CHAPITRE II - ADAPTATION DU DROIT DU TRAVAIL À L'ÈRE DU NUMÉRIQUE

Article 25 (art. L. 2242-8 du code du travail) - Obligation de négociation sur le droit à la déconnexion

Objet : Cet article intègre l'exercice du droit à la déconnexion dans la négociation annuelle sur les conditions de travail au sein de l'entreprise.

I - Le dispositif proposé

Le présent article vise principalement à consacrer , en modifiant l'article L. 2248-8 du code du travail, le nouveau droit des salariés à la déconnexion dans l'utilisation des outils numériques .

L'article L. 2242-8 du code du travail précise en effet le champ de la négociation annuelle sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail.

Le 6° de cet article mentionne l'exercice du droit d'expression directe et collective des salariés. Ce droit, défini à l'article L. 2281-2, a pour objet de définir les actions à mettre en oeuvre pour améliorer les conditions de travail des salariés, l'organisation de l'activité et la qualité de la production dans l'unité de travail à laquelle ils appartiennent et dans l'entreprise.

Le présent article complète tout d'abord le 6° de l'article L. 2242-8 afin de préciser que ce droit d'expression s'exerce notamment au travers des outils numériques disponibles dans l'entreprise.

Il ajoute ensuite un nouvel objet de négociation (7°), portant sur les modalités d'exercice par le salarié de son droit à la déconnexion. Il est précisé que, à défaut d'accord, l'employeur définit ces modalités. Dans les entreprises de plus de 300 salariés, une charte élaborée après avis du comité d'entreprise ou des délégués du personnel doit prévoir, notamment, la mise en oeuvre d'actions de formation et de sensibilisation à l'usage des outils numériques.

Dans sa rédaction initiale, le présent article devait entrer en vigueur le 1 er janvier 2018.

II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale

La commission des affaires sociales a adopté cinq amendements du rapporteur, dont trois rédactionnels. Un amendement prévoit que la négociation porte également sur la mise en place de dispositifs de régulation de l'utilisation des outils numériques et un autre que l'objet du droit à la déconnexion est également d'assurer le respect de la vie personnelle et familiale.

La commission a également souhaité préciser, à l'initiative de nos collègues députées Corinne Erhel et Audrey Linkenheld, que la négociation ne porte pas simplement sur les modalités de « l'exercice du droit à la déconnexion » mais sur les modalités de son « plein exercice ». Elle a également jugé utile de préciser que les actions de formation et de sensibilisation prévues par la charte élaborées dans les grandes entreprises portent sur « un usage raisonnable des outils numériques » et non sur le simple « usage de ces outils » .

Par ailleurs, à l'initiative de notre collègue député Benoît Hamon et plusieurs membres du groupe socialiste, républicain et citoyen (SRC), la commission a souhaité abaisser de trois cents à cinquante le nombre de salariés au-delà duquel une charte doit être élaborée.

À l'initiative de nos collègues députés Yves Blein, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, et Corinne Erhel, la commission a ajouté un alinéa permettant la mise en place, pour une durée de douze mois, d'une expérimentation nationale portant sur l'articulation du temps de travail et de l'usage raisonnable des messageries électroniques par les salariés ou les agents publics.

Enfin, la commission a adopté deux amendements déposés par nos collègues députés Christophe Cavard, Jean-Patrick Gille et plusieurs de leurs collègues visant à ce que les dispositions du présent article entrent en vigueur non plus le 1 er janvier 2018 mais le 1 er janvier 2017.

Deux amendements rédactionnels du rapporteur, ils ont par ailleurs été repris par le Gouvernement dans le texte sur lequel celui-ci a engagé sa responsabilité en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution. L'un d'eux précise que la date d'entrée en application du 1 er janvier 2017 ne s'applique qu'au paragraphe I du présent article qui élargit le champ de la négociation annuelle sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail.

III - La position de votre commission

Le débat sur le droit à la déconnexion s'inscrit dans un contexte où, pour de nombreux salariés, le développement des technologies de communication rend floue la frontière entre le temps de travail et le temps personnel. On pourrait être tenté de considérer que le droit à la déconnexion constitue un aspect du droit au repos quotidien, et qu'un salarié ne saurait être tenu de travailler en dehors de son temps de travail. C'est d'ailleurs ce à quoi invite le Conseil d'État, dans son avis sur le projet de loi, qui précise que « dans la mesure où (...) le droit du salarié à la déconnexion dans l'utilisation des outils numériques a pour finalité d'assurer le respect des temps de repos et de congés, le législateur ne [méconnait] pas l'étendue de sa compétence en prévoyant qu'un accord d'entreprise [peut] en définir les modalités ».

L'évolution des conditions de travail pousse néanmoins à reconnaître un caractère spécifique à cette question. Certaines entreprises ont d'ailleurs mis en oeuvre une réflexion sur le droit à la déconnexion, et pris des mesures, en concertation avec leurs salariés, en vue de garantir ce droit 329 ( * ) .

Vos rapporteurs regardent avec intérêt ces initiatives. Toutefois, ils se sont interrogés sur la pertinence de légiférer sur ce sujet . L'article L. 2242-8 du code du travail prévoit déjà six sujets de négociation obligatoire au titre de la négociation annuelle sur l'égalité professionnelle et la qualité de vie au travail, au premier rang desquels « l'articulation entre la vie personnelle et la vie professionnelle pour les salariés » . Le droit à la déconnexion s'inscrit déjà pleinement dans cet objectif. D'une manière générale, la multiplication des sujets de négociation, formulés de manière imprécise, est de nature à rendre ce processus excessivement formel, ce qui pourrait avoir in fine un effet contre-productif.

S'agissant spécifiquement du droit à la déconnexion, cet article a le mérite d'introduire ce concept dans le code du travail. Il devrait en effet permettre à un salarié, qui exciperait devant une juridiction d'un usage non modéré des outils numériques en dehors de ses heures de travail, de mieux faire valoir son droit au repos. En revanche, vos rapporteurs ont souhaité proposer une rédaction simplifiée de ce dispositif .

Tant le projet de loi initial que les amendements adoptés à l'Assemblée nationale introduisent des dispositions qui, en raison soit de leur degré de précision, soit de leur absence de portée normative, encombrent inutilement la formulation de ce droit.

Le champ de la négociation annuelle portant sur l'ensemble des sujets évoqués à l'article L. 2242-8, il est en effet redondant de préciser que le droit à la déconnexion vise à assurer le respect de la vie personnelle et familiale alors même que la négociation doit déjà porter sur l'articulation entre la vie personnelle et professionnelle.

De même, la disposition précisant que les modalités de mise en oeuvre de ce droit, dans les entreprises de cinquante salariés et plus, font l'objet d'une charte élaborée après avis des institutions représentatives du personnel ne relève assurément pas du domaine de la loi fixé à l'article 34 de la Constitution.

Ces réflexions conduisent également vos rapporteurs à proposer la suppression du complément apporté au 6° de l'article L. 2242-8.

En ce qui concerne le I bis ajouté au présent article par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, vos rapporteurs voient mal ce que signifie « l'articulation du temps de travail et l'usage raisonnable des messageries électroniques ». En l'absence de plus amples précisions, cette autorisation d'expérimentation ne semble pas avoir sa place dans le présent projet de loi et ce d'autant plus que son article 26 prévoit déjà qu'une concertation est lancée sur le télétravail et sur la prise en compte des pratiques liées aux outils numériques permettant de mieux articuler la vie personnelle et la vie professionnelle. Si la demande de lancement d'une concertation ne relève pas plus du domaine de la loi (cf. article 26) que les précisions entourant le droit à la déconnexion, il semble à tout le moins utile d'attendre ses conclusions avant d'engager une expérimentation.

Votre commission a adopté trois amendements de simplification de vos rapporteurs ( COM-135 , COM-136 et COM-137 ).

Votre commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 25 bis (nouveau) (art. L. 5213-6 du code du travail ; art. L. 212-2 [nouveau] du code de commerce) - Obligation pour l'employeur d'assurer l'accessibilité du poste de travail des personnes handicapées et pour les éditeurs de logiciels d'assurer la mise en accessibilité de leurs produits pour les travailleurs handicapés

Objet : Cet article additionnel, issu d'un amendement de nos collègues Dominique Gillot et Claire-Lise Campion, étend les obligations des employeurs à l'égard des travailleurs handicapés en s'assurant de l'accessibilité de leur poste de travail et oblige les éditeurs de logiciels à prévoir une version adaptée de leurs produits pour les personnes handicapées.

Le dispositif proposé par l'article 25 bis , issu de l'amendement COM-326 de nos collègues Dominique Gillot et Claire-Lise Campion, s'inscrit dans la continuité des obligations pesant sur les employeurs à l'égard des travailleurs handicapés. L'obligation d'emploi des travailleurs handicapés (OETH) a fait l'objet d'une définition précisée par la loi du 11 février 2005 330 ( * ) , sans que les contraintes entourant l'aménagement du poste de travail ne soient quant à elles autant circonscrites. Une directive européenne du 27 novembre 2000 331 ( * ) énonce la notion d' « aménagement raisonnable » du poste de travail à la charge de l'employeur, avec l'idée que les adaptations apportées pour l'accueil du travail handicapé doivent entraîner des coûts limités .

En France, cette notion a été déclinée sous les termes de « mesures appropriées » et de « charge disproportionnée » par la loi du 11 février 2005, sans que la jurisprudence interne n'en apporte à ce jour une interprétation ferme. Les dépenses à la charge de l'employeur pour l'aménagement d'un poste sont estimées en prenant en compte les aides versées par l'association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph). Cet article vise à donner à l'obligation pour l'employeur d'adapter les logiciels de travail du travailleur handicapé un caractère plus univoque .

Il prévoit également que l'employeur doit s'assurer que le poste de travail des personnes handicapées est accessible en télétravail. Dans les faits, cette obligation va s'avérer impossible à mettre en oeuvre . En effet, toutes les activités ne peuvent pas être réalisées en télétravail. Qui plus est, la mise en place du télétravail répond à un cadre juridique spécifique, défini aux articles L. 1222-9 à L. 1222-11 du code du travail.

L'autre partie du dispositif concerne plus spécifiquement les travailleurs atteints d'un handicap visuel et se fonde sur le constat que l'ergonomie des appareils, notamment de téléphonie mobile ou les ordinateurs, n'est pas suffisamment pensée en termes d'accessibilité . Elle prévoit ainsi que tout nouveau développement de logiciel fasse l'objet d'une accessibilité pour les travailleurs handicapés. Cette démarche s'inscrit dans la concertation lancée en 2011 par la signature d'une « charte pour l'accès des personnes handicapées aux communications électroniques » entre le ministère des affaires sociales et de la santé, la fédération française des télécoms (FFT), l'autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) et la secrétaire générale du comité interministériel du handicap (CIH).

Bien que très favorable à l'idée sous-jacente à cet article, vos rapporteurs n'avaient pas appelé à son adoption en raison de plusieurs difficultés liées à sa mise en oeuvre. La modification portée au code du travail sur l'accessibilité nécessaire des logiciels installés sur le poste de travail ne soulevait aucune difficulté et paraissait d'autre part satisfaite par l'article 23 ter du projet de loi , qui prévoit une amélioration du suivi des travailleurs handicapés dans l'entreprise. L'obligation faite aux éditeurs de logiciels de prévoir leur mise en accessibilité pour les travailleurs handicapés posait davantage problème. Outre qu'elle inscrivait d'emblée dans la loi un objectif qui a fait l'objet en 2011 d'une démarche davantage fondée sur la concertation entre acteurs , il a semblé à vos rapporteurs que cette dernière disposition visait les éditeurs de logiciels de façon trop large, et surtout se privait de l'intervention d'entrepreneurs tiers spécialisés dans l'adaptation de logiciels déjà créés.

L'accessibilité des logiciels est, selon vos rapporteurs, une compétence que les éditeurs devraient davantage sous-traiter auprès de spécialistes plutôt qu'incorporer en interne dans leur produit . Enfin, le délai de mise en oeuvre de trois ans paraissait insuffisant pour un dispositif d'une telle ampleur, dont la charge repose exclusivement sur les entreprises. Néanmoins, contre l'avis de ses rapporteurs, votre commission a adopté l'amendement COM-326.

Votre commission a adopté cet article additionnel ainsi rédigé.

Article 26 - Concertation sur le télétravail

Objet : Cet article prévoit l'organisation d'une concertation sur le développement du télétravail et du travail à distance d'une part et sur les modalités d'organisation du travail pour les salariés en forfait en jours.

I - Le dispositif proposé

Le présent article prévoit l'organisation, avant le 1 er octobre 2016, d'une concertation sur le développement du télétravail et du travail à distance . Si les organisations professionnelles et syndicales le souhaitent, cette concertation pourra conduire à ouvrir une négociation à ce sujet.

Cette concertation doit également porter sur l'évaluation de la charge de travail des salariés en forfait en jours, la prise en compte des pratiques liées aux outils numériques et sur l'opportunité du fractionnement du repos quotidien ou hebdomadaire de ces salariés .

II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale

La commission des affaires sociales a adopté deux amendements de son rapporteur, dont un rédactionnel et un prévoyant la remise au Parlement d'un rapport sur l'adaptation juridique des notions de lieu, de charge et de temps de travail liées à l'utilisation des outils numériques (paragraphe II).

Deux amendements des membres du groupe SRC ont été repris par le Gouvernement dans le texte sur lequel celui-ci a engagé sa responsabilité en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution. Le premier précise que la concertation sur le télétravail s'appuie sur un état des lieux sexué du développement de cette forme de travail dans chacune des branches professionnelles. Le second amendement prévoit que la concertation aboutit à la rédaction d'un guide des bonnes pratiques qui doit servir de référence lors de la négociation d'un accord collectif d'entreprise.

III - La position de votre commission

Si les questions du développement du travail à distance et des conventions individuelles de forfait en jours sont des sujets pouvant appeler à une évolution des règles légales et conventionnelles, vos rapporteurs se sont interrogés sur la nécessité d'inscrire dans la loi l'organisation d'une concertation ponctuelle. Le Conseil d'État avait d'ailleurs disjoint cet article du projet de loi au motif qu'il était dépourvu de tout contenu normatif. Le Gouvernement n'a en effet pas besoin de la loi pour engager une concertation avec les partenaires sociaux, un simple document d'orientation transmis aux organisations suffisant à les convoquer.

Jugeant peu probable que la suppression de cet article soit confirmée dans la suite de la procédure parlementaire, vos rapporteurs ont souhaité simplifier la rédaction du dispositif (amendement COM-138 ) en retenant simplement le principe d'une concertation lancée sur les deux sujets évoqués avant le 1 er octobre 2016, les autres dispositions ne relevant pas du domaine de la loi. La mention à l'élaboration d'un guide de bonnes pratiques à l'issue de la concertation est ainsi supprimée.

Votre commission étant défavorable à la multiplication des demandes de rapport, elle a adopté l'amendement ( COM-139 ), proposé par ses rapporteurs, visant à supprimer le paragraphe II ajouté par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale.

Votre commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 27 (art. L. 2142-6, L. 2314-21, et L. 2324-19 du code du travail) - Diffusion par voie électronique des informations syndicales et vote par voie électronique

Objet : Cet article vise à adapter aux outils numériques les règles de la communication syndicale et du vote aux élections professionnelles dans l'entreprise.

I - Le dispositif proposé

A. La diffusion des informations syndicales par voie électronique

L'article L. 2142-6 du code du travail permet à un accord d'entreprise d'autoriser la mise à disposition des publications et tracts syndicaux soit sur un site syndical, mis en place sur l'intranet de l'entreprise, soit par diffusion sur la messagerie électronique de l'entreprise. Il est précisé que la diffusion via la messagerie électronique doit être compatible avec les exigences de bon fonctionnement du réseau et ne doit pas entraver l'accomplissement du travail.

Le présent article réécrit intégralement l'article L. 2142-6. L'accord d'entreprise n'a plus pour objet de « permettre la mise à disposition des publications et tracts de nature syndicale » mais seulement de « définir les conditions et les modalités de diffusion des informations syndicales au moyen des outils numériques disponibles dans l'entreprise » .

À défaut d'accord, les organisations syndicales peuvent mettre à dispositions leurs publications et tracts sur un site syndical accessible à partir de l'intranet, lorsque celui-ci existe, à condition de satisfaire aux critères de respect des valeurs républicaines et d'indépendance, d'être légalement constituées depuis au moins deux ans et à condition que leur champ professionnel et géographique couvre celui de l'entreprise ou de l'établissement.

Cet article procède donc à l'élargissement du droit de communication numérique des organisations syndicales avec les salariés d'une entreprise en supprimant l'obligation de trouver un accord avec l'employeur.

La rédaction proposée comporte également une liste de conditions qui encadrent la mise à disposition et l'utilisation des outils numériques par les organisations syndicales. Ces conditions sont la compatibilité avec les exigences de bon fonctionnement et de sécurité du réseau informatique de l'entreprise, l'absence d'entrave à l'accomplissement normal du travail et la préservation du libre choix des salariés d'accepter ou de refuser un message.

