F. AUDITION DU GÉNÉRAL GAËTAN PONCELIN DE RAUCOURT, DIRECTEUR DU PROJET RÉSERVE DU MINISTÈRE DE LA DÉFENSE

M. Jean-Claude Lenoir , président. - Mes chers collègues, notre emploi du temps a été quelque peu contrarié en raison des changements intervenus la semaine dernière dans l'ordre du jour de la séance publique. Nous avons donc été conduits à organiser aujourd'hui une journée de travaux en fonction des disponibilités de M. Patrick Kanner, ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports. J'ai souhaité que les auditions des différents ministères aient lieu avant le départ en vacances et, surtout, avant l'examen des amendements prévu en septembre, puisque nos travaux reprendront quinze jours avant l'ouverture de la session extraordinaire.

Nous accueillons ce matin le général Poncelin de Raucourt, directeur du projet Réserve du ministère de la Défense. Mon général, vous êtes au coeur des politiques publiques qui font l'objet du projet de loi « Égalité et citoyenneté », même si ce dernier ne traite pas de questions militaires au sens opérationnel du terme. C'est pourquoi certains d'entre nous ont émis l'idée de cette audition et je vous remercie d'avoir accepté de venir dans des délais aussi brefs.

Nous recevrons M. Patrick Kanner cet après-midi. Il nous redira que ce projet de loi vise à favoriser l'engagement des jeunes dans la citoyenneté et l'engagement des citoyens au service de la Nation. Ces sujets sont d'une cruelle actualité.

Depuis les attentats de janvier 2015, nous assistons à une montée des vocations en faveur des métiers de protection de la Nation, qu'il s'agisse de la police ou de la gendarmerie, et, après l'attentat de Nice, le Gouvernement a appelé à l'engagement dans la réserve de la défense nationale. Comment faire en sorte que cet engouement ne soit pas uniquement passager ? Que faire de tous les jeunes contrariés dans leur souhait, faute d'être aptes à exercer ces activités exigeantes ?

Le projet de loi crée une réserve citoyenne. Une partie de cette réserve sera constituée de la réserve militaire non opérationnelle. Vous nous direz comment vous envisagez son articulation avec la réserve de la sécurité civile et avec celle de l'éducation nationale. Vous pourrez peut-être aussi nous dire un mot du développement du service civique, dans lequel on voit de plus en plus un substitut civil à l'ancien service national, pour ce qui est du rôle que ce dernier jouait dans la cohésion de la société. Notre collègue Françoise Gatel, plus particulièrement chargée du volet du projet de loi consacré à ces questions, ne peut malheureusement pas être présente ce matin, en raison d'engagements antérieurs qu'elle n'a pu modifier. Elle a toutefois préparé une série de questions que je porterai à votre connaissance tout à l'heure. Je passerai ensuite la parole à l'ensemble de nos collègues.

Sans plus attendre, je vous donne la parole, mon général.

Général Gaëtan Poncelin de Raucourt, directeur du projet Réserve du ministère de la Défense. - Je suis très honoré et très heureux d'avoir été convié à présenter les réserves des armées et à vous faire part de quelques réflexions au sujet du projet de loi « Égalité et citoