du parquet de Paris, dont une seule s'est traduite par l'ouverture d'une information judiciaire avec mise en examen.

Les perquisitions ont enfin conduit à l'ouverture de procédures judiciaires pour apologie du terrorisme dans une vingtaine de cas.

Le ministre de l'intérieur a eu l'occasion de préciser lors de son audition que si ces perquisitions ne débouchaient pas sur des procédures pour terrorisme, elles permettaient néanmoins de déstabiliser des filières de criminalité qui l'alimentent.

Enfin, l'efficacité des perquisitions doit également être mesurée à l'aune des consultations et des copies de données informatiques auxquelles il a été procédé lors de leur réalisation (dans près de la moitié des cas), qui ont permis aux forces de l'ordre et aux services de renseignement de disposer de renseignements, toujours en cours d'exploitation comme l'a rappelé le ministre de l'intérieur lors de son audition, et dont les effets concrets sont particulièrement délicats à mesurer dans le cadre du contrôle parlementaire. Votre rapporteur relève en outre que les éléments recueillis lors des perquisitions ont pu, dans certains cas, alimenter des dossiers conduisant le ministre à prononcer une assignation à résidence 34 ( * ) .

D. LES AUTRES MESURES DE POLICE PRISES DANS LE CADRE DE L'ÉTAT D'URGENCE

Au-delà des assignations à résidence et des perquisitions, la mise en oeuvre de l'état d'urgence donne à l'autorité administrative d'autres prérogatives parmi lesquelles la possibilité de prendre des mesures restrictives de la liberté d'aller et venir ou celle de requérir des personnes ou des biens.

À ce titre, depuis le 14 novembre 2015, les décisions suivantes 35 ( * ) ont été prises :

- une trentaine de décisions de remises d'armes prises par les préfets (article 9 de la loi du 3 avril 1955) ;

- une vingtaine d'interdiction de manifester sur la voie publique (article 8 de la loi du 3 avril 1955) ;

- moins d'une dizaine d'interdictions de circulation autour de « sites sensibles » (article 5 de la loi du 3 avril 1955) 36 ( * ) ;

- cinq mesures tendant à créer un périmètre de protection autour d'un site sensible (article 5 de la loi du 3 avril 1955) ;

- une dizaine de fermetures de lieux de réunion (article 8 de la loi du 3 avril 1955), en particulier de lieux de culte ;

- une centaine de réquisitions de personnes, pour l'essentiel des interprètes et des serruriers pour assistance à perquisition, par les préfets (article 10 de la loi du 3 avril 1955).

Par ailleurs, la loi du 20 novembre 2015 a inséré une possibilité 37 ( * ) , complémentaire à la procédure de droit commun prévue à l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, de dissoudre par décret en conseil des ministres « les associations ou groupements de fait qui participent à la commission d'actes portant une atteinte grave à l'ordre public ou dont les activités facilitent cette commission ou y incitent ». Par dérogation avec le cadre juridique général de l'état d'urgence en vertu duquel les mesures de police administrative cessent de produire leurs effets une fois l'état d'urgence levé, cette dissolution présente un caractère pérenne.

Dans son rapport précité sur le premier projet de loi de prorogation, le président Philippe Bas précisait l'intérêt juridique « limité » de cette nouvelle prérogative de l'état d'urgence, jugeant que les nouvelles dispositions se bornaient à transposer au sein de la loi du 3 avril 1955, « sans l'assouplir », le régime de droit commun prévu par le code de la sécurité intérieure.

Votre rapporteur relève d'ailleurs que le Gouvernement a procédé, lors du conseil des ministres du 13 janvier 2016, à la dissolution de trois associations cultuelles 38 ( * ) en prenant appui, non pas sur l'article 6-1 de la loi du 3 avril 1955, mais sur la procédure de droit commun. Cette dissolution, qui n'a pas été contestée devant la juridiction administrative, apparaît au demeurant parfaitement justifiée 39 ( * ) .

De même, à la suite de l'adoption par les députés d'un amendement lors du débat sur le projet de loi de modernisation de la loi de 1955, le ministre de l'intérieur a désormais la possibilité de prendre toute mesure pour assurer l'interruption de tout service de communication au public en ligne provoquant à la commission d'actes de terrorisme ou en faisant l'apologie (II de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955).

Ces dispositions se substituent à celles qui permettaient, dans la rédaction antérieure à la loi du 20 novembre 2015, à l'autorité administrative de prendre « toutes mesures pour assurer le contrôle de la presse et des publications de toute nature ainsi que celui des émissions radiophoniques, des projections cinématographiques et des représentations théâtrales ». Dans la version d'origine, cette prérogative était, comme les perquisitions administratives, soumise à la nécessité d'une mention expresse dans le décret déclarant, ou la loi prorogeant, l'état d'urgence. Désormais, les nouvelles dispositions sur le blocage des sites sont applicables sans mention expresse.

Il apparaît que cette faculté n'a pas été utilisée par le pouvoir exécutif depuis l'entrée en vigueur de la loi du 20 novembre 2015, alors que, dans le même temps, il a été fait usage à plusieurs reprises des dispositions de l'article 6-1 de la loi du 21 juin 2004 40 ( * ) permettant à l'autorité administrative de demander le retrait de contenus ou de procéder à des blocages de sites Internet provoquant à des actes terroristes ou faisant l'apologie de tels actes.

Le blocage administratif des contenus faisant l'apologie du terrorisme

Depuis la loi du 13 novembre 2014 41 ( * ) , l'article 6-1 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique permet de bloquer les contenus publiés en ligne qui relèvent d'une qualification pénale, notamment de l'article 421-2-5 du code pénal qui réprime la provocation à des actes de terrorisme ou l'apologie de ceux-ci.

Cette procédure de blocage administratif s'articule principalement autour de deux étapes : une phase « amiable » de demande de retrait et une procédure technique de blocage et de déréférencement des adresses.

Lorsqu'il est constaté qu'un contenu en ligne relève de l'infraction pénale d'apologie d'actes de terrorisme, l'OCTLIC 42 ( * ) , l'office de lutte contre la cybercriminalité, demande à l'éditeur ou à l'hébergeur de ce contenu de le retirer dans un délai de 24 heures à compter de cette notification 43 ( * ) .

Si le contenu n'est pas supprimé, l'adresse électronique 44 ( * ) de ce contenu est alors inscrite sur une liste, notifiée aux fournisseurs d'accès internet qui doivent dès lors bloquer sans délai l'accès à ces adresses. En pratique, ce sont les annuaires de sites web (dits « DNS ») de chaque fournisseur d'accès internet (FAI), qui ont pour rôle de convertir les adresses URL en adresses IP, qui refusent automatiquement aux utilisateurs de ces FAI d'accéder aux pages Internet dont l'adresse IP figure sur la liste des contenus illicites.

Toutes les demandes de retrait et d'inscription à la liste sont transmises à une personnalité qualifiée, désignée en son sein par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) pour la durée de son mandat dans cette commission, qui s'assure de leur régularité et de leur mise à jour.

Ainsi, selon les données fournies par la CNIL, depuis le 14 novembre 2015, 896 demandes 45 ( * ) de retrait de contenus provoquant à la commission d'actes de terrorisme ou en faisant l'apologie avaient été adressées aux éditeurs de sites, ou à défaut aux fournisseurs d'accès. En outre, la personnalité qualifiée de la CNIL avait reçu, depuis la même date, neuf demandes de mise à jour de la liste des sites bloqués 46 ( * ) , sept d'entre elles s'étant traduites par un ajout à cette liste.

II. L'ÉLABORATION D'UNE JURISPRUDENCE SUR LE CONTENTIEUX DES MESURES DE L'ÉTAT D'URGENCE

Introduit à l'occasion de la révision en novembre dernier du régime juridique de l'état d'urgence, l'article 14-1 de la loi du 3 avril 1955 précise désormais explicitement que les mesures prises sur le fondement de cette loi sont, exception faite des sanctions pénales prévues en cas de non-respect d'une décision prise par l'autorité administrative dans le cadre de l'état d'urgence, soumises au contrôle du juge administratif dans les conditions fixées par le code de justice administrative, qu'il s'agisse du contentieux classique de légalité ou en urgence, notamment avec la procédure dite du référé-liberté 47 ( * ) .

Dans la rédaction antérieure à la loi du 20 novembre 2015, les dispositions relatives aux recours juridictionnels étaient peu développées au sein de la loi du 3 avril 1955. La seule exception notable consistait, à l'article 7 de la loi, en la possibilité pour les intéressés de demander le retrait d'une mesure prise en application du 3° de l'article 5 (interdiction de séjour) et de l'article 6 (assignation à résidence). Cette demande devait ainsi être soumise à une commission consultative comprenant des délégués du conseil départemental désignés par ce dernier et dont la composition, le mode de désignation et les conditions de fonctionnement étaient fixés par décret en conseil d'État. Par ailleurs, ce même article prévoyait que les personnes avaient la possibilité de former un recours pour excès de pouvoir contre la décision de la commission consultative devant le tribunal administratif compétent. En ce cas, la loi fixait au tribunal l'obligation de statuer dans le mois du recours et, en cas d'appel, le Conseil d'État avait obligation de statuer dans les trois mois de l'appel. Faute pour les juridictions d'avoir statué dans ces délais, les mesures cessaient de recevoir exécution.

En vertu de ces dispositions, un décret du 10 mai 1955 48 ( * ) , modifié par un décret du 7 juillet 1955 49 ( * ) , avait défini les modalités d'application de l'article 7. Ces commissions n'avaient cependant pas été constituées.

Les décisions prises par l'autorité administrative depuis l'entrée en vigueur de l'état d'urgence le 14 novembre 2015 ont donné lieu à de nombreux contentieux et permis de dégager une jurisprudence riche, trois articles de la loi du 3 avril 1955 ayant, dans ce contexte, fait l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité transmise par le Conseil d'État au Conseil constitutionnel.

A. LE CONTENTIEUX DES ASSIGNATIONS À RÉSIDENCE

1. La jurisprudence administrative en matière d'assignations à résidence

Votre rapporteur relève tout d'abord que les mesures d'assignations à résidence ont été largement déférées devant le juge administratif .

a) Les recours formés à l'encontre des « assignations COP 21 »

S'agissant des vingt-sept assignations à résidence prononcées en lien avec la COP 21, neuf arrêtés d'assignations ont été déférés en référé devant le juge administratif. Tous ces recours ont cependant été rejetés. Par ailleurs, sur ces vingt-sept assignations, deux arrêtés, qui ont cessé de produire leurs effets juridiques depuis le 12 décembre dernier, font toujours l'objet d'un recours en légalité, la juridiction saisie n'ayant pas encore statué.

Le Conseil d'État s'est très rapidement prononcé sur la question des assignations à résidence, dès le 11 décembre 2015. Ce dernier était en effet saisi en cassation de sept ordonnances rendues par le juge des référés de trois tribunaux administratifs, qui tous avaient rejeté les demandes de suspension d'assignations prononcées au titre de la préservation de l'ordre public pendant la COP 21. Une question prioritaire de constitutionnalité était en outre soulevée dans l'un de ces pourvois.

Dans l'une de ses sept décisions 50 ( * ) , le Conseil d'État a tout d'abord considéré que la question de constitutionnalité soulevée sur le dispositif des assignations à résidence, notamment en ce qu'elle invoquait la liberté d'aller et venir, présentait un caractère sérieux , justifiant qu'elle soit renvoyée au Conseil constitutionnel.

Puis, le Conseil d'État s'est prononcé sur la question de l'urgence
- qui constitue l'une des conditions pour que la saisine du juge des référés soit admise - qui n'avait pas été retenue par le juge des référés de certains tribunaux administratifs, en l'occurrence dans six des sept ordonnances. Le Conseil d'État a pour sa part estimé qu'une mesure d'assignation à résidence, en raison des restrictions qu'elle apporte à la liberté d'aller et venir, porte, par principe, toujours une atteinte grave et immédiate à la situation de la personne assignée et crée ainsi une situation d'urgence justifiant que le juge du référé-liberté se prononce dans les 48 heures. Dans les cas où est en cause une mesure d'assignation à résidence, il ressort donc de cette jurisprudence que la condition d'urgence du référé-liberté est toujours remplie, sauf si l'administration faisait valoir des circonstances particulières.

Par ailleurs, selon les termes du communiqué de presse du Conseil d'État, le juge administratif « s'est ensuite prononcé sur l'existence d'une atteinte grave et manifestement illégale. Il a jugé que, dans le cadre de la procédure du référé-liberté, le juge des référés doit rechercher, d'une part, si le principe même de l'assignation à résidence, compte tenu des motifs retenus par l'administration, est manifestement illégal, d'autre part, si les modalités de cette assignation (par exemple sa durée ou les obligations de présentation de maintien à domicile qui l'accompagnent) sont manifestement illégales. En cas de constat d'une illégalité manifeste, il lui appartiendrait, dans le cadre de cette procédure, de prononcer toute mesure pour y mettre fin, y compris en modifiant les modalités de l'assignation à résidence ».

Enfin, dans ces décisions, le Conseil d'État n'a pas fait droit à l'argumentation des requérants portant sur l'absence de lien entre les raisons ayant conduit le pouvoir exécutif à déclarer l'état d'urgence - la prévention d'actes de terrorisme dans le cas présent - et les motifs des arrêtés d'assignations à résidence, en l'occurrence la prévention de troubles à l'ordre public pendant la COP 21.

La haute juridiction administrative a en effet relevé que l'article 6 de la loi du 3 avril 1955 n'établissait pas de lien entre la nature du péril imminent ayant conduit à la déclaration d'état d'urgence et les justifications de la mesure d'assignation à résidence. Dans ces conditions, dès lors que le comportement d'une personne présente une menace pour la sécurité et l'ordre publics, l'autorité administrative est en droit, compte tenu du péril imminent, de prendre une mesure d'assignation à résidence pour des motifs autres que, dans le cas du présent état d'urgence, la prévention du terrorisme. Le Conseil d'État a ainsi admis que ces mesures de police administrative aient été prises pour faciliter le travail des forces de l'ordre dans un contexte de particulière mobilisation de ces dernières pour lutter contre la menace terroriste et parer au péril imminent ayant conduit à la déclaration d'état d'urgence ainsi que pour assurer la sécurité de la COP 21.

b) Les recours contre les assignations prises pour liens avec l'islamisme radical

Pour ce qui concerne les assignations en relation avec l'islamisme radical, 183 contentieux ont été engagés , 108 en référés et 75 recours au fond.

Sur ce total, dix recours en référé 51 ( * ) ont conduit à une suspension provisoire de la mesure d'assignation et un recours au fond a conduit à l'annulation de la mesure 52 ( * ) . À la date du 4 février 2016, 17 procédures de référé étaient toujours en cours d'instruction, 64 pour les recours au fond.

Dans la plupart des cas ayant conduit à une suspension de la mesure, le juge administratif a considéré que l'assignation portait une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir, faute notamment pour le ministre de l'intérieur d'avoir insuffisamment circonstancié les éléments de fait présentés à l'appui de l'assignation à résidence.

Par ailleurs, dans plusieurs décisions, le juge administratif a enjoint à l'administration de revoir les modalités de l'assignation à résidence afin de tenir compte des obligations familiales ou professionnelles 53 ( * ) de l'intéressé. En particulier, le Conseil d'État a, dans une ordonnance du 6 janvier 2016 54 ( * ) , relevé que les modalités d'une assignation à résidence, qui faisaient peser des contraintes excessivement lourdes sur l'intéressé quant à l'organisation de sa vie de famille, n'étaient pas justifiées au regard des motifs ayant fondé l'assignation et qu'elles portaient une atteinte grave et manifestement illégale non seulement au droit au respect de la vie familiale mais aussi à l'intérêt supérieur des enfants auquel il doit être accordé, selon lui, « une attention primordiale » en vertu de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990.

Votre rapporteur relève ainsi, sous réserve des décisions que les juges du fond seront amenés à rendre, que le ministère de l'intérieur a commis un certain nombre d'erreurs d'appréciation dans le ciblage des individus assignés à résidence mais que les cas de suspension 55 ( * ) demeurent minoritaires au regard des 392 décisions prises par le ministre de l'intérieur.

c) La faiblesse du nombre de décisions juridictionnelles de fond

Votre rapporteur souligne qu'à la date de publication du présent rapport, seules onze décisions avaient été rendues par les juges du fond, ayant conduit à une seule annulation d'un arrêté d'assignation. Dans le cas d'espèce 56 ( * ) , le tribunal administratif a considéré que certains faits n'étaient pas suffisamment établis et que l'ensemble des éléments mis en avant par l'administration ne permettaient pas de considérer que le comportement de l'intéressé constituait une menace pour la sécurité et l'ordre publics. Il est cependant à noter que cette décision n'a produit aucun effet juridique pour la personne assignée à résidence dans la mesure où le contentieux portait sur un premier arrêté d'assignation à résidence, pris le 15 novembre 2015, qui avait depuis été remplacé par un deuxième arrêté d'assignation en date du 25 novembre, lequel n'était pas concerné par le recours juridictionnel.

d) La question des notes blanches des services de renseignement

À l'occasion des différentes instances juridictionnelles portant sur les assignations à résidence, les requérants ont régulièrement contesté les motifs mis en avant par l'autorité administrative pour justifier la mesure, en particulier les conditions dans lesquelles l'administration faisait valoir différentes informations à l'appui de l'arrêté d'assignation, notamment dans des « notes blanches » établies par les services spécialisés de renseignement.

Ces « notes blanches », qui ne doivent pas être confondues avec les « blancs » autrefois rédigés par l'ancienne direction centrale des renseignements généraux (DCRG) 57 ( * ) , constituent des relevés de conclusions mettant en avant des informations recueillies par les services de renseignement sur une personne et que les services rédigent de manière à ne compromettre ni l'origine du renseignement, ni leurs méthodes d'acquisition. Or, ces notes peuvent s'avérer peu précises, amenant ainsi les requérant à en contester le bien-fondé faute d'éléments suffisamment circonstanciés.

Dans ses décisions précitées du 11 décembre 2015, le Conseil d'État a admis l'utilisation par l'autorité administrative de ces notes blanches et rappelé qu' « aucune disposition législative, ni aucun principe ne s'oppose à ce que les faits relatés par les « notes blanches » produites par le ministre, qui ont été versées au débat contradictoire et ne sont pas sérieusement contestées par le requérant, soient susceptibles d'être pris en considération par le juge administratif ».

Puis, le Conseil d'État a été saisi en appel d'une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Montreuil 58 ( * ) rejetant une demande de suspension d'une assignation à résidence. Dans cette affaire le requérant faisait valoir que l'ordonnance de rejet méconnaissait le principe du contradictoire et le droit au procès équitable garanti par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ce qu'elle reposait sur des « informations livrées par les services de renseignement dont il n'avait pas eu connaissance ».

Dans son ordonnance, qui a confirmé le rejet en première instance de la requête, le juge des référés du Conseil d'État a notamment estimé 59 ( * ) que « l'instruction écrite et orale avait permis une discussion contradictoire de l'ensemble des éléments du dossier » et rappelé, comme dans la décision du 11 décembre, que les « notes blanches » étaient susceptibles d'être prises en considération dès lors qu'elles étaient versées au débat et soumises aux échanges contradictoires. Dans le cadre du processus juridictionnel, le juge administratif procède à un examen de la vraisemblance des éléments de fait mis en avant dans ces notes et peut être amené, dans certains cas, à demander à l'autorité administrative des suppléments d'information dans le cadre de l'instruction qu'il mène, s'il estime que les faits sont insuffisamment circonstanciés. Il appartient alors à l'administration de produire des éléments complémentaires pouvant conduire le juge des référés à des ordonnances de suspension s'il continue à les estimer insuffisamment fondés.

2. La conformité à la Constitution des assignations à résidence

Saisi le 11 décembre 2015 par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a estimé, dans une décision du 22 décembre 2015 60 ( * ) , que le cadre juridique des assignations à résidence en état d'urgence, fixé à l'article 6 de la loi du 3 avril 1955, était conforme à la Constitution.

D'une part, votre rapporteur souhaite souligner la portée générale de cette décision par laquelle le Conseil constitutionnel précise que « la Constitution n'exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d'état d'urgence » mais qu'il lui appartient, dans ce cadre, « d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et, d'autre part, le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République », parmi lesquels figurent la liberté d'aller et de venir, composante de la liberté personnelle garantie par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789.

Le Conseil a ainsi fait application de sa jurisprudence, désormais bien établie puisque ses fondements remontent à une décision rendue en 1999 61 ( * ) , en vertu de laquelle il distingue les mesures privatives de liberté 62 ( * ) , qui doivent être placées sous le contrôle de l'autorité judiciaire en application de l'article 66 de la Constitution, et la restriction de la liberté d'aller et venir qui peut s'effectuer dans un cadre préventif de police administrative.

En l'espèce, le Conseil a considéré que l'assignation à résidence dans le cadre de l'état d'urgence constituait « une mesure qui relève de la seule police administrative » et a souligné en conséquence que cette mesure, tant par son objet que par sa portée, n'emportait pas de privation de la liberté individuelle au sens de l'article 66 de la Constitution . Il a cependant relevé que la plage horaire maximale de l'astreinte à domicile dans le cadre de l'assignation à résidence, fixée à douze heures par jour par la loi, « ne saurait être allongée sans que l'assignation à résidence soit alors regardée comme une mesure privative de liberté, dès lors soumise aux exigences de l'article 66 de la Constitution ».

D'autre part, dans cette décision le Conseil indique que tant la mesure d'assignation à résidence que sa durée , ses conditions d'application et les obligations complémentaires dont elle peut être assortie, doivent être justifiées et proportionnées aux raisons ayant motivé la mesure dans les circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence et qu'en conséquence le juge administratif est chargé de s'assurer que cette mesure est adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité qu'elle poursuit .

Enfin, le Conseil précise que les mesures d'assignation à résidence cessent de produire leurs effets à l'issue de la période d'état d'urgence telle que prorogée par le législateur , conformément à l'article 14 de la loi du 3 avril 1955. Par conséquent, si le législateur décidait de proroger une nouvelle fois l'état d'urgence après le 26 février 2016, il appartiendrait au ministre de l'intérieur de prendre de nouveaux arrêtés pour les personnes qu'il souhaiterait maintenir en assignation à résidence.

Cette précision faite par le Conseil constitutionnel conduit d'ailleurs le ministère de l'intérieur à ne pas donner suite à certaines ordonnances de juges des référés de tribunaux administratifs 63 ( * ) - qui lui demandent de modifier les arrêtés d'assignations car ces derniers ne comportent pas de date limite de validité - au motif qu'à défaut de mention explicite de fin, l'assignation à résidence cesse de produire ses effets à l'issue de la période d'état d'urgence.

B. LE CONTENTIEUX DES PERQUISITIONS ADMINISTRATIVES

1. La jurisprudence administrative

À l'inverse des mesures d'assignations à résidence, les perquisitions n'ont que très peu fait l'objet de recours devant le juge administratif . Selon les informations transmises à votre rapporteur, au 26 janvier 2016, seule une vingtaine de recours (soit moins de 1 % des perquisitions) avait été déposée par des personnes ayant fait l'objet d'une perquisition administrative.

À titre liminaire, votre rapporteur émet l'hypothèse que ce faible taux de recours juridictionnel peut vraisemblablement s'expliquer par l'absence de délivrance systématique aux personnes concernées de l'arrêté de perquisition les concernant et de leur information concernant les voies de recours. Or, sans notification de l'acte contesté, les personnes concernées ne peuvent déposer un recours. Elles doivent, au préalable, solliciter le préfet aux fins d'obtenir copie de cet arrêté 64 ( * ) .

Par ailleurs, ce faible nombre peut s'expliquer par l'impossibilité de saisir la juridiction administrative pendant le déroulement de la perquisition et par l'absence d'effets juridiques d'une saisine du juge des référés , une fois l'opération achevée. Comme l'a rappelé le juge des référés du tribunal administratif de Paris le 26 novembre 2015, saisi d'une requête en référé-suspension, il n'est possible de demander la suspension d'une décision administrative « qu'à la condition qu'une telle décision soit encore susceptible d'exécution » 65 ( * ) . De fait, toute requête aux fins de suspension, concernant une perquisition, est sans objet et doit être rejetée par le juge administratif, en application de l'article L. 522-3 du code de justice administrative.

Les perquisitions peuvent néanmoins faire l'objet d'un contrôle de légalité par le juge administratif , par la voie d'un recours en excès de pouvoir. Les actes administratifs annulés sont réputés n'être jamais intervenus. Néanmoins, en l'absence de procédure judiciaire postérieure, la perquisition ayant produit tous ses effets, l'annulation par le juge administratif est d'une portée très limitée. Dans le cas d'une procédure judiciaire conduite sur le fondement d'éléments recueillis lors d'une perquisition administrative, l'annulation pour illégalité par le juge administratif de l'ordre de perquisition du préfet présenterait le caractère d'une décision à l'autorité absolue, qui s'imposerait alors à la juridiction correctionnelle saisie. Néanmoins, en vertu de l'article 111-5 du code pénal, les juridictions pénales sont compétentes pour apprécier la légalité des actes administratifs, tel un arrêté d'une perquisition, et peuvent décider de son annulation erga omnes 66 ( * ) . Dès lors, le seul recours en excès de pouvoir (contentieux de l'annulation) ne présente que peu d'intérêt.

En conséquence, les perquisitions administratives ne peuvent être efficacement contestées devant la juridiction administrative que sur le fondement de l'engagement de la responsabilité de la puissance publique.

Plusieurs raisons expliquent le faible nombre de recours en indemnisation.

En premier lieu, ce type de requête exige de recourir à un avocat, susceptible d'engendrer des coûts. En second lieu, les conditions du régime d'indemnisation semblent particulièrement restrictives. En effet, sous réserve de l'interprétation de la juridiction administrative, l'administration retient que la responsabilité de l'État ne peut être engagée qu'après avoir démontré l'existence d'une faute lourde . Dans une circulaire du 25 novembre 2015, le ministre de l'intérieur considère que le seul fait d'« enfoncer la porte ou de causer des dégâts matériels ne devrait pas être à lui seul constitutif d'une faute lourde ».

Cette position pourrait apparaître contestable au regard des divers motifs ayant conduit aux 3 299 perquisitions. En effet, selon les informations transmises à votre rapporteur, un grand nombre de perquisitions ont eu pour motif de « lever les doutes » ou d'« approfondir du renseignement », soit un filet d'intervention particulièrement large. Ces motifs expliquent ainsi que seules 15 % des perquisitions ont permis la découverte d'objets illicites et entrainé des procédures judiciaires incidentes.

Néanmoins, cette pratique policière reste légale. En effet, les perquisitions administratives peuvent avoir légalement lieu dans tout lieu susceptible d'être fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. Dès lors, des perquisitions ont, dans de nombreux cas, eu lieu aux domiciles de personnes qui ne constituent pas une menace mais dont le domicile pourrait être fréquenté par une telle personne. Dès lors, l'exigence d'une faute lourde à l'égard d'une personne qui, sans être un tiers à l'opération, n'est pas strictement la personne mise en cause, peut apparaître excessive.

De plus, l'évolution de la jurisprudence administrative se caractérise par un mouvement notable de réduction des hypothèses de responsabilités pour faute lourde. Ainsi la faute lourde a-t-elle été abandonnée pour des activités où l'urgence constitue un élément essentiel : les secours d'urgence ( CE, 20 juin 1997, Theux ), le sauvetage en mer ( CE, 13 mars 1998, Améon ), et les services de lutte contre les incendies ( CE, 29 avril 1998, Commune de Hannapes ).

Outre le régime de la faute lourde, les délais de jugement de ce type de recours indemnitaires peuvent expliquer ce nombre très faible de recours juridictionnels. En 2014, un délai moyen de dix mois séparait le dépôt d'une requête de son jugement par le tribunal administratif, en raison du temps nécessaire de l'instruction 67 ( * ) . Ce délai était de onze mois devant les cours administratives d'appel et de huit mois devant le Conseil d'État.

L'ensemble de ces raisons expliquent que moins de 1 % des perquisitions administratives, qui représentant pourtant près de 90 % des mesures prononcées sur le fondement de la loi du 3 avril 1955, font l'objet d'un recours juridictionnel destiné à vérifier la nécessité et la proportionnalité de la mesure mais aussi des conditions de son exécution.

2. Le Conseil constitutionnel examinera prochainement la conformité du dispositif à la Constitution

Le Conseil d'État a examiné une requête de la Ligue des droits de l'homme tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la circulaire du 25 novembre 2015 du ministère de l'intérieur relative aux perquisitions. En appui de cette requête, a été soulevée une question prioritaire de constitutionnalité concernant les perquisitions administratives prévues à l'article 11 de la loi du 3 avril 1955, en ce qu'elles mettent en cause l'inviolabilité du domicile et méconnaîtraient les exigences de l'article 66 de la Constitution ou de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Considérant que cette question était nouvelle et sérieuse, le Conseil d'État 68 ( * ) a décidé de la transmettre au Conseil constitutionnel. Le Conseil constitutionnel n'avait toutefois pas encore rendu sa décision à l'heure où votre commission est tenue de se prononcer sur la prorogation de l'état d'urgence.

C. LES CONTENTIEUX DES AUTRES MESURES ADMINISTRATIVES

Enfin, les autres mesures administratives prises dans le cadre de l'état d'urgence ont, à la connaissance de votre rapporteur, donné lieu à trois ordonnances de suspension de la part du juge des référés.

Ont ainsi été suspendues :

- une interdiction de fréquenter tout lieu de culte 69 ( * ) ;

- une fermeture administrative provisoire d'un restaurant 70 ( * ) , dont le propriétaire était par ailleurs assigné à résidence, cette décision ayant été elle-aussi suspendue. Saisi en appel des deux affaires, le Conseil d'Etat 71 ( * ) a confirmé la suspension de la fermeture administrative du restaurant mais a annulé la décision de suspension de l'assignation à résidence ;

- une fermeture d'un établissement dénommé Bosna Market 72 ( * ) .

Il convient enfin de relever que le Conseil d'État, à nouveau saisi par la Ligue des droits de l'homme, a décidé 73 ( * ) de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité sur l'article 8 de la loi du 3 avril 1955, le requérant soutenant, à l'appui de sa requête en annulation du décret du 14 novembre 2015, que « le législateur ne pouvait prévoir un dispositif d'interdiction administrative de réunion dans le cadre de l'état d'urgence sans l'assortir de garanties appropriées au regard notamment des exigences tenant à la protection du droit d'expression collective des idées et des opinions ».

Article 8 de la loi du 3 avril 1955

Le ministre de l'intérieur, pour l'ensemble du territoire où est institué l'état d'urgence, et le préfet, dans le département, peuvent ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature dans les zones déterminées par le décret prévu à l'article 2.

Peuvent être également interdites, à titre général ou particulier, les réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre.

Le Conseil d'État a considéré que ce moyen soulevait une question nouvelle fondant la transmission de la question au Conseil constitutionnel.

D. LA DEMANDE TENDANT À METTRE FIN À L'ÉTAT D'URGENCE

Enfin, le juge des référés du Conseil d'État a été saisi, les 19 et 26 janvier 2016, d'une demande formulée par la Ligue des droits de l'homme tendant à suspendre l'état d'urgence ou, à défaut, d'ordonner au Président de la République d'y mettre fin.

Dans son ordonnance rendue le 27 janvier dernier 74 ( * ) , le juge des référés a tout d'abord écarté la possibilité de suspendre la mise en oeuvre du décret du 14 novembre 2015 déclarant l'état d'urgence dans la mesure où l'application de l'état d'urgence ne résulte plus de ce texte réglementaire mais de la loi de prorogation du 20 novembre 2015 précitée. Dès lors, seule une question prioritaire de constitutionnalité, dont le Conseil d'État n'était pas saisi, aurait pu avoir pour objet d'écarter l'application d'une loi en contestant sa conformité à la Constitution.

S'agissant de la demande d'injonction au Président de la République de mettre fin à l'état d'urgence, le juge des référés, à l'instar de la position retenue par le Conseil d'État en 2005 75 ( * ) et en 2006 76 ( * ) à l'occasion de contentieux similaires, a rappelé que le Président de la République disposait d'un « large pouvoir d'appréciation » pour faire ou non usage de la faculté que lui donne la loi du 20 novembre 2015 de mettre fin de façon anticipée à l'état d'urgence. Toutefois, il estime que « le silence de la loi sur les conditions de mise en oeuvre de cette faculté ne saurait être interprété, eu égard à la circonstance qu'un régime de pouvoirs exceptionnels a des effets qui, dans un État de droit, sont par nature limités dans le temps et dans l'espace, comme faisant échapper sa décision à tout contrôle de la part du juge de la légalité ».

Sur le fond, le juge des référés du Conseil d'Etat considère que le péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public ayant justifié, le 13 novembre 2015, la déclaration d'état d'urgence « n'a pas disparu ». Il souligne que, « même s'ils ont été de moindre ampleur que ceux du 13 novembre, des attentats se sont répétés depuis cette date à l'étranger comme sur le territoire national et que plusieurs tentatives d'attentat visant la France ont été déjouées ». Il relève ensuite que « la France est engagée, aux côtés d'autres pays, dans des opérations militaires extérieures de grande envergure qui visent à frapper les bases à partir desquelles les opérations terroristes sont préparées, organisées et financées ». Enfin, il note que « les mesures qui ont été arrêtées, sous le contrôle du juge administratif, ont permis d'atteindre des résultats significatifs ».

L'ordonnance rejette par conséquent la requête au motif que le Président de la République, en s'abstenant de prendre un décret mettant fin à l'état d'urgence, « n'a pas porté atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale » justifiant que le juge des référés fasse usage de son pouvoir d'injonction.

*

* *

À l'issue de ce panorama de la jurisprudence occasionnée par les mesures prises au cours des douze premières semaines d'application de l'état d'urgence, votre rapporteur tient à souligner que si l'état d'urgence constitue bel et bien un régime juridique exceptionnel par les prérogatives étendues qu'il offre à l'autorité administrative, il ne constitue aucunement un régime arbitraire dénué de voies de recours. La légalité de toutes les mesures de police administrative peut en effet être contestée devant la juridiction administrative, laquelle peut être amenée à statuer dans des délais très brefs avec la procédure dite du référé-liberté. Les suspensions ordonnées par différents juges des référés démontrent pour leur part l'efficacité de cette procédure.

Ce bilan démontre, s'il en était besoin, que la juridiction administrative constitue une véritable autorité juridictionnelle, soucieuse du respect des droits et libertés fondamentales.

Les modalités de son intervention présentent cependant une différence fondamentale avec le fonctionnement de l'autorité judiciaire puisque ses décisions sont systématiquement postérieures à celles de l'administration. Or, l'existence d'un recours juridictionnel exclusivement postérieur à l'exécution de la mesure soulève des interrogations quant à l'efficacité du contrôle opéré par le juge administratif sur les perquisitions administratives, qui constituent, sur le plan quantitatif, l'essentiel des décisions prises par l'autorité administrative.

Enfin, votre rapporteur note que, dans les trois mois qui auront suivi la déclaration d'état d'urgence 77 ( * ) , le Conseil constitutionnel se sera prononcé sur la conformité à la Constitution de trois dispositifs (assignations à résidence, perquisitions administratives et interdictions de réunion et de manifestation) de la loi du 3 avril 1955 figurant parmi les plus attentatoires aux libertés publiques du régime de l'état d'urgence.

En tout état de cause, il est certain que les trois décisions du Conseil constitutionnel viendront enrichir la réflexion de votre commission quand elle sera saisie du projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation, dont l'un des objets est d'établir un fondement constitutionnel au régime de l'état d'urgence.

III. LE TEXTE DU PROJET DE LOI

Délibéré lors de la réunion du conseil des ministres du 3 février 2016, le projet de loi prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence a été déposé sur le bureau de votre Haute assemblée le même jour, le Gouvernement ayant engagé la procédure accélérée. Compte tenu de l'inscription de ce texte à l'ordre du jour du Sénat du mardi 9 février, votre commission a procédé à son examen et à l'établissement de son texte dans la soirée du 3 février.

Votre rapporteur rappelle qu'en application de l'article 11 de la loi organique du 15 avril 2009 78 ( * ) , ce projet de loi est dispensé de l'obligation d'être accompagné d'une étude d'impact.

L'objet exclusif de ce texte est de proroger l'état d'urgence qui, en vertu de l'article 1 er de la loi du 20 novembre 2015, est applicable jusqu'au 26 février 2016. Contrairement au choix effectué par le Gouvernement à l'automne dernier, ce texte ne procède à aucune modification des dispositifs de la loi du 3 avril 1955 et s'apparente, de ce fait, à la loi de prorogation votée et entrée en vigueur le 18 novembre 2005 79 ( * ) .

L' article unique du projet de loi soumis à l'approbation de votre commission prévoit en conséquence que l'état d'urgence, déclaré par les décrets du 14 novembre et du 18 novembre 2015 et prorogé pour trois mois par la loi du 20 novembre 2015, est à nouveau prorogé pour trois mois à compter du 26 février 2016 sur le territoire métropolitain et sur le territoire des collectivités ultramarines mentionnées par le décret du 18 novembre 2015 80 ( * ) . L'état d'urgence serait donc applicable sur ce périmètre géographique jusqu'au 26 mai 2016 . S'agissant des modalités d'application de l'état d'urgence au cours de cette nouvelle période de prorogation, le texte de cet article renvoie :

- à l'article 2 de la loi du 20 novembre 2015 qui dispose de manière expresse, conformément à l'exigence résultant de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955, que l'état d'urgence emporte, pour sa durée, application des dispositions relatives aux perquisitions administratives ;

- et à l'article 3 de la même loi qui donne au pouvoir exécutif la faculté de mettre fin à l'état d'urgence de manière anticipée. En ce cas, le Gouvernement serait tenu d'en rendre compte au Parlement.

IV. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION

A. LE PÉRIL EST-IL TOUJOURS IMMINENT ?

L'examen de ce texte législatif conduit d'abord votre commission à s'interroger sur la persistance d'un « péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public » de nature à justifier une nouvelle prorogation pour trois mois de l'état d'urgence.

Outre les appréciations formulées par le juge des référés du Conseil d'État sur la caractérisation du péril imminent, que votre rapporteur a présentées ci-dessus, il convient également de relever que l'assemblée générale de la haute juridiction administrative, dans son avis sur le présent projet de loi, a estimé que cette nouvelle prorogation était justifiée par la persistance d'un tel péril « dès lors :

- que les liens entre le terrorisme intérieur et le terrorisme dirigé depuis l'étranger contre la France n'ont rien perdu de leur intensité ;

- qu'en particulier, un nombre important de ressortissants français sont présents en zone irako-syrienne aux côtés de groupes terroristes et sont susceptibles de revenir en France à tout moment pour y accomplir des actions violentes ;

- que des actions terroristes de moindre ampleur qu'avant l'instauration de l'état d'urgence, mais pareillement inspirées, continuent de se produire sur le sol national, illustrant la persistance de la menace ».

Lors de son audition devant votre commission, le ministre de l'intérieur, afin de caractériser la nature de ce péril, a développé les différentes menaces auxquelles sont exposés nos concitoyens sur le territoire national et à l'étranger. Après avoir rappelé les différents attentats meurtriers survenus à Bamako le 20 novembre 2015, Istanbul le 12 janvier, Jakarta le 14 janvier et Ouagadougou le 15 janvier 2016, et les attentats, de moindre ampleur que ceux du 13 novembre, intervenus en France depuis lors 81 ( * ) , il a indiqué que les autorités françaises avaient démantelé 18 filières djihadistes en 2015, déjoué 11 attentats, dont 8 au cours des derniers mois de l'année, et que « nombre de ces projets étaient commandités par les mêmes personnes que les attentats de novembre ». Outre la mise en échec de projets d'attentats fin 2015 en Belgique et en Allemagne, le ministre a précisé qu'au mois de décembre dernier « deux projets terroristes en gestation sur le territoire national ont été déjoués, le premier de la part d'un individu résidant à Tours, le second émanant de deux personnes de la région orléanaise qui avaient entamé des démarches pour se procurer des armes avec le projet d'attaquer des représentants de la force publique ». Il a également précisé que le 24 décembre 2015, un couple demeurant à Montpellier avait été « mis en examen des chefs d'association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme et financement du terrorisme, et écroué » et que « de la documentation djihadistes et un faux ventre de femme enceinte qui aurait pu servir à dissimuler des objets, recouvert d'une couche d'aluminium », avaient notamment été saisis à leur domicile.

Puis, soulignant que, depuis le 13 novembre 2015, 1 492 nouveaux signalements avaient été inscrits aux fichiers gérés par les services de renseignement et que 10 000 mises à jour, dont 1 020 au cours de la semaine du 25 janvier 2016, de ces fichiers avaient eu lieu, il a jugé que « la menace terroriste demeure à un niveau très élevé, portée soit par des individus isolés et radicalisés, sensibles aux messages d'incitation au passage à l'acte qui leur sont adressés, soit par des organisations terroristes dont la force de frappe, en France ou à l'étranger contre les intérêts ou ressortissants français, est indiscutable ».

Afin d'illustrer ce propos, le ministre de l'intérieur a précisé qu'au début de l'année 2016, « environ 600 Français étaient présents en zone irako-syrienne, susceptibles de revenir sur le territoire national pour y perpétrer des actions violentes commanditées par Daesh » et rappelé que « pour la seule année 2015, 329 nouvelles arrivées sur zone en provenance de notre territoire ont été enregistrées. Le nombre de personnes velléitaires n'ayant pas encore mis leur projet à exécution est passé de 295 fin 2014 à 723 fin 2015. De même, de nombreux candidats à la lutte armée, empêchés de quitter le territoire national pour des raisons administratives ou matérielles, sont susceptibles de passer à l'acte, de manière isolée ou organisée depuis la Syrie ».

Il a conclu en indiquant que « dans sa propagande diffusée sur internet après les attentats de Paris, l'organisation terroriste Daesh a réitéré ses appels à l'action terroriste violente et meurtrières contre la France, en ciblant divers services publics, en plus de la multiplicité des objectifs potentiels dans différents secteurs de la vie sociale déjà cités dans ses communications incitant ses partisans à l'action violente au moyen d'armes ou d'explosifs ».

Pour votre rapporteur, ces informations objectives exposées par le ministre de l'intérieur constituent autant d'éléments caractérisant l'existence d'une menace élevée en France, de nature à caractériser un péril imminent au sens de l'article 1 er de la loi du 3 avril 1955.

Pour autant, comme l'a souligné le président Philippe Bas lors de la même audition, « il ne suffit pas que le péril demeure pour reconduire indéfiniment l'état d'urgence : il faut aussi démontrer que les mesures administratives prises dans ce cadre sont réellement utiles à la lutte contre le terrorisme ».

B. L'EFFICACITÉ DE L'ÉTAT D'URGENCE EN QUESTION

Votre rapporteur note tout d'abord que la mise en oeuvre de l'état d'urgence a vraisemblablement contribué à déstabiliser, au-delà des cinq procédures engagées par le parquet national antiterroriste de Paris, chiffre qui apparaît très modeste au regard du nombre total de perquisitions administratives conduites par l'autorité administrative, des filières de délinquance ordinaire qui, sans être reliées directement au terrorisme, peuvent alimenter, en armes et en financements, les réseaux djihadistes. Ce point a du reste été souligné par M. Philippe Galli, préfet de Seine-Saint-Denis lors de son audition devant le comité de suivi.

Par ailleurs, votre rapporteur est également sensible au fait que les nombreux éléments d'information recueillis par les forces de l'ordre lors des perquisitions administratives, du fait de la possibilité que leur donne désormais la loi de 1955 de copier des données informatiques 82 ( * ) , toujours en cours d'exploitation, n'ont pas encore « révélé toute leur vérité » selon les propos du ministre de l'intérieur, et pourraient « déboucher sur de nouvelles incriminations » ou donner lieu à « des rebonds dans des procédures existantes ». Cet intérêt stratégique justifierait la prorogation de l'état d'urgence, le ministre déclarant ainsi s'employer « à déstabiliser des réseaux » et chercher « par tous les moyens à atteindre les filières », le travail engagé n'étant « à ce jour pas encore terminé ».

Tout en prenant acte de ces déclarations, votre rapporteur ne saurait cependant s'en tenir exclusivement à cette argumentation.

1. Faut-il prolonger la possibilité de conduire des perquisitions administratives ?

Les perquisitions administratives constituent l'une des mesures de l'état d'urgence les plus dérogatoires au droit commun. Tout d'abord, leur rythme a grandement diminué depuis le 8 décembre 2015 puisque moins de 10 % du nombre total de perquisitions administratives ont été réalisées au cours des trente derniers jours. Massivement utilisées pour approfondir des renseignements dits de « signaux faibles », qui ne seraient pas admis pour justifier une perquisition en procédure judiciaire, les perquisitions administratives ont permis de confirmer des soupçons de dangerosité ou, au contraire, de lever des doutes. Ce motif explique la faible proportion des perquisitions (15 %) ayant donné lieu à des suites judiciaires. Par définition, cette entreprise ponctuelle de vérification et d'approfondissement de renseignements n'a pas vocation à se renouveler ou à s'amplifier .

Concernant les motifs de prévention des infractions, il convient de s'interroger sur la plus-value du dispositif des perquisitions administratives par rapport au régime judiciaire de droit commun des perquisitions .

En effet, la prévention des atteintes à l'ordre public, en particulier des infractions, ne relève pas de la seule police administrative mais incombe également à l'autorité judicaire, gardienne de la liberté individuelle 83 ( * ) . La procédure applicable à la criminalité organisée (notion qui recouvre la lutte contre le terrorisme) permet déjà des perquisitions de nuit dans les locaux à usage d'habitation. Dans le cadre d'une information judiciaire ouverte sur le fondement d'une association de malfaiteurs en relation avec une entreprise, il serait tout à fait possible de procéder à de telles perquisitions pour prévenir la commission d'actes de terrorisme. Pour les enquêtes préliminaires, le Gouvernement envisage également d'autoriser de telles perquisitions nocturnes, pour les mêmes infractions, dans son projet de loi relatif à la lutte contre le crime organisé.

Dans leur principe, les perquisitions administratives de nuit portent atteinte à un nombre important de droits fondamentaux, en premier lieu le principe d'inviolabilité du domicile pendant la nuit . Ce principe issu de l'article 76 de la Constitution du 22 frimaire an VIII ne connaît d'exceptions que dans le cadre de la procédure pénale de lutte contre la criminalité organisée, dans le cadre de l'état de siège et dans le cadre de l'état d'urgence. Or dans le cadre judiciaire, toute violation de ce principe est soumise à l'appréciation d'un juge du siège.

Le commentaire aux cahiers du Conseil constitutionnel de la décision du 19 janvier 2006 84 ( * ) relevait d'ailleurs que l'intervention du juge judiciaire en matière de perquisition relevait d'une « législation républicaine constante ».

De même, ces opérations portent une atteinte évidente au droit au respect de la vie privée, de la vie familiale normale et du respect du domicile, protégés notamment par l'article 9 du code civil et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et du citoyen, en dehors de toute décision judiciaire préalable.

Par ailleurs, les consultations et saisies massives des données personnelles, en dehors de tout cadre légal concernant les données de conservation, portent une atteinte toute particulière au droit à la protection des données personnelles, garanti par la loi du 6 janvier 1978.

Enfin, les conditions d'exécution des perquisitions administratives dans un contexte particulier de « péril imminent » et de menaces terroristes constantes peuvent mettre en jeu le droit à la dignité humaine et le droit au respect de la présomption d'innocence. En effet, il est évident que les perquisitions, même infructueuses, réalisées majoritairement de nuit et qui ont pu mobiliser jusqu'à 108 personnes par opération, ont nécessairement alerté l'entourage immédiat des personnes concernées.

Certaines perquisitions ont, par ailleurs, pu être exécutées dans des conditions qui n'apparaissaient pas strictement proportionnées, comme l'ont reconnu le ministre lui-même, plusieurs personnalités entendues par le comité de suivi de l'état d'urgence ou comme l'a souligné le Défenseur des droits lors de son audition devant votre commission. Certaines dérives dans les premiers jours de l'état d'urgence ont conduit le ministre de l'intérieur à rappeler dans une circulaire du 25 novembre 2015 que « dans un premier temps et dans toute la mesure du possible, l'ouverture volontaire de la porte devra être recherchée auprès de la personne occupant le lieu ». De même, « les atteintes au lieu perquisitionné devront également être strictement proportionnées à la réalisation des finalités de la perquisition ».

Au regard du bilan de l'exécution des perquisitions, il semble nécessaire que le regard d'un tiers soit, à nouveau et le plus rapidement possible, porté sur les actions des services de police. En effet, toute mesure attentatoire aux libertés comporte un risque d'arbitraire. Or, l'absence de contrôle régulier et effectif du juge administratif au regard des recours possibles en matière de perquisitions ( cf. le contentieux administratif des perquisitions) plaide pour que ces mesures particulièrement dérogatoires ne se prolongent pas pendant une durée excessive .

2. Des assignations qui ne peuvent se prolonger indéfiniment

La prorogation de l'état d'urgence pose ensuite la question du maintien ou non d'une forme de contrôle des personnes faisant actuellement l'objet d'une assignation à résidence puisque ces mesures cesseraient de produire leurs effets juridiques avec la fin de l'état d'urgence.

Certes, comme l'a déjà exposé votre rapporteur, l'existence d'un réel contrôle juridictionnel par les juridictions administratives sur ces mesures n'est pas douteuse. Certes, la décision précitée du Conseil constitutionnel du 22 décembre 2015 va imposer un réexamen par le ministère de l'intérieur de toutes les situations individuelles et de l'opportunité de renouveler chacune de ces assignations. Certes, enfin, le juge constitutionnel a rappelé que ces mesures prises dans un cadre préventif, dès lors qu'elles étaient soumises à un contrôle juridictionnel effectif, ne heurtent pas de règles constitutionnelles en ce qu'elles ne constituent pas des mesures privatives de liberté au sens de l'article 66 de la Constitution.

Pour autant, votre rapporteur ne saurait, là encore, se satisfaire de l'idée que des personnes pourraient voir durablement restreinte leur liberté d'aller et venir, dans des conditions très lourdes, pendant une durée excessive, en l'absence d'éléments de nature à constituer une infraction pénale.

Il appartient donc au Gouvernement d'envisager dès maintenant des alternatives juridiques s'inscrivant pleinement dans le droit commun permettant de maintenir, si nécessaire, une surveillance de ces personnes ou d'entraver, le cas échéant, la commission d'une infraction. De ce point de vue, il a été précisé à votre rapporteur que les personnes assignées à résidence pourraient faire l'objet d'une interdiction de sortie du territoire 85 ( * ) , qui constitue déjà une première réponse.

C. LA NÉCESSAIRE RÉVISION DU CADRE JURIDIQUE DE L'ÉTAT D'URGENCE

D'une manière plus générale, le cadre juridique de l'état d'urgence mériterait un réexamen à l'aune des enseignements tirés pendant cette première période de mise en oeuvre. Votre commission a cependant considéré que les délais extrêmement brefs d'examen du présent texte et le fait que le Parlement est actuellement saisi d'un projet de révision constitutionnelle, dont l'un des objets porte sur l'instauration d'un fondement constitutionnel à l'état d'urgence, ne permettaient pas de mener une telle réflexion dans des conditions propices à la conduite d'un travail parlementaire serein.

Ainsi, selon votre rapporteur, il appartiendra au législateur, le cas échéant saisi d'un projet de modification de la loi du 3 avril 1955, d'envisager l'opportunité de plusieurs compléments, au-delà des dispositions proposées par le Gouvernement dans son avant-projet de loi d'application sur l'état d'urgence qui pourrait résulter du nouveau cadre constitutionnel.

1. Garantir le droit au recours des personnes assignées à résidence

Sans avoir l'ambition d'être exhaustif, votre rapporteur estime en particulier qu'il serait opportun d'inscrire dans la loi le fait que la condition d'urgence est présumée remplie pour le recours juridictionnel en référé d'une mesure d'assignation à résidence et que les mesures de restriction de la liberté d'aller et venir ne peuvent s'opposer à ce que l'intéressé puisse venir plaider sa cause devant la juridiction administrative afin de garantir son « droit à l'audience ». À cet égard, votre rapporteur déplore qu'en dépit de la décision du Conseil d'État du 11 décembre 2015, qui affirme que la condition d'urgence pour la contestation d'une mesure d'assignation à résidence en référé liberté est présumée « sauf à ce que l'administration fasse valoir des circonstances particulières », le ministère de l'intérieur continue, un mois après l'édiction de cette jurisprudence, de soutenir dans ses mémoires en défense, à l'occasion des audiences de contestation de ces mesures, que la condition d'urgence n'est pas remplie en raison « de la menace exceptionnellement grave pesant sur le territoire national (...) l'urgence [devant] être appréciée en tenant compte de l'intérêt public qui s'attache à ce que la mesure ne soit pas suspendue » 86 ( * ) .

2. Préciser le cadre juridique des perquisitions

Le cadre juridique des perquisitions administratives mériterait également d'être précisé. À la lumière d'un cas individuel dont votre rapporteur a été saisi, il semble indispensable de prévoir dans la loi qu'une copie de l'ordre de perquisition est remise à la personne faisant l'objet d'une perquisition. Bien que les ordres de perquisition signés par les préfets disposent, en leur dernier article, que l'acte doit être notifié à l'intéressé, des perquisitions ont été conduites sans qu'il ait été procédé à une telle remise, ce qui rend ensuite quasiment impossible toute faculté de recours juridictionnel pour les personnes concernées, celles-ci n'étant pas formellement informées de leur droit au recours. De la même manière, il est indispensable qu'une copie du compte rendu de la perquisition soit, à son issue, remise à l'intéressé.

Dans le droit fil des propositions faites par le président Philippe Bas 87 ( * ) , il convient de préciser le statut des données informatiques copiées lors des perquisitions administratives. En effet, comme l'a indiqué votre rapporteur dans son rapport 88 ( * ) sur la proposition de loi tendant à renforcer l'efficacité de la lutte antiterroriste, contrairement aux données recueillies à l'occasion de la mise en oeuvre d'une technique de recueil de renseignements en application de la loi du 24 juillet 2015 89 ( * ) , ces données informatiques ne font l'objet d'aucun statut légal spécifique. Les services qui les ont collectées peuvent donc en disposer sans aucune limitation temporelle et sans aucune garantie pour les personnes à qui elles appartiennent.

Cet encadrement législatif apparaît nécessaire au regard des développements récents de la jurisprudence constitutionnelle. En effet, l'absence d'un tel cadre juridique pour les données recueillies par la mise en oeuvre des techniques de surveillance des communications électroniques internationales a conduit le Conseil constitutionnel à déclarer contraires à la Constitution les dispositions relatives à cette technique de recueil de renseignement pour « incompétence négative » du législateur en relevant qu'« en ne définissant dans la loi ni les conditions d'exploitation, de conservation et de destruction des renseignements collectés en application de l'article L. 854-1 (...), le législateur n'a pas déterminé les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques » 90 ( * ) .

Enfin, le réexamen du cadre juridique des perquisitions administratives constituera une occasion pour votre commission d'apprécier l'opportunité d'une autre proposition émise par Philippe Bas, ainsi que par le Gouvernement dans son avant-projet de loi, tendant à permettre la saisie temporaire des matériels informatiques supports de ces données dans le cas où leur copie lors de la perquisition ne serait pas possible.

3. Examiner l'opportunité du maintien de certaines prérogatives

Au regard des déclarations faites par le ministre de l'intérieur à l'occasion de son audition devant votre commission (« l'état d'urgence doit être une nécessité et certainement pas un confort, ce qui signifie que lorsque nous pouvons opter pour le droit commun, nous l'utilisons ») et de l'absence d'utilisation par l'autorité administrative de ces mesures au cours des douze semaines écoulées, votre rapporteur estime que la justification du maintien dans la loi du 3 avril 1955 de nouvelles prérogatives accordées par le législateur en novembre dernier à l'autorité administrative (dissolution d'associations et blocages de sites) se pose pleinement et devra être examinée à l'occasion des prochains débats législatifs pouvant s'y prêter.

4. Créer un lien entre les motivations de l'état d'urgence et celles des mesures prises en son application ?

Enfin, le législateur, à la lumière le cas échéant du nouveau cadre constitutionnel, devra s'interroger sur l'absence de lien entre les motivations à l'origine de la déclaration de l'état d'urgence et celles qui fondent les mesures de police administrative prises en son application. Comme l'a rappelé la jurisprudence du Conseil d'État du 11 décembre 2015 exposée ci-dessus par votre rapporteur, cet état du droit autorise aujourd'hui l'autorité administrative à prendre des mesures déconnectées de l'objectif de prévention du terrorisme, ce qui suscite des interrogations quant à la justification de l'utilisation de l'état d'urgence à d'autres fins que celles pour lesquelles il a été déclaré.

D. PRÉPARER LA SORTIE DE L'ÉTAT D'URGENCE

Votre commission a approuvé la prorogation pour une nouvelle durée de trois mois de l'état d'urgence. Elle a en effet considéré que le contexte de menaces auquel est encore exposé la France ne permettait pas d'envisager une sortie de l'état d'urgence à la fin du mois de février. Tout en relevant le bilan contrasté de la mise en oeuvre des mesures de police administrative sur le plan de l'efficacité de la lutte antiterroriste, elle prend cependant acte du fait que, selon les déclarations du ministre de l'intérieur devant votre commission, le Gouvernement a « encore besoin de pouvoir prendre des mesures prévenant la commission de nouveaux actes terroristes » grâce aux mesures de l'état d'urgence.

Par ailleurs, la mise en oeuvre de l'état d'urgence devrait, au cours de cette nouvelle période, être différente. Selon le texte même de l'exposé des motifs du présent projet de loi, « les mesures qui pourront être prises dans le cadre d'une nouvelle prorogation de l'état d'urgence seront nécessairement moins nombreuses que celles prises durant la première période de l'état d'urgence, tout particulièrement dans les jours et les semaines qui ont suivi les attentats du 13 novembre 2015 ». S'agissant des assignations à résidence, « le nombre des nouvelles décisions qu'il sera proportionné et justifié de prendre, au regard des mesures restrictives de libertés déjà appliquées au cours de la première prorogation, sera nécessairement très substantiellement réduit ».

Il n'en reste pas moins que, confronté à une menace diffuse et durable, notre pays ne peut indéfiniment inscrire l'action de ses services de sécurité dans ce cadre juridique. Comme le souligne le Conseil d'Etat, l'état d'urgence reste un « état de crise » temporaire dont les effets doivent, dans un État de droit, être « par nature limités dans le temps et dans l'espace ».

Dans ces conditions, votre rapporteur réaffirme la nécessité d'en revenir le plus rapidement possible au régime de droit commun en dotant notre législation permanente de dispositifs à la fois efficaces en matière de lutte antiterroriste et respectueux de nos principes républicains et de nos règles constitutionnelles. Ce raisonnement a conduit votre commission à proposer au Sénat, qui l'a adoptée au cours de sa séance du 2 février dernier, la proposition de loi tendant à renforcer l'efficacité de la lutte antiterroriste, dont l'objet exclusif est d'armer les autorités judiciaires et les services enquêteurs pour réprimer les infractions terroristes. Ce souci d'efficacité guidera bien évidemment votre commission lorsqu'elle sera saisie, dans les prochaines semaines, du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale adopté par le conseil des ministres du 3 février.

Votre commission a par conséquent adopté le texte du projet de loi de prorogation qui lui était soumis, après avoir adopté un amendement de son rapporteur portant rédaction globale de son article unique, dont l'objet est de permettre que la délibération de votre Haute assemblée s'engage sur cette question sur le fondement d'un texte parfaitement explicite.

*

* *

Votre commission a adopté le projet de loi ainsi modifié.

EXAMEN DES ARTICLES

Article unique - Prorogation de l'état d'urgence pour une durée de trois mois

Le projet de loi prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence soumis à l'appréciation de votre commission comporte un article unique.

À la suite des attentats du 13 novembre 2015, l'état d'urgence a été déclaré sur le territoire métropolitain par le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015. Il a ensuite été élargi au territoire de plusieurs collectivités ultramarines 91 ( * ) par le décret n° 2015-1493 du 18 novembre 2015. À l'échelle du territoire de la République française, seules sont donc exclues de l'application de l'état d'urgence les collectivités de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française et des îles Wallis et Futuna, ce qui est inédit dans l'histoire de la mise en oeuvre de la loi du 3 avril 1955.

Par l'article 1 er de la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015, l'état d'urgence a été prorogé, conformément à l'article 2 de la loi du 3 avril 1955, pour une durée de trois mois à compter du 26 novembre 2015. Sans nouvelle intervention du législateur, il sera donc mis fin à l'état d'urgence le 26 février à zéro heure.

L'article unique du présent projet de loi prévoit que l'état d'urgence est à nouveau prorogé pour trois mois à compter du 26 février, soit jusqu'au 26 mai 2016.

Votre rapporteur note que l'article 3 de la loi du 3 avril 1955 dispose que « la loi autorisant la prorogation au-delà de douze jours de l'état d'urgence fixe sa durée définitive ». Cette rédaction est ambiguë et méritera, selon votre rapporteur, d'être révisée car une lecture stricte de cette disposition pourrait sembler interdire des prorogations successives de l'état d'urgence.

À l'origine, la loi du 3 avril 1955 prévoyait que l'état d'urgence était déclaré par la loi pour une durée déterminée, qui ne pouvait être « prolongée que par une nouvelle loi ». Le nouveau régime juridique de l'état d'urgence résultant de l'ordonnance du 15 avril 1960 92 ( * ) a défini de nouvelles modalités de mise en oeuvre, toujours en vigueur, en vertu desquelles la déclaration initiale est effectuée par décret en conseil des ministres et la prorogation au-delà de douze jours par la loi.

Toutefois, aux yeux de votre rapporteur, cette rédaction n'emporte pas d'effets juridiques susceptibles d'interdire une deuxième prorogation puisque l'article 3 de la loi du 3 avril 1955 ne revêt pas une valeur supérieure dans la hiérarchie des normes à une nouvelle prorogation qui, si elle vient en contredire sa lettre, résulte néanmoins d'une norme de valeur équivalente.

Votre rapporteur relève en revanche qu'il n'existe pas de précédent de deuxième prorogation législative de l'état d'urgence depuis l'entrée en vigueur du nouveau régime juridique résultant de l'ordonnance du 15 avril 1960. En effet, comme le rappelait le président Philippe Bas dans son rapport 93 ( * ) sur le texte examiné par le Parlement en novembre dernier, le seul précédent d'état d'urgence prolongé à plusieurs reprises remonte à l'année 1961, l'état d'urgence mis en oeuvre en 2005 n'ayant fait l'objet que d'une seule prorogation 94 ( * ) .

À la suite du « putsch des généraux », l'état d'urgence est déclaré à compter du 23 avril 1961 par deux décrets du 22 avril 1961 95 ( * ) . Le 24 avril 1961, une décision du Président de la République, prise sur le fondement de l'article 16 de la Constitution, prolonge l'état d'urgence jusqu'à nouvelle décision 96 ( * ) . Une seconde décision du 29 septembre 1961 97 ( * ) , prise sur le même fondement, eut pour effet de maintenir l'état d'urgence jusqu'au 15 juillet 1962. Enfin, une ordonnance du 13 juillet 1962 98 ( * ) le prorogea jusqu'à une date fixée par décret et au plus tard le 31 mai 1963. La dissolution de l'Assemblée nationale le 9 octobre 1962 eut pour effet de mettre fin à l'état d'urgence, conformément à l'article 4 de la loi du 3 avril 1955.

Cette remarque renvoie du reste directement aux débats qui se tiennent actuellement à l'Assemblée nationale sur le projet de loi constitutionnelle, plusieurs propositions ayant pour objet d'instaurer une durée maximale à l'application de l'état d'urgence. Votre commission se saisira de ce débat au moment où elle sera amenée à se prononcer sur ce texte.

S'agissant des modalités d'application de l'état d'urgence pour cette deuxième période de mise en oeuvre, le texte du projet de loi opère un renvoi aux articles 2 et 3 de la loi du 20 novembre 2015 qui ont respectivement pour effet de permettre la mise en oeuvre des perquisitions administratives et d'autoriser le pouvoir exécutif à lever l'état d'urgence par décret en conseil des ministres avant l'échéance du 26 mai 2016.

Sur proposition de votre rapporteur, votre commission a adopté un amendement COM-1 de rédaction globale de l'article unique.

En effet, votre rapporteur a considéré que le renvoi, pour les modalités d'application de cette deuxième période de prorogation, aux articles 2 et 3 de la loi du 20 février 2015 n'apparaissait pas suffisamment explicite. Il a ainsi estimé que le Sénat devait se prononcer sur cette importante question en toute connaissance de cause.

Par conséquent, dans le droit fil des rédactions retenues par le législateur en 2005 et en 2015, et tout en conservant le principe d'un article unique, la nouvelle rédaction adoptée par votre commission articule ces dispositions autour de trois paragraphes respectivement consacrés :

- à la prorogation de l'état d'urgence pour une durée de trois mois à compter du 26 février 2016 (I) ;

- à la mention expresse, requise par le I de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955, en vertu de laquelle il pourra être procédé, pendant cette durée, à des perquisitions administratives (II) ;

- au fait que le Gouvernement pourra mettre fin à l'état d'urgence par décret en conseil des ministres avant la fin de cette période de trois mois, auquel cas il sera tenu d'en rendre compte au Parlement (III).

Votre commission a adopté l'article unique ainsi modifié .

*

* *

Votre commission a adopté le projet de loi ainsi modifié .

EXAMEN EN COMMISSION

___________

MERCREDI 3 FÉVRIER 2016

M. Philippe Bas , président . - Nous avons déjà eu un débat très approfondi ce matin sur l'état d'urgence.

M. Michel Mercier , rapporteur . - C'est un sujet important. Il faut préparer l'après-état d'urgence. Nous avons reçu le projet de loi cet après-midi, après son adoption en conseil des ministres ce matin. Il tient en un article unique qui proroge l'application de l'état d'urgence de trois mois à compter du 26 février 2016.

Le Gouvernement nous a transmis l'avis du Conseil d'État. Nous nous sommes posé les mêmes questions que le Conseil d'État. Ses pistes de réponse sont extrêmement intéressantes. Il reconnaît que la nouvelle prorogation est justifiée par la persistance d'un péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public, comme l'exige l'article 1 er de la loi du 3 avril 1955. Le Conseil d'État cite les éléments constituant cet état de péril imminent : les liens entre le terrorisme intérieur et le terrorisme dirigé depuis l'étranger contre la France n'ont rien perdu de leur intensité ; un nombre important de ressortissants français sont présents en zone irako-syrienne aux côtés de groupes terroristes et sont susceptibles de revenir en France à tout moment pour y accomplir des actions violentes ; des actions terroristes de moindre ampleur qu'avant l'état d'urgence, mais pareillement inspirées, continuent de se produire sur le sol national, illustrant la persistance de la menace.

Des contrôles sont exercés par le Conseil d'État, en particulier un contrôle de proportionnalité. Les assignations à résidence en cours le 26 février cesseront. Elles devront toutes être réexaminées ; leur pertinence devra être vérifiée. Les décisions administratives prises en la matière pourront aussi être soumises au contrôle du juge administratif. Le Gouvernement, compte tenu de la moindre intensité de la pression extérieure, devrait réduire sensiblement le nombre de mesures restrictives de liberté.

Le Conseil d'État, ce qui est plus important, juge que l'état d'urgence doit demeurer temporaire. Ce n'est pas nouveau : le juge des référés du Conseil d'État, le 9 décembre 2005 à propos de l'état d'urgence de 2005, répété le 27 janvier 2016, rappelle qu'un régime de pouvoirs exceptionnels a des effets qui, dans un État de droit, sont par nature limités dans le temps et dans l'espace. Le ressort géographique déterminé par les décrets des 14 et 18 novembre 2015, soit l'ensemble du territoire national, à l'exception de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française et des îles Wallis et Futuna, est proportionné aux circonstances. L'état d'urgence reste un état de crise par nature temporaire. Ses renouvellements ne sauraient par conséquent se succéder indéfiniment. Le Gouvernement doit chercher dès à présent une façon d'en sortir. La durée de trois mois proposée n'apparaît pas inappropriée au regard des motifs justifiant la prorogation.

Lorsque, comme cela semble être le cas, le péril imminent ayant motivé la déclaration de l'état d'urgence trouve sa cause dans une menace permanente, c'est à des instruments pérennes, donc autres que ceux de l'état d'urgence, qu'il convient de recourir.

L'état d'urgence perd son objet dès que s'éloignent les atteintes graves à l'ordre public ayant créé le péril imminent ou que sont mis en oeuvre des instruments qui, sans être de même nature que ceux de l'état d'urgence, ont vocation à répondre de façon permanente à la menace. L'état d'urgence permet de recourir à des mesures de police administrative exceptionnelles. Mais cela ne peut pas durer toujours.

Le Conseil d'État énumère des pistes de sortie, citant tous les moyens légaux des périodes normales et, d'abord, une bonne coopération entre la justice, la police judiciaire et les autres forces de sécurité. Il dit surtout qu'il faut renforcer les procédures de droit commun, comme le prévoit le projet de loi du Gouvernement qui a pour objectif d'améliorer l'efficacité des enquêtes et des investigations sous le contrôle de l'autorité judiciaire - exactement le titre I de la proposition de loi que nous avons votée hier soir. Il dit aussi qu'il faut préserver les garanties des justiciables - des dispositions également votées hier par le Sénat. La surveillance des personnes rentrant de zones contrôlées par des groupes terroristes doit être assurée : là encore, cela correspond à une disposition votée par le Sénat, qui crée le délit de séjour intentionnel à l'étranger sur un théâtre d'opérations de groupements terroristes et permet de placer ces personnes sous contrôle judiciaire. Cette surveillance peut être exercée soit par des mesures administratives d'assignation à résidence, soit par des mesures de sûreté prononcées par le juge judiciaire.

En résumé, le Gouvernement propose de proroger de trois mois l'état d'urgence ; le Conseil d'État émet un avis favorable, tout en rappelant que cet état ne peut pas être permanent et qu'il faut, dès à présent, en préparer la sortie.

Je propose un amendement de réécriture de l'article unique. Le fond est identique, mais la rédaction plus précise. L'article dispose que l'état d'urgence, déclaré par décret et prorogé par la loi, est à nouveau prorogé pour une durée de trois mois, à compter du 26 février 2016 et selon les modalités prévues aux articles 2 et 3 de la loi du 20 novembre 2015.

Je propose d'écrire que l'état d'urgence emporte, pour sa durée, application du I de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955, c'est-à-dire le droit de procéder à des perquisitions administratives ; qu'il peut y être mis fin par décret en conseil des ministres avant l'expiration de ce délai. Les assignations à résidence sont de droit, contrairement aux perquisitions administratives. Il est bon de permettre aux Français de faire des recours, et au Parlement de se prononcer distinctement sur la prorogation de l'état d'urgence, la possibilité de mener des perquisitions administratives et la possibilité pour le Président de la République, de mettre fin à l'état d'urgence.

Je propose à votre commission d'accepter l'article unique de ce projet de loi, tel que rédigé par mon amendement.

M. Philippe Bas , président . - Merci à Michel Mercier, rapporteur du comité de suivi et ancien garde des Sceaux. Je me réjouis qu'il ait été nommé rapporteur car nous travaillons dans des conditions extrêmement difficiles. Il a fallu, en un temps record, se poser les questions et proposer une rédaction bien plus lisible que celle du Gouvernement.

M. Alain Richard . - Nous avons déjà débattu du cadre global ce matin. Je soulève une interrogation : devons-nous dès maintenant conclure que lorsqu'une loi supplémentaire renforçant les prérogatives de la justice pour conduire des enquêtes plus rapides et par surprise aura été votée, nous serons naturellement conduits à juger la prorogation suivante injustifiée ?

Inévitablement, les avis du Conseil d'État sur des projets de loi changent de signification lorsqu'ils deviennent des documents publics, ce qui est contraire à leur nature et à la tradition. La liberté de mise en garde voire de mise en défaut du Gouvernement était plus grande tant que ces avis relevaient uniquement du rôle confidentiel de conseil juridique de l'exécutif.

Le Conseil d'État estime qu'en ce mois de février, le péril imminent est toujours constitué, mais il ajoute que si, « comme cela semble être le cas », ce péril trouve sa cause dans une menace permanente, l'état d'urgence doit demeurer temporaire. Le raisonnement du Conseil d'État est que si l'arsenal pénal était complété par le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, dont le Gouvernement a délibéré ce matin en conseil des ministres, il devrait être mis fin à l'état d'urgence. Si, donc, ladite loi était promulguée et non contestée avant le 26 mai prochain, il ne faudrait pas à nouveau proroger l'état d'urgence. Faisons réserve des événements et des données de renseignement qui se présenteront d'ici là... Le rapporteur a souligné l'adéquation de la proposition de loi dont nous avons discuté hier soir avec les remarques du Conseil d'État. Manque la notion de surveillance : le projet de loi anticipé par la proposition de loi ne concerne que la police judiciaire, non le renseignement, ni les visites par surprise. C'est plus restrictif, sans remplir totalement le même objectif. Il n'est pas possible de mener une perquisition, juste pour voir. Il n'existe pas de procédure judiciaire permettant une surveillance. Une personne de retour de Syrie peut être poursuivie, mais elle ne peut pas être mise sous surveillance. Le raisonnement pâtit d'une petite fragilité. La question pourra sans doute être reposée en fonction de l'évolution des événements.

Je ne vois aucune objection à la réécriture proposée par le rapporteur.

M. Michel Mercier , rapporteur . - Il n'est pas question de partir d'un avis du Conseil d'État pour donner la solution de la sortie de l'état d'urgence. Il appartient au Gouvernement et au Parlement de décider, dans la plénitude de leurs pouvoirs. Le Conseil d'État exprime simplement des pistes dont le Gouvernement, et éventuellement le législateur, pourront s'inspirer pour bâtir des procédures de droit commun efficaces. Le Conseil d'État souligne que si un péril imminent est devenu permanent, on ne peut pas rester en état d'urgence.

Tout ceci est fragile. Nous sommes chargés, au Parlement, d'élaborer une doctrine et de rappeler au Gouvernement la nécessité d'avancer plus vite qu'il ne l'a fait jusqu'à ce jour sur la recherche de mesures renforçant les procédures de droit commun, tout en respectant les principes fondamentaux de notre droit.

Mon amendement, qui ne change rien au fond et conserve la structure du Gouvernement, explicite l'autorisation parlementaire ; il est également plus parlant pour nos concitoyens.

M. Jean-Pierre Sueur . - Pouvez-vous répéter ce qui justifie la différence de traitement entre les perquisitions et les assignations à résidence ?

M. Michel Mercier , rapporteur . - La loi de 1955 prévoit de droit l'assignation à résidence, mais exige une mention expresse pour les perquisitions, par décret ou par la loi.

M. Alain Richard . - La durée de trois mois est-elle un usage, ou est-elle inscrite dans la loi ?

M. Michel Mercier , rapporteur . - Il s'agit d'un usage. En 1961, après le putsch des généraux, l'état d'urgence est proclamé. Michel Debré avait appelé, à la télévision, les Parisiens à enfiler leurs imperméables et à se rendre à pied, à cheval, en voiture, à Orly pour s'installer sur la piste et empêcher les parachutistes d'atterrir. J'étais gamin ; dans ma campagne, nous n'avions pas d'aéroport et ne savions pas comment faire pour les empêcher d'atterrir ! L'état d'urgence est d'abord proclamé par décret pour deux jours, puis l'article 16 de la Constitution a été mis en oeuvre... et le général de Gaulle a prononcé la prorogation, par deux décisions prises en avril puis septembre 1961, jusqu'au 15 juillet 1962 ! C'est qu'il avait le pouvoir législatif complet. La durée de trois mois est un usage récent.

L'amendement COM-1 est adopté et l'article unique est ainsi rédigé. En conséquence, le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

ANNEXE 1 - MEMBRES DU COMITÉ DE SUIVI
DE L'ÉTAT D'URGENCE

M. Michel Mercier , rapporteur spécial, sénateur du Rhône

Mme Éliane Assassi , vice-présidente de la commission des lois, présidente du groupe communiste républicain et citoyen, sénatrice de la Seine-Saint-Denis

Mme Esther Benbassa , vice-présidente de la commission des lois, sénatrice du Val-de-Marne

M. Jacques Mézard , président du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, sénateur du Cantal

M. Alain Richard , vice-président de la commission des lois, sénateur du Val-d'Oise

Mme Catherine Troendlé , vice-présidente de la commission des lois, sénateur du Haut-Rhin

ANNEXE 2 - LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LA COMMISSION

M. Bernard Cazeneuve , ministre de l'intérieur

M. Jacques Toubon , Défenseur des droits

Conseil d'État

M. Jean-Marc Sauvé , vice-président

M. Bernard Stirn , président de la section du contentieux du Conseil d'État

Parquet du tribunal de grande instance de Paris

M. François Molins , procureur de la République

Mme Camille Hennetier , vice-procureur, chef de la section terrorisme et atteinte à la sûreté de l'État

Section antiterroriste du pôle d'instruction du tribunal de grande instance de Paris

Mme Laurence Le Vert, première vice-présidente

M. David Bénichou, vice-président

Tribunal de grande instance de Paris

Mme Sabine Faivre , présidente de la 16 ème chambre du tribunal de grande instance de Paris

ANNEXE 3 - LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LE COMITÉ DE SUIVI DE L'ÉTAT D'URGENCE

Tribunal de grande instance de Paris

M. François Molins , procureur de la République

M. Alexandre Nascioli , conseiller justice auprès du procureur de la République

Ministère de l'intérieur

M. François Ambroggiani , préfet en mission de service public chargé du suivi de l'état d'urgence

Cabinet du ministre de l'intérieur

M. Eric Morvan , directeur adjoint du cabinet

M. Jean-Julien Xavier-Rolai , conseiller juridique au cabinet

Direction des libertés publiques et des affaires juridiques

M. Thomas Andrieu, directeur

Direction générale de la sécurité intérieure

M. Patrick Calvar , directeur général

Préfecture de police de Paris

M. Michel Cadot , préfet de police de Paris

Mme Valérie Martineau , sous directrice de la police d'investigation pour la direction de la sécurité de l'agglomération de Paris

M. Thierry Huguet , chef d'État-Major de la DRPJM

M. René Bailly , direction du renseignement de la préfecture de police

M. Philippe Dalbavie , conseiller technique

Mme Marie-Christine Robin

Préfecture de Seine-Saint-Denis

M. Philippe Galli , préfet

Commission nationale consultative des droits de l'homme

Mme Christine Lazerges , présidente

M. Hervé Henrion , magistrat, chargé de mission

M. Victor Jacquet , chargé de mission

Amnesty International France

Mme Dominique Curis , coordinatrice de campagne pour la liberté d'expression au sein d'Amnesty International France

M. Nicolas Krameyer

La Quadrature du Net

M. Philippe Aigrain , cofondateur et président de La Quadrature du Net

Mme Adrienne Charmet-Alix , coordinatrice des campagnes

Mme Agnès de Cornulier , coordinatrice de l'analyse juridique et politique

Human Rights Watch

Mme Bénédicte Jeannerod , directrice France

Mme Izza Leghtas , chercheuse France et Europe

Mme Letta Tayler , spécialiste Terrorisme/Anti-terrorisme

Conseil national des barreaux

Mme Françoise Mathe , Présidente de la Commission Libertés et Droits de l'Homme

Mme Géraldine Cavaillé , Responsable du Service juridique du Conseil national des barreaux

Barreau de Paris

M. Frédéric Sicard , bâtonnier de Paris

M. Xavier Autain , membre du conseil de l'ordre, délégué du bâtonnier aux Affaires publiques

Mme Alexia Goloubtzoff , agence Proches

Avocats

Maître Arié Alimi , avocat

Maître Antoine Comte , avocat

Maître Henri Leclerc , avocat

ANNEXE 4 - COMPTE RENDUS DES AUDITIONS DE LA COMMISSION

MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015

_______

M. François Molins, procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris, et Mme Camille Hennetier, vice-procureur au parquet anti-terroriste du tribunal de grande instance de Paris

M. Philippe Bas, président . - Nous sommes heureux de vous accueillir. Dans quelles conditions conduisez-vous votre mission depuis les massacres du 13 novembre ?

M. François Molins, procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris . - La section antiterroriste du parquet de Paris est composée de neuf magistrats et dirigée par Mme Camille Hennetier. Ces effectifs peuvent en réalité se multiplier : certains des 132 magistrats que compte le parquet de Paris peuvent venir en renfort sur des affaires exceptionnelles, comme les attentats de janvier ou du 13 novembre ; la mobilisation de magistrats supplémentaires permet de dégager une force vive suffisante.

Le vendredi 13 au soir, nous avons très vite compris, dès 21h30, ce qui se passait. J'ai immédiatement activé la cellule de crise, ce qui a mobilisé 35 magistrats figurant sur une liste établie au préalable, appelés à rejoindre immédiatement la section anti-terroriste du parquet de Paris. Il s'agissait d'assurer la coordination des services - direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), sous-direction antiterroriste (SDAT) de la direction centrale de la police judiciaire et direction régionale de la police judiciaire de la Préfecture de police de Paris -, la sécurité juridique des actes et la direction de l'enquête. Plus de 800 enquêteurs de la police judiciaire ont été mobilisés, auxquels s'ajoutent ceux de la DGSI. Il fallait coordonner les investigations et donner ou obtenir les autorisations nécessaires aux géolocalisations, aux perquisitions de nuit ou aux interceptions téléphoniques.

Cette cellule de crise a fonctionné jusqu'au mercredi 25 novembre, de jour comme de nuit. Ainsi avons-nous pu faire face aux urgences de la conduite de l'enquête et du traitement des victimes.

Les magistrats sont rassemblés dans une salle dédiée, dite salle de crise, sous la conduite d'un chef de salle qui répartit le travail entre eux : analyse des procès-verbaux, contact avec les enquêteurs, synthèses des auditions, sachant que plus de 800 témoins ont été entendus, rédaction des réquisitions, etc. Le tempo a été dicté par les évènements. Rapidement, nous avons identifié la plupart des membres des trois commandos grâce à l'exploitation des données téléphoniques et à la police technique et scientifique (ADN, empreintes digitales, etc.).

Nous avons décidé, le dimanche 15 novembre, de former une équipe commune d'enquête avec la justice belge, ce qui a été formalisé le 16 novembre. Une source nous a mis sur la piste d'Abaaoud, que nous soupçonnions depuis le début d'être l'instigateur des attentats. Nous avons suivi sa cousine Hasna Ait Boulahcen, avec laquelle il avait rendez-vous le mardi. Nous ne pouvions plus prendre de risques : il fallait l'interpeller sans délai mais il pouvait aussi s'agir d'un piège. Une fois l'appartement conspiratif identifié, la SDAT a demandé au RAID de l'assister pour aller le chercher. Vous connaissez la suite.

Avec l'assaut contre l'appartement conspiratif et l'interpellation du logeur, Jawad Bendaoud, nous arrivions au terme de l'enquête de flagrance. Celle-ci, d'une durée de huit jours, est renouvelable une fois. Le placement de M. Bendaoud en garde à vue a débouché sur l'ouverture d'une information judiciaire confiée à six juges d'instruction. Il a été mis en examen et placé en détention provisoire. Le dossier est désormais entre les mains des juges d'instruction.

M. Michel Mercier, rapporteur spécial . - Vous avez résumé quelques jours très intenses. Dès le premier instant, le parquet a immédiatement assuré la coordination du travail des services de police prévus sur les lieux. Vous avez travaillé en flagrance pendant douze jours. N'est-ce pas une source de fragilité ? Faudrait-il un traitement particulier pour les affaires de terrorisme ?

M. René Vandierendonck . - Merci de distraire un temps que nous savons précieux pour venir devant notre commission.

Par un hasard du calendrier, un ancien magistrat du pôle antiterroriste a été nommé récemment à Lille. Il s'est beaucoup exprimé dans les médias - l'obligation de réserve n'est plus ce qu'elle était ! Laissons-lui l'espace du raisonnement. Selon lui, la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement serait déséquilibrée et favoriserait la police administrative au détriment de la police judiciaire : le manque de moyens serait un goulet d'étranglement limitant le renseignement judiciaire.

M. Jean-Pierre Sueur . - Je salue le travail considérable des magistrats et des personnels qui vous épaulent dans ces moments difficiles. Des renseignements téléphoniques ont été obtenus très vite. Pourquoi les communications n'ont-elles pas été détectées avant ? L'organisation d'attentats simultanés requiert sur une certaine logistique... Certes, la guerre du cryptage fait rage, et Daech n'est pas en reste. Que faire pour mieux percer ces systèmes de communication, qui sont une arme redoutable ?

M. Jacques Bigot . - Les neuf magistrats du parquet antiterroriste travaillent sur des affaires qui concernent l'ensemble du territoire national. Strasbourg comme d'autres villes peuvent être des cibles... Comment votre organisation se décline-t-elle sur tout le territoire ?

M. Jean-Yves Leconte . - La capacité d'enquête dépend largement de la coopération européenne. La coopération avec les services des autres États membres, et notamment de la Belgique, a-t-elle été satisfaisante ?

M. François Molins . - La législation antiterroriste a connu ces dernières années des évolutions qui nous permettent de mieux travailler, même si quelques améliorations peuvent encore être apportées.

Un système qui repose sur un seul homme est mauvais par définition. Entre le parquet, l'instruction, le siège, plusieurs dizaines de magistrats sont spécialisées sur l'antiterrorisme. Personne n'est irremplaçable, heureusement - ce serait dramatique pour nos institutions.

Faut-il donner plus de pouvoirs aux parquetiers spécialisés ? Pour qu'ils puissent les exercer sans contestation, cela suppose au préalable de clarifier enfin le statut du parquet en engageant la révision constitutionnelle que beaucoup appellent de leurs voeux.

Pouvoir mutualiser nos moyens est l'une de nos forces face au risque d'attentats simultanés sur différentes sites de province. Lors de la tentative d'attentat du Thalys, l'un de nos collègues s'est rendu à Arras dans les deux heures.

Il est prévu de porter de neuf à onze le nombre de magistrats du parquet antiterroriste, et de trente-cinq à cinquante ou soixante le nombre de magistrats inscrits sur la liste pour la cellule de crise, afin de pouvoir projeter des binômes sur place en cas d'attentats commis de façon coordonnée sur plusieurs points du territoire national - en coordination avec les parquets locaux, avec lesquels nous travaillons toujours dans ces affaires.

Pourquoi avoir travaillé si longtemps en flagrance ? Cela nous a donné une réelle efficacité : nous avons fait ce qu'aucune autre institution judiciaire n'aurait pu faire à notre place, en mobilisant trente-cinq magistrats du parquet jour et nuit... Impossible pour le siège de mettre en place un tel dispositif : l'instruction fonctionne autrement, le nombre de juges spécialisés est beaucoup plus restreint. Le parquet, lui, recrute en fonction de la spécialisation et de la capacité à se fondre dans une équipe. Ces synergies accroissent notre force de frappe.

Nous n'avons pas essayé de prolonger la flagrance outre mesure, de confisquer le dossier au juge d'instruction... Dès qu'il a fallu ouvrir une information, nous l'avons fait, comme nous l'avions fait en janvier.

Je ne partage pas l'opinion de mon ancien collègue : renseignement et judiciaire doivent être séparés. J'étais personnellement partisan de la loi du 24 juillet 2015. Il faut toutefois en tirer les conséquences : certains services de renseignement, sous le contrôle du juge administratif, peuvent être amenés à décliner des outils et instruments dont le parquet
- sous le contrôle du juge judiciaire - ne dispose pas. Il y a là un problème de cohérence.

Pourquoi n'avons-nous pas vu venir ces attentats ? D'abord parce qu'ils ne viennent pas de chez nous, mais de Belgique. Il y a sans doute un problème d'échange d'informations entre les services de renseignement - si tant est que les services belges aient vu venir ces attentats, ce qui ne semble pas avoir été le cas. La téléphonie a ses limites, car tous les téléphones utilisés sont cryptés. Les téléphones Apple ou Samsung ont désormais des clés de chiffrement, des codes à six chiffres, voire à empreinte digitale. On n'a toujours pas réussi à entrer dans un téléphone utilisé dans l'affaire Ghlam ; idem pour un téléphone de l'équipe du 13 novembre... Certains téléphones comportent des systèmes de messagerie cryptés, comme le logiciel Telegram, indécodable. Faites donc une surveillance physique, disent les opérateurs !

La législation française ne définit pas assez précisément la notion d'opérateur téléphonique. Notre approche devrait être plus mondialisée, sachant que la plupart de ces sociétés ont leur siège aux États-Unis. L'article qui impose aux opérateurs de fournir les clés de chiffrement n'est pas applicable, car, ayant érigé la protection de la vie privée en principe absolu, ils garantissent ne pas pouvoir eux-mêmes entrer dans les téléphones de leurs usagers... En outre, cette mesure n'est applicable qu'aux interceptions de sécurité. C'est pourtant un problème quotidien dans les affaires de terrorisme et de criminalité organisée. Une réunion technique aura prochainement lieu avec le Conseil de sécurité des Nations unies (direction exécutive du contre-terrorisme). Une réflexion est nécessaire. Nous avons commencé un travail sur ce sujet avec des magistrats et policiers espagnols, américains et britanniques. On ne peut garantir à la fois un droit absolu à la vie privée et un droit à la sécurité : il faut accepter que ces revendications cèdent le pas quand la décision est prise par le juge judiciaire.

Mme Camille Hennetier, vice-procureur au parquet antiterroriste du tribunal de grande instance de Paris . - Les évènements de janvier puis du 13 novembre ont mis en lumière la souplesse, la réactivité du parquet. Là où juges d'instruction ont l'habitude de travailler en cabinet, de façon plus isolée, les procureurs sont habitués au travail d'équipe et aux contraintes de permanence. S'il parait nécessaire de renforcer encore les moyens du parquet dans la lutte antiterroriste, il faut lui apporter les garanties d'indépendance nécessaires afin d'ôter toute ambiguïté sur son statut.

S'agissant du droit pénal de fond, je soutiens une répression accrue de l'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste (AMT), délit qui peut être requalifié en crime dans certains cas, mais reste sinon plafonné à dix ans d'emprisonnement. Les personnes visées sont majoritairement en Syrie, or il est difficile d'apporter la preuve des exactions commises sur zone qui permettraient de basculer sur une infraction criminelle. Ces personnes sont donc jugées devant le tribunal correctionnel - le plus souvent par défaut. Avec l'écrasement des peines, on condamne à sept ans ceux qui ont passé un mois sur zone, à dix ans ceux qui y sont depuis des années... Même si cela remet en cause l'échelle des peines, il faudrait alourdir les peines en matière d'AMT, car nous n'avons pas toujours la chance d'être face à des gens en état de récidive légale. Il faudrait également pouvoir prononcer des obligations de suivi socio-éducatif, que l'article 132-45 du code pénal réserve aux auteurs de violences conjugales. Cela serait utile à la déradicalisation.

En matière de procédure pénale, le régime de la flagrance, limité à quinze jours, est subordonné à la commission d'un crime ou délit. Il permet au parquet de procéder à des perquisitions sans assentiment, y compris la nuit, sur autorisation du juge des libertés et de la détention (JLD), et aux officiers de police judiciaire (OPJ) de procéder à des interpellations sans autorisation formalisée du parquet, formalités inadaptées à l'action publique dans l'urgence dans le cadre d'une enquête préliminaire.

L'assaut du logement conspiratif de Saint-Denis est un bon exemple : les occupants sont armés, porteurs d'un gilet d'explosifs, hors de question d'attendre 6 heures du matin pour intervenir ! A l'inverse, dans l'affaire Torcy-Sarcelles de 2012, l'interpellation de Jérémie Louis-Sidney à Strasbourg a été plus difficile car nous étions en enquête préliminaire et il a fallu attendre 6 heures du matin : entretemps, il s'était réveillé pour la prière et a accueilli les policiers avec une arme de poing. La flagrance devrait ainsi être le régime de droit commun en matière de terrorisme.

Les rapports avec les services de renseignement sont consubstantiels à la justice antiterroriste. C'est pourquoi nous avons toujours soutenu la légalisation des pratiques existantes par la loi sur le renseignement. Elles ne peuvent être judiciarisées, car le renseignement nourrit ce qui sera ensuite porté à la connaissance de la justice. Néanmoins, il faudrait accorder au parquet ce qui a été accordé au renseignement, comme la possibilité d'utiliser les IMSI-catcher et de sonoriser certains lieux, cette dernière pratique n'étant possible qu'à l'instruction.

Les mineurs sont nombreux dans les organisations terroristes, qu'ils aient accompagné leurs parents ou soient partis de leur propre chef. Quinze sont actuellement sous contrôle judiciaire, quatre en détention provisoire. Si la durée de la détention provisoire peut être portée à quatre ans pour les crimes terroristes, et trois ans pour les délits terroristes, la loi ne prévoit rien pour les mineurs, pour lesquels la durée de droit commun s'applique. Il faudrait adapter cette situation, qui bénéficie à ces jeunes partis à 17 ans pour la Syrie...

La question de la preuve électronique est un défi pour les services de renseignement comme pour la justice. En l'état, ils sont aveugles, soit à cause du cryptage, soit parce que, à l'instar des frères Kouachi, les terroristes utilisent des méthodes de communication anciennes et indétectables.

L'impératif est de sécuriser l'utilisation de certaines techniques. Le régime de perquisition fragilise l'exploitation de supports informatiques. Il est ainsi possible de capter le flux des boîtes mails sous le régime des interceptions de sécurité, mais depuis l'arrêt du 8 juillet 2015 de la Cour de Cassation, le stock ou le contenu des ordinateurs obéit au régime de la perquisition, ce qui suppose l'assentiment et la présence de la personne : c'est inadapté, lorsque les copies de travail demandent plusieurs heures, voire plusieurs jours. Les chevaux de Troie - les keyloggers - ont été autorisés, mais en attendant la publication du décret et vu la lourdeur du régime administratif, qui suppose l'autorisation des logiciels par l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), la mesure n'est pas mise en oeuvre. Bref, nous avons trois trains de retard...

Peut-on se contenter du régime de droit commun en matière d'application des peines ? Le juge de l'application des peines (JAP) spécialisé en matière de terrorisme est confronté à des dossiers de demande d'aménagement des peines très bien construits, or il ne peut les refuser en invoquant la nécessité de protéger l'ordre public. Il est aberrant que la libération conditionnelle soit automatique à mi-peine, ce qui est le cas en pratique, s'agissant de gens qui pratiquent la taqîya, la théorie de la dissimulation, et savent se présenter sous un jour très favorable au JAP ou aux travailleurs sociaux. Attention à ne pas remettre en liberté des personnes qui n'ont pas fait oeuvre d'amendement sincère...

M. François Molins . - Le système juridique actuel conduit le JAP à octroyer des aménagements des peines avant la fin de la première moitié de la peine. La Cour de cassation a en effet élargi le champ d'application de l'article 723-15 du code de procédure pénale puisque dans un arrêt du 18 mars 2015, elle considère que le calcul du reliquat de peine à exécuter doit se faire en déduisant outre la détention provisoire déjà exécutée, le crédit de réduction de peine qui devra être octroyé au condamné. Nous avons besoin de critères légaux qui précisent les choses.

M. Philippe Bas, président . - Merci pour ces propositions qui intéressent le législateur.

M. Pierre-Yves Collombat . - Notre justice antiterroriste fait preuve d'une réelle efficacité, une fois que les crimes ont été commis et les coupables connus. On souhaiterait qu'elle puisse intervenir avant ! Faut-il alourdir les peines... ou améliorer la prévention ? Quel est votre rôle en cette matière ?

M. Alain Vasselle . - Merci, vous nous avez donné matière à nourrir notre réflexion.

Comment n'a-t-on pu prévenir de tels événements ? Beaucoup de nos concitoyens se posent la question. Nombre de ces individus faisaient l'objet d'une fiche S, les perquisitions ont révélé des armes après la commission des crimes. Il y a sans doute des améliorations à apporter.

M. Michel Mercier, rapporteur spécial . - Monsieur le procureur, vous étiez déjà en charge du parquet de Paris lors de l'affaire Merah. Les terroristes ont-ils changé de méthode depuis ? Et vous-mêmes ?

M. François Molins . - Mieux vaut prévenir un crime qu'avoir à le punir, et la prévention est consubstantielle au travail du parquet et des services de renseignement. Reste que personne n'a pu empêcher les attentats de novembre. Quelle que soit la valeur des services, leur action trouve ses limites lorsque les intéressés ne sont pas sur notre territoire. Cela appelle sans doute une réflexion sur le partage du renseignement entre États, qui est trop souvent fonction de la qualité des relations diplomatiques.

Parmi les auteurs des tueries, l'un avait bénéficié d'un contrôle judiciaire, qu'il avait violé, et faisait l'objet d'un mandat d'arrêt. Il a quand même pu se rendre en Syrie, puis revenir en Belgique, puis en France... Autre limite : il est plus facile de se fondre dans la masse de migrants. Les membres du commando du Stade de France ont débarqué à Leros parmi les 190 réfugiés syriens. D'autant plus que Daech a volé un important lot de passeports vierges syriens, sur lesquels il suffit de coller une photo. Notre responsabilité est de renforcer la sécurité - mais le risque zéro n'existera jamais, même si cela peut être difficile à entendre.

Les chiffres de la surveillance sont en croissance exponentielle : 680 personnes sont mises en cause dans nos procédures judiciaires d'enquêtes et d'informations, contre moins de 500 il y a deux mois. Nous constatons cependant depuis septembre une stabilisation du nombre d'individus impliqués dans le djihad irako-syrien et suivis par les services de renseignement. Après une augmentation régulière, il oscille depuis trois mois entre 1 750 et 1 780 personnes. Nous délivrons des mandats d'arrêt, lesquels permettent d'éviter la case police - ce qui impose de les réserver à des dossiers complets - et des mandats de recherche. Or ceux-ci ne figurent pas au Système d'information Schengen (SIS), tous les États n'ayant pas le même instrument juridique. Les services de renseignement sont donc dans une logique de judiciarisation. Ceux qui reviennent, certains par la Turquie, sont systématiquement cueillis. Des progrès sont à faire au niveau européen pour croiser les systèmes, d'autant qu'il y a des zones de porosité. Je pense à la Belgique qui compte, rapporté à sa population, un nombre de djihadistes plus important que la France. Il nous faut mieux suivre les migrations, les voyages en avion, avec le PNR, l'objectif étant de prévenir. C'est l'avantage de l'AMT, qui nous donne les moyens d'intervenir en amont.

Certains avaient qualifié Merah de « loup solitaire ». Je n'utilise plus ce terme. Nous sommes face à une forme de terrorisme low cost . Les terroristes agissent soit sur la base d'instructions précises de Syrie, sous supervision, ou de mots d'ordre généraux, comme à San Bernardino, dans une forme d'islamisation de la radicalité. Le profil varie, entre professionnels et psychopathes. Les revendications a posteriori de Daech sont d'ailleurs adaptées selon les cas.

Nous avons modifié nos méthodes : chaque attentat majeur se traduit par un retour d'expérience, un « Retex ». Les dysfonctionnements identifiés dans la communication entre parquet, ministère de l'intérieur et services d'enquête après les attentats de janvier ont été corrigés, et l'information a bien mieux circulé quand nous avons eu à traiter les attentats de novembre. Idem pour ce qui est du traitement des victimes.

M. Philippe Bas, président . - Il me reste à vous assurer de tout notre soutien pour le travail difficile qui est le vôtre. Merci de nous avoir consacré du temps.

Mme Laurence Le Vert, première vice-présidente, et M. David Bénichou, vice-président (Section antiterroriste du pôle d'instruction du tribunal de grande instance de Paris)

M. Philippe Bas, président . - Bienvenue. Cette audition intervient dans le cadre du suivi de la mise en oeuvre de l'état d'urgence. Pouvez-vous nous décrire vos missions, dans le contexte nouveau crée par les massacres du 13 novembre dernier ?

Mme Laurence Le Vert, première vice-présidente chargée de l'instruction à la section antiterroriste et atteintes à la sûreté de l'État au tribunal de grande instance de Paris . - La section antiterroriste de l'instruction est saisie par le procureur de la République au terme d'une enquête préliminaire ou de flagrance. Nous intervenons en deuxième rideau, mais agissons dans la durée. Notre mission est de construire le dossier, d'identifier les coupables et de préciser les charges qui pèsent sur chacun.

Le nombre de dossiers corses et basques a considérablement chuté, le contentieux kurde n'est plus vraiment à l'ordre du jour. La majorité des dossiers concerne désormais le contentieux du djihad en Syrie.

Les faits incriminants sont généralement commis en Syrie, ce qui complique les investigations : il est de ce fait plus difficile de trouver des preuves, des éléments d'incrimination, même à l'égard d'individus dont on sait qu'ils sont dangereux. Lors de leur retour en France, il nous faut être en mesure de caractériser les infractions et de les renvoyer devant une juridiction avec des charges, sans quoi ils risquent d'être relaxés ou acquittés, ce qui jetterait le discrédit sur le travail de la justice.

Les dossiers, comme ceux de janvier 2015 ou du 13 novembre dernier, où les infractions sont constituées et les faits criminels multiples prennent beaucoup plus de temps. Les investigations à mener sont multiples. Les scènes de crimes requièrent des mois, voire des années d'expertises et d'investigations multiples.

Nous sommes neuf magistrats instructeurs depuis septembre, et serons bientôt dix. Le parquet a aussi été sérieusement renforcé, et va l'être encore.

J'en viens aux difficultés techniques que nous rencontrons, qui pourraient faire l'objet de modifications législatives. Nos cabinets sont absorbés par des contentieux que l'on pourrait réduire, à commencer par celui de la détention. Certaines personnes mises en examen forment une demande de mise en liberté tous les jours. Cela proscrit tout dysfonctionnement dans les transmissions, aujourd'hui en grand majorité dématérialisées, car s'il n'est pas statué dans les délais, la mise en liberté doit être ordonnée d'office. Ces demandes consomment beaucoup de temps de travail de greffiers et de juges, et génèrent un risque permanent de mise en liberté d'office. Il en est ainsi aussi si la copie du dossier transmise à la chambre de l'instruction sur appel d'une demande de mise en liberté n'est pas complète, risque qu'il est difficile de prévenir depuis que les copies de dossier sont scannées.

Lorsque l'instruction est achevée, l'article 175 du code de procédure pénale impose de notifier sa clôture aux avocats. Cela ouvre un délai d'un mois pour former une requête ou une demande en nullité. Si les mis en examen sont libres, ce délai est de trois mois. Cela encombre nos cabinets et provoque des retards. Mieux vaudrait s'en tenir à un mois.

L'évolution des technologies pose problème. Pour les djihadistes, c'est une arme de guerre. Pour nous, c'est un risque de destruction de nos procédures. La majeure partie des preuves est issue de supports divers, téléphones, tablettes, disques durs, DVD, clefs USB et cartes SD ainsi que des interceptions de flux internet et téléphonique, dont le volume est tel qu'il devient difficilement compatible avec les dispositions du code de procédure pénale sur la mise à disposition de l'intégralité du contenu du dossier à la défense des parties, telle qu'elle est actuellement prévue, le dossier d'instruction devant être à tout moment complet, lisible et accessible. Je laisse M. Bénichou intervenir sur les possibilités techniques offertes aux services de renseignement, mais dont ne dispose pas la justice.

M. David Bénichou, vice-président chargé de l'instruction à la section antiterroriste et atteintes à la sûreté de l'État au tribunal de grande instance de Paris . - Une justice antiterroriste sert-elle à entraver des attentats ou à compter les morts en offrant à leurs auteurs une tribune, et à leur payer un avocat ? Nous préférons prévenir les attentats. Pour cela, il nous faut des moyens opérationnels, performants et actualisés. Or le code de procédure pénale a été conçu à une époque où les usages des technologies de l'information étaient inexistants, alors qu'ils sont aujourd'hui massifs. D'où les problèmes que nous rencontrons en matière de technique d'enquête et de gestion des dossiers.

À titre liminaire je souhaiterais évoquer une question de fond. C'est celle de l'échelle des peines, donc du régime juridique des poursuites. L'habitude a été prise de poursuivre les djihadistes du chef d'une AMT délictuelle, ce qui plafonne la peine à dix ans. Pour être qualifiée d'AMT criminelle, il faut que le projet ait pour but de porter atteinte à la vie humaine ou mette en oeuvre des explosifs. Ainsi, un indépendantiste breton qui a jeté un cocktail Molotov sur une gendarmerie vide encourt vingt ans, tandis qu'un djihadiste qu'on arrête avec une kalachnikov n'encourt que dix ans. Or le djihadisme a toujours eu pour but d'attenter à la vie humaine ! Je sais bien qu'on ne peut pas tout faire juger par la cour d'assises spéciale, mais avec le tribunal correctionnel, en encourant dix ans maximum, un certain nombre de terroristes seront dehors au bout de six ans... D'où un problème de gestion à long terme de la dangerosité. Pour protéger la population de ces terroristes, il faut de très longues peines, qui les neutralisent durablement.

Pour être en cohérence avec les objectifs poursuivis par les djihadistes, qui sont toujours de porter atteinte à la vie humaine, il faudrait les poursuivre du chef d'AMT criminelle - mais cela suppose des moyens considérables. À tout le moins, nous pourrions prévoir des peines de plus de dix ans pour certains délits. Sans compter que les terroristes bénéficient des mêmes aménagements de peines que les délinquants ordinaires - c'est même une obligation pour le JAP. Or ce sont des détenus exemplaires, qui savent monter des dossiers et ont pour but de sortir au plus vite - parfois pour recommencer.

Je vais maintenant aborder des points de procédure, qui sont des outils indispensables au recueil des preuves, et donc au succès des enquêtes.

À l'automne 2014, j'avais déjà évoqué devant vous la nécessité d'un régime juridique permettant la saisie de la correspondance électronique passée, présente dans la boîte de messagerie électronique. Actuellement, en autorisant une interception de correspondances électroniques on ne peut saisir que le flux futur, pour une durée de quatre mois renouvelables. Et c'est normal: on n'intercepte pas le passé. Or, le code de procédure pénale ne connaît que deux régimes pour saisir des correspondances : l'interception et la perquisition. Par sa décision du 8 juillet 2015, la Cour de cassation a considéré que ces correspondances antérieures à une décision d'interception, c'est-à-dire les courriers électroniques déjà présents, ne pouvaient être appréhendées que dans le cadre de la perquisition. Cela suppose de prévenir l'intéressé et de réaliser la saisie des données en sa présence !

M. René Vandierendonck . - Et quand la boîte est mutualisée, en cloud ?

M. David Bénichou . - Le c loud est sans incidence à proprement parler, mais vous touchez la question de l'extranéité, qui est cruciale. En effet, l'article 57-1 du code de procédure pénale interdit de perquisitionner à l'étranger, les données doivent être recueillies « sous réserve des conditions d'accès prévues par les engagements internationaux en vigueur ». Or, par exemple, un compte Gmail ou Hotmail n'est pas situé en France et aucun accord international n'autorise la saisie extra-territoriale de données. Cela nécessite une demande d'entraide pénale, qui nous placerait dans des délais inconciliables avec l'enquête. Et les avocats savent de mieux en mieux arguer de l'absence d'accord international...

En outre, dire que la saisie des correspondances électroniques déjà arrivées ne peut se faire que sous forme de perquisition supprime toute confidentialité à l'enquête, puisque la loi oblige à prévenir le perquisitionné et lui permettre d'assister à cette opération, ou de désigner des représentants.

La seule réponse à cet écueil serait d'aligner la saisie des correspondances passées sur celle des interceptions des correspondances à venir, quitte à prévoir un délai d'antériorité, pourquoi pas calqué sur la prescription. En effet, il s'agit du même type d'atteinte à la vie privée : les garanties qui valent pour l'une valent pour l'autre.

Deuxième point : la captation de données à distance. Depuis mars 2011, pour dire les choses simplement, le juge peut légalement ordonner l'insertion d'un cheval de Troie dans un ordinateur ou un téléphone, la loi appelle cela un« outil de captation à distance ». C'est indispensable car les communications ne passent plus par des appels ou des SMS classiques, mais par des services cryptés, comme Skype, Viber ou WhatsApp, qui sont très robustes. Faute de pouvoir entrer dans le téléphone pour capter les données à la source, les écoutes sont blanches.

Or nous ne pouvons recourir qu'à des outils préalablement autorisés par une commission spécifique de l'ANSSI - un seul l'était en 2014, puis deux - mais le ministère de la justice ne les a toujours pas mis à notre disposition. Un amendement du Sénat autorisant le juge à commettre un expert pour développer un outil a malheureusement été retiré, le ministre de l'intérieur invoquant la sécurité du système d'information de l'administration. Malgré ses engagements, un an après, nous en sommes toujours au même point. Les services de renseignement monopolisent les outils et ne les mettent pas à notre disposition, par crainte de les voir divulgués. Ils ont pourtant une durée de vie très courte. Contrairement au contre-espionnage, la lutte contre le terrorisme est avant tout un problème judiciaire : nous avons un besoin opérationnel constant de ces éléments. C'est pourquoi je vous suggère de redéposer cet amendement.

Deux possibilités s'offrent à vous. D'une part, permettre au juge d'utiliser des outils qui seraient développés par des experts ou des organismes habilités sans devoir passer par la procédure d'autorisation administrative. D'autre part, dans l'idée de mutualiser les moyens de l'État, tout en conciliant le besoin de secret des services de renseignement et les besoins opérationnels judiciaire, il pourrait être fait recours au Centre Technique d'Assistance (CTA), qui offre au juge les moyens de l'État en matière de cryptographie.

Troisième point : l'obligation de mettre à disposition des avocats, devant la chambre de l'instruction, l'intégralité du dossier, incluant les copies de travail des scellés numériques, pourrait conduire à la paralysie des enquêtes ou à des libérations inopportunes. En pratique, lorsqu'une perquisition est effectuée, de nombreux supports de données sont saisis : smartphones, disques durs plus ou moins volumineux. Ces supports pour être exploités sont d'abord copiés, puis les originaux placés sous scellés fermés. Ces copies de travail sont des disques durs. Leur réalisation prend quelques heures et la question se pose de leur statut au regard des règles posées par le code de procédure pénale et la notion de scellé provisoire. Mettre ces copies de travail à disposition des avocats nous est matériellement impossible - sans compter qu'il faut des outils particuliers pour les exploiter. Je suggère de calquer le régime d'accès aux copies de travail sur celui des scellés fermés. Sinon, il est très facile pour les avocats de demander la nullité du dossier au motif qu'il y manquera telle copie, peu importe qu'ils la consultent ou pas. Ces nullités automatiques peuvent causer des ravages dans les dossiers existants, compte tenu du nombre de copies de travail. Les droits de la défense resteraient respectés puisque l'original est sous scellés et des expertises peuvent être ordonnées. Il faudrait assouplir la notion de scellés fermés car la copie d'un disque dur prend plusieurs heures et n'est pas un inventaire au sens de l'article 56 du code de procédure pénale. En pratique, la défiance à l'égard du juge que traduit le code de procédure pénale est anormale : seul l'expert peut ouvrir et refermer un sceller. Pourquoi refuser ce qu'on autorise à un expert privé ? Actuellement, si le juge veut ouvrir un scellé fermé, il lui faut convoquer toutes les parties ! Les services enquêteurs ont besoin d'accéder à ces supports, sous le contrôle du juge, avant le placement sous scellés fermés, au moins pour réaliser des copies conformes.

M. Philippe Bas, président . - Je remarque la convergence assez large entre vos propos et ce que nous ont dit les représentants du parquet.

M. Michel Mercier, rapporteur spécial . - Vous nous demandez une forme de droit pénal spécial pour lutter contre le terrorisme, en somme. Le mode d'instruction y est en effet particulier. Ce serait toutefois un profond changement à nos habitudes ; la jurisprudence récente de la Cour de cassation montre qu'il y a des réticences fortes de la part des juges du siège. Faut-il créer des chapitres spéciaux dans le code de procédure pénale ?

M. Alain Richard . - Qualification délictuelle ou criminelle des agissements des djihadistes, il y a des inconvénients des deux côtés. Autant l'idée d'une condition d'application des peines pour éviter l'aménagement de la peine de personnes condamnées pour terrorisme est réaliste, autant l'idée d'une échelle des peines spécifiques, prévoyant plus de dix ans pour des délits, me parait éloignée de la réalité.

Nous n'entendons personne d'autres réclamer des moyens supplémentaires d'investigation technique. Sommes-nous bien dans notre rôle en débattant de cette question, qui est en débat au ministère de la justice ? Vous n'avez pas été suivi par le ministère de l'intérieur, où l'on connaît pourtant bien les procédures et où l'on a aussi le sens de l'État. Nous aurons aussi à entendre ses arguments avant de faire évoluer le code de procédure pénale.

M. Alain Anziani . - Merci pour votre franchise et pour la précision de ces informations. Je m'inquiète : cette audition fera-t-elle l'objet d'un compte rendu in extenso ?

M. Alain Marc . - J'avais la même inquiétude que notre collègue Anziani...

Par ailleurs, ne faudrait-il pas assortir le régime de l'assignation à résidence d'une obligation de discrétion ?

M. Jacques Bigot . - Ma question ne porte pas sur la déontologie de la presse...

Mme Esther Benbassa . - Espérons-le !

M. Jacques Bigot . - M. Molins et Mme Hennetier ont souligné que le parquet travaille en équipe, de manière rapide ; le magistrat instructeur, lui, passe pour être solitaire. Voyez-vous des évolutions pour y remédier, ou le parquet est-il mieux armé ?

M. Philippe Bas, président . - Je suis sensible à l'inquiétude de nos collègues. Habituellement, les comptes rendus de nos réunions ne sont pas soumis aux intervenants. Exceptionnellement, compte tenu de certains de vos propos, nous vous inviterons à le relire attentivement.

Mme Laurence Le Vert . - La qualification d'association de malfaiteurs prévoyait autrefois une peine correctionnelle pouvant atteindre vingt ans : ce n'est donc pas inconnu dans la loi pénale française. Mais il faudrait alors que le dossier d'instruction comporte des éléments de personnalité. Une peine de quinze ans serait peut-être plus acceptable. Cela soulagerait beaucoup le fonctionnement de l'institution judiciaire.

Daech est une association criminelle cherchant à attenter à la vie ; c'est par opportunité que nous correctionnalisons. Il s'agit également de tenir compte du degré de gravité des faits, de l'importance et de la durée de l'engagement. Attention à ne pas tout criminaliser, notamment les dossiers de djihadistes, partis très jeunes, qui ont été récupérés par leur famille.

Le système d'aménagement des peines est à revoir. Des mises en liberté au bout de quatre ans, avec récidive à la clé, ne peuvent que choquer nos compatriotes. Il serait sain de remettre l'échelle des peines en adéquation avec la réalité.

Quant aux questions techniques, nous en avons longuement parlé avec la DGSI. Tout ce que nous intégrons à nos dossiers est porté à la connaissance du public, et notamment de ceux qui combattent contre nous. Il faut bien entendu réfléchir avant de divulguer des moyens techniques, différencier ce qui est utile ou non au judiciaire.

L'assignation à résidence est très coûteuse ; il est bien sûr choquant que des condamnés s'expriment dans la presse. Reste que certains sont apatrides, donc non expulsables. S'ils sont potentiellement dangereux, l'assignation à résidence est la seule solution.

M. Alain Marc . - Ne peut-on pas imposer une obligation de discrétion ?

Mme Laurence Le Vert . - Cela fait partie des libertés publiques...

Solitaire, le juge d'instruction ? Dans notre section, aucun dossier n'est confié à un magistrat unique. Celui des attentats de novembre est suivi par six magistrats instructeurs. Dans les cas courants, ils sont au minimum deux. La solitude du juge d'instruction, même dans le droit commun, est devenue rare. Cela a demandé des efforts, des effectifs, mais c'est une très bonne chose.

M. David Bénichou . - L'audition étant à huis clos, je n'avais pas compris qu'il en serait fait état publiquement dans un compte rendu. Je vous remercie de nous avoir proposé de le relire compte tenu de la sensibilité de certains points.

Faut-il créer un droit d'exception pour le terrorisme ? Je ne le pense pas, car ces difficultés valent pour tout ce qui relève de la criminalité organisée - trafic de stupéfiants, d'armes, d'êtres humains, etc. Si nous n'y remédions pas, le taux d'élucidation chutera, et l'exaspération de la population ira croissante devant l'impunité des délinquants. Nous savons où cela peut mener... Les mesures techniques de procédure pénale ont des conséquences pour notre pacte social. Si la justice ne peut pas fonctionner, la criminalité prospérera.

Sur les outils de captation de données à distance, il s'agit d'être cohérent. Quel est l'intérêt de donner au juge, dans la loi, des techniques d'enquête, mais de ne pas leur donner les moyens de les mettre en oeuvre ? S'agit-il pour la France de faire bonne figure dans les réunions internationales en faisant état d'une législation moderne et qu'en interne on dise aux juges qu'au fond, ils n'ont pas vraiment besoin de ces outils pour telle ou telle raison ministérielle.

J'entends le besoin du secret, qui est légitime et nécessaire, alors faisons comme pour la cryptographie, qui présente une situation analogue : utilisons le CTA pour la captation de données à distance et partager les outils du renseignement.

M. Jacques Mézard . - Je remercie Mme la vice-présidente de la sincérité de ses propos, qui ramènent certaines propositions à plus de sagesse.

Vous aurez la possibilité d'utiliser la procédure criminelle mais
- c'est un choix légitime - vous ne le faites pas. L'extension de la criminalisation n'est donc pas forcément la solution.

Les vrais problèmes sont l'application et l'exécution des peines, les relations entre services de renseignement et magistrats, entre parquet et instruction - bref, rien de nouveau !

Les demandes visant à modifier la procédure ont été refusées par la Chancellerie, qui ne leur a pas fait droit dans les récents textes concernant la justice qui ont été soumis au Parlement. De telles évolutions n'ont donc pas été jugées opportunes ou utiles.

L'exécution des peines dépend en grande partie, dans le cadre légal, des magistrats : c'est aussi notre rôle de législateur de le dire. Certaines décisions qui vous posent problème sont l'oeuvre de vos collègues !

Mme Laurence Le Vert . - Effectivement, nul n'est parfait. Les magistrats ont aussi leur responsabilité dans les erreurs qui ont pu être commises.

Une possibilité qui pourrait être raisonnablement envisagée, à la suite de la récente loi sur le renseignement - qui a été un énorme progrès législatif - serait de procéder à des déclassifications plus larges. L'information pourrait ainsi être utilisée judiciairement sans pour autant dévoiler les moyens employés, qui sont désormais encadrés par la loi. Des photographies de surveillance ou des interceptions autorisées pourraient ainsi être utilisées comme moyen de preuve.

M. Philippe Bas, président . - Merci de la clarté et de la sincérité de vos analyses et de vos propositions.

Mme Sabine Faivre, présidente de la 16ème chambre du tribunal de grande instance de Paris

Mme Sabine Faivre, présidente de la 16 ème chambre du tribunal de grande instance de Paris . - La 16 ème chambre est compétente pour connaitre des affaires de criminalité organisée et de terrorisme. Après le parquet et l'instruction en 1986, le jugement a été spécialisé avec la Cour d'assise spéciale, composée exclusivement de magistrats, puis l'application des peines en 2006. Mais paradoxalement, la formation correctionnelle qui a à connaître des délits, comme la participation à l'AMT - n'était pas spécialisée, en vertu de la vieille tradition, dans la magistrature, de ne pas spécialiser les juges qui jugent. Les choses ont évolué depuis 2013. Vu le volume des dossiers - 20 à 40 tomes en moyenne - il a fallu saisir une autre formation traditionnelle. Puis une deuxième formation spécialisée en criminalité organisée et terrorisme a été créée, notamment pour juger les prévenus libres.

Beaucoup des dossiers qui nous occupent concernent le« djihad médiatique ». Il s'agit d'individus qui diffusent des vidéos, fréquentent des sites et favorisent le recrutement, jusqu'au départ sur zone. L'un, qui comparaissait libre, a été condamné à six ou sept ans pour des faits anciens...

Nouvelle étape, en 2016 : la coordination des juges qui jugent. Pourquoi regrouper crime organisé et terrorisme ? Parce que nous n'avons pas les moyens de les séparer et surtout parce que les secteurs sont poreux : par exemple, on observe, dans une affaire de trafic d'armes, que celles-ci arrivent de Belgique. Nous faisons des recoupements en bout de chaîne, ce qui nous permet d'être percutants à l'audience et de prononcer des peines adaptées.

En 2014, en sortant l'apologie du terrorisme de la loi de 1881, le législateur nous a donné à juger l'affaire Dieudonné, qui fait l'objet d'appel. Cela a demandé un travail bienvenu de définition de cette incrimination, qui peut avantageusement remplacer une incrimination fragile d'AMT, avec une peine malgré tout de sept ans - et nous n'avons pas à relaxer, ce qui était le cas auparavant.

En matière d'apologie du terrorisme, seules les associations ayant dans leur statut la défense des victimes de terrorisme peuvent se constituer partie civile. Dans l'affaire Dieudonné, nous avons donc dû déclarer irrecevables les associations à vocation plus générale de lutte contre l'antisémitisme ou les discriminations...

M. Michel Mercier, rapporteur spécial . - Merci, madame la Présidente, de vos propos. Sortir ces infractions du droit de la presse permet donc au tribunal correctionnel de condamner... Ce n'est pas si mal !

En matière de terrorisme, estimez-vous nécessaire de modifier le droit commun, notamment pour le quantum des peines ?

M. Jacques Bigot . - Vos collègues considèrent les peines trop faibles en matière délictuelle et les réductions de peine trop importantes. Faut-il pour autant alourdir le quantum ? N'est-ce pas plutôt la pratique des magistrats qui est en cause ?

M. Jean-Pierre Sueur . - À partir de quel moment considérez-vous que vous avez affaire à un « djihadiste médiatique » : s'agit-il de consulter régulièrement un site, de l'avoir construit ? Quelle est la gradation ? La commission d'enquête sénatoriale sur la lutte contre les réseaux djihadistes a beaucoup parlé de prévention - mais il faut aussi réprimer. Quelle est votre philosophie ? Comment faire en sorte que ces personnes ne partent pas ?

M. Philippe Bas, président . - Ayant appris par un article de presse que le magazine de Daech, Dar al-Islam , appelait à tuer les professeurs qui enseignent la laïcité et les travailleurs sociaux qui séparent les enfants de leurs parents, je me suis demandé si cette revue était en libre accès sur Internet. Je suis tombé sur le numéro 4 de ce magazine, très bien présenté, écrit dans un français impeccable. On y découvre l'interprétation de l'histoire de France par l'État Islamique, ainsi qu'une photo du Premier ministre, avec une légende qui rappelle le langage du nazisme. Des poursuites peuvent-elles être engagées contre le moteur de recherche qui n'a pas interdit l'accès à de tels documents ?

M. Jean-Pierre Sueur . - La loi le permet !

Mme Sabine Faivre . - Nous avons toujours un temps de retard puisque nous intervenons en bout de chaîne, quand l'infraction est caractérisée. Le meilleur remède au quantum des peines est la spécialisation des juges qui jugent, car cela permet de faire des connexions, des recoupements. Nous en sommes à la troisième génération de djihadistes. Un des kamikazes du Bataclan était lié à Chartres à un prêcheur impliqué dans les attentats de 1995. Or les assesseurs n'ont pas de formation spécifique. C'est pourquoi nous devons construire une mémoire des jugements sur le terrorisme, pour mieux repérer le modus operandi , apporter des analyses plus performantes. C'est cela qui permettra de prononcer des peines à la hauteur. Jusqu'en 2013, je le rappelle, il n'y avait pas de juge correctionnel spécialisé à Paris.

Il y a un seul JAP au niveau national en matière de terrorisme.

L'augmentation des quantums encourus nous donnera de la marge. Sachant qu'il faut toujours en garder pour des faits plus graves, on a tendance à ne pas prononcer la peine maximale, par exemple pour ceux qui ont un casier judiciaire complètement vierge... Les peines sont d'autant plus adaptées que les juges sont spécialisés.

Sur la cybercriminalité, nous avons une longueur de retard.

M. Jean-Pierre Sueur . - Peut-on faire fermer le site cité par le président Bas ?

Mme Sabine Faivre . - C'est une mesure de police administrative. Les éditeurs et hébergeurs sont, me semble-t-il, visés par l'infraction d'apologie. Demain, il nous faudra intégrer à nos équipes des spécialistes en cybercriminalité.

Nous avons spécialisé tous les acteurs de la justice - le parquet, le juge d'instruction, la cour d'assises, le JAP - mais pas les juges qui jugent. Certes, nous ne sommes pas nombreux...

M. Jean-Pierre Sueur . - Mais très importants !

Mme Sabine Faivre . - Les choses avancent, mais encore une fois, l'évolution est récente : elle ne date que de fin 2013 !

M. Philippe Bas, président . - Merci pour cette audition très riche.

MERCREDI 20 JANVIER 2016

_____

M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État et M. Bernard Stirn, président de la section contentieux du Conseil d'État

M. Philippe Bas , président . - Je remercie MM. Sauvé et Stirn d'être venus pour cette audition suggérée par M. Mercier, rapporteur spécial du comité de suivi de l'état d'urgence. Nous avons souhaité vous entendre sur les instruments de contrôle des décisions administratives prises dans le cadre de l'état d'urgence, qu'il s'agisse de perquisitions, d'assignations à résidence ou de décisions limitant la liberté d'aller et venir et la liberté de réunion et de manifestation. Il est désormais temps de faire le bilan des deux premiers mois d'application de l'état d'urgence car il est possible que le Gouvernement souhaite le prolonger, dans l'attente de l'examen d'éventuelles dispositions législatives tendant à rendre permanents un certain nombre de pouvoirs que l'autorité administrative tire de la mise en oeuvre de l'état d'urgence. Nous nous inscrivons également dans un contexte dans lequel la ligne de partage en matière de protection des libertés, entre ce qui relève du juge administratif et ce qui relève du juge judiciaire, fait débat, ce qui donne l'occasion de faire oeuvre de pédagogie à ce sujet.

M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État . - Je voudrais tout d'abord évoquer le cadre constitutionnel de l'état d'urgence, tel qu'il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Dans sa décision du 25 janvier 1985 sur la loi relative à l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie, le Conseil constitutionnel a écarté le moyen tiré de l'abrogation implicite de la loi du 3 avril 1955 avec l'entrée en vigueur de la Constitution le 4 octobre 1958, mais ne s'est pas prononcé à l'époque sur le fond de la constitutionnalité de cette loi. Il s'est borné à dire qu'elle était toujours en vigueur.

Dans la décision Cédric D. du 22 décembre 2015, rendue à la suite d'une question prioritaire de constitutionnalité renvoyée par le Conseil d'État, lui-même saisi de la contestation d'une assignation à résidence, le Conseil constitutionnel a jugé que l'article 6 de la loi de 1955, dans sa rédaction issue de la loi du 20 novembre 2015, était conforme à la Constitution. Il a rappelé que le juge judiciaire était le gardien de la liberté individuelle mais que les mesures d'assignation à résidence, telles qu'elles étaient contestées devant lui, ne constituaient pas une mesure privative de liberté, dès lors que l'astreinte à domicile ne dépassait pas 12 heures par jour et qu'il n'y a pas plus de trois pointages par jour. L'assignation à résidence constitue donc une mesure restrictive de liberté qui ne contrevient pas à l'article 66 de la Constitution. Sur la conformité aux articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui consacrent la liberté d'aller et venir, et à l'article 34 de la Constitution, les mesures d'assignation à résidence ne peuvent être prononcées que lorsque l'état d'urgence a été déclaré et édictées qu'à l'encontre de personnes dont on a des raisons de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. Elles doivent être édictées et appliquées dans le respect du principe de proportionnalité ; leur durée ne peut excéder celle de l'état d'urgence, et en cas de prorogation de celui-ci, elles doivent faire l'objet d'un réexamen. Le Conseil constitutionnel a enfin jugé que le juge administratif devait contrôler le caractère adapté, nécessaire et proportionné des mesures d'assignation à résidence à la fois sur le principe et sur les modalités de ces mesures. Le commentaire dans les cahiers du Conseil constitutionnel a bien noté l'évolution de la jurisprudence administrative, c'est-à-dire le basculement de ce qui était de la haute police dans les années 1950, devenu le contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation dans la décision du Conseil d'État du 25 juillet 1985 Dame Dagostini, à un entier contrôle de proportionnalité. Le commentaire aux cahiers fait l'historique de l'évolution et de l'intensification du contrôle opéré par le Conseil d'État et souligne également l'appropriation par le juge administratif des standards internationaux en matière de contrôle de proportionnalité. En réalité, quand il se prononce le 22 décembre 2015, le Conseil constitutionnel a en toile de fond la décision rendue par la section du contentieux du Conseil d'État le 11 décembre 2015 Cédric D., et cette décision procède précisément à l'extension du contrôle du juge et opère pour la première fois ce contrôle de proportionnalité. Par conséquent, le Conseil constitutionnel, onze jours plus tard, fait une déclaration de conformité à la Constitution de l'article 6 de la loi de 1955 sous condition, une condition dont il sait qu'elle est respectée.

Le Conseil constitutionnel s'est aussi prononcé le 22 décembre 2015, de manière positive, sur la conformité de la loi de 1955 modifiée, au regard des exigences de l'article 16 de la Déclaration de 1789. Il a constaté que les mesures d'assignation à résidence pouvaient être contestées devant le juge administratif, y compris par la voie du référé.

Je voudrais aborder maintenant l'avis du Conseil d'État du 11 décembre 2015 sur le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation, en tant qu'il constitutionnalise l'état d'urgence ; je laisse de côté la question de la déchéance de nationalité. Le Conseil d'État a souligné l'effet utile des dispositions de ce projet de loi en ce qui concerne l'état d'urgence. Il constate que le projet de loi constitutionnelle donne un fondement incontestable aux mesures de police administrative pouvant être prises par les autorités civiles pendant l'état d'urgence, et permettra leur extension par le législateur ordinaire avec des mesures comme le contrôle d'identité ou la visite des véhicules. Ce texte permet également d'encadrer la déclaration et le déroulement de l'état d'urgence, en apportant des précisions de fond et de procédure, qui ne relevaient jusqu'ici que de la loi ordinaire, que le législateur pouvait donc modifier de manière discrétionnaire, notamment les motifs de la déclaration de l'état d'urgence, la saisine du Parlement pour prorogation et la durée de celle-ci.

Le Conseil d'État a souligné que l'état d'urgence ne saurait, par l'effet de prorogations successives, devenir permanent. Si la menace à l'origine de l'état d'urgence devient permanente, il faut recourir à des instruments de lutte permanents, en leur donnant si besoin un fondement constitutionnel durable.

Dans cet avis, le Conseil d'État a également admis la conformité à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales des dispositions relatives à l'état d'urgence. Cela a confirmé l'arrêt de l'assemblée du contentieux du 24 mars 2005 Rolin et Boisvert. Il a enfin écarté les dispositions prévoyant un dispositif transitoire d'extinction de l'état d'urgence. Ce dispositif prévoyait la possibilité de maintenir, au-delà de la période pendant laquelle l'état d'urgence s'applique, les effets de mesures individuelles et de mesures générales. Le Conseil d'État a considéré que si les conditions étaient réunies, il devait y avoir prorogation. Si ces conditions ne sont plus réunies, il faut alors en sortir.

Concernant la compétence juridictionnelle pour connaître des mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence, depuis les origines de la République, le juge administratif est compétent pour les mesures prises à titre préventif pour la protection de l'ordre public ou la prévention des infractions. Le régime des fermetures de débits de boissons, d'interdiction de réunion ont toujours relevé de la compétence du juge administratif, de même que les régimes de police spéciale, comme la police des étrangers. Ces pouvoirs ont toujours été étendus, par voie législative ou jurisprudentielle en temps de circonstances exceptionnelles. Ces derniers mois, le Conseil d'État, bien avant le début de l'année 2016, s'est montré très attentif au respect des prérogatives que l'autorité judiciaire tire de l'article 66 de la Constitution, qui affirme que l'autorité judiciaire est gardienne des libertés. J'en donnerai quatre exemples.

Le 11 décembre 2015, il a renvoyé une question prioritaire de constitutionnalité sur l'article 6 de la loi du 3 avril 1955 sur l'assignation à résidence, notamment au regard de l'article 66 de la Constitution. Le Conseil d'État a donc posé la question du contrôle du juge administratif sur les mesures d'assignation à résidence.

Le 15 janvier 2016, le Conseil d'État a renvoyé deux questions prioritaires de constitutionnalité sur la conformité à la Constitution des articles 8, concernant la fermeture des salles de spectacles et des débits de boissons, et 11, relatif aux perquisitions administratives de la loi du 3 avril 1955. Le Conseil constitutionnel aura à se prononcer sur la conformité de ces dispositions au regard de l'article 66 de la Constitution.

Dans son avis du 11 décembre 2015, sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la protection de la Nation, il a donné un avis négatif sur la partie du projet de loi plaçant sous l'exclusif contrôle du juge administratif l'ensemble des mesures prises par l'autorité administrative pendant l'état d'urgence. Même si l'avis du Conseil d'État est elliptique sur ce point, il considère par exemple qu'une mesure de privation de liberté prise dans le cadre de l'état d'urgence n'a pas à relever de la compétence du juge administratif. Il y aurait sinon eu une dérogation expresse à l'article 66 de la Constitution, que le Conseil d'État a estimé non souhaitable.

Dans son avis du 17 décembre 2015 sur différentes questions posées par le Gouvernement sur les mesures restrictives de liberté pouvant être prises en dehors de l'état d'urgence, le Conseil d'État mentionne les articles 7 et 9 de la Déclaration de 1789 et l'article 66 de la Constitution, et affirme de manière très ferme qu'« au regard des règles et principes de valeur constitutionnelle, en vertu desquels l'autorité judiciaire est chargée d'assurer le respect de la liberté individuelle, toute détention doit être décidée par l'autorité judiciaire ou exercée sous son contrôle. Il appartient aux autorités de police administrative (...) de prendre des mesures à caractère préventif qui peuvent comporter des mesures affectant ou restreignant des libertés, mais elles ne peuvent prendre à ce titre des mesures privatives de liberté ». Il rappelle donc que l'autorité administrative peut, sous le contrôle du juge administratif, prendre des mesures restrictives de liberté mais dans des cas ponctuels, par exemple le placement en hospitalisation d'office pendant quelques heures avant l'intervention du juge judiciaire ou la rétention des étrangers dans les premiers jours de leur interpellation. Ces exceptions sont minimes et ponctuelles.

Je voulais souligner en quelques points la nature du contrôle opéré par le juge administratif. C'est tout d'abord un contrôle exercé a posteriori , dans un délai de quelques heures à quelques jours. C'est un contrôle qui s'opère selon les procédures d'urgence, référé-liberté ou référé-suspension. Le Conseil d'État a garanti dans tous ces cas un droit à l'audience. En cas d'assignation à résidence, il a jugé qu'il y avait présomption d'urgence et que par conséquent, la requête ne pouvait être rejetée sans audience. Il y a un entier et strict contrôle sur le caractère adapté, nécessaire et proportionné des mesures prises au regard de la menace représentée par le personne assignée à résidence. Ce triple contrôle s'applique tant au principe qu'aux modalités de la mesure, par exemple la durée de l'astreinte à domicile ou les obligations de pointage. Enfin, le juge mène une instruction approfondie, qui se poursuit à l'audience. L'ensemble des faits et des informations allégués par l'administration est soumis à un débat contradictoire, et le juge se détermine évidemment en fonction du résultat des échanges entre les parties. Des suppléments d'instruction peuvent être décidés, et il y a eu pluralité d'audiences dans certains cas. L'information selon laquelle le juge se déterminerait sur la base de notes émanant des autorités publiques du Gouvernement sans aucune discussion est profondément erronée.

Quant aux résultats, au niveau des tribunaux administratifs, où environ 75 décisions ont été prises, il y a à ce stade une douzaine de suspensions ou d'injonctions à modifier l'arrêté d'assignation qui ont été prononcées, et dans au moins deux cas, le ministre de l'intérieur a annulé la décision d'assignation à résidence. Pour le Conseil d'État, il y a eu 19 décisions, sur lesquelles il y a eu 4 annulations par le ministre de l'intérieur, avant ou après l'audience, 2 injonctions et le reste sont des décisions de rejet.

Je voudrais enfin signaler que le contrôle juridictionnel des mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence est tout à fait effectif. En réalité, l'état d'urgence n'introduit, par rapport au droit commun, qu'une rupture : la possibilité pour l'administration de prendre des mesures restrictives de liberté sans mandat judiciaire préalable. Le contrôle juridictionnel s'opère alors non plus en amont mais a posteriori , dans des délais très brefs.

M. Bernard Stirn, président de la section du contentieux du Conseil d'État . - Le contentieux relatif à l'état d'urgence devant le juge administratif est significatif sans être massif. À ce jour, pour les tribunaux administratifs, 75 décisions ont été rendues, dont 64 relatives à des assignations à résidence, avec une douzaine de suspensions prononcées par le juge des référés. Devant le Conseil d'État, dix-neuf décisions ont été rendues, y compris les sept décisions de section du 11 décembre, au tout début de l'état d'urgence, qui ont tracé le cadre général du contrôle de l'assignation à résidence. Elles ont conduit à une évolution de la jurisprudence par un renforcement du contrôle du juge administratif et, avec la présomption de l'urgence, à l'obligation de tenir une audience.

Il reste douze affaires, dont quatre cas pour lesquels le ministère de l'intérieur a mis fin de lui-même à l'assignation à résidence, ce qui a conduit le juge à constater un non-lieu, deux recours pour excès de pouvoir déposés par la Ligue des droits de l'Homme, contre un des décrets d'application et une circulaire d'application de la loi du 20 novembre 2015 qui ont donné lieu aux deux QPC actuellement pendantes devant le Conseil constitutionnel sur les interdictions de réunions et les perquisitions administratives. Il y a par ailleurs deux mesures d'injonction ordonnées par le juge des référés du Conseil d'État, l'une concernant une fermeture de restaurant à Cannes, jugée disproportionnée même si la mesure d'assignation à résidence du propriétaire du restaurant a été confirmée, et l'autre portant sur les modalités d'assignation à résidence d'une mère de famille tchétchène à qui l'on demandait de pointer trois fois par jour à dix kilomètres de chez elle, bien qu'elle ait trois enfants et qu'elle ne dispose d'aucun véhicule. Nous avons en outre, parmi ces douze affaires, eu à connaître d'une affaire particulièrement délicate, parmi les premières affaires jugées, concernant la fermeture d'un restaurant à Bobigny qui a donné lieu à deux audiences successives, ce qui est assez exceptionnel en référé et a abouti au rejet de la requête.

J'informe également votre commission que depuis hier après-midi, le juge des référés est saisi d'une nouvelle affaire, comparable, pour laquelle il a ordonné un complément d'instruction. Un nouveau recours de la Ligue des droits de l'homme a également été déposé hier après-midi demandant au juge du référé-liberté du Conseil d'État d'enjoindre au Président de la République de mettre un terme à l'état d'urgence, rien de moins...

Soulignons l'existence de deux affaires périphériques, l'une concernant des articles pyrotechniques à Strasbourg lors des fêtes du réveillon, en application du code de la défense, et l'autre concernant des interdictions de déplacement de supporters de football, en application du code du sport. En l'espèce, les mesures contestées n'ont pas été prises en application de l'état d'urgence, mais le contexte a joué.

Vous pouvez constater que le Conseil d'État a transmis au Conseil constitutionnel les trois questions prioritaires de constitutionnalité dont il a été saisi : une première fois le 11 décembre 2015 concernant l'assignation à résidence, puis le 15 janvier 2016 concernant les réunions et les perquisitions.

Je souhaiterais faire quelques remarques sur l'expérience du juge des référés du Conseil d'État, qui est le principal concerné. Il statue au vu d'un dossier et d'un débat. Le dossier comprend les pièces produites par les parties, dont les notes blanches du ministère de l'intérieur, qui font partie des pièces du dossier contradictoire soumises à débat. Ces débats sont systématiques. Ils permettent un échange contradictoire approfondi, pour apprécier la matérialité des faits. Au vu du dossier et du débat, le juge peut demander des compléments d'information et se faire une opinion sur la réalité des faits.

Sur l'efficacité d'ensemble du dispositif, soulignons que le ministre de l'intérieur a accepté les suspensions décidées par les tribunaux administratifs, il n'a pas contesté l'ensemble, et de loin, des jugements prononcés. Il a de lui-même, à plusieurs reprises, pris l'initiative de suspendre l'assignation à résidence. Les compétences très larges du juge des référés en la matière sont indispensables : il peut suspendre et enjoindre. Son pouvoir général d'injonction lui a permis, par exemple, s'agissant de l'assignation à résidence d'une mère tchétchène, d'enjoindre des pointages dans la commune du domicile de l'intéressée.

M. Philippe Bas , président . - Quelle est la proportion de ces affaires dans lesquelles les mesures prises étaient justifiées par des soupçons d'appartenance à des mouvances d'islamisme radical ou liées au terrorisme ?

M. Bernard Stirn . - Si l'on fait abstraction des sept affaires de principe jugées en décembre dernier, douze dossiers demeurent en instance devant le Conseil d'État, dont quatre ont fait l'objet d'une décision du ministre de l'intérieur de mettre fin à l'assignation à résidence, deux concernent une injonction rendue par le juge des référés, deux concernent des QPC en cours d'examen par le Conseil constitutionnel. Dans les autres affaires, des décisions de rejet ont été rendues, mais l'échantillon est petit. Sur les douze affaires, il y a quatre abrogations et deux injonctions. Dans la moitié des cas, la décision du Conseil d'État a donné lieu à une modification totale ou partielle de la situation.