B. Le vote électronique

Le présent article modifie par ailleurs les règles relatives à l'élection par voie électronique des délégués du personnel , prévues à l'article L. 2314-21, et des membres du comité d'entreprise , prévues par l'article L. 2324-19.

Dans les deux cas, le code du travail prévoit actuellement que la mise en oeuvre du vote électronique est subordonnée à la conclusion d'un accord d'entreprise.

Le présent article permet à l'employeur de décider de l'organisation du vote électronique à défaut d'accord . Un décret en Conseil d'État pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) doit préciser les modalités d'organisation de l'élection par vote électronique.

II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale

La commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a adopté deux amendements rédactionnels du rapporteur. Aucun amendement supplémentaire n'a été repris par le Gouvernement dans le texte sur lequel il a engagé sa responsabilité en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution.

III - La position de votre commission

À l'initiative de vos rapporteurs, votre commission a adopté deux amendements de simplification rédactionnelle ( COM-140 et COM-403 ) ainsi qu'un amendement visant à restreindre l'accès des outils informatiques aux organisations syndicales présentes au sein de l'entreprise ( COM-404 ). La formulation retenue pour définir les organisations syndicales aurait en effet permis à une organisation non présente dans l'entreprise mais représentée au sein de la branche d'avoir accès à l'intranet de l'entreprise.

Votre commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 27 bis (supprimé) (art. L. 7341-1 [nouveau] et L. 7342-1 à L. 7342-6 [nouveaux] du code du travail) - Responsabilité sociale des plateformes de mise en relation par voie électronique

Objet : Cet article, issu de deux amendements identiques du rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et de notre collègue députée Audrey Linkenheld adoptés en commission à l'Assemblée nationale, ébauche un statut pour les travailleurs indépendants utilisant une plateforme de mise en relation par voie électronique.

I - Le dispositif proposé par l'Assemblée nationale

A. Un article introduit par la commission des affaires sociales

La septième partie du code du travail rassemble les dispositions particulières applicables à certaines professions et activités. Le présent article, issu de deux amendements identiques adoptés par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale à l'initiative du rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques ainsi que de notre collègue députée Audrey Linkenheld, vise à créer une nouvelle subdivision au sein de cette septième partie, relative aux travailleurs utilisant une plateforme de mise en relation par voie électronique .

Il ajoute à cet effet un titre IV au sein du livre III relatif aux voyageurs, représentants ou placiers, gérants de succursales et entrepreneurs salariés associés d'une coopérative d'activité et d'emploi. Ce nouveau titre comporte deux chapitres.

Le premier chapitre, relatif au champ d'application, comporte un unique article numéroté L. 7341-1 aux termes duquel les dispositions du titre proposé sont applicables aux travailleurs recourant pour l'exercice de leur activité professionnelle à une ou plusieurs plateformes de mise en relation par voie électronique mentionnées à l'article 242 bis du code général des impôts, créé par la loi de finances pour 2016 332 ( * ) .

Le chapitre II comporte cinq articles numérotés L. 7341-2 à L. 7341-6.

Le nouvel article L. 7341-2 pose le principe d'une responsabilité sociale des plateformes à l'égard des travailleurs concernés lorsqu'elles déterminent les caractéristiques de la prestation de service fournie ou du bien vendu et lorsqu'elles en fixent le prix.

Le nouvel article L. 7341-3 dispose que, lorsque le travailleur souscrit à l'assurance volontaire en matière d'accidents du travail , la cotisation devra être prise en charge par la plateforme.

Le nouvel article L. 7341-4 précise que les travailleurs concernés bénéficieront du droit d'accès à la formation professionnelle continue ouverte aux travailleurs indépendants par l'article L. 6312-2 du code du travail. Il précise que la contribution à la formation professionnelle sera prise en charge par la plateforme. Le travailleur bénéficie par ailleurs de la validation des acquis de l'expérience (VAE), la plateforme devant prendre en charge les frais d'accompagnement et lui verser une indemnité, dans des conditions précisées par un décret en Conseil d'Etat.