M. Philippe Bas , président . - C'est exact, mais il faut aussi prendre en compte les jugements des tribunaux administratifs. Ma question était surtout de savoir si ces affaires sont liées au terrorisme ?

M. Bernard Stirn . - En dehors des sept affaires liées à la COP 21, la pyrotechnie et les supporters de football, nous avons été saisis de neuf affaires sans lien avec le terrorisme. Cela fait donc dix affaires liées au terrorisme.

M. Michel Mercier, rapporteur spécial du comité de suivi de l'état d'urgence . - Vous avez montré l'évolution du rôle du juge administratif, depuis 1919 jusqu'au contrôle entier de proportionnalité que nous connaissons aujourd'hui. Cette évolution est positive mais vous avez souligné aussi que ce contrôle intervient a posteriori . Vous avez esquissé une solution partielle, allant dans le sens du rééquilibrage des droits, avec le droit à l'audience, mais pourriez-vous préciser ce que recouvre exactement cette notion ? Confirmez-vous que cela implique le droit à un avocat ?

Je souhaiterais par ailleurs intervenir sur deux autres aspects. Premièrement, les citoyens disposent-ils de la faculté d'engager une action en responsabilité de l'État pour réparer les conséquences des habitudes, parfois un peu directes, des forces de l'ordre à l'occasion des perquisitions ? Sur quelle base juridique les citoyens qui ont vu leur appartement chamboulé peuvent-ils agir ? En second lieu, je me réjouis de la légère inflexion de la position du Conseil d'État, davantage prompt aujourd'hui à transmettre les questions prioritaires de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Dans l'hypothèse où le Conseil constitutionnel confirmerait la conformité à la Constitution des dispositions législatives contestées par le biais des deux QPC en cours d'examen, il aurait finalement lui-même déjà réalisé la révision constitutionnelle que nous nous apprêtons à examiner...

M. Philippe Bas, président . - J'avais demandé, avec plusieurs collègues, au Premier ministre de saisir lui-même le Conseil constitutionnel au moment de la modification de la loi de 1955 sur l'état d'urgence, mais il a préféré ne pas le faire pour éviter une éventuelle censure. La position du Conseil d'État, par le biais des QPC transmises, permet d'examiner la constitutionnalité des mesures contestées. Cela prouve au passage que le régime de la QPC permet d'obtenir des décisions rapides, ce qui est très intéressant quand les libertés sont en cause.

M. Pierre-Yves Collombat . - A-t-on une idée du temps moyen entre la saisine du Conseil d'État et la décision ? Par ailleurs, l'état d'urgence, instauré dans une situation très précise, sert aussi à traiter des problèmes qui n'ont rien à voir avec le terrorisme. Certes, le Conseil d'État veille à ce que la mesure soit nécessaire, adaptée et proportionnée. Mais il faudrait un lien entre les mesures prises et les objectifs de l'instauration de l'état d'urgence. Ce qui perturbe, ce n'est pas tant l'instauration de l'état d'urgence, voire son renouvellement, que son détournement à d'autres fins. Cette question devrait être abordée.

M. Alain Richard . - Nous n'avons parlé que du contentieux en référé, avec des procédures d'urgence et un seul degré de contestation, puisqu'on va directement du tribunal administratif au Conseil d'État statuant en cassation. Nous allons avoir à connaître des contentieux au fond. Je m'interroge sur l'étendue du contrôle juridictionnel sur les perquisitions, qui sont de loin les mesures administratives les plus nombreuses. Elles sont un acte opposable à l'intéressé, faisant grief, et donnent lieu à un contrôle du juge administratif. Une proportion assez faible de perquisitions réalisées dans le cadre de l'état d'urgence a été contestée, moins de 10 %, ce qui peut s'interpréter de deux manières : une partie des intéressés reconnait le bienfondé des perquisitions menées, mais il y aussi, sans doute, une forme de découragement. Pouvez-vous détailler ce que serait le parcours contentieux d'une décision de perquisition, et si celle-ci était déclarée infondée, quelles en seraient les conséquences ?

M. Jacques Mézard . - Je souhaite formuler deux observations. D'abord, il y a une différence considérable entre une autorisation en amont et un contrôle a posteriori . C'est une évolution qui correspond presque à une révolution par rapport aux droits et libertés. Deuxièmement, le débat contradictoire, indispensable, se fait, du côté du ministère de l'intérieur, sur la base de notes blanches. Quelle est la position du Conseil d'État par rapport à l'existence et à l'utilisation de ces notes blanches ?

M. Alain Marc . - Un texte fixe-t-il les modalités précises de l'assignation à résidence ? Peut-on par exemple, avec les moyens de géolocalisation dont nous disposons aujourd'hui, contrôler le respect de l'assignation à résidence ? Dans mon département, un dispositif d'assignation à résidence a rendu nécessaire la mise à disposition de deux gendarmes en permanence pour garder une personne. Ce sont des moyens énormes. Ne faudrait-il pas un autre dispositif ? Lorsqu'une personne assignée à résidence peut librement recevoir la presse et s'exprimer, comme c'est le cas dans l'exemple que je citais à l'instant, cela pose problème.

Mme Catherine Tasca . - Vous avez tracé de façon subtile et mesurée la ligne de partage entre les ordres judiciaire et administratif pour ce qui concerne la défense des libertés individuelles. Or, le débat public à ce sujet est assez vigoureux, l'autorité judiciaire considérant qu'elle a été marginalisée en la matière. Comment voyez-vous l'évolution de cette ligne de partage, même si vous avez défini celle-ci comme étant limitée dans le temps ?

M. Philippe Bas, président . - Nous sommes tous attentifs aux propos des magistrats judiciaires et responsables de l'autorité judiciaire. Je ne crois pas qu'il y ait dans ces propos une remise en cause de deux ordres juridictionnels qui constituent un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Il y a plutôt une préoccupation quant aux textes en préparation qui tendraient, hors période d'état d'urgence, à transférer de l'autorité judiciaire à l'exécutif un certain nombre de pouvoirs. À mon sens, il n'y a pas eu de franchissement de cette« frontière » dans la loi relative à l'état d'urgence. Par contre, le transfert, au sein même de l'autorité judiciaire, des pouvoirs du juge d'instruction vers le parquet, ainsi que l'extension des pouvoirs du préfet et de l'autorité de police pourraient modifier cette ligne de partage.

M. Jean-Marc Sauvé . - Pour répondre aux questions relatives aux questions prioritaires de constitutionnalité et à la compétence des ordres juridictionnels, je rappelle que le Conseil d'État a une compétence résultant de la Constitution. En cas de doute, il saisit le Conseil constitutionnel. C'est ce qu'il a fait en lui renvoyant les trois questions prioritaires de constitutionnalité soulevées devant lui. Le Conseil d'État peut également saisir le Tribunal des conflits, ce qu'il ne manque pas de faire régulièrement. Nous sommes confrontés à des questions émergentes que nous ne tranchons pas unilatéralement. Le Conseil constitutionnel s'est prononcé en 1999 sur l'article 66 de la constitution et a confirmé cette jurisprudence le 22 décembre 2015 concernant l'assignation à résidence.

La loi du 30 juin 2000 sur les procédures d'urgence offre la possibilité de rejeter une requête manifestement sans substance. Le Conseil d'État, dans sa décision Cédric D. du 11 décembre 2015, a estimé qu'il existe une présomption d'urgence en matière d'assignation à résidence. Les procédures d'urgence ne s'appliquent pas en matière de perquisitions car celles-ci sont terminées et ont produit tous leurs effets lorsque le juge est saisi.

M. Bernard Stirn . - Les premières décisions en matière de perquisitions ont été rendues par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise. Le contentieux se situe au fond avec des demandes d'annulation et d'indemnisation. Le juge peut contrôler la légalité et la responsabilité de la puissance publique.

M. Jean-Marc Sauvé . - S'agissant des questions qui ne sont pas en relation avec les motifs ayant provoqué l'état d'urgence, l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, fait application de la loi. Pour déclencher l'état d'urgence, il faut qu'existe un péril imminent. S'il existe des raisons sérieuses de penser que le comportement d'une personne représente une menace pour l'ordre ou la sécurité publics, il peut y avoir assignation à résidence. Si la loi du 3 avril 1955, notamment l'article 6, avait été autrement rédigée, on aurait pu limiter les mesures administratives aux agissements qui ont déclenché l'état d'urgence. Ce n'est pas le cas. Le juge a noté que dans un contexte de menaces extrêmement lourdes pesant sur l'ordre public, si les forces de police sont absorbées par la gestion de flux de supporters ou par les mesures prises dans le cadre d'une conférence internationale, elles sont distraites de leur mission de prévention et de lutte contre le terrorisme.

Les modalités de l'assignation à résidence ont été fixées par le législateur dans la loi du 20 novembre 2015. Auparavant, ces modalités étaient floues. La loi précise désormais que l'astreinte à domicile ne peut excéder 12 heures par jour et les pointages sont limités à trois par jour. Le Conseil constitutionnel a considéré que, dans cette limite, l'assignation est restrictive de liberté et donc sous contrôle du juge administratif. Au-delà, cette assignation à domicile serait privative de liberté et dès lors soumise au contrôle du juge judiciaire.

M. Bernard Stirn . - La surveillance électronique mobile est prévue par la loi de 1955 mais elle est limitée aux personnes condamnées à une peine d'emprisonnement pour des actes de terrorisme, libérées depuis moins de huit ans. La Ligue des droits de l'homme, à l'occasion des questions prioritaires de constitutionnalité qu'elle a déposées, a expressément indiqué ne pas contester ces dispositions qui n'ont donc pas été soumises au Conseil constitutionnel.

En ce qui concerne les procédures administratives, les délais d'examen sont de deux à cinq jours, même pour les affaires de principe soumises à la formation solennelle. Devant le juge des référés du Conseil d'État, l'ordre des avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation organise une permanence gratuite. Toute personne peut, si elle le demande, être assistée gratuitement d'un avocat dans le cadre de la procédure de référé.

Sur le lien avec les mesures ayant déclenché l'état d'urgence, la position adoptée par le Conseil d'État dans sa décision du 11 décembre 2015 a été confirmée par le Conseil constitutionnel le 22 décembre 2015. Les mesures prises ne sont pas limitées aux personnes visées par les objectifs ayant justifié l'état d'urgence.

Les notes blanches constituent un élément d'information pour le juge qui vérifie si elles résistent au débat contradictoire. Le juge peut demander que ces notes blanches soient complétées, comme dans l'affaire dite du restaurant de Bobigny.

M. Jean-Marc Sauvé . - Je partage, monsieur le Président, votre analyse sur le partage de compétences entre les ordres juridictionnels. Nous avons été saisis dans un cadre juridique historique, confirmé. Le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé et son financement, l'efficacité et les garanties de la procédure pénale dont le Conseil d'État est saisi redéfinit les compétences de l'autorité judiciaire, magistrats du siège et magistrats du parquet, et de l'autorité administrative. Ce texte est de nature à modifier les lignes de partage entre les deux ordres de juridictions. À mon sens, il faut faire une distinction profonde entre l'état d'urgence que nous avons connu à plusieurs reprises et le projet de loi qui pose questions : qui décide, sous quel contrôle, sur l'étendue.

M. Pierre-Yves Collombat . - Je vous remercie de m'avoir confirmé ce que je craignais. L'état d'urgence peut permettre une extension des mesures dérogatoires au droit commun à tout ce que le gouvernement voudra. C'est quand même un problème et c'est franchement inquiétant.

M. Jean-Marc Sauvé . - L'autorité publique peut prendre des mesures pour des motifs qui sont étrangers à ceux ayant déclenché l'état d'urgence mais en toute hypothèse il doit exister une menace pour l'ordre public, ce que contrôle le juge.

M. Jacques Toubon, Défenseur des droits

M. Philippe Bas, président . - Nous sommes heureux, monsieur le Défenseur des droits, que vous ayez accepté cette audition proposée par notre collègue Michel Mercier, rapporteur de notre mission de suivi sur l'état d'urgence.

M. Jacques Toubon, Défenseur des droits . - Merci, monsieur le président. Je suis heureux que la loi du 20 novembre 2015 ait institué un contrôle parlementaire que l'Assemblée nationale et le Sénat exercent de façon attentive et qu'au Sénat, vous l'exerciez à travers une série d'auditions. Vous allez d'ailleurs être saisis d'une proposition de loi relative à la sécurité dans les transports, sur laquelle je me suis déjà exprimé et qui s'inscrit dans le contexte actuel du renforcement des mesures de sécurité.

Je n'ai pas la prétention de répéter les propos du vice-président du Conseil d'État et du président de la section du contentieux qui sont en charge du contrôle juridictionnel de l'état d'urgence. Les informations qu'ils vous ont données sont naturellement pertinentes pour savoir ce qui se passe et ce qui s'est passé mais, surtout, elles vous permettront d'apprécier des nouvelles mesures à prendre pour combattre ce péril imminent. Il convient en effet de concilier à la fois les exigences légitimes de sécurité et la garantie du respect de l'exercice des libertés fondamentales.

Mon institution est jeune, nous n'avons aucune expérience en matière d'état d'urgence. Mais nous souhaitons être utiles. C'est pourquoi, lors de l'institution du contrôle parlementaire sur l'application de l'état d'urgence, nous avons estimé qu'il relevait de notre responsabilité de recevoir toutes les plaintes relatives aux problèmes liées à la mise en oeuvre de l'état d'urgence et de mettre à profit, pour cela, nos 400 délégués territoriaux. Nous examinons les réclamations portées devant nous en toute indépendance et impartialité. La loi organique du 29 mars 2011 nous impose d'apprécier le respect, par les personnes qui exercent des activités de sécurité, des règles légales en matière de nécessité et de proportionnalité, de non-discrimination ou encore de protection des droits de l'enfant. Nous réalisons un compte rendu hebdomadaire de nos activités avec un tableau recensant l'ensemble des informations recueillies sur l'application de l'état d'urgence que nous adressons aux parlementaires. Où en sommes-nous aujourd'hui ?

D'une manière générale, les comptes rendus relèvent des interrogations sur l'efficacité de l'état d'urgence. Celui-ci apporte-t-il plus que l'application des lois déjà existantes, par exemple, la loi relative au renseignement ou encore la loi antiterrorisme de novembre 2014 ? La question mérite d'être posée.

Sur le plan quantitatif, entre le 26 novembre 2015 et le 15 janvier 2016, nous avons reçu quarante-deux réclamations portant sur des mesures prises sur la base de l'état d'urgence dont onze pour assignation à résidence et dix-huit portant sur des perquisitions administratives. En dehors de ces réclamations portant sur des mesures prises expressément sur le fondement de l'état d'urgence, nous avons également reçu onze réclamations liées à des situations indirectement liées à l'état d'urgence : quatre refus d'accès à des lieux publics (exclusion d'une salle de cinéma, refus d'accès à un collège d'une mère voilée, refus d'accès à un commissariat pour port de voile), deux interpellations dont une suivie d'une garde à vue, deux licenciements pour port de barbe, une mise à pied disciplinaire avec signalement d'un employeur en raison du surnom inscrit sur le casier de l'employé, une suppression de carte professionnelle, un refus de délivrance de passeport, un contrôle excessif à l'aéroport, une fouille de véhicule en violation du droit à la vie privée des passagers et une interdiction de sortie du territoire.

S'agissant de la répartition géographique des réclamations, on en a relevé quinze en Île-de-France (en particulier dans les départements de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne), six en Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, cinq en Auvergne-Rhône-Alpes, quatre en Nord-Pas-de-Calais, trois en Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes et en Provence-Alpes-Côte d'Azur, deux en Alsace-Champagne-Ardennes-Lorraine, une en Picardie, en Centre-
Val de Loire, en Bretagne et en Guyane. La plupart de ces réclamations sont en cours d'instruction, sauf celles qui ont fait l'objet d'une issue favorable via une médiation qui a pris la forme soit d'une indemnisation, soit d'un aménagement des conditions d'assignation à résidence.

Sur le plan qualitatif, quelles leçons tirons-nous de l'instruction de ces réclamations et de leur nature ? En ce qui concerne les perquisitions, qui font actuellement l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel, les saisines font état d'interventions de nuit, d'un dispositif policier massif, de dégradations matérielles du domicile, de l'utilisation de menottes, de violences physiques et verbales - avec notamment des propos discriminatoires liées à la pratique de la religion musulmane - et de la présence d'enfants lors du déroulement de l'opération. Le plus souvent, ces réclamations relèvent plus d'un témoignage et ne font pas l'objet d'une demande précise, par exemple en matière d'indemnisation. Ces témoignages montrent la mise en cause de la légitimité de la mesure et la manière dont elle a été appliquée.

Sur la question des procès-verbaux et de leurs motifs, dans le cadre de l'instruction de ces réclamations, le Défenseur des droits demande aux réclamants de produire les arrêtés de perquisition avec lesquels les forces de sécurité sont arrivés. La lecture des motifs permet de relever deux types d'arguments. Soit la personne perquisitionnée est connue comme un activiste appartenant à des mouvances djihadistes, c'est-à-dire avec des soupçons fondés de terrorisme. Soit la personne qui fait l'objet d'une mesure de perquisition s'est trouvée, directement ou indirectement, à un degré non précisé en relation avec un activiste de la mouvance djihadiste. Le conditionnel est alors employé lorsqu'il est indiqué que le logement et les véhicules des personnes visées par la perquisition seraient susceptibles d'être utilisés par des activistes djihadistes. Dans ce cas, nous avons affaire à des soupçons supposés de terrorisme.

Les réclamants nous indiquent qu'à la fin d'une opération de perquisition, il leur est lu un procès-verbal mais ils n'en obtiennent pas de copie. Or ils en ont besoin pour solliciter le remboursement des frais occasionnés par la perquisition. Ainsi, la première recommandation que je vous soumets est qu'un procès-verbal indiquant les bris éventuels doit être délivré aux personnes ayant fait l'objet d'une perquisition. La personne indûment perquisitionnée à cause d'une erreur d'adresse devrait également en être bénéficiaire.

Ensuite, s'agissant des saisies informatiques effectuées au cours d'une perquisition, la loi du 20 novembre 2015, qui modifie l'article 11 de la loi de 1995, a prévu un certain nombre de dispositions qui permettent aux autorités publiques d'accéder aux données des systèmes informatiques. Les données stockées ou accessibles peuvent être copiées mais les disques ne peuvent être saisis. La circulaire du ministre de l'intérieur du 25 novembre 2015 relative aux conditions inhérentes des perquisitions administratives prévoit que « la perquisition administrative ne permet aucune saisie mais autorise que les ordinateurs ou téléphones soient consultés et permet également de procéder aux copies sur tout support. Une saisie des objets ne peut procéder que de l'ouverture d'une procédure judiciaire et être réalisée exclusivement par l'officier de police judiciaire présent. » Sur ce sujet, j'ai une nouvelle recommandation à vous faire : le recueil des données personnelles lors des saisies informatiques dématérialisées réalisées pendant les perquisitions devrait être entouré de garanties quant à la non-utilisation desdites données à d'autres fins que la lutte contre les atteintes à la sureté de l'État. Le but de la loi doit être atteint mais il ne doit pas favoriser d'autres contrôles ou investigations que celles directement demandées et permises par la loi du 20 novembre dernier.

Le Défenseur des droits, qui est également le Défenseur des enfants, est très attentif à la présence des enfants au cours des perquisitions. Quatre des réclamations dont nous avons été saisies font état de perquisitions effectuées en pleine nuit en présence d'enfants en bas âge sans qu'aucune précaution n'ait, semble-t-il, été prise à leur égard. Les réclamants dénoncent le fait que leurs enfants aient été réveillés dans leur lit, braqués avec des armes et qu'ils sont, depuis, traumatisés. Or le ministère de l'intérieur avait anticipé cette difficulté puisque la circulaire du 25 novembre 2015 rappelle fermement aux policiers et aux gendarmes qui procèdent aux perquisitions leur devoir d'exemplarité et qu'ils se doivent d'être attentifs au respect de la dignité et de la sécurité des personnes qui sont placées sous leur responsabilité. Il est essentiel d'éviter que ces interventions ne soient traumatisantes pour les enfants afin qu'eux-mêmes ne soient pas durablement perturbés et que la représentation qu'ils auront des fonctionnaires de police ou des militaires de la gendarmerie ne soient pas durablement négative et contribue plus tard à des attitudes agressives à l'égard de ces derniers.

C'est une question que nous avons déjà traitée en dehors de l'état d'urgence. Nous avons fait des recommandations dans une décision du 26 mars 2012 : nous avions préconisé qu'avant toute intervention, des informations sur la présence d'enfants, leur nombre et leur âge dans le lieu perquisitionné soient recueillies et prévoir, si possible, dans l'équipage des forces de l'ordre, un intervenant social, un psychologue ou un fonctionnaire de police ou un militaire de gendarmerie de la brigade de protection des familles. À tout le moins, une personne membre de l'équipage doit se charger plus spécifiquement de la protection du ou des mineurs. Nous avions aussi demandé que, pendant l'intervention, policiers et gendarmes ne mettent pas les menottes aux parents devant leurs enfants et que ces derniers soient pris à part sur le palier afin qu'ils n'assistent pas à l'intervention. Lorsque des membres de sécurité arborent des cagoules, il était recommandé de les enlever pour parler à un enfant. Ces recommandations sont toujours d'actualité.

Par un arrêt du 15 novembre 2013, la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la Bulgarie pour violation de l'article 3 de la convention européenne : il s'agissait d'une perquisition en présence de jeunes enfants, avec un recours excessif à la force. La Bulgarie a été en particulier sanctionnée en ce que la présence d'enfants mineurs et de l'épouse du requérant n'avait jamais été prise en compte, comme de l'état psychologiquement fragile de ses filles qui étaient âgées de cinq et sept ans. Cet arrêt a également posé la question de la motivation du choix de l'heure d'intervention, en pleine nuit. Les conditions de l'intervention ont amplifié le sentiment de peur et l'angoisse éprouvés par ces personnes et le traitement infligé a dépassé le seuil de gravité exigé pour l'application de l'article 3 de la convention.

En ce qui concerne les assignations à résidence, les réclamations concernent majoritairement les modalités d'application, la nécessité d'un allégement des mesures en raison d'une maladie, d'un handicap et d'enfants à charge : ainsi le recours devant le juge administratif de l'avocat d'un requérant qui soutenait que son assignation n'était due qu'à la dénonciation calomnieuse d'un ancien collègue de travail, a abouti au retrait de la mesure. Par ailleurs, le Défenseur des droits a été saisi du cas d'un demandeur d'emploi assigné au domicile de ses parents situé loin du lieu de pointage. Le ministère de l'intérieur a été saisi.

En ce qui concerne, et c'est important, les dommages collatéraux, les mesures prévues dans le cadre de l'état d'urgence peuvent avoir des conséquences professionnelles pour les personnes concernées. Le Défenseur des droits a été saisi de cas de licenciement pour faute lourde (port de barbe), de mise à pied disciplinaire (l'intéressé a même été prévenu par son employeur que celui-ci le signalerait au commissariat car son surnom inscrit sur son casier était le même que celui d'un terroriste).

C'est également le cas particulier des agents de sécurité. Le Défenseur a été saisi par un coordonnateur en matière de sécurité aéroportuaire du retrait par le préfet de son habilitation d'accès à la zone de sûreté d'un aéroport pour détention d'une arme de catégorie C non déclarée. Il a abouti à la convocation de l'intéressé devant le tribunal de grande instance de Toulouse, assortie d'un placement sous contrôle judiciaire. Les faits étant incompatibles avec l'accès à la zone de sûreté, le préfet a fait usage de ses pouvoirs. Second cas, celui d'un salarié d'une grande entreprise en matière de sécurité et d'incendie : retrait de sa carte professionnelle par le Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) en raison de l'établissement par l'enquête administrative, et en particulier du fichier des personnes recherchées, d'indices sérieux et concordants d'atteinte à la sécurité des personnes et des biens, de la sécurité publique, de la sûreté de l'État et contraires au devoir de probité. Son employeur l'a informé du retrait de sa carte professionnelle. Il n'a pas été fait référence à sa compétence en matière d'incendie qui n'est pas subordonnée à la détention de la carte professionnelle.

Ceci met en évidence des phénomènes de porosité, non prévus par les dispositions textuelles, entre les services de police et le CNAPS, alors que celui-ci ne peut avoir accès qu'aux faits ayant donné lieu à condamnation.

L'état d'urgence peut également avoir des conséquences sur l'accès aux lieux publics. Nous avons été saisis de différents cas : le refus d'accès à un établissement scolaire de parents d'élèves en raison de l'interdiction par le règlement intérieur de l'établissement du port de signes religieux. Mais je rappelle que cette règle ne s'applique pas aux parents d'élèves. Le Défenseur a également été saisi par des parents mécontents des modalités d'accès aux garderies. Au vu des dispositions combinées du plan Vigipirate et des dispositions du code général des collectivités territoriales, il a été considéré que le maire pouvait légalement réglementer les modalités d'accès à l'établissement dans le cadre des activités périscolaires.

S'agissant de l'indemnisation des dommages causés par ces mesures, la circulaire du 25 novembre 2015 du ministre de l'intérieur dispose que l'engagement de la responsabilité de l'État suppose une faute lourde, sous réserve de l'interprétation des juges du fond. Les dégâts matériels occasionnés par les forces de l'ordre ne devraient pas, à eux-seuls, être constitutifs d'une faute lourde dès lors que les nécessités liées au terrorisme dans le cadre de l'état d'urgence justifient leur intervention. Or ces mesures sont de plus en plus contestées. Au-delà des dégâts matériels, on ne peut non plus oublier l'humiliation ressentie par les personnes concernées et les traumatismes. Le Défenseur recommande donc de mettre en place une procédure d'indemnisation sans justification des dommages causés avec un formulaire-type.

Voilà ce que je pouvais dire des remontées auprès de nos délégués territoriaux ou de notre bureau central.

En conclusion, je considère qu'il faut mieux encadrer l'état d'urgence en posant des limites temporelles et matérielles, en exigeant un lien de causalité stricte entre les motifs des mesures de police administrative et les motifs de déclaration de l'état d'urgence. Il faut respecter le principe de nécessité et de proportionnalité. Il faut que les recours juridictionnels soient renforcés afin que le juge puisse pleinement exercer son rôle de garant de l'état de droit et des libertés fondamentales.

M. Michel Mercier, rapporteur spécial du comité de suivi de l'état d'urgence . - Je remercie le Défenseur des droits pour les informations qu'il tient en permanence à notre disposition. On voit à la lumière de ses propos plusieurs problèmes.

Sur la nécessité d'un lien de causalité entre les mesures de police et les raisons de déclaration de l'état d'urgence, la loi ne le prévoit pas, et le Conseil d'État n'a pu que le constater.

Sur l'indemnisation des personnes concernées, beaucoup de dégâts ont été occasionnés dans des appartements qui, souvent, ne sont pas très solides. J'ai bien compris la proposition du Défenseur d'instituer une indemnisation fondée sur la responsabilité sans faute à prouver ...

M. Jacques Toubon . - ... lourde.

M. Michel Mercier . - La question des enfants est aussi importante.

Ma question est toute simple : le Défenseur nous a dit que ce qui compte était de mesurer l'efficacité de l'état d'urgence par rapport à celle des procédures de droit commun. Mais il n'a pas répondu à cette question. J'aimerais qu'il y réponde.

M. Alain Richard . - Je peux faire état de mon accord complet avec trois ou quatre recommandations du Défenseur. J'ai plus d'embarras à l'écoute de l'accumulation de faits : à plusieurs moments, le Défenseur dit que ce sont les propos des réclamants ; dans un seul cas sur les quinze à vingt faits mentionnés, il dit que cela a été vérifié ; dans un cas, il prend ses distances. Dans quels cas, donc, les faits ont-ils été attestés ? Car ce sont des propos publics, ils laissent un petit malaise. Où en sont les vérifications sur ces différentes allégations ?

Sur le sujet de la mesure de contrainte, avec la capacité de la personne à présenter une menace terroriste. Dans la majorité des cas, l'enquête révèle qu'elle n'a aucun antécédent terroriste. Mais dans 95 % des cas, elle présente un antécédent de braqueur ou de dealer. Peut-on donc formuler une distinction entre ces différents cas ?

M. Yves Détraigne . - Vous êtes dans votre rôle par votre approche de ces questions mais ne va-t-on pas trop loin ? Nous sommes en situation d'état d'urgence et il faudrait, à vous écouter, prendre plus de précautions qu'en temps ordinaire. Est-ce que ce n'est pas nuire à l'efficacité des forces de police et de gendarmerie ?

Mme Catherine Tasca. - Merci M. le Défenseur des droits d'avoir illustré votre propos par des exemples concrets. J'aimerais savoir quelles sont vos méthodes de travail, si vous avez eu un contact avec les forces de l'ordre mises en cause. Quels sont vos moyens de vérifier les assertions des réclamants ? Le procès-verbal que vous proposez permettrait d'éclairer sur les conditions d'intervention mais ce n'est pas une pratique établie.

Mme Éliane Assassi . - Je m'étonne des propos tenus par certains de nos collègues car il est avéré, grâce aux associations que nous rencontrons et aux éléments qui se recoupent, que des dérives ont eu lieu à l'occasion des perquisitions et des assignations à résidence. Il y a eu des conséquences très graves : il nous a été relaté qu'une femme a fait une fausse couche lors d'une perquisition. Ces conséquences sont minoritaires fort heureusement. Je remercie M. le Défenseur des droits d'avoir rappelé les informations recueillies par les associations. Pensez-vous que les moyens législatifs sont aujourd'hui suffisants pour faire face à la lutte contre le terrorisme ?

M. Jacques Toubon, Défenseur des droits . - Sur la question de l'efficacité, je ne suis pas légitime pour en traiter. J'ai simplement observé que les comptes rendus faits par le ministère de l'intérieur et par les parlementaires montrent que cette question peut être posée. Pour ma part, je me suis demandé si les textes adoptés récemment pour lutter contre le terrorisme n'auraient pas eu la même efficacité que la loi sur l'état d'urgence. Un travail d'évaluation est indispensable.

Vous êtes d'accord, je pense, pour considérer que des mesures d'exception intrusives sont légitimes pour prévenir des actes de terrorisme. Comme je l'avais suggéré, le Gouvernement a informé le Conseil de l'Europe qu'il dérogeait, pendant l'état d'urgence, à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en vertu de son article 15.

Si nous voulons préserver nos droits fondamentaux il faut, face aux mesures de sécurité exceptionnelles, apporter des garanties elles-mêmes exceptionnelles. C'est le sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Mais si l'exception devenait habituelle par la prolongation de l'état d'urgence ou par l'adoption du projet de loi relatif à la procédure pénale, le curseur entre sécurité et liberté serait déplacé. Ma mission est alors de trouver les moyens de garantir les libertés lorsqu'on accroit le niveau d'exigence de sécurité. Nous pourrions aussi accepter une altération durable de notre niveau de droit mais c'est une décision politique qui relève de la représentation nationale.

Sur la question de la trace laissée lors des opérations des services de police ou de gendarmerie, par le biais du procès-verbal, vous savez que le Défenseur des droits milite depuis longtemps pour la traçabilité du contrôle d'identité. Dans le cadre de la proposition de loi du député Gilles Savary relative à la sécurité dans les transports publics, j'ai ainsi suggéré que l'extension des pouvoirs des agents de la SNCF et de la RATP soit accompagnée de la traçabilité des contrôles.

Comme vous le voyez, je ne parle pas de grandes questions politiques ou philosophiques mais de droits « courants »comme les droits de l'enfant, le droit à la vie privée, à l'emploi, au logement. Dans la maison de la sagesse qu'est le Sénat, je vous demande de prendre la mesure de ce travail d'ébénisterie législative nécessaire pour maintenir l'état de droit au niveau que je défends.

J'ai précisé dans mon propos liminaire avoir recueilli des témoignages pour la plupart desquels je suis en phase d'instruction, comme nous le faisons habituellement en matière de déontologie de la sécurité. Nous avons adressé des demandes aux autorités concernées par les réclamations. Dans la plupart des cas, je ne peux attester de la véracité des témoignages. C'est pourquoi j'insiste sur la nécessité d'établir un procès-verbal et de créer un formulaire de demande d'indemnisation des dommages.

La Procureure générale près la Cour d'appel de Paris, Catherine Champrenault, a cité à l'occasion de la rentrée solennelle Antoine de Saint-Exupéry:« on ne peut pas être à la fois responsable et désespéré ». Je ne suis pas désespéré car nous avons la possibilité de préserver l'état de droit par un équilibre entre exigence de sécurité et garantie des libertés.

M. Philippe Bas, président . - Notre commission est sensible à la vigueur de vos convictions et la clarté de vos propos. Notre travail de législateur doit prendre en compte ces préoccupations de recherche d'équilibre. Le contrôle parlementaire a toute son importance. La prorogation de l'état d'urgence ne pourra être votée que si le bilan est positif. Il existe en effet une tradition de défense des libertés au Sénat.

MERCREDI 2 FÉVRIER 2016

_____

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur

M. Philippe Bas , président . - Le ministre de l'intérieur a accepté de se présenter devant nous dans la perspective de l'adoption, par le conseil des ministres de demain, du projet de loi de prorogation de l'état d'urgence sur lequel notre commission délibérera demain, à la suspension de la séance du soir. Le temps nous sera compté. Heureusement, de nombreuses auditions ont déjà été menées par notre rapporteur spécial, Michel Mercier, qui conduit les travaux du comité de suivi de l'état d'urgence.

Nos collègues s'interrogent, monsieur le ministre, sur l'opportunité d'une prorogation de l'état d'urgence ; vous allez nous expliquer comment, à vos yeux, il se justifie et en quoi les mesures prises dans ce cadre sont utiles à la lutte contre le terrorisme.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur . - Le 13 novembre dernier, la France était frappée par l'acte de terrorisme le plus meurtrier de son histoire. Avec responsabilité, sans faiblir, le Président de la République, sur proposition du Premier ministre, a aussitôt décrété l'état d'urgence. Je dois dire que depuis lors, le Parlement, par-delà les divergences politiques, a hissé très haut les valeurs républicaines. Ce fut le cas au Congrès, lorsque la nation, incarnée par ses représentants, a fait bloc le 16 novembre dernier ; ce fut le cas également lorsque vous avez eu à connaître dans des délais très restreints de la loi prorogeant l'état d'urgence et réformant les dispositions de la loi du 3 avril 1955 ; ce fut le cas encore, lorsque vous avez pris le parti de contrôler la mise en oeuvre de l'état d'urgence avec une vigilance républicaine qui vous honore. Ici, à la commission des lois, vous êtes en première ligne sur ces questions.

Nous avons beaucoup échangé à Matignon et à Beauvau, dans les réunions hebdomadaires que nous organisions avec le Premier ministre et avec des parlementaires. J'aimerais rendre un hommage appuyé aux contributions de MM. Alain Richard, Jacques Mézard et Michel Mercier.

Demain, sous l'autorité du Président de la République, le conseil des ministres adoptera un projet de loi prorogeant une nouvelle fois l'état d'urgence. Le Sénat en sera saisi en tout premier lieu, vous contraignant à statuer dans un délai très restreint. En réalité, grâce au travail conduit par le comité de suivi, vous disposez d'ores et déjà d'éléments très précieux. Les contacts entre les collaborateurs de M. Mercier et les miens se sont encore accrus ces derniers jours. J'ai formulé des instructions très précises et très fermes à mes services, pour que tous les éléments vous soient transmis. Ce contrôle au jour le jour du Parlement est une démarche inédite.

J'ai, par ailleurs, pris connaissance de la proposition de loi déposée par le président Bas et le rapporteur Mercier, et tout en me gardant bien de toute ingérence dans vos débats, je tenais à vous signifier combien elle témoigne, une nouvelle fois, de votre connaissance précise et méticuleuse de ces questions.

Je voudrais d'abord dresser un bilan des mesures mises en place dans le cadre de l'état d'urgence. Depuis le 13 novembre, 3 284 perquisitions administratives ont été réalisées. Elles ont notamment permis la saisie de 560 armes, dont 208 armes longues, 163 armes de poing, 42 armes de guerre et 147 autres armes qui sont pour la plupart très dangereuses ; 392 interpellations ont eu lieu, soit près de 12% des perquisitions, entraînant 341 gardes à vue.

Au lendemain des attentats du 13 novembre, l'autorité publique a fait le choix de créer un effet de surprise - et même, dirais-je, de sidération -, d'éviter des répliques et de déstabiliser les filières. Nous y sommes manifestement parvenus.

Concernant l'usage qui a été fait des perquisitions, Michel Mercier et Jean-Jacques Urvoas m'ont interrogé sur chacun des cas ayant fait l'objet de commentaires dans la presse ; ils ont pu constater avec quel souci de précision les cibles avaient été identifiées. Néanmoins, j'ai pu constater que quelques opérations n'avaient pas été menées avec le discernement nécessaire : ainsi, une perquisition dans une ferme bio du Périgord le 24 novembre, parfaitement injustifiée, et une autre, le 17 novembre, dans une mosquée à Aubervilliers, dans des conditions qui ne me semblaient pas suffisamment respectueuses de ce lieu de culte. J'ai dit mon sentiment aux responsables concernés et donné des instructions extrêmement fermes pour que les objectifs soient toujours parfaitement pertinents et le déroulement, irréprochable. Je l'ai fait par écrit, par un télégramme daté du 25 novembre que j'ai transmis à Michel Mercier et que je tiens à votre disposition. J'ai également demandé aux directions générales de la police nationale et de la gendarmerie nationale de relayer ces consignes sur le terrain ; si bien que cette déontologie et ce professionnalisme, auxquels je tiens particulièrement, ont été éprouvés, constatés et appliqués durant ces trois mois d'état d'urgence.

Depuis plus d'un mois, nous avons affiné les objectifs. Est-ce à dire pour autant que nous n'utilisons plus les mesures de l'état d'urgence ? En aucun cas. À titre d'exemple, dans la nuit du 19 au 20 janvier dernier, 38 armes ont été recueillies et, durant la semaine dernière, 64 perquisitions administratives ont eu lieu. Ce n'est pas parce que le rythme a baissé que nous n'utilisons plus les moyens de l'état d'urgence. La fréquence d'emploi de ces mesures répond à une stratégie minutieuse : nous ne ferons pas du chiffre pour du chiffre. Nous cherchons à appliquer avec discernement les mesures de police administrative avec une seule préoccupation : celle de leur efficacité.

Au-delà des saisies, l'enjeu réside dans l'exploitation des éléments recueillis lors des perquisitions administratives. À la date du 28 janvier, 563 procédures avaient été ouvertes correspondant à 17,3 % des perquisitions.

Sur les 341 gardes à vue, 65 condamnations ont d'ores et déjà été prononcées et 54 décisions d'incarcération ont été prises, ce qui correspond respectivement à 19 % et 15,8 % des gardes à vue. Parce que vous connaissez bien ces matières, vous savez que ces taux sont absolument considérables. L'objectif principal a été de cibler les personnes en lien avec l'islam radical. Hors périmètre de la préfecture de police de Paris, 61 % des perquisitions administratives ont ciblé des personnes d'ores et déjà fichées à ce titre.

Nos opérations désorganisent les réseaux qui arment et financent le terrorisme, en particulier à travers les trafics d'armes et de stupéfiants. Les saisies d'espèces, qui s'élèvent à plus d'un million d'euros, déclenchent l'ouverture d'enquêtes administratives par les services du ministère de l'économie et des finances sur la provenance de ces avoirs. Il ne fait pas de doute que les données numériques saisies, en cours d'exploitation, déboucheront également sur de nouvelles incriminations.

Ces éléments sont encore très loin d'être exhaustifs : les données numériques ne sont pas encore toutes exploitées, les renseignements sont en cours de recoupement ; des rebonds sont à prévoir dans des procédures existantes.

Parce que nous souhaitons inscrire notre action dans le cadre scrupuleux du droit, et préserver tant les garanties dues aux personnes mises en cause que la sécurité juridique des procédures, nous avons donné des directives très précises dès le lendemain des attentats afin d'associer pleinement l'autorité judiciaire, à travers les procureurs de la République, aux opérations de perquisition administrative, et ce en parfait accord avec le ministère de la justice. Michel Mercier, qui a pu décortiquer les dispositifs mis en oeuvre par les services du ministère de l'intérieur, vous dira lui-même en quoi cette coopération a pu renforcer l'efficacité des services de l'État durant cette période.

Les assignations à résidence doivent être abordées sous le prisme du contrôle juridictionnel qu'elles ont engendré. Dans le cadre de l'état d'urgence, ce contrôle est exercé à titre principal par le juge administratif. Certains n'ont pas manqué de s'étonner de l'absence du juge judiciaire, y voyant une mise à l'écart. C'est faire litière des principes généraux du droit, qui veulent que le juge administratif soit compétent pour contrôler la légalité des mesures de police administrative - au demeurant, il a eu l'occasion, historiquement, de démontrer qu'il n'était pas moins indépendant que le juge judiciaire. Les plus prompts à dénoncer l'absence de ce dernier ont été les plus prompts à se féliciter de l'annulation de certaines assignations à résidence par le juge administratif : c'est donc qu'il y a un juge !

Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'assignation à résidence, le Conseil constitutionnel a, dans sa décision du 22 décembre 2015, déclaré les dispositions relatives à l'assignation à résidence résultant de la loi du 20 novembre 2015 conformes à la Constitution, et a réaffirmé la compétence du juge administratif, l'assignation à résidence n'étant pas constitutive d'une privation de liberté au sens de l'article 66 de la Constitution. Le contrôle exercé par le juge administratif est donc considéré comme substantiel. L'intervention du juge administratif, sa capacité à remettre en cause des décisions de l'autorité administrative, la décision du Conseil constitutionnel constituent donc autant d'éléments objectifs qui ne sont pas le résultat de la réflexion du Gouvernement mais qui témoignent de la rigueur du raisonnement qui a été le sien quant au recours juridictionnel dans le cadre de la mise en oeuvre de mesures de l'état d'urgence. Ils témoignent également de la parfaite constitutionnalité de ce que le Parlement a voté sur proposition du Gouvernement.

Ainsi, 392 assignations ont été prononcées depuis le début de l'état d'urgence. 27 de ces assignations à résidence, qui concernaient des personnes susceptibles de constituer une menace pour l'ordre et la sécurité publics durant la Conférence internationale sur le climat, ont été levées à l'issue de la COP 21, c'est-à-dire le 12 décembre. L'administration a elle-même abrogé 26 assignations lorsque le doute sur la dangerosité des intéressés a été levé : elle ne fait pas preuve de rigidité dans la gestion des mesures qu'elle prend.

Enfin, 118 référés liberté ont été soumis à la juridiction administrative et 10 suspensions ont été prononcées, traduisant tout à la fois le sérieux des procédures engagées par le ministère de l'intérieur et l'absence de faiblesse de la part de la juridiction administrative. Par ailleurs, 83 recours en plein contentieux ont été introduits, une seule annulation a été prononcée. Les suspensions et cette annulation ne concernent pas des personnes assignées dans le cadre de la COP 21, qui n'étaient pas des militants écologistes mais des individus violents ; il a ainsi été jugé que ces assignations ne méconnaissaient pas le principe de proportionnalité, puisqu'elles ciblaient des individus présentant un risque pour l'ordre public dans le contexte qui prévalait.

Aujourd'hui, 331 assignations à résidence sont toujours en vigueur, dont 83 % s'appliquent à des individus déjà fichés au titre de l'islam radical. À la suspension de l'état d'urgence, leur assignation tombera, même si à terme, des suites judiciaires et administratives dans le droit commun pourraient être envisagées. Le Gouvernement assume parfaitement ces mesures.

De même, les interdictions de manifester décidées par les préfets jusqu'au 12 décembre 2015 étaient pleinement justifiées par l'impossibilité dans laquelle s'est trouvé le Gouvernement de garantir le maintien de l'ordre public, alors que nos forces étaient tout entières mobilisées pour garantir la sécurité des Français et le bon déroulement de la COP 21, sur la voie publique, dans les transports en commun, devant les lieux sensibles et à nos frontières.

Les mouvements sociaux qu'a connus le pays ces dernières semaines, qu'ils émanent des chauffeurs de taxi ou du monde agricole, témoignent que le droit de manifester dans le cadre de l'état d'urgence demeure la règle, quand bien même des débordements sont à craindre. L'interdiction demeure l'exception. On m'a demandé pourquoi je n'interdisais pas ces manifestations : tout simplement parce que nous sommes dans un État de droit. Si l'on veut que l'état d'urgence protège contre le terrorisme, nous devons nous montrer irréprochables dans son application, sur le respect des libertés publiques.

J'ajoute que 45 mosquées, certaines clandestines, et lieux de culte ont fait l'objet d'une perquisition administrative ; 10 ont été fermées. Dans ces lieux, des prêches qui n'avaient rien à voir avec le culte musulman propageaient une vision de l'islam incompatible avec les valeurs de la République, encourageant ou légitimant des actes constitutifs d'une menace sérieuse pour l'ordre et la sécurité publics.

Je voudrais illustrer ce propos par deux exemples : la mosquée de l'Arbresle dans le Rhône et celle de Lagny en Seine-et-Marne. La seconde a fait l'objet d'une dissolution, la toute première, par l'adoption de trois décrets en conseil des ministres prononçant la dissolution des associations qui constituaient les personnes morales sur lesquelles reposait la mosquée. Plutôt que d'utiliser l'article 6-1 de la loi du 3 avril 1955 pour procéder à cette dissolution, nous nous en sommes tenus à l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, dans le cadre d'une procédure contradictoire. Mes consignes sont très claires : le recours aux mesures de l'état d'urgence doit être une nécessité et certainement pas un confort ; lorsque nous pouvons opter pour le droit commun plutôt que pour les mesures de l'état d'urgence, nous l'utilisons. Vous noterez qu'à l'occasion des perquisitions réalisées dans cette mosquée, et lorsque nous avons commencé à envisager cette dissolution, de nombreux commentaires avaient été faits, y compris d'élus locaux. Depuis que cette dissolution, accompagnée des éléments de justification, est intervenue, les protestations se sont tues. On constate ainsi qu'il y a autour des mesures de l'état d'urgence un certain « bruit » organisé par des individus qui réalisent que l'état d'urgence fait obstacle à la poursuite de leur oeuvre sectaire d'endoctrinement.

Je veux indiquer que nous continuons à bloquer des sites internet qui se livrent à l'apologie ou à la provocation au terrorisme sans avoir recours à la loi du 20 novembre 2015 qui nous autorise pourtant à le faire, mais en application de la loi du 13 novembre 2014 ; en effet, nous estimons que l'efficacité et les garanties du droit commun sont suffisantes.

Le renseignement est la clé de cette nouvelle phase de l'état d'urgence, où la coopération entre le renseignement territorial et la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) se déploie avec force. Depuis le 13 novembre, 1 492 nouveaux signalements ont été inscrits aux fichiers gérés par les services de renseignement. Plus de 10 000 mises à jour de ces fichiers ont eu lieu, dont 1 020 actualisations la semaine passée, ce qui est considérable. C'est la preuve que nous sommes entrés dans une nouvelle phase. Les mesures que nous avons mises en oeuvre n'ont pas encore révélé toute leur vérité ; c'est à l'aune de cet intérêt stratégique qu'il faut examiner la question de la prorogation de l'état d'urgence.

Au-delà de la stratégie très fine de renseignement, de déstabilisation, de judiciarisation que nous mettons en oeuvre, l'état d'urgence s'apprécie, conformément au texte qui le fonde, à l'aune d'un « péril imminent ». Plusieurs mois après les actes terroristes du 13 novembre, ce péril qui menace la France ne s'est pas estompé, bien au contraire, il s'est amplifié.

Depuis le 13 novembre, des attentats, même de moindre ampleur, se sont répétés, en France et à l'étranger, visant nos intérêts et nos ressortissants ainsi que des alliés directs de la France, au nom d'organisations terroristes telles que Daesh ou Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).

À la fin de l'année 2015, plusieurs attentats ont été déjoués en Belgique et en Allemagne. De même, au mois de décembre, deux projets terroristes en gestation sur le territoire national ont été déjoués, le premier émanant d'un individu résidant à Tours et le second, de deux personnes de la région orléanaise qui cherchaient à se procurer des armes avec le projet d'attaquer des représentants de la force publique.

Le 24 décembre 2015, un couple demeurant à Montpellier a été mis en examen des chefs d'association de malfaiteurs en vue de la commission d'actes de terrorisme et financement du terrorisme, et écroué. De la documentation djihadiste et un faux ventre de femme enceinte qui aurait pu servir à dissimuler des objets, recouvert d'une couche d'aluminium, ont notamment été saisis à leur domicile. Le 7 janvier 2016, un individu apparemment porteur d'un engin explosif, qui s'est avéré factice, et d'un document de revendication au nom de l'organisation terroriste Daesh a été abattu par des policiers en faction devant le commissariat du XVIII e arrondissement de Paris alors qu'il les menaçait avec une arme blanche. Le 11 janvier, à Marseille, un mineur a blessé à l'arme blanche un professeur de confession juive devant l'Institut franco-hébraïque de la Source, avant de revendiquer son action au nom de l'organisation Daesh.

Ces dernières semaines, les organisations terroristes ont démontré leur capacité à frapper partout dans le monde et à viser là où se trouvaient des ressortissants français et européens. Le 20 novembre 2015, deux terroristes attaquaient l'hôtel Radisson Blu de Bamako, au Mali, essentiellement fréquenté par des occidentaux, et abattaient vingt otages avant d'être neutralisés. Le groupe djihadiste Al-Mourabitoune de l'Algérien Mokhtar Belmokhtar a revendiqué la prise d'otages.

Le 12 janvier 2016, un attentat suicide perpétré à Istanbul et visant des touristes allemands causait la mort de dix d'entre eux et blessait dix-sept autres personnes. Le 15 janvier, un triple attentat était perpétré à Ouagadougou, au Burkina Faso, visant un hôtel et des établissements connus pour être fréquentés par des expatriés, causant la mort de trente personnes, dont trois ressortissants français.

La menace terroriste demeure donc à un niveau très élevé, portée soit par des individus isolés et radicalisés, sensibles aux messages d'incitation au passage à l'acte qui leur sont adressés, soit par des organisations terroristes dont la force de frappe, en France ou à l'étranger contre les intérêts ou ressortissants français, est indiscutable.

Ainsi, début 2016, environ six cents Français étaient présents en zone irako-syrienne, susceptibles de revenir sur le territoire national pour y perpétrer des actions violentes commanditées par Daesh. Pour la seule année 2015, 329 nouvelles arrivées sur zone en provenance de notre territoire ont été enregistrées. Le nombre de personnes n'ayant pas encore mis leur projet à exécution est passé de 295 fin 2014 à 723 fin 2015. De même, de nombreux candidats à la lutte armée, empêchés de quitter le territoire national pour des raisons administratives ou matérielles, sont susceptibles de passer à l'acte, de manière isolée ou pilotée depuis la Syrie.

C'est pourquoi le fait qu'aucun nouvel acte grave d'une ampleur comparable à celle des attentats commis le 13 novembre 2015 ne soit survenu depuis cette date ne saurait laisser penser que le péril imminent a cessé. Au contraire, dans sa propagande diffusée sur internet après les attentats de Paris, l'organisation terroriste Daesh a réitéré ses appels à l'action terroriste violente et meurtrière contre la France, en ciblant divers services publics, en plus de tous les objectifs potentiels déjà cités dans ses communications précédentes.

En raison de notre détermination à éradiquer le terrorisme, en raison de notre engagement dans des opérations militaires extérieures de grande envergure visant à frapper les bases des groupements terroristes, en raison de notre volonté de porter haut et fièrement les valeurs qui sont les nôtres, nous sommes devenus une cible privilégiée aux yeux des organisations criminelles opérant au Proche-Orient, au Sahel, et à présent en Libye. Dans ce combat - que nous remporterons - nous ne pouvons nous permettre la moindre approximation. Si la guerre est totale, elle doit être menée à chaque instant.

Pour toutes ces raisons, le Président de la République a pris la décision de vous soumettre une nouvelle loi de prolongation de l'état d'urgence.

Le contrôle parlementaire, inscrit dans son principe dans la loi du 3 avril 1955, n'a jamais été aussi rigoureux. J'ai immédiatement signifié à Michel Mercier, ainsi qu'à Jean-Jacques Urvoas pour l'Assemblée nationale, ma détermination à tout mettre en oeuvre pour garantir un contrôle inédit allant même au-delà de celui qu'exerce une commission d'enquête parlementaire. Mon ministère sera toujours à votre disposition pour vous transmettre l'ensemble des éléments pertinents. L'état d'urgence ne signifie pas davantage de pouvoirs et davantage d'opacité, mais davantage de transparence pour plus d'efficacité ; voilà ma conception de l'État de droit, et si vous nous renouvelez votre confiance pour prolonger l'état d'urgence, compte tenu du danger qui nous menace, c'est dans cet esprit que les services placés sous ma responsabilité exerceront leur mission.

M. Philippe Bas , président . - Merci de cet exposé complet et intéressant, qui me donne l'occasion de saluer le dialogue de qualité qui s'est noué entre les services du Gouvernement et notre commission.

D'une certaine façon, nous pourrions avoir une préférence pour un système, sous le contrôle du Parlement, d'état d'urgence temporaire, par rapport à une législation permanente qui restreindrait les libertés publiques durablement, pour faciliter la lutte contre le terrorisme. Vous n'avez pas à nous convaincre que le péril qui avait justifié la déclaration d'état d'urgence est toujours là ; mais quand pouvons-nous espérer qu'il ne le sera plus ? Il ne suffit pas que le péril demeure pour reconduire indéfiniment l'état d'urgence : il faut aussi démontrer que les mesures administratives prises dans ce cadre sont réellement utiles à la lutte contre le terrorisme. Or si ces mesures étaient principalement ciblées sur des personnes fichées au titre de l'islamisme radical, les poursuites judiciaires ont surtout concerné des délinquants ordinaires. Je comprends que ces faits de délinquance peuvent être reliés à la préparation d'actions terroristes. Mais c'est une question que nous nous posons : le filet qui a été jeté n'a-t-il permis d'attraper que des faits de délinquance ordinaire ? Il est très important pour nous de bien comprendre en quoi la lutte contre le terrorisme a réellement progressé avec la mise en oeuvre de l'état d'urgence. Le filet mis en place n'a-t-il permis de remonter que du menu fretin ?

Vous avez également dit que la mise en oeuvre de l'état d'urgence ne posait aucune difficulté constitutionnelle, en particulier les assignations à résidence. Ce point n'est pas anodin au moment où le Parlement est saisi d'un projet de révision constitutionnelle qui, certes, ne porte pas exclusivement sur l'état d'urgence. J'aimerais cependant comprendre ce qui vous manque dans la Constitution pour sécuriser les mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence ?

Enfin, notre souci est de relier l'ensemble des mesures prises à l'efficacité de la lutte contre le terrorisme, qui est un impératif majeur. Nous nous devons, en tant que représentants de la Nation, de démontrer à nos concitoyens l'utilité de l'état d'urgence. En suivant la mise en oeuvre des mesures dans leur continuité, le Parlement apporte la garantie qu'aucun abus ne sera commis dans ce cadre.

M. Michel Mercier , rapporteur spécial du comité de suivi de l'état d'urgence . - Je vous donne acte de la parfaite collaboration entre nos services et les vôtres, ainsi que de votre disponibilité. Notre comité a entendu le préfet de police de Paris, le préfet de Seine-Saint-Denis, les directeurs des services de renseignement et de la police. Tous nous ont expliqué clairement ce qu'ils étaient en mesure de faire dans le cadre de l'état d'urgence.

Mais nous ne pouvons rester indéfiniment sous ce régime : les terroristes auraient alors gagné. Le président de la République et le Gouvernement s'apprêtent à nous demander de proroger une nouvelle fois l'état d'urgence, mais il faudra revenir un jour au droit commun. Tel est l'objet de la proposition de loi que nous allons examiner cet après-midi en séance publique : faciliter le retour aux procédures de droit commun en armant le juge judiciaire pour la lutte anti-terroriste.

Pouvez-vous définir la notion de péril imminent ? Le Conseil d'État a développé une jurisprudence, mais sans apporter de définition claire ; or c'est indispensable.

Il est vrai que le juge administratif, comme vous le dites, a efficacement contrôlé les mesures prises dans ce cadre ; reste qu'il intervient seulement a posteriori . Là est la principale différence avec un régime de droit commun : le juge judiciaire ordonne, le juge administratif contrôle. Oui, le juge administratif a exercé son contrôle, en particulier sur les assignations à résidence ; la décision, la semaine dernière, du juge des référés du Conseil d'État de suspendre une assignation en témoigne. Le juge administratif est, lui aussi, un juge des libertés publiques.

À l'occasion de la mise en oeuvre de l'état d'urgence, le juge administratif a fait apparaître un nouveau concept, expliquant que la condition d'urgence est toujours présumée pour les atteintes graves à la liberté individuelle que sont les assignations à résidence : il a parlé, à cette occasion, de droit à l'audience. Le Gouvernement compte-t-il l'inscrire dans la loi ? Dans le cas contraire, des parlementaires pourraient le faire.

Je voudrais enfin aborder la question du contrôle des perquisitions administratives : les procédures d'urgence en matière de perquisitions sont inopérantes car, par définition, quand le juge est saisi, la perquisition est achevée et il n'y a plus lieu de suspendre la mesure. La perquisition ne peut donc être contrôlée que par la voie du plein contentieux, ce qui met en jeu la responsabilité de l'État, notamment en matière d'exécution de la perquisition. Je pense qu'il y a là un problème.

M. Pierre-Yves Collombat . - Vous avez évoqué l'effet de surprise engendré par l'état d'urgence au bénéfice des forces de l'ordre ; mais jusqu'à quand jouera-t-il ? Vous avez également utilisé l'expression de « guerre totale » ; c'est bien le cas, mais alors elle ne sera pas menée par des moyens exclusivement policiers, voire militaires. C'est aussi un combat idéologique. De ce point de vue, les basculements violents, souvent inattendus, de certains jeunes gens répondent à un vide. Depuis janvier 2015, nous sommes confrontés à la réalité du terrorisme. Qu'a fait le Gouvernement dans le domaine du combat des valeurs ?

M. Jacques Mézard . - Nous ne mettons pas en cause l'action personnelle que vous menez ; mais vous n'avez évoqué que l'un des deux piliers de l'état d'urgence. Le premier est de rassurer l'opinion publique ; mais dans ce cas peut-on rester durablement sous ce régime ? Le second est l'efficacité ; et dans ce domaine, quelles sont les mesures techniques indispensables aux services chargés de notre sécurité ? Nous ne pouvons rester dans l'urgence de manière durable - comme l'a dit Michel Mercier, ce serait une victoire des terroristes. Malgré tout le bien que vous dites du contrôle administratif, il s'exerce a posteriori . On ne peut éluder les réactions qu'ont exprimées des juges judiciaires récemment, comme lors de la rentrée solennelle de la Cour de cassation.

Pour sortir de l'état d'urgence, nous dit-on, il faut légiférer pour renforcer l'action de nos services de police. Mais il est à craindre que nous ayons les deux simultanément ! La majorité sénatoriale a déposé un texte, le Gouvernement un autre... Serait-il envisageable, sur un sujet pareil, d'avoir une politique concertée ? Sinon ce sera une course à la mer, dangereuse pour les libertés individuelles.

M. Jean-Pierre Sueur . - Très bien. Je suis d'accord !

Mme Catherine Tasca . - Monsieur le ministre, certaines mesures ont été prises, avez-vous dit, sur le fondement du droit commun et non du régime de l'état d'urgence. À quel moment peut-on dire, dès lors, que celui-ci s'impose car celui-là ne suffit plus ?

Avez-vous des informations relatives aux menaces dont les établissements d'enseignement ont fait l'objet ? Leur origine est-elle connue ?

M. René Vandierendonck . - Je veux saluer votre engagement avec la plus grande sincérité, monsieur le ministre, ainsi que vos qualités humaines et pédagogiques.

Roger-Gérard Schwartzenberg, président du groupe radical à l'Assemblée nationale, a rappelé le temps qu'avait duré jadis l'application de l'état d'urgence... Le rôle de l'autorité judiciaire gardienne des libertés individuelles est fréquemment rappelé, mais n'oublions pas que le juge administratif - je pense bien sûr à l'arrêt Canal du Conseil d'État - peut aussi s'affranchir de toute dépendance à l'égard des pouvoirs publics, président de la République inclus, pour faire triompher le droit.

La vraie question est celle des justifications de l'état d'urgence ; l'ancien président de la commission des lois de l'Assemblée nationale Jean-Jacques Urvoas a avancé dans la presse l'hypothèse d'un essoufflement... Si ce n'est pas le cas, Michel Mercier a raison, il faut proroger l'état d'urgence, mais en recentrant les mesures prises sur la lutte contre le terrorisme et en précisant le contrôle du juge.

Sur la saisine du juge a priori ou a posteriori , voyez la jungle de Calais : aucun juge judiciaire n'a jamais réussi à améliorer l'accueil des réfugiés ; il a fallu que le juge administratif enjoigne à l'Etat de prendre les mesures qui s'imposaient.

Autre problème : l'absence de terme fixé à l'état d'urgence, qui a sans doute contribué à l'emballement médiatique.

M. Philippe Bas , président . - Avez-vous vraiment besoin de tout l'arsenal offert par l'état d'urgence ? Toutes les mesures ne sont pas utilisées, ni même, certainement, nécessaires.

M. René Vandierendonck . - D'où l'intérêt de le constitutionnaliser. À défaut, tout législateur réunissant une majorité de fortune pourrait en faire ce qu'il veut...

M. Christian Favier . - Nous ne sous-estimons pas la menace et nous n'avons pas d'états d'âme à soutenir la lutte implacable contre les réseaux terroristes. Mais l'effet de surprise qui rendait les premières mesures efficaces ne s'est-il pas dissipé ? Il n'est en outre pas démontré que les actes individuels - certes à caractère terroriste - que vous avez cités soient liés à des réseaux terroristes ; ils peuvent aussi bien s'inscrire dans un climat général amené à perdurer. On y sera toujours confronté : faudra-t-il donc toujours proroger l'état d'urgence.

Que pensez-vous des préconisations du Défenseur des droits Jacques Toubon relatives aux perquisitions menées dans les foyers, sous les yeux des enfants ?

Les moyens déployés pour la sécurisation des lieux publics pourront-ils être maintenus ? Les collectivités territoriales ont été fortement sollicitées à cette fin ; mon département a ainsi dépensé 500 000 euros en 2015, et déjà 120 000 euros en janvier 2016. Compte tenu de la baisse des dotations de l'État, nous ne pourrons continuer très longtemps à dépenser 30 000 euros par semaine... L'État envisage-t-il d'en prendre une partie en charge ?

M. Alain Marc . - Des instructions ont-elles été données aux préfets pour décliner les mesures prises  dans les départements - en matière de protection des écoles par exemple ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre . - Veillons, sur ce sujet difficile, à éviter toute posture et à faire preuve de responsabilité collective. Que dirait-on, qu'entendrait-on si un attentat était perpétré deux jours après la décision de mettre fin de l'état d'urgence ? Ne dirait-on pas que cela aurait été une erreur d'y mettre un terme ?

M. Pierre-Yves Collombat . - Ce n'est pas un argument !

M. Bernard Cazeneuve, ministre . - Je ne reprends pas ce raisonnement à mon compte, mais la nature du débat public dans notre pays me laisse penser que la question serait posée de la sorte dans de telles circonstances, et que les Français s'interrogeraient sur la résilience de notre société face aux risques. En toute hypothèse, ce débat peut être ouvert - je le referme, pour l'heure, car ce n'est pas la raison qui nous conduit à demander la prorogation de l'état d'urgence.

Nous disposons d'éléments objectifs : en 2015, 18 filières de recrutement djihadiste ont été démantelées et 11 attentats déjoués, dont 8 au cours des derniers mois de l'année, et nombre de ces projets étaient commandités par les mêmes personnes que les attentats de novembre. Je rappelle que ni l'artificier, ni le coordinateur des attentats de Paris, ni Salah Abdeslam ni Mohamed Abrini n'ayant été arrêtés, ils peuvent frapper de nouveau. Nous arrêtons tous les jours des personnes, non sur de simples soupçons, mais sur la base d'éléments autorisant leur défèrement et leur incarcération après leur garde à vue. Bref nous avons encore besoin de pouvoir prendre des mesures prévenant la commission de nouveaux actes terroristes. Je suis surpris de constater qu'après les 130 morts de novembre, l'état d'urgence - que nous utilisons avec discernement et dont je souhaite comme vous un contrôle parlementaire accru - soit regardé comme un danger plus grand pour nos libertés que la menace terroriste elle-même... Sur la base de l'avis rendu par le Conseil d'État et des éléments objectifs que j'ai fournis, chacun prendra ses responsabilités.

Une révision constitutionnelle est-elle nécessaire ? D'abord, le Conseil d'État a approuvé le texte, sans disjoindre les dispositions relatives à l'état d'urgence. Ensuite, le Conseil constitutionnel n'a pas statué sur la totalité des mesures prises sur le fondement de l'état d'urgence, seulement sur une partie d'entre elles. Enfin, on ne saurait dénoncer le danger que constituerait l'état d'urgence pour les libertés publiques et refuser simultanément son encadrement par l'inscription dans la Constitution de principes incontestables.

Le Conseil d'État s'est donc prononcé en faveur de la nécessité d'une telle révision et le Gouvernement a décidé de suivre cet avis.

M. Mercier m'interroge sur le péril imminent. Je vous ai donnés des précisions sur les circonstances. J'ajoute que lorsque le Conseil d'État s'est prononcé sur la prorogation de l'état d'urgence, il a apprécié ce qu'était le contexte et par conséquent l'imminence du péril. Vous me demandez ensuite si je suis favorable à inscrire dans la loi le fait que la personne assignée à résidence puisse se rendre lui-même devant la juridiction administrative. Il y a déjà une pratique mise en place : les personnes assignées souhaitant assister à l'audience demandent, ce qui leur est généralement accordé, à bénéficier d'une « sauf-conduit » pour venir s'exprimer devant la juridiction administrative.

Dès lors, la consécration dans la loi d'une pratique ne me semble pas problématique. Plus on mobilise de mesures préventives, plus les garanties doivent être importantes.

Je comprends mal les termes du débat sur le contrôle juridictionnel a priori ou a posteriori . « Les services sont intervenus et n'ont rien trouvé », me dit-on souvent. C'est que la police administrative a précisément pour objet de prévenir la commission d'une infraction, de lever un doute, pour ainsi dire. Si la commission de l'infraction était certaine, si l'on savait à l'avance que des armes de poing, des armes lourdes ou des vidéos appelant au djihad se trouvaient dans l'appartement perquisitionné, c'est la justice qui serait saisie... De plus, dans la plupart des cas, le préfet agit en étroite collaboration avec le procureur de la République, parce que la protection de l'ordre public va également dans le sens de leur intérêt, et parce que cela facilite, le cas échéant, la judiciarisation des affaires. Certes, le contrôle juridictionnel est postérieur mais si le juge judiciaire contrôlait les actes de l'administration, le principe de séparation des pouvoirs serait méconnu. Je ne vois rien dans la pratique qui contrevienne à quelque principe général du droit que ce soit, contrairement à ce que l'on peut lire à longueur de colonnes...

M. Michel Mercier , rapporteur spécial du comité de suivi de l'état d'urgence . - Ce n'est pas ce que je dis !

M. Bernard Cazeneuve, ministre . - Je le sais que ce n'est pas ce que vous dites mais votre question me permet d'apporter une précision. Monsieur Collombat, nous avons en effet pris de nombreuses mesures dès le déclenchement de l'état d'urgence pour profiter de l'effet de surprise. Mais le passage du temps ne les rend pas inefficaces pour autant, car les informations obtenues suscitent de nouvelles perquisitions, et les services de renseignement prennent le relais. Les réseaux terroristes s'adaptent, à nous d'en faire autant.

Il est vrai que l'état d'urgence ne suffira pas pour remporter la guerre totale contre le terrorisme. C'est pourquoi le Gouvernement a renforcé les effectifs et les moyens budgétaires du renseignement territorial, du renseignement intérieur et de la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris ; nous avons en outre complété notre arsenal juridique par la loi du 13 novembre 2014 et par celle du 24 juillet 2015, dont la majorité des textes d'application ont été pris, rendant les nouvelles techniques mobilisables ; créé une plateforme de signalement des personnes radicalisées et un dispositif de prise en charge de ces personnes au moyen d'une circulaire cosignée en avril 2014 avec la garde des sceaux ; déployé grâce au centre interministériel de prévention de la délinquance des équipes mobiles de formation des fonctionnaires - 4 000 en ont bénéficié à ce jour. C'est aussi pourquoi je me bats au niveau européen, comme lors de la dernière réunion des ministres de l'intérieur européen à Amsterdam, pour renforcer les contrôles aux frontières extérieures, systématiser le recours au système d'information Schengen (SIS), homogénéiser son alimentation par les divers pays, le connecter aux fichiers criminels des personnes recherchées, utiliser la banque de données Eurodac à des fins de sécurité, mettre en place une plateforme de lutte contre les faux documents, etc.

Je partage l'approche de Jacques Mézard sur le rôle protecteur des libertés individuelles dévolu au juge judiciaire. Je voudrais vous convaincre que ce n'est pas parce que l'on exerce la fonction de ministre de l'intérieur que l'on n'est pas soucieux des libertés. Les décrets et circulaires que j'ai pris, que j'ai transmis au rapporteur, sont venus encadrer les modalités de mise en oeuvre de ces mesures de police administrative, et je souhaite que le contrôle parlementaire que vous exercerez les améliore.

Les établissements d'enseignement sont clairement ciblés par Daesh. Pour assurer une protection en garde statique des 80 000 établissements que compte notre territoire, 320 000 policiers seraient nécessaires, soit davantage que les effectifs totaux de mon ministère... Nos forces de sécurité assurent par conséquent des gardes dynamiques dans le cadre du plan Sentinelle, et nous formons les chefs d'établissement aux mesures de précaution et de confinement - j'ai constaté leur efficacité lors d'un déplacement en Dordogne. Des alertes sont venues des États-Unis, nous procédons à des investigations, mais l'utilisation d'adresses « IP écrans » rend l'identification difficile.

Monsieur Vandierendonck, dans l'affaire de la « jungle » de Calais, les mesures que le juge des référés a enjoint à l'administration de prendre sont celles que je venais de présenter aux associations, lesquelles ont tout de même formé un recours. C'est agaçant, mais cela fait partie de la vie...