Le nouvel article L. 7341-5 nouveau dispose que les « mouvements de refus concertés de fournir leurs services » organisés par les travailleurs en question en vue de défendre leurs « revendications professionnelles » ne peuvent ni engager leur responsabilité contractuelle ni constituer un motif de rupture de leur relation avec les plateformes ou donner lieu à toute mesure pénalisant leurs activités.

Enfin, le nouvel article L. 7341-6 affirme le droit pour les travailleurs concernés de constituer un syndicat et d'y adhérer afin de faire valoir leurs intérêts collectifs.

B. Un dispositif complété en séance publique

Huit amendements, dont cinq déposés à l'initiative du Gouvernement et trois amendements rédactionnels du rapporteur, ont été retenus par le Gouvernement dans le texte sur lequel il a engagé sa responsabilité en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution.

Le premier amendement du Gouvernement précise que les travailleurs concernés par les dispositions de cet article seront bien des travailleurs indépendants . En conséquence, un deuxième amendement supprime la référence à l'article L. 7411-1 du code du travail qui renvoie aux travailleurs à domicile. Ces derniers bénéficiant de l'ensemble des droits attachés au statut de salarié, ils ne peuvent être assimilés aux travailleurs indépendants visés par ces nouvelles dispositions.

Un troisième amendement introduit un article L. 7342-3-1 qui précise que les cotisations en matière d'accident du travail, la contribution à la formation professionnelle et les frais d'accompagnement à la validation des acquis de l'expérience ne seront pris en charge par les plateformes qu'à la condition que les travailleurs indépendants réalisent une activité significative. Le caractère significatif sera évalué en fonction d'un seuil de chiffre d'affaires défini par décret.

Ce nouvel article prévoit également que pour le calcul de la cotisation afférente aux accidents du travail et de la contribution à la formation professionnelle prises en charge par la plateforme, seul sera pris en compte le chiffre d'affaires réalisé par le travailleur sur ladite plateforme.

Un quatrième amendement précise que le droit des travailleurs indépendants de défendre leurs revendications professionnelles dans le cadre de mouvements de refus concerté de fournir leurs services devra s'exercer « sans abus », afin de ne pas engager leur liberté contractuelle, ni constituer un motif de rupture du contrat, ni justifier des mesures les pénalisant dans l'exercice de leur activité.

Enfin, le dernier amendement du Gouvernement crée un article L. 7342-6 qui dispose que la reconnaissance de la responsabilité sociale d'une plateforme à l'égard d'un travailleur indépendant n'est pas de nature à établir l'existence d'un lien de subordination entre celle-ci et le travailleur recourant à ses services . Cette formulation n'exclut donc pas la possibilité pour un juge de qualifier le lien, entre la plateforme et le travailleur indépendant, de lien de subordination 333 ( * ) mais permet simplement de préciser que la reconnaissance de la responsabilité sociale de la plateforme à l'égard de son prestataire ne vaut pas la reconnaissance d'une relation salariale.

Le statut des travailleurs utilisant une plateforme de mise en relation
par voie électronique dans le texte adopté par l'Assemblée nationale

I. - Les conditions à la reconnaissance de la responsabilité sociale de la plateforme vis-à-vis du travailleur indépendant :

- la plateforme doit déterminer les caractéristiques de la prestation de service fournie ou du bien vendu ;

- la plateforme doit fixer le prix du service fourni ou du bien vendu ;

- le travailleur sur la plateforme doit réaliser un chiffre d'affaires supérieur à un seuil fixé par décret.

II. - Le contenu de la responsabilité sociale de la plateforme lorsque le travailleur indépendant y réalise un chiffre d'affaires supérieur au seuil :

- la prise en charge des cotisations « accidents du travail - maladies professionnelles » du travailleur indépendant lorsque celui-ci souscrit à l'assurance volontaire ;

- la prise en charge de la contribution à la formation professionnelle pour le travailleur indépendant ;

- la prise en charge des frais d'accompagnement et de l'indemnité permettant au travailleur indépendant de bénéficier de la validation des acquis de l'expérience.

III. - Les autres éléments constitutifs du statut du travailleur indépendant non soumis à la condition de chiffre d'affaires :

- la reconnaissance d'un droit de grève, « sauf abus » : un mouvement de refus concerté de fournir le service par les travailleurs indépendants ne peut ni engager leur responsabilité contractuelle, ni constituer un motif de rupture de la relation avec la plateforme, ni justifier des mesures les pénalisant dans l'exercice de leur activité ;

- la reconnaissance d'un droit syndical : les travailleurs indépendants bénéficient du droit de constituer une organisation syndicale, d'y adhérer et de faire valoir par son intermédiaire leurs intérêts collectifs.