Monsieur Favier, si vous avez connaissance d'une manifestation à caractère social qui a été interdite, dites-moi laquelle ! Même après les débordements observés en marge de la COP 21, et malgré les critiques qui m'ont été adressées, j'ai refusé d'interdire une manifestation organisée par des ONG, qui s'est heureusement bien déroulée. Les polémiques naissent plus souvent de mon refus de faire obstacle à de tels rassemblements. Je n'ai pas interdit la manifestation des migrants de Calais, décision que le juge aurait de toute façon annulée, car l'autorité de l'État tient aussi à la qualité juridique de ses décisions. Un député de Paris m'a jugé incompétent au motif que j'ai refusé d'interdire la manifestation des chauffeurs de taxi à Paris ; j'aurais pourtant, là aussi, été désavoué par le juge administratif. Je décèle pour ma part derrière les reproches contradictoires qui me sont adressés la preuve du discernement qui caractérise notre action.

J'ai donné des instructions aux préfets pour qu'ils réunissent les maires une fois par mois, et demandé la communication des comptes rendus de ces réunions. Je veillerai à ce qu'elles aient lieu ; si ce n'est pas le cas dans votre département, faites-le moi savoir.

M. Philippe Bas , président . - Chacun aura apprécié la finesse de votre dialectique juridique, monsieur le ministre. La question que vous avez soulevée en introduction se posera seulement le jour où l'état d'urgence sera levé... Vous avez par conséquent bien fait de de refermer tout de suite ce débat.

M. Bernard Cazeneuve, ministre . - La lutte antiterroriste montrant à mesure que le temps passe son extrême complexité, et appelant à toujours plus de vérité et de rigueur, j'ai bon espoir que les vaines polémiques cessent.

M. Philippe Bas , président . - Polémiques que nous avons évitées ce matin. Monsieur le ministre, merci.

ANNEXE 5 - COMMUNICATIONS DE M. MICHEL MERCIER, RAPPORTEUR SPÉCIAL DU COMITÉ DE SUIVI DE L'ÉTAT D'URGENCE

MERCREDI 16 DÉCEMBRE 2015

M. Philippe Bas , président . - L'ordre du jour appelle une communication de notre rapporteur spécial Michel Mercier sur le suivi de l'état d'urgence - après que le comité de suivi s'est réuni ce matin.

M. Michel Mercier , rapporteur spécial . - Dans notre contrôle de la mise en oeuvre de l'état d'urgence, nous n'avons pas, comme les juges administratifs doivent le faire, à traiter de cas individuels, mais à vérifier que les mesures de police administrative spéciale mises en oeuvre par l'exécutif sont proportionnées et ne donnent lieu à aucune dérive. Le comité de suivi devrait éclairer notre commission dans le cas où le Gouvernement demanderait au Parlement une deuxième prorogation de l'état d'urgence, ainsi que sur une évolution éventuelle de nos règles constitutionnelles.

Le Gouvernement joue parfaitement le jeu en nous communiquant, chaque jour, les statistiques des mesures administratives venant du ministère de l'intérieur : ainsi, 2 721 perquisitions administratives ont été effectuées et 361 assignations à résidence ont été prononcées. Au-delà de ces chiffres, les ministres répondent aussi à nos demandes qualitatives - j'ai écrit deux fois déjà au ministre de l'intérieur.

Le ministre m'a répondu que l'assignation à résidence consistait généralement à rester chez soi huit à dix heures par nuit et à se présenter deux à trois fois par jour au commissariat de police ou à la brigade de gendarmerie. Aucune assignation n'a été assortie d'une interdiction d'entrer en relation avec une personne déterminée, ni d'une remise de document d'identité ; personne non plus n'a été placé sous surveillance électronique mobile.

La garde des sceaux, hier soir, nous a informé que, sur 2 417 perquisitions administratives, 488 ont donné lieu à des procédures judiciaires, dont 187 pour infraction à la législation sur les armes, 167 pour infraction à celle sur les stupéfiants et 134 pour d'autres infractions. Bon nombre de ces perquisitions visent à fournir des renseignements, difficilement quantifiables. À ma connaissance, aucune information judiciaire, ensuite, n'a été ouverte pour terrorisme : c'est un point tout à fait important.

Dans ces conditions, les décisions du Conseil d'État intervenues vendredi dernier et celle à venir du Conseil constitutionnel, prennent un relief considérable. Le Conseil d'État, comme toujours avec subtilité et habileté, a élargi l'accès au référé-liberté tout en en restreignant le champ
- une technique fréquente qu'il a inaugurée en 1872... Il a estimé, d'abord, que l'état d'urgence justifie à lui seul le référé-liberté : c'est en élargir l'accès car, jusqu'à présent, il fallait une double condition d'urgence et d'illégalité manifeste. Sur le fond, ensuite, le Conseil d'Etat a considéré qu'il n'était pas nécessaire qu'il y ait un lien entre les motifs justifiant la déclaration de l'état d'urgence et celui de l'assignation à résidence, qui n'a donc pas à relever directement de la lutte contre le terrorisme. Car tous les assignés à résidence ne l'ont pas été sur le motif de péril imminent et de menace terroriste, mais en raison des désordres publics qu'ils étaient susceptibles de provoquer, par exemple des écologistes radicaux assignés en marge de la COP 21, ces conférences internationales étant toujours l'occasion de débordements.

L'un des assignés à résidence a motivé sa saisine du Conseil d'État par le fait que le motif de son assignation n'était pas identique à celui qui avait justifié le recours à l'état d'urgence. C'est à cette question du lien entre les motifs de l'état d'urgence et de l'assignation que le Conseil d'État a répondu sur le fond, c'est le coeur du sujet - nous en reparlerons en débattant de la constitutionnalisation de l'état d'urgence.

Le même requérant a usé du même moyen dans une question prioritaire de constitutionnalité : l'article 6 de la loi du 3 avril 1955 autorise-t-il l'assignation à résidence dans le seul cadre de la lutte contre le terrorisme, ou pour prévenir toutes les atteintes à l'ordre public ? Le ministère de l'intérieur et le secrétaire général du Gouvernement arguent que les forces de l'ordre sont toujours les mêmes, en effectifs limités. Est-ce bien raisonnable ? N'est-ce pas courir le risque d'étendre trop l'état d'urgence ? Le Conseil constitutionnel répondra le 22 décembre prochain, j'invite chacun de vous à y prêter la plus grande attention. Nous en reparlerons à la rentrée.

M. Michel Delebarre . - Remarquable compte rendu !

M. Philippe Bas , président . - Je salue également votre travail. Le Gouvernement joue le jeu en communiquant des informations quantitatives. Or, les questions posées par l'état d'urgence sont de nature plus qualitative ; quel est son champ d'application précis ? Si l'on comprend bien que les effectifs des forces de sécurité sont en nombre restreint, il faut que le lien soit suffisamment établi, et l'on raisonnera ici en proportionnalité. Les mesures prises, ensuite, permettent-elles de trouver des terroristes potentiels ou d'arrêter des personnes prêtes à passer à l'acte ? Car c'est bien la raison d'être de l'état d'urgence.

M. Michel Mercier , rapporteur spécial . - La question se pose également de l'efficacité des mesures de droit commun, car c'est bien ce qui justifie les pouvoirs spéciaux. Or, si ces mesures de droit commun sont inefficaces, mieux vaut les réformer plutôt que de rester sous l'empire de l'état l'urgence.

M. Philippe Bas , président . - Effectivement, nous aurons à réexaminer des dispositions du code pénal et du code de procédure pénale, le procureur de Paris réclame des mesures législatives dans ce sens.

M. Jean-Pierre Sueur . - Michel Mercier a salué la subtilité du Conseil d'État, je lis ce matin dans la presse hebdomadaire des détails qui nous en donnent un éclairage bien particulier, nous devrons nous-mêmes avoir de la sagesse à la rentrée...

M. Philippe Bas , président . - Merci à tous.

MERCREDI 13 JANVIER 2016

M. Jean-Pierre Sueur . - Il avait été convenu que le comité de suivi qui se réunit autour de Michel Mercier, avec un représentant de chaque groupe politique, nous fasse un compte rendu hebdomadaire de son action. Le suivi de l'état d'urgence nous concerne tous. Il serait souhaitable d'inscrire le sujet au programme de nos prochaines réunions.

M. Philippe Bas , président . - Michel Mercier a auditionné hier le préfet de police de Paris et le procureur de la République. Nous y reviendrons, dès la semaine prochaine.

M. Michel Mercier . - Lors de notre demi-journée d'auditions d'hier, le préfet de police de Paris, M. Michel Cadot, et le procureur de la République, M. François Molins, nous ont exposé la situation. Nous avons également entendu le préfet de Seine-Saint-Denis, M. Philippe Galli, ainsi que M. Thomas Andrieu, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l'intérieur. Cet après-midi, nous entendrons les associations, dont la Ligue des Droits de l'Homme et la Quadrature du Net, qui défend les libertés à l'heure du numérique.

Après la précipitation des premiers jours, le nombre des perquisitions a largement diminué, car tous ceux qui étaient susceptibles d'être visés ont eu le temps de mettre à l'abri ce qu'ils avaient à cacher ! Le préfet de police de Paris s'est montré très respectueux des libertés publiques. Il a donné un certain nombre d'instructions, pour éviter l'intrusion musclée des policiers. De même, le préfet de la Seine-Saint-Denis s'est rendu sur les lieux de certaines opérations pour vérifier que les forces de police ne recouraient pas à la violence de manière excessive. La mise en oeuvre de l'état d'urgence entre désormais dans une phase plus réfléchie. Cependant, la difficulté est moins d'entrer dans ce genre de procédure que d'en sortir. Il faudrait pouvoir s'assurer de l'efficacité des procédures de droit commun, d'où le projet de loi visant à modifier la procédure pénale et le droit pénal. Nous aurons l'occasion d'en reparler.

M. Philippe Bas , président . - Je tiens à remercier nos collègues de leur participation aux travaux du comité de suivi de l'état d'urgence. Nous sommes tous conscients de l'importance de ces réunions.

MERCREDI 20 JANVIER 2016

M. Philippe Bas, président . - Notre collègue Michel Mercier, rapporteur spécial du comité de suivi de l'état d'urgence va nous faire part d'une communication à ce sujet.

M. Michel Mercier, rapporteur spécial du comité de suivi de l'état d'urgence . - Cette communication sera rapide car nous avons d'ores et déjà abordé de nombreux points lors des deux auditions qui viennent de se dérouler. Le comité de suivi a procédé à de nombreuses auditions. Nous avons entendu deux catégories d'acteurs concernés. D'une part, nous avons reçu les acteurs de la sécurité : le Préfet de Police de Paris, le Procureur de Paris, le préfet de Seine-Saint-Denis, le directeur général de la sécurité intérieure, le directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l'intérieur. Nous avons d'autre part reçu des associations ou des personnes dont le rôle est de défendre les libertés publiques. C'est le cas des avocats, bâtonnier de Paris, représentants du Conseil national des barreaux et avocats ayant défendu des personnes concernées par les mesures de l'état d'urgence. Nous avons aussi reçu la présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme, Mme Christine Lazerges, ainsi que des représentants d'Amnesty International. Enfin, nous avons reçu une association, la Quadrature du Net, qui intervient en matière de protection des libertés à l'heure du numérique. J'insiste sur ce point, car pour le reste c'est plus classique. L'importance des données informatiques, et la façon dont on les utilise, ressort particulièrement de l'audition de la Quadrature du Net. Il y aura certainement en la matière un certain nombre de modifications législatives à apporter. En effet, au cours d'une perquisition administrative, on ne peut pas saisir les données informatiques, mais on peut les copier. La différence entre les deux est parfois ténue, mais elle existe. Le statut juridique de ces copies n'est pas réellement fixé : peut-on les garder longtemps ? Doit-on obligatoirement les détruire ? Alors que dans le cadre juridique fixé par la loi relative au renseignement, il existe un statut des données informatiques recueillies, avec des durées de conservation et un contrôle, dans le cadre de l'état d'urgence, il n'y a aucune règle.

Je ne vais pas revenir sur des éléments statistiques, le ministère nous faisant passer régulièrement des données sur le nombre de perquisitions ou d'assignations à résidence. Le vice-président du Conseil d'État est d'ailleurs revenu longuement sur ce point ce matin.

Je voudrais donc insister d'une part, comme je viens de le faire, sur le statut de ces données informatiques et d'autre part sur les conditions de réalisation des perquisitions. Jacques Toubon, le Défenseur des droits, vient de décrire les conditions du déroulement de certaines perquisitions que l'on pourrait qualifier d'artisanales : les personnes concernées ne reçoivent ni procès-verbal ni arrêté de perquisition et ne peuvent donc faire valoir aucun droit à l'égard de leur compagnie d'assurance en l'absence de tels documents, sans compter le fait que les polices d'assurance ne couvrent généralement pas les dégâts matériels causés par les forces de l'ordre.

Le paysage global de cette affaire commence donc à se dessiner. Nous avons clairement indiqué à toutes les personnes auditionnées que notre comité de suivi n'était pas là pour se substituer au juge, c'est le rôle du juge administratif, mais pour éclairer notre commission et à travers elle, le Sénat dans l'hypothèse où le Gouvernement demanderait au Parlement la prorogation de l'état d'urgence. Les médias ont annoncé ce matin que le Président de la République allait solliciter une telle prorogation. Nous verrons bien. Notre comité de suivi commence en tout cas à avoir un aperçu des mesures nécessaires pour qu'un équilibre demeure entre la sécurité et la nécessaire protection des libertés publiques.

Nous allons achever la semaine prochaine les auditions. Je pourrai effectuer à ce moment-là une présentation plus complète de nos travaux. Peut-être disposerons-nous alors des décisions que le Conseil constitutionnel, saisi de deux questions prioritaires de constitutionnalité, doit rendre, qui auront nécessairement une incidence sur l'examen du projet de loi constitutionnelle.

M. Philippe Bas, président . - Vous ouvrez un autre débat en conclusion. Nous disons depuis le début que cette révision constitutionnelle a été engagée pour des motifs qui ne sont pas juridiques. Ce n'est pas un bouleversement que de dire cela. C'est un sentiment assez largement partagé. Dès lors qu'il aura été démontré que, ni sur la déchéance de nationalité, ni sur l'état d'urgence, il n'existe d'impératif constitutionnel nécessitant de réviser la Constitution, nous n'aurons pas pour autant achevé d'examiner tous les motifs qui expliquent cette révision constitutionnelle, y compris les motifs esthétiques.

MERCREDI 3 FÉVRIER 2016

M. Philippe Bas , président . - Nous serons saisis, sans doute en fin de matinée, à l'issue du Conseil des ministres, du texte du gouvernement relatif à la prorogation de l'état d'urgence, que nous examinerons ce soir en commission et le mardi 9 février en séance publique. Il est toutefois de bonne méthode de commencer à y réfléchir dès à présent, à partir des nombreuses auditions et des riches travaux menés par le comité de suivi de l'état d'urgence, dont le rapporteur spécial est Michel Mercier.

M. Michel Mercier , rapporteur spécial du comité de suivi de l'état d'urgence . - Le comité de suivi a en effet beaucoup travaillé, et je remercie ses membres de leur implication. Nous avons utilisé les informations transmises par le ministère de l'intérieur et, dans une moindre mesure, par le ministère de la justice, dont les services nous ont quotidiennement alimentés en statistiques. Nous avons complété ces éléments quantitatifs par de nombreuses auditions : d'autorités administratives responsables de la mise en oeuvre de l'état d'urgence - le directeur des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur, le préfet de police de Paris, le préfet de Seine-Saint-Denis, les directeurs des services de police et du renseignement intérieur -, mais aussi d'acteurs qui en contestent l'application : avocats, associations de défense des droits de l'homme, etc. L'audition de la Quadrature du Net, association spécialisée dans la défense des libertés publiques sur Internet, a bien montré combien le champ de l'action publique s'était déplacé : le temps où l'on pouvait voir les pilotes de la machine administrative est révolu ; désormais, des machines nous en séparent ! C'est une novation profonde de nos sociétés.

Les mesures prises sur le fondement de l'état d'urgence, bien plus nombreuses que pendant la guerre d'Algérie, qu'en 1985 ou en 2005, et applicables sur tout le territoire, outre-mer compris, ont permis au juge administratif d'établir une jurisprudence nouvelle. Première catégorie : les assignations à résidence, très attentatoires aux libertés individuelles, le plus souvent prononcées dans la commune de résidence de la personne visée. Sur les 392 décisions d'assignation signées par le ministre de l'intérieur, seul compétent, 307 ont été prises entre le 15 et le 30 novembre 2015, 70 en décembre et une quinzaine en janvier 2016. Quant aux 27 assignations à résidence prononcées en marge de la COP 21, elles ont concerné des personnes susceptibles de se livrer à des actes violents, comme à l'occasion des précédentes conférences climat à l'étranger, et non les militants écologistes en tant que tels. Sur les 392 assignations, 339 demeurent en vigueur.

Deuxième catégorie de mesure prise sur le fondement de l'état d'urgence : les perquisitions administratives qui, pouvant être effectuées de jour comme de nuit, bien qu'en présence d'un officier de police judiciaire, sont une atteinte grave au principe d'inviolabilité du domicile la nuit gravé dans notre tradition juridique depuis la Constitution du 22 frimaire an VIII. Depuis le 14 novembre 2015, 3 299 perquisitions ont été effectuées, dont les trois quarts avant le 8 décembre. Bien que l'effet de surprise se soit depuis dissipé, le ministre de l'intérieur nous a indiqué hier que des perquisitions plus ciblées continuent. Ces mesures ont donné lieu à 338 gardes à vue et à la saisie d'armes de toutes catégories. Sur 2 827 perquisitions, 563 ont donné lieu à des suites judiciaires : 209 pour infraction à la législation sur la détention d'armes, 199 pour infraction à la législation sur les stupéfiants, 155 pour d'autres infractions ; seules cinq enquêtes ont été confiées au parquet antiterroriste de Paris.

D'autres mesures ont été prises sur le fondement de la loi de 1955 : la remise d'armes, l'interdiction de manifester sur la voie publique ou encore l'interdiction de circuler autour de sites sensibles - la préfète du Nord-Pas-de-Calais a ainsi interdit la rocade portuaire de Calais à la présence de piétons. Quant à la possibilité de bloquer les sites Internet et réseaux faisant l'apologie du terrorisme, introduite par la loi du 20 novembre 2015, aucune mesure n'a été prise sur son fondement, le Gouvernement préférant utiliser l'article 6-1 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, qui autorise l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (OCLCTIC) à demander aux fournisseurs d'accès le retrait des contenus en cause. Preuve que nous n'étions pas totalement dépourvus de moyens juridiques...

Un mot sur le rôle du juge administratif - que j'ai toujours considéré comme un défenseur des libertés au même titre que le juge judiciaire. Depuis l'arrêt Heyriès du Conseil d'État du 28 juin 1918, sa jurisprudence a évolué vers un contrôle désormais plein et entier des mesures prises lors de circonstances exceptionnelles. Sous le régime de l'état d'urgence, l'administration républicaine peut certes agir de façon dérogatoire au droit commun, mais elle est désormais soumise à un véritable contrôle du juge, qui définit le cadre dans lequel elle doit inscrire son action. Peu de recours ont été intentés au fond. Le Conseil d'État a principalement statué en référé, et en particulier en référé-liberté.

La recevabilité d'un recours en référé-liberté est soumise à une double condition : l'urgence et l'atteinte grave à une liberté fondamentale. Le Conseil d'État a jugé qu'en restreignant la liberté d'aller et venir, l'assignation à résidence remplissait ces deux conditions, et a posé le principe d'un droit à l'audience de la personne assignée à résidence. Sans doute devrions-nous réfléchir à inscrire explicitement ce droit dans la loi.

Second apport majeur de la jurisprudence du Conseil d'État : la plénitude de son contrôle sur les mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence. Le juge vérifie en effet la nécessité de la mesure prise et sa proportionnalité à l'objectif recherché. La semaine dernière, le propriétaire d'un restaurant a pu se rendre devant les juges du Palais-Royal - tel le Huron de Jean Rivero - pour se défendre ; les éléments fondant la décision de fermeture de son établissement ayant été jugés insuffisants, celle-ci a été annulée. D'aucuns regretteront que le contrôle ne s'exerce qu'a posteriori. C'est exact, mais il demeure que le juge fixe des règles que l'administration sera tenue de respecter. C'est ce qui fonde la différence - considérable - entre le régime républicain et le régime d'exception.

La Ligue des droits de l'homme avait également saisi le Conseil d'État dans l'espoir qu'il enjoindrait au président de la République de mettre fin à l'état d'urgence. Il est d'abord remarquable que le Conseil d'État ait jugé le recours recevable.

M. Alain Richard . - Il n'a pas considéré que ce fût un acte de gouvernement...

M. Michel Mercier , rapporteur spécial . - Exact, l'acte de gouvernement est en voie de disparition dans notre droit public. Le Conseil d'État, analysant si les conditions de recours à l'état d'urgence étaient encore réunies, a estimé que la France faisait toujours face à un péril imminent, caractérisé par la commission d'autres attentats en France et dans d'autres pays depuis le 13 novembre et au regard des informations à la disposition des services de police et de renseignement. Les progrès du contrôle juridictionnel enregistrés ces deux derniers mois sont indéniables. L'on peut regretter l'absence de pouvoirs plus large du juge administratif, mais le Conseil d'État agit en cela comme le Conseil constitutionnel, qui refuse de se reconnaître un pouvoir d'appréciation de même nature que celui du Parlement.

À l'heure où je m'exprime, le Conseil des ministres a sans doute examiné le projet de loi prorogeant l'état d'urgence, qui nous sera transmis incessamment. Mais la situation a un peu changé : le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, qui jugeait dans une interview récente que l'utilité pratique de l'état d'urgence s'amenuisait - j'ai pour ma part toujours refusé de m'exprimer sur nos travaux, estimant parfois utile de savoir se taire... - est devenu garde des sceaux. Nous devrons réfléchir aux dispositions de la loi de 1955 qu'il conviendrait de conserver ; toutes ne le méritent peut-être pas.

Le Conseil d'État, en garantissant le droit à l'audience des personnes assignées à résidence et en faisant usage de la plénitude de son pouvoir de contrôle, a fait preuve d'une grande subtilité. Il s'est aussi refusé à reconnaître qu'un lien direct dût unir la situation à laquelle une mesure entend remédier et la menace terroriste - raisonnement qui a conduit à l'annulation de la fête des Lumières à Lyon. Le ministre de l'intérieur a manqué, lui, à sa subtilité coutumière en disant : imaginez qu'un attentat soit perpétré alors que vous venez de voter la fin de l'état d'urgence ! Cela peut aussi arriver le lendemain de la décision de le proroger : ce serait à lui alors de rendre des comptes !

Nous sommes dans une nasse. Nous ne sortirons de l'état d'urgence que lorsque nous aurons rendu efficaces nos procédures de droit commun. C'est l'objet de la proposition de loi de Philippe Bas que nous avons votée hier, et qui arme le juge judiciaire de moyens d'action modernes. Il faut préparer activement la sortie de l'état d'urgence.

M. Philippe Bas , président . - Merci pour ce bilan et cette analyse des conditions qui pourraient justifier la prolongation de l'état d'urgence.

Il est aisé de démontrer que la France fait toujours face à un péril imminent. Sa persistance sera le centre de gravité du débat que nous aurons avec le Gouvernement, car une chose est de déclarer l'état d'urgence, une autre est d'en sortir...

Nous y parviendrons lorsque nous aurons rendu plus efficaces nos dispositifs de droit commun, avez-vous dit. Il ne s'agit pas de les durcir, de restreindre les libertés. Mais nous sommes sur le fil du rasoir. J'ai souvent dit que je préférais l'état d'urgence à des dispositions législatives nouvelles parce qu'il permet un contrôle parlementaire et que les mesures mises en oeuvre ne sont que temporaires.

Le terrorisme brouille la distinction entre police administrative et police judiciaire. La création en 1986 du délit d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, puis en 2014 du délit d'entreprise individuelle terroriste, ont confié au procureur des moyens d'action préventive, effaçant la distinction entre prévention et répression. À cet égard, la proposition de loi tendant à renforcer l'efficacité de la lutte antiterroriste, dont je suis l'auteur, réaffirme le rôle du parquet et précise les responsabilités nouvelles du juge judiciaire.

Devons-nous proroger l'état d'urgence avec tous les pouvoirs qu'autorise la loi de 1955 modifiée, ou n'en retenir que certains ? Ce n'est pas parce que les assignations à résidence semblent moins efficaces aujourd'hui qu'elles ne le redeviendront pas demain...

M. Mathieu Darnaud . - Je remercie Michel Mercier pour son exposé. Certains événements d'envergure vont se dérouler dans un contexte tendu
- je pense notamment à l'Euro 2016. Quelle sera la déclinaison de l'état d'urgence sur le territoire ? Certains maires s'inquiètent des menaces qui pèsent sur les manifestations d'ampleur, d'autant que cette problématique risque de s'installer dans le temps. Comment distinguer les événements qui nécessitent une mobilisation particulière des forces de police et de sécurité ?

M. Jean-Pierre Sueur . - Je remercie Michel Mercier et les membres du comité de suivi pour leur travail. La question est pragmatique : y a-t-il péril imminent ou non ? Il n'y a pas de réponse incontestable, tout dépend des éléments fournis par le ministère de l'Intérieur. Je suis en désaccord avec le ministre quand il brandit le risque d'un « attentat, demain matin » pour justifier le maintien de l'état d'urgence - on serait amené à le prolonger ad vitam aeternam ! Même chose lorsque le Premier ministre fixe la borne à quand Daech sera définitivement vaincu... L'état d'urgence doit rester exceptionnel. Quant aux mesures législatives, elles doivent donner davantage de moyens à l'autorité judiciaire, comme le préconise le procureur Molins, sans que cela se traduise par une inscription permanente de l'état d'urgence dans la loi. Le jugement doit rester pragmatique et les décisions se prendre en fonction de l'imminence du péril.

M. René Vandierendonck . - Le contrepied politique auquel vous vous livrez est dans la tradition du Sénat. C'est bien joué. Encore faut-il éviter le pas de trop, c'est-à-dire le régime intermédiaire, à la « Canada Dry ». Il est indispensable de réaffirmer notre confiance aux juges. Inscrivons l'indépendance des magistrats dans la Constitution, c'est autrement plus important que la déchéance de nationalité pour les binationaux !

M. François Bonhomme . - Je rappelle que l'association la Quadrature du Net siège dans le comité juridique de la Ligue des Droits de l'Homme, qui continue à communiquer sur la dérive sécuritaire, sur les dangers qui pèsent sur les libertés fondamentales... La décision de sortir de l'état d'urgence est intrinsèquement liée à la nature du péril qui nous menace. Nous avons entendu François Molins ; si nous avions besoin d'évidences, il nous en a donné.

Mme Éliane Assassi . - Je remercie Michel Mercier et nos collègues du comité de suivi. Les auditions ont montré un grand sens des responsabilités de part et d'autre. C'est tout à l'honneur du Sénat. Je ne répondrai pas à la provocation de M. Bonhomme. La Ligue des Droits de l'Homme existe depuis des décennies, elle a été utile à tous les gouvernements en jouant un rôle d'aiguillon. Je suis fière d'avoir participé à la manifestation de samedi dernier pour dire non à la prolongation de l'état d'urgence et à la déchéance de nationalité. La menace terroriste va durer. La force de l'état d'urgence décrété le 13 novembre au soir, était dans l'effet de surprise. Il est passé. En attendant le débat de fond sur la révision constitutionnelle, notre groupe ne votera pas la prolongation de l'état d'urgence.

M. Alain Richard . - Je suis convaincu par cette présentation positive du juge administratif. Selon la Constitution, l'autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle. Les libertés publiques constituent un espace de protection autre. Michel Debré était un fervent admirateur de la conception anglaise des droits de la personne et de l'Habeas Corpus - qui comprend le secret des correspondances, y compris électroniques. Manque, parmi les prérogatives du juge administratif, un contrôle sur les perquisitions, du fait de leur caractère immédiat. Il y aura sans doute des contentieux indirects, mais on aimerait pouvoir confirmer que les 3 200 perquisitions opérées étaient bien justifiées.

Initialement, il me paraissait évident que lorsque nous aurions renforcé les pouvoirs du juge judiciaire, l'état d'urgence ne se justifierait plus. Plus les jours passent, moins j'en suis certain. La menace terroriste, organisée, stimulée de l'extérieur, va durer des années et ses manifestations s'imposeront à nous à des dates que nous ne pourrons prévoir. Je préfère éviter les paroles définitives.

M. Philippe Bas , président . - Pourrions-nous faire une proposition concernant le maintien des perquisitions ?

M. Alain Richard . - Ce serait compliqué...

M. Michel Mercier , rapporteur spécial . - Faut-il maintenir l'état d'urgence sur tout le territoire ? Dans mon petit village, nous disposons d'un bureau qui délivre les passeports. Un individu s'y est présenté, dont les papiers montraient qu'il avait séjourné à plusieurs reprises en Syrie. En tant que maire, j'ai averti qui de droit. Il figure parmi les six djihadistes arrêtés, hier, dans le Rhône et dans la Loire.

La menace est partout, certains s'auto-radicalisent sur Internet. Il faut pourvoir intervenir partout. L'état d'urgence n'empêche pas de faire preuve d'intelligence ! Aucun match de foot n'a été interdit, un seul a été reporté, malgré l'attentat au stade de Saint-Denis. Nous ne pouvons pas arrêter de vivre, ce serait la victoire du terrorisme. Les services de renseignement nous aident à apprécier le risque réel. Théoriquement, il est envisageable de réduire le nombre des mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence ; pratiquement, c'est difficile. La sortie de l'état d'urgence doit se préparer. L'état d'urgence ne nous protège pas des attentats. Nous devons apprendre à vivre avec ce danger en nous donnant les moyens de nous protéger contre le terrorisme.

Mme Catherine Tasca . - C'est moins la justification des perquisitions qui pose problème que les conditions dans lesquelles elles se déroulent, eu égard notamment aux enfants et aux familles. L'attention portée aux enfants est insuffisante. Soyons exigeants sur la manière dont les perquisitions se déroulent.

M. Michel Mercier , rapporteur spécial . - Je suis sensible à cette question. Néanmoins, si les forces de sécurité enfoncent les portes plutôt que de sonner, c'est pour éviter que les terroristes ne sortent leur kalachnikov ou ne déclenchent leur ceinture d'explosifs. Quant aux enfants qui vivent avec des parents qui manient des armes et regardent des sites d'apologie du terrorisme, c'est en amont qu'il faut les protéger ! C'est le rôle des conseils départementaux.

M. Yves Détraigne . - On manque de place...

M. René Vandierendonck . - Je rappelle que Gouvernement a débloqué 9,5 millions d'euros pour le fonds dédié aux mineurs étrangers isolés, cher à Jean Arthuis.

M. Philippe Bas , président . - Nous pouvons considérer, si vous en êtes d'accord, que ces échanges ont tenu lieu de discussion générale sur le projet de loi prorogeant l'état d'urgence, dont nous délibérerons ce soir.

ANNEXE 6 : EXTRAITS DE LA JURISPRUDENCE ADMINISTRATIVE

I. LES ORDONNANCES DE SUSPENSION PRONONCÉES DANS LE CADRE D'UNE PROCÉDURE DE RÉFÉRÉ

A. CONCERNANT LES ASSIGNATIONS À RÉSIDENCE

- Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, ordonnance n° 1510839 du 17 décembre 2015

Pour justifier les mesures prises, le ministre de l'intérieur produit une note des services de renseignements selon laquelle M. X a « évolué dans l'environnement d'un individu soupçonné d'être à la tête d'un trafic d'armes entre la France et la Serbie » et « en relation étroite avec deux velléitaires jihadistes susceptibles de commettre une action violente sur le territoire et de se procurer des armes par son intermédiaire ».

Toutefois, en premier lieu, ces éléments sont insuffisamment circonstanciés dans la mesure où ils ne précisent pas la nature des relations existant entre M. X et ces individus ou leur fréquence, une telle information n'étant pas de la nature de celles relevant du secret de l'enquête insusceptibles d'être communiquées au juge administratif. À ce titre, le ministre de l'intérieur renvoie sur M. X, à travers ses écritures, le soin de s'expliquer sur la nature exacte de ses relations avec les trois personnes évoquées, alors qu'il lui appartient de faire état d'éléments suffisamment graves et concordants pour faire naître des raisons sérieuses de penser que le comportement de M. X est susceptible de justifier une atteinte portée à sa liberté d'aller et venir.

- Tribunal administratif de Melun, ordonnance n° 1510316 du 22 décembre 2015

Considérant que si M. X. admet « pratiquer sa foi avec ferveur », porter une barbe et occasionnellement des habits religieux et avoir voulu apprendre l'arabe littéraire et développer son apprentissage du coran auprès de l'institut de langue arabe « Fajr » au Caire, il ressort des pièces du dossier qu'il a séjourné en Egypte en 2012 et 2013 sans dissimulation, s'étant inscrit au consulat général de France et a suivi des cours auprès d'un organisme reconnu internationalement, notamment par l'ONU et l'UNESCO [...] ; qu'enfin le ministre n'a pas été en mesure d'apporter la moindre précision, tant dans ses écritures qu'à l'audience , sur les mentions de la note des services de renseignements selon lesquelles le requérant serait un proche d'une jeune femme qui a rejoint la Syrie et aurait déclaré à son retour d'Égypte s'être rendu en Syrie , alors qu'il ressort des pièces du dossier et des propos tenus à l'audience que M. X. nie formellement connaitre Mme Z. et avoir déclaré s'être rendu en Syrie, indiquant à cet égard ne jamais avoir été interrogé par la police.

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'en l'état du dossier , les seuls indices produits devant le juge des référés par le ministre de l'intérieur, qui ont été sérieusement contestés au cours de l'instruction, ne constituent pas des éléments suffisamment précis et circonstanciés pour laisser à penser que le comportement de M. X. constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics ; que la mesure d'assignation à résidence prise à l'encontre du requérant doit dès lors être regardée, dans les circonstances de l'espèce, comme étant de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir de l'intéressé ; qu'il y a lieu, sans qu'il soit besoin de statuer sur les conclusions et moyens relatifs à un aménagement des horaires et aux dispositions à prendre pour assurer sa subsistance, d'ordonner la suspension de l'arrêté contesté.

- Tribunal administratif de Lille, ordonnance n° 1510268 du 22 décembre 2015

(...) Il y est également constaté que « la chambre de l'intéressé comprenait plusieurs amulettes islamiques, ses conversations facebook incluent des rappels à la morale religieuse constants et des référents rigoristes » (...) qu'à l'issue de la perquisition, « l'intéressé effectuait à pied le tour du pâté de maison pour vérifier (sic) qu'il n'était pas suivi, traduisant une attitude rompue aux techniques de surveillance (propre aux milieux délinquants, criminelles et terroristes ». (...)

Toutefois, ces éléments sont peu circonstanciés et le requérant les conteste point par point.

(...) Il nie avoir tenu des propos qualifiés de « rappels à la religion », sur son compte Facebook et demande que le procès-verbal de la perquisition lui soit communiqué pour qu'il puisse avoir une idée de ce qu'on lui reproche. (...)

S'agissant de son comportement à l'issue de la perquisition administrative du 18 novembre 2015, M. X. précise que celle-ci a eu lieu à 4h20 du matin et a duré plusieurs heures. À l'issue de la perquisition, au cours de laquelle les forces de l'ordre ont saisi un marteau-piqueur en sa possession, il est sortir dans la rue pour fumer une cigarette, a remonté la rue puis est retourné chez lui. Le fait qu'il se soit retourné à plusieurs reprises s'explique par ce qu'il venait de vivre . (...)

Au regard de ces éléments, la mesure d'assignation à résidence prise par le ministre à l'encontre de l'intéressé par décision du 16 décembre 2015 doit être regardée, en l'état de l'instruction, compte tenu des informations données au juge des référés par le ministre de l'intérieur, comme étant de nature à porter atteinte de manière grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir de l'intéressé.

- Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, ordonnance n° 1600238 du 15 janvier 2016

Considérant qu'il résulte de l'instruction que le ministre s'est fondé sur une note blanche des services de renseignement qui peut être utilisée comme élément de preuve pour autant qu'elle soit suffisamment circonstanciée et précise ; que la note blanche produite par le ministre comporte les mêmes énonciations que celle de l'arrêté, lesquelles s'agissant du premier motif ne précise aucun élément de fait ; qu'en réponse à un supplément d'instruction destiné à connaitre la nature de la relation alléguée avec les groupuscules Ansar Al Charia et la fréquence des contacts que pourrait entretenir le requérant avec cette organisation, le ministre de l'intérieur n'a pas fourni d'explication supplémentaire autres que l'implantation essentiellement tunisienne de cette organisation terroriste et de ce que M. X. a effectué en Tunisie un séjour de deux semaines au printemps 2014 ; que le requérant, de nationalité tunisienne, qui admet avoir séjourné dans son pays d'origine pour des vacances familiales conteste toute appartenance à un groupe terroriste ; que le ministre n'allègue pas qu'il serait dans l'impossibilité de faire état des précisions demandées dans le cas précis de M. X. au regard des contraintes liées à l'activité des services de renseignement qu'il évoque de façon générale dans ses écritures ;

Considérant qu'en soutenant que le CD Rom ne contenait que des chants religieux sans propagande djihadiste, le requérant ne conteste pas utilement les énonciations précises de la note blanche sur le contenu de ce CD Rom ; que toutefois, en se fondant sur ce seul fait, le ministre de l'intérieur ne pouvait retenir à l'encontre de M. X. des liens avec la mouvance jihadiste ; que, par suite, en l'état de l'instruction, le ministre de l'intérieur ne pouvait légalement considérer que ce seul élément caractérisait suffisamment l'existence d'un raison sérieuse donnant à penser que le comportement de M. X. constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics ;

Considérant qu'au regard de l'ensemble de ces éléments, la mesure d'assignation à résidence prise par le ministre de l'intérieur à l'encontre de M. X. par l'arrêté du 17 décembre 2015, doit être regardée, en l'état de l'instruction, comme étant de nature à porter atteinte de manière grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir de l'intéressé ; qu'il en résulte, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen, que l'arrêté du ministre de l'intérieur du 17 décembre 2015 doit être suspendu.

- Tribunal administratif d'Orléans, ordonnance n° 1504254 du 15 janvier 2016

M. X soutient [qu'il a] certes discuté avec M. X, comme d'autres fidèles qui n'ont pour autant pas été inquiétés, au cours d'échanges périodiques qui ne dépassaient pas le cadre de la mosquée, mais il ignorait tout de ses activités ;

(...) fait valoir qu'il n'y a aucune garantie d'authenticité concernant les notes blanches produites, dont l'une est d'ailleurs postérieure à l'arrêté en litige ; qu'aucune précision n'est apportée par le ministre de l'intérieur concernant la réalité et la nature des relations que M. X aurait entretenues avec M. M et M. C, ni sur l'époque à laquelle de telles relations auraient existé ;

À l'issue de l'audience, le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 14 janvier 2016 à 14 heures et a invité la représentante du ministre de l'intérieur à produire , d'une part, l'arrêté d'expulsion pris à l'encontre de M. Z, d'autre part, toute précision qu'il jugera utile concernant les relations entretenues par M. X avec M. M et M. C.

Le 13 janvier 2016, le ministre de l'intérieur a produit l'arrêté d'expulsion pris à l'encontre de M. Z.

(...) Considérant, d'autre part, que le moyen tiré de l'erreur d'appréciation dont l'arrêté du 4 décembre 2015 en litige serait entaché est, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de cet arrêté ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X. est fondé à demander la suspension de l'exécution de l'arrêté du 4 décembre 2015 en litige jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la requête n° 1504253 tendant à l'annulation de cet arrêté (...)

- Tribunal administratif de Rouen, ordonnance n° 1600136 du 20 janvier 2016

Considérant (...) qu'au contraire, l'ensemble des témoignages et attestations produits laisse apparaître une amélioration significative de l'état de santé et des gages d'insertion présentés par M. X ; que le ministre, qui ne conteste pas la réalité de cette évolution favorable, ne fait pas valoir, par des éléments tangibles, que l'intéressé aurait dissimulé sa situation et ses intentions réels ; que même dans le contexte d'insécurité ayant donné lieu à la déclaration de l'état d'urgence, l'autorité administrative, qui ne peut être regardé comme ayant opéré, dans les circonstances de l'espèce, une conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l'ordre public, a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale d'aller et venir du requérant ;

- Tribunal administratif de Nantes, ordonnance n° 1600385 du 21 janvier 2016

Considérant qu'il appartient au juge administratif, dans l'exercice de ses pouvoirs généraux de direction de la procédure, de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction sur les points en litige ; qu'au cours et à l'issue de l'audience publique du 19 janvier 2016 puis, au bénéfice d'un nouveau report de la clôture de l'instruction, par une mesure d'instruction écrite du 20 janvier 2016, le ministre de l'intérieur a été invité à qualifier précisément le type de comportement ou de menace pour la sécurité et l'ordre publics que la décision critiquée visait à prévenir ; que le juge des référés a également invité le ministre de l'intérieur à apporter au Tribunal toute précision qu'il jugerait utile et possible de lui soumettre pour lui permettre d'appréhender les faits de l'espèce , notamment en exposant en quoi l'association créée par la requérante pouvait être dite « d'obédience salafiste », en explicitant les conditions dans lesquelles l'intéressée était « apparue en relation » avec des sympathisantes de la mouvance radicale et en confirmant ou en explicitant l'affirmation, formellement contestée par la requérante, selon laquelle celle-ci était « intégralement voilée » ;

Considérant qu'en l'état du dossier et alors qu'il n'a pas été donné suite aux mesures d'instruction évoquées ci-dessus , l'imprécision tant des éléments de fait retenus par la décision attaquée que de ceux avancés pour en justifier le bien-fondé ne permet pas au juge des référés, chargé de s'assurer que cette mesure est adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité qu'elle poursuit , d'apprécier l'existence de raisons sérieuses de penser que le comportement de Mme A., qui a d'ailleurs été autorisée à effectuer un séjour d'agrément de deux jours en région parisienne au début de l'année 2016, constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics ; que, dans ces conditions, l'assignation à résidence de Mme A. doit être regardée comme portant une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir de l'intéressée ;

- Conseil d'État, ordonnance n° 396116 du 22 janvier 2016

Considérant que l'arrêté dont la suspension est demandée est motivé par le fait que M. B. appartient à la mouvance islamiste radicale , qu'il a été signalé le 13 mai 2015 aux abords du domicile d'une personnalité faisant l'objet d'une protection particulière alors qu'il prenait des photos dudit domicile et du dispositif policier mis en place et qu'il a été mis en cause dans une affaire de trafic de véhicules de luxe, animé par des acteurs de la mouvance islamiste radicale ;

Considérant toutefois qu'il ressort de l'instruction, et notamment des débats au cours des deux audiences tenues les 19 et 21 janvier par le juge des référés du Conseil d'État ainsi que des suppléments d'instruction qu'il a ordonnés à deux reprises, que M. B... a pu justifier de manière cohérente et circonstanciée sa présence aux abords du domicile de la personnalité en question par une visite rendue à sa mère, qui habite à proximité immédiate ; qu'il apparaît, au vu des explications fournies par le requérant aux audiences, que sa position a pu être confondue avec celle d'une personne prenant des photographies, alors qu'il utilisait son téléphone portable en mode « haut-parleur » tenu face au visage afin de pouvoir conserver son casque sur la tête pendant l'arrêt de son scooter à 3 roues pour appeler son épouse qui devait le rejoindre pour se rendre à Paris ; que M. B...a pu établir la réalité de ces appels à l'heure à laquelle il a été observé à proximité du domicile de ladite personnalité ; qu'aucun élément suffisamment circonstancié produit par le ministre de l'intérieur ne permet de justifier que M. B. appartiendrait à la mouvance islamiste radicale ; que s'agissant de sa mise en cause dans une affaire de trafic de véhicules en 2008, il résulte de l'instruction qu'il a en réalité été entendu comme simple témoin , lui-même se disant victime, sans que le ministre ne l'ait contesté à l'audience, et qu'en outre aucun élément produit par le ministre n'a permis d'accréditer, en ce qui concerne ce trafic, l'existence d'un contexte d'islamisme radical ; que, dans ces circonstances, eu égard à l'ensemble des éléments recueillis au cours des échanges écrits et oraux, il apparaît, en l'état de l'instruction, qu'en prononçant l'assignation à résidence de M. B. au motif qu'il existait de sérieuses raisons de penser que son comportement constitue une menace grave pour la sécurité et l'ordre publics, le ministre de l'intérieur a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir ;

-Tribunal administratif de Toulouse, ordonnances n° 1600329 et n° 1600330 du 25 janvier 2016

Considérant que les mesures d'assignation à résidence contestées sont motivées par le fait que Mme X et M. Y font figure de membres historiques de la communauté salafiste d'Artigat, qu'ils sont restés fidèles au cheik M. Z, (...) ; que s'il est constant que les intéressés se sont installés en 1991 au lieu-dit à Artigat et entretenaient alors des relations avec M. Z , alias le « cheikh blanc », ils soutiennent cependant avoir rompu tout contact avec ce dernier depuis 12 ans, être en désaccord avec lui, désapprouver le recours à la violence et n'entretenir aucune relation avec des individus prônant le jihad, y participant ou le soutenant et que leur gendre ne se rend à Artigat que pour visiter sa famille ; qu'ils ont étayé leurs allégations de manière circonstanciée et concordante à l'audience alors d'ailleurs que les décisions contestées ne font état d'aucun élément de fait précis sur leurs activités actuelles de nature à établir que leur comportement , à la date desdites décisions, serait susceptible de constituer une menace grave pour l'ordre et la sécurité publique ; qu'ainsi, il apparaît en l'état de l'instruction qu'en prononçant l'assignation à résidence des intéressés au motif qu'il existait de sérieuses raisons de penser que leur comportement constitue une menace grave pour la sécurité et l'ordre publics, le ministre de l'intérieur a porté une atteinte grave et manifestement illégale à leur liberté d'aller et de venir ;

B. CONCERNANT LES AUTRES MESURES ADMINISTRATIVES

- Tribunal administratif de Nice n° 1504743 du 3 décembre 2015

Il résulte de l'instruction que la décision interdisant la fréquentation des lieux de culte musulman sur les communes de Cannes et de Grasse à M. X., repose en premier lieu sur la circonstance que ce dernier aurait tenté de déstabiliser par des discours intégristes la salle de prière de Grasse et la mosquée du Puy en Velay. S'agissant de cette dernière, le préfet ne produit qu'une « note blanche » aux énonciations générales alors que des explications circonstanciées ont été données à l'audience dont il résulte que des discussions internes à la mosquée et de graves ennuis de santé de M. X. ont conduit ce dernier à une rupture conventionnelle. De même pour ce qui est du licenciement de M. X. de son poste d'iman d'une salle de prière de Grasse, il ne ressort pas du jugement du 27 août 2015 du conseil de prud'hommes de Grasse que cette rupture révèlerait un indice d'une attitude radicale de M. X. dans sa pratique professionnelle.

L'autorité administrative se fonde en second lieu sur la rencontre en août 2015 d'un islam salafiste avec M. X. Il résulte de l'instruction que ce dernier n'avait pas été invité par le requérant mais nouait également contact avec d'autres lieux de culte sur la Côte d'Azur.

En troisième lieu, s'il est avéré que M. X. a employé en public après les attentats de janvier 2015 une formule dont le caractère ambigu est regrettable, il condamne simultanément de façon claire lesdits attentats .

Il résulte de ce qui précède que les faits reprochés à M. X. soit ne sont pas suffisamment établis au vu du dossier, soit ne peuvent, sans erreur manifeste d'appréciation, constituer l'indice d'une radicalisation de l'intéressé pouvant laisser craindre une menace pour l'ordre public , alors d'ailleurs que ce dernier est un membre actif de l'association multiconfessionnelle « Vivre ensemble » et produit de nombreuses attestations de personnalités de diverses confessions en sa faveur . L'arrêté susvisé du 24 novembre 2015 est dès lors entaché d'erreur de fait et d'erreur manifeste d'appréciation.

- Tribunal administratif de Nice n° 1504932 du 18 décembre 2015

Il résulte de tout ce qui précède, alors que les liens entre son gérant et la mouvance radicale et/ou des activités criminelles ou délictuelles, d'une part, et l'existence vraisemblable en son sein d'une activité de propagande et de prosélytisme en faveur de l'islamisme radical, d'autre part, ne sont pas ou pas suffisamment caractérisés, qu'aucun élément précis et circonstancié constituant des indices suffisants donnant à penser que l'activité de l'établissement « Must Kebab » représente, par elle-même, une menace grave pour l'ordre et la sécurité publics ne résulte de l'instruction . Ainsi, à la date de la présente ordonnance et en l'état de l'instruction menée devant le juge des référés, il apparaît, même en tenant compte de la situation créée par les attentats perpétrés à Paris le 13 novembre 2015 et requérant, en particulier au vu du contexte local caractérisant les Alpes-Maritimes, de prendre des mesures pour parer à la menace terroriste, notamment en empêchant le départ en Syrie de personnes « radicalisées » pour y effectuer le   jihad », et plus généralement pour préserver la sécurité et l'ordre publics, qu'en prononçant la fermeture provisoire du restaurant exploité par M. X. pour les motifs sus-évoqués, le préfet des Alpes-Maritimes a commis une erreur dans l'appréciation de la menace que constitue l'activité dudit lieu pour la sécurité et l'ordre publics et, ce faisant, ne peut être regardé comme ayant opéré la conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l'ordre public. Par suite, en prenant une telle mesure, l'autorité de police a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'entreprendre du requérant .

- Tribunal administratif de Grenoble n° 1507833 du 11 janvier 2016

Considérant qu'invité à produire après l'audience des éléments circonstanciés de nature à accréditer l'existence d'une menace pour l'ordre public liée au fonctionnement et à la fréquentation de l'établissement , le préfet n'a communiqué qu'une note non datée rédigée en termes généraux n'apportant pas de précisions significatives aux faits invoqués dans son mémoire en défense ; que s'il y invoque en particulier le fait qu'un des clients du Bosna Market a été interpellé à la frontière entre la Croatie et la Slovénie en possession d'armes de guerre et, plus généralement l'existence probable d'une collusion entre réseaux criminels et filières djihadistes dans l'agglomération annécienne, ces éléments ne permettent pas d'accréditer l'existence d'une menace liée au fonctionnement de l'établissement ;

Considérant en revanche que les requérantes ont versé au dossier le compte rendu de la perquisition administrative dont il ressort que les deux étrangers en situation irrégulière n'ont fait l'objet d'autre procédure que leur prise en charge par la police aux frontières en vue de leur éloignement ; que, s'agissant des transferts financiers supposés, ce même document ne mentionne que la saisie d'un carnet délivré par une association culturelle bosniaque qui, d'après le service départemental du renseignement territorial (SRDT), « pourrait avoir un lien avec les mouvements radicaux modérés » et à qui le compagnon de Mme X. aurait fait un don de 150 euros ; qu'enfin ce rapport mentionne que « les recherches approfondies menées dans l'ensemble des pièces du restaurant et le véhicule n'ont amené la découverte d'aucun élément susceptible de rattacher Mme X. ou son conjoint à une quelconque entreprise terroriste ou à un mouvement extrémiste connu » et qu' « aucun document tombant sous le coup de la loi n'était découvert » ;

Considérant dans ces conditions et alors que les manquements aux règles d'hygiène ne sont pas au nombre des motifs pouvant justifier une fermeture administrative sur le fondement des dispositions de l'article 8 de la loi du 3 avril 1955, le moyen tiré de l'existence de l'erreur d'appréciation commise par le préfet de la Haute-Savoie en mettant en oeuvre le pouvoir qu'il tient de ces dispositions est, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté du 9 décembre 2015 (...)

II. LES ORDONNANCES PORTANT INJONCTION DE MODIFICATION DES ASSIGNATIONS À RÉSIDENCE

- Conseil d'État, ordonnance n° 395622 du 6 janvier 2016

Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme C... élève seule les trois enfants qu'elle a eus avec M. A...et qui sont nés en France en 2009, 2012 et 2014 ; (...) ; que l'arrêté du 22 novembre 2015 fixe à trois fois par jour (9 h, 14 h et 19 h), soit le maximum prévu par l'article 6 de la loi du 3 avril 1955 modifié, l'obligation de se présenter aux services du commissariat d'Arpajon qui est situé à 10 kilomètres de Brétigny-sur-Orge où réside Mme C . alors que cette commune de 25 000 habitants abrite un poste de police ouvert, en principe, du lundi au vendredi de 8 h 30 à 12 h et de 14 h à 18 h 30 ; qu'il ressort des pièces produites par la requérante, en particulier de l'attestation de sa voisine qui indique garder, dans la mesure du possible, ses trois enfants en fin d'après-midi ainsi que des éléments recueillis au cours de l'audience publique , que l'exécution de cette obligation fait peser de très fortes contraintes sur Mme C. et ses trois enfants ; que ne disposant pas d'un véhicule personnel, elle est en effet tenue d'effectuer, trois fois par jour, le trajet aller-retour de Brétigny-sur-Orge à Arpajon en empruntant un bus de son domicile à la gare puis le train jusqu'à Arpajon ; que la nécessité de devoir accompagner deux de ses enfants à l'école le matin avant de rejoindre Arpajon la conduit parfois à se présenter avec quelque retard dont il lui est fait reproche ; (...) qu'il en est de même s'agissant des week-end et jours fériés durant lesquels, faute de liaison par bus, elle doit se rendre à pied à la gare, au terme d'un trajet de 45 minutes ; qu'en tout état de cause, elle ne regagne jamais son domicile avant 19 h 45 ; que, dans ces conditions, il apparaît que le respect de ces obligations de présentation fait peser, tant en raison de la localisation à Arpajon du lieu des convocations, du nombre de celles-ci par jour que des horaires fixés, des contraintes excessivement lourdes sur Mme C. quant à l'organisation de sa vie de famille que ne justifient manifestement pas les motifs ayant conduit à décider de son assignation à résidence ; que, dans cette mesure, les modalités de l'assignation à résidence telles qu'elles étaient déterminées par l'arrêté du 22 novembre 2015 portent une atteinte grave et manifestement illégale au droit de Mme C...au respect de sa vie familiale ainsi qu'à l'intérêt supérieur de ses enfants auquel une attention primordiale doit être accordée en vertu de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ; que, toutefois, par un arrêté du 6 janvier 2016 pris au vu des éléments échangés au cours de l'audience publique, le ministre de l'intérieur a modifié l'article 2 de l'arrêté du 22 novembre 2015 afin de déterminer de nouvelles modalités de l'assignation à résidence de Mme C. ; que le nombre des obligations de présentation est ramené à deux par jour ; que la requérante devra désormais se présenter du lundi au vendredi au poste de police de Brétigny-sur-Orge ; que les conclusions de la requête sur ce dernier point sont donc devenues sans objet ; que, néanmoins, l'arrêté modificatif prévoit qu'en cas de fermeture exceptionnelle de ce poste de police dans la semaine ainsi que les samedi et dimanche, Mme C...continuera de devoir se présenter au commissariat d'Arpajon ; que, dès lors, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur, afin de faire cesser les atteintes constatées aux libertés fondamentales de Mme C., de prendre, sans délai, toute mesure de nature à permettre, par tous moyens, à l'intéressée de s'acquitter dans tous les cas et tous les jours de ses obligations de présentation dans la commune de Brétigny-sur-Orge (...)

- Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, ordonnance n °1510561 du 15 décembre 2015

Considérant que, par l'arrêté du 7 décembre 2015 dont il est demandé en référé de suspendre les effets, le ministre de l'intérieur a astreint M. X à résider sur le territoire de la commune de Montrouge et du 18 e arrondissement (...)

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier et des observations présentées à l'audience que M. X., s'il est amené à exercer des missions ponctuelles de gardiennage d'immeubles pour un syndic de copropriété dont le siège social est situé dans le 18 e arrondissement de Paris, ne travaille pas à cet endroit mais est appelé à intervenir dans des immeubles situés en région Ile de France, au gré des mission qui lui sont confiées ; que l'assignation à résidence de M. X dans le 18 e arrondissement et l'obligation qui lui est faite de se présenter trois fois par jour au commissariat du territoire de cette commune, n'est pas autrement justifiée par le ministre de l'intérieur ; que le moyen tiré de l'erreur de droit , à l'exclusion de tout autre, est de nature, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision litigieuse (...)

- Tribunal administratif de Paris, ordonnance n° 1520961 du 26 décembre 2015

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en se fondant sur le fait concernant l'environnement familial du requérant, et sur ce seul fait, le ministre de l'intérieur ne s'est pas fondé sur un fait matériellement inexact ; (...) que toutefois, le requérant justifie par des différentes pièces produites au dossier, pièces non contestées par le ministre de l'intérieur, qu'il exerce régulièrement une activité professionnelle afin de subvenir au besoin de sa famille ; qu'il est par ailleurs atteint d'une pathologie récurrente et que son épouse ait actuellement enceinte ; qu'ainsi la mesure en litige porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la liberté et à la sûreté et à la liberté d'aller et venir de M. X ; qu'il convient donc d'enjoindre le ministre de l'intérieur de modifier les conditions de l'assignation à résidence du requérant

III. LES JUGEMENTS EN EXCÈS DE POUVOIR DES ASSIGNATIONS À RÉSIDENCE

- Tribunal administratif de Poitiers n° 1502827 du 27 décembre 2015

Considérant, en second lieu, que la signature d'une pétition contre l'expulsion d'A. est ainsi qu'il vient d'être dit, reconnue, que le changement de comportement alimentaire, vestimentaire et social, ainsi que les relations entretenus avec des personnes présentées comme appartenant à la mouvance islamique radicale ne sont pas contestés, notamment par la production d'attestations ou de témoignages ; que la note blanche concernant M. X indique l'accomplissement du pèlerinage à La Mecque en 2015, outre une suspicion de suivi d'un enseignement du Coran en Égypte ; que toutefois, le ministre de l'intérieur ne pouvait, en se fondant sur ces seules circonstances, retenir une radicalisation de M. X constituant une activité qui s'avère dangereuse pour la sécurité et l'ordre publics (...)


* 1 Proposition de loi relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs adoptée par le Sénat lors de sa séance du 28 janvier 2016.

* 2 Loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence.

* 3 Devenu la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et renforçant l'efficacité de ses dispositions.

* 4 Nouvel article 4-1 de la loi du 3 avril 1955.

* 5 Ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

* 6 Voir composition du comité de suivi en annexe 1.

* 7 Voir liste des personnes entendues par le comité de suivi en annexe 3.

* 8 Voir en annexe 4 le compte rendu de ces auditions.

* 9 Pour une telle présentation, votre rapporteur renvoie à la lecture du rapport n° 177 (2015-2016) de notre collègue Philippe Bas fait au nom de la commission des lois sur le projet de loi prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et renforçant l'efficacité de ses dispositions.

* 10 Article 3 de la loi n° 2005-1425 du 18 novembre 2005 et article 3 de la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015.

* 11 Comme des mesures de restriction de la liberté d'aller et venir.

* 12 Assignations à résidence, perquisitions administratives ou interdictions de manifester.

* 13 Article 14 de la loi du 3 avril 1955.

* 14 Décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 portant application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955.

* 15 Décret n° 2015-1476 du 14 novembre 2015 portant application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955.

* 16 Décret n° 2015-1478 du 14 novembre 2015 modifiant le décret n° 2015-1476 du 14 novembre 2015.

* 17 Décret n° 2015-1493 du 18 novembre 2015 portant application outre-mer de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955

* 18 Décret n° 2015-1494 du 18 novembre 2015 portant application outre-mer de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955.

* 19 Rapport n° 177 (2015-2016) précité de M. Philippe Bas.

* 20 Dans sa rédaction avant l'entrée en vigueur de la loi du 20 novembre 2015, l'article 6 visait les personnes « dont l'activité s'avère dangereuse pour la sécurité et l'ordre publics ».

* 21 Cette nouvelle faculté résulte du vote par les députés d'un amendement présenté par le Gouvernement.

* 22 Direction des libertés publiques et des affaires juridiques, dont votre comité de suivi a auditionné le directeur, M. Thomas Andrieu.

* 23 Circulaire NORINTK4522851J du ministre de l'intérieur du 30 novembre 2015 - Assignations à résidence dans le cadre de l'état d'urgence .

* 24 Parents ou amis.

* 25 Mention dans les fichiers des services de renseignement.

* 26 6 peines d'emprisonnement ferme, 2 d'emprisonnement avec sursis, 1 d'emprisonnement assortie du sursis avec mise à l'épreuve, 1 amende, 1 peine de substitution, 1 mesure de sanction éducative et 1 dispense de peine.

* 27 La rédaction antérieure à la loi du 20 novembre 2015 disposait que l'autorité administrative pouvait ordonner des perquisitions « à domicile de jour et de nuit ».

* 28 Article 59 du code de procédure pénale.

* 29 23,3 % des personnes faisaient l'objet d'une fiche « police judiciaire » ou « sûreté de l'État » dans le fichier des personnes recherchées ou figuraient dans le FSPRT. Pour 17,1 % des perquisitions, cette information n'a pas été communiquée. Dans les seules hypothèses où l'information a été renseignée, 72 % des personnes faisant l'objet d'une perquisition ne faisaient pas l'objet d'un signalement au FPR.

* 30 Fichier de traitement des signalés pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste tenu par l'UCLAT, créé par le décret n° 2015-252 du 4 mars 2015, qui recense les signalements effectués par le biais du centre national d'assistance et de prévention de la radicalisation violente.

* 31 Plusieurs services peuvent fournir du renseignement pour une même perquisition.

* 32 Les chiffres des condamnations et des incarcérations ne peuvent s'additionner dans la mesure où une personne peut être condamnée et incarcérée ou seulement incarcérée dans le cadre d'une détention provisoire.

* 33 Il existe un décalage entre les statistiques des perquisitions administratives et les remontées d'informations provenant des juridictions.

* 34 Voir par exemple l'assignation à résidence suspendue par le juge des référés du tribunal administratif de Lille (ordonnance n° 1510268 du 22 décembre 2015).

* 35 Les statistiques fournies pour ces mesures sont moins précises que celles présentées pour les assignations à résidence et les perquisitions car elles font l'objet d'un suivi encore incomplet de la part du ministère de l'intérieur.

* 36 Votre rapporteur a en particulier interrogé le ministre de l'intérieur, par lettre en date du 8 décembre 2015, sur les raisons, éloignées de la prévention du terrorisme, qui avaient conduit la préfète du Pas-de-Calais à instaurer une zone de protection autour de la RN216 dite « rocade portuaire » de Calais par arrêté du 1 er décembre. Dans sa réponse en date du 15 décembre, le ministre a rappelé le contexte particulier de la région calaisienne et indiqué, dans le droit fil de la jurisprudence récente du Conseil d'État, qu'une telle décision était de nature à faciliter le travail des forces de l'ordre dans un contexte de menace élevée.

* 37 À l'article 6-1 de la loi du 3 avril 1955.

* 38 Décret du 14 janvier 2016 portant dissolution de trois associations (Journal officiel n° 0012 du 15 janvier 2016 - texte n° 26).

* 39 Selon l'exposé des motifs du décret, ces associations auraient notamment favorisé le départ d'une quinzaine de personnes pour aller combattre sur les théâtres syro-irakiens et auraient appelé les militants pro-djihadistes présents en France à commettre des actions terroristes sur le territoire national.

* 40 Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique.

* 41 Loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme.

* 42 Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication, service interministériel à compétence nationale créé par le décret n° 2000-405 du 15 mai 2000.

* 43 En l'absence de mise à disposition par l'éditeur du contenu des mentions légales obligatoires (éléments d'identification personnelle, inscription au registre du commerce, etc.), il est possible d'inscrire le contenu sans délai sur la liste des sites bloqués qui est notifiée aux fournisseurs d'accès internet.

* 44 Il est possible d'accéder à une page internet via son adresse IP ou son adresse URL.

* 45 1 042 demandes avaient été formulées pour l'année 2015.

* 46 Liste qui comprend aujourd'hui 291 sites bloqués.

* 47 Prévue par l'article L. 521-2 du code de justice administrative, la procédure dite du référé-liberté permet au juge d'ordonner, dans un délai de quarante-huit heures, toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une administration aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale. Pour obtenir satisfaction, le requérant doit justifier d'une situation d'urgence.

* 48 Décret n° 55-493 du 10 mai 1955 portant règlement d'administration publique pour l'application de l'article 7 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 instituant un état d'urgence.

* 49 Décret n° 55-923 du 7 juillet 1955 modifiant le décret n° 55-493 du 10 mai 1955.

* 50 Conseil d'État, décision n° 395009 du 11 décembre 2015.

* 51 Neuf suspensions ordonnées par le juge des référés de tribunaux administratifs, une suspension prononcée par le juge des référés du Conseil d'État.

* 52 Voir annexe 6 du présent rapport.

* 53 Voir, pour des motifs professionnels, l'ordonnance du juge des référés (n° 1520961 du 26 décembre 2015) du tribunal administratif de Paris.

* 54 Juge des référés du Conseil d'État, ordonnance n° 395622 du 6 janvier 2016.

* 55 Auxquelles il convient d'ajouter les 26 assignations retirées, dont certaines avant contentieux pour éviter une décision de suspension.

* 56 Tribunal administratif de Poitiers n° 1502827 du 23 décembre 2015.

* 57 Notes libres et non signées de la DCRG qui pouvaient comporter des informations à caractère politique et qui avaient été supprimées au début des années 2000.

* 58 Juge des référés du tribunal administratif de Montreuil, n° 1509932 du 30 novembre 2015.

* 59 Juge des référés du Conseil d'Etat, ordonnance n° 395229 du 23 décembre 2015.

* 60 Conseil constitutionnel, décision n° 2015-527 QPC du 22 décembre 2015, M. Cédric D.

* 61 Conseil constitutionnel, décision n° 99-411 DC du 16 juin 1999, loi portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux infractions sur les agents des exploitants de réseau de transport public de voyageurs.

* 62 Constituent de telles mesures privatives de liberté la détention, l'hospitalisation d'office, la rétention administrative ou la garde à vue.

* 63 Voir, par exemple, ordonnance n° 1502670 du 30 décembre 2015 du juge des référés du tribunal administratif de Pau.

* 64 Dès lors, aucun délai de recours ne peut être opposable à l'intéressé. En effet, la forclusion ne peut être invoquée que si la personne a été expressément informée au préalable de son droit au recours et des délais dans lesquels il s'exerce (deux mois).

* 65 Juge des référés du tribunal administratif de Paris, ordonnance n° 1519341/9 du 26 novembre 2015.

* 66 Ainsi, dans une décision du 13 janvier 2016, le tribunal correctionnel de Grenoble a annulé quatre arrêtés de perquisition ne mentionnant aucun nom mais une seule adresse d'immeuble. De même, le tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand a annulé un ordre de perquisition, pour défaut de motivation, par un jugement en date du 1 er février 2016.

* 67 Le Conseil d'État et la justice administrative, acteurs de la vie publique, bilan d'activité 2014.

* 68 Conseil d'État, décision n° 395092 du 15 janvier 2016.

* 69 Juge des référés du tribunal administratif de Nice, ordonnance n° 1504743 du 3 décembre 2015.

* 70 Juge des référés du tribunal administratif de Nice, ordonnance n° 1504932 du 18 décembre 2015.

* 71 Juge des référés du Conseil d'État, ordonnances n os 395620 et 395621 du 6 janvier 2016.

* 72 Juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, ordonnance n° 1507833 du 11 janvier 2016.

* 73 Conseil d'État, décision n° 395091 du 15 janvier 2016.

* 74 Juge des référés du Conseil d'État, ordonnance n° 396220 du 27 janvier 2016.

* 75 Juge des référés du Conseil d'État, ordonnance n° 286835 du 14 novembre 2005.

* 76 Conseil d'État, décision de l'assemblée du contentieux n° 286834 et 287218 du 24 mars 2006 (arrêt Rolin et Boisvert).

* 77 Les audiences publiques sur les deux QPC en instance relatives à l'état d'urgence étant programmées pour le 11 février prochain, les décisions du Conseil constitutionnel devraient être connues avant la fin du mois de février.

* 78 Loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.

* 79 Loi n° 2005-1425 du 18 novembre 2005 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955.

* 80 Guadeloupe, Guyane, Martinique, Réunion, Mayotte, Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

* 81 Attaque à l'aide d'une arme blanche sur les forces de l'ordre à Paris le 11 janvier 2016 par un individu, apparemment porteur d'un engin explosif qui s'est ensuite révélé factice ainsi que d'un document de revendication au nom de l'organisation terroriste Daesh et agression à l'arme blanche d'un professeur de confession juive devant l'Institut franco-hébraïque de la Source à Marseille par un mineur, qui a revendiqué son action au nom de l'organisation Daesh.

* 82 La moitié des perquisitions administratives conduites depuis la mise en oeuvre de l'état d'urgence ont conduit à la consultation et la copie de données informatiques.

* 83 Décisions 80-127 DC , 20 janvier 1981 ; 2003-467 DC, 13 mars 2003 ; 2004-492 DC, 2 mars 2004 ; 2012-253 QPC, 8 juin 2012.

* 84 Conseil constitutionnel, décision n° 2005-532 DC du 19 janvier 2006, loi relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers.

* 85 En application de l'article L. 224-1 du code de la sécurité intérieure, l'interdiction de sortie du territoire est prononcée pour une durée de six mois renouvelable et ses renouvellements consécutifs ne peuvent porter sa durée globale au-delà de deux années.

* 86 Voir, par exemple, ordonnance n° 1504254 du 15 janvier 2016 du juge des référés du tribunal administratif d'Orléans.

* 87 Article 21 de la proposition de loi n° 280 (2015-2016) tendant à renforcer l'efficacité de la lutte antiterroriste.

* 88 Rapport n° 335 (2015-2016) fait par M. Michel Mercier au nom de la commission des lois sur la proposition de loi tendant à renforcer l'efficacité de la lutte antiterroriste.

* 89 Le statut de ces données est désormais fixé par les articles L. 822-1 à L. 822-4 du code de la sécurité intérieure.

* 90 Conseil constitutionnel, décision n° 2015-713 DC du 23 juillet 2015, loi relative au renseignement.

* 91 Guadeloupe, Guyane, Martinique, Réunion, Mayotte, Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

* 92 Ordonnance n° 60-372 du 15 avril 1960 modifiant certaines dispositions de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 instituant un état d'urgence.

* 93 Rapport n° 177 (2015-2016) précité.

* 94 Loi n° 2005-1425 du 18 novembre 2005 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955.

* 95 Décret n° 61-395 du 22 avril 1961 portant déclaration de l'état d'urgence et décret n° 61-396 du 22 avril 1961 relatif à l'application de l'état d'urgence.

* 96 Décision du 24 avril 1961 relative à la durée de l'état d'urgence.

* 97 Décision du 29 septembre 1961 relative à certaines mesures prises en vertu de l'article 16 de la Constitution.

* 98 Ordonnance n° 62-797 du 13 juillet 1962 prorogeant les dispositions des décisions des 24 et 27 avril 1961 et modifiant l'ordonnance n° 58-1309 du 23 décembre 1958.

Page mise à jour le

Partager cette page