IV. - L'exclusion de la reconnaissance d'un lien de subordination malgré l'existence d'une responsabilité sociale de la plateforme vis-à-vis du travailleur indépendant.

II - La position de votre commission

Vos rapporteurs jugent l'introduction de ces nouvelles dispositions à la fois prématurées et inabouties.

Alors qu'elles n'ont fait l'objet d'aucune concertation préalable ni d'étude d'impact, ces dispositions interviennent alors que deux procédures juridictionnelles sont en cours opposant l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf) d'Ile-de-France et l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) d'une part, à la plateforme de véhicules de tourisme avec chauffeur Uber d'autre part. La première fait suite à un redressement de cotisations sociales, mené par l'Urssaf d'Ile-de-France, qui a requalifié les contrats de chauffeurs d'Uber en contrats de travail, soumis aux cotisations sociales afférentes, et qui est contesté par la plateforme devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris. L'Acoss a par ailleurs transmis un procès-verbal de travail dissimulé au procureur de la République de Paris fondé sur le principe du détournement de statut. Si le présent article, en particulier l'article L. 7342-6 qu'il introduit dans le code du travail, ne tranche pas la question de l'éventuelle requalification du contrat de prestation de service en contrat de travail, il interfère malgré tout, par la reconnaissance d'un statut ad hoc , dans le litige qui a été porté devant les tribunaux.

Il semble en effet paradoxal de reconnaitre à ces travailleurs indépendants certains attributs du salariat, tout en les maintenant a priori en dehors de ce statut.

Par ailleurs, l'absence d'information complémentaire sur la définition du seuil de chiffre d'affaires par le décret rend le dispositif très aléatoire. S'agira-t-il d'un montant absolu ou d'un pourcentage réalisé par le travailleur indépendant par rapport à son chiffre d'affaires total ? S'il est trop haut, de nombreux travailleurs occasionnels ne pourront pas bénéficier de la responsabilité sociale de ces plateformes. S'il est trop faible, il ne peut être exclu qu'un même travailleur puisse remplir les conditions de chiffre d'affaires auprès de plusieurs plateformes.

Ce dispositif est également inabouti. L'article reconnaissant le droit de constituer une organisation syndicale semble tout d'abord inutile. En effet, le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, dont le juge constitutionnel fait une pleine application depuis 1971, proclame que tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix. Ce droit ne concerne pas que les seuls salariés et s'applique à tous les travailleurs, y compris les indépendants.

Le contenu de la responsabilité sociale de la plateforme est ensuite parcellaire. L'exposé des motifs des amendements adoptés n'explique pas le choix de n'inclure que ces trois éléments (accident du travail, formation professionnelle-VAE, droit de grève et d'action syndicale) alors que d'autres auraient pu être retenus (règles en matière de sécurité au travail, revenu horaire minimum ou même le droit à la déconnexion nouvellement consacré par le présent projet de loi).

Enfin, ce dispositif ne semble pas à la hauteur du défi considérable que pose le développement des plateformes numériques à notre modèle de protection sociale et à son financement.

Vos rapporteurs considèrent que cette question ne peut être traitée au détour d'un amendement mais doit faire l'objet d'une réflexion globale et concertée. C'est pourquoi, votre commission a adopté l'amendement de suppression ( COM-141 ) de cet article proposé par ses rapporteurs et appelle le Gouvernement à engager sans délai une réflexion sur le statut des travailleurs utilisant des plateformes électroniques de mise en relation.

Votre commission a supprimé cet article.


* 329 L'étude d'impact cite quelques exemples français comme l'accord du 24 septembre 2013 chez BNP Paribas qui prévoit les plages horaires durant lesquelles les courriels peuvent être envoyés et précise qu'aucune réponse immédiate ne saurait être attendue du destinataire lorsque le message est envoyé en dehors des plages définies.

* 330 Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

* 331 Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail.

* 332 Loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016, art. 87.

* 333 On rappellera que quatre éléments sont constitutifs d'un contrat de travail : l'obligation pour l'employeur de fournir une tâche à exécuter, l'exécution effective d'une prestation de travail, le versement d'une rémunération et la subordination juridique.

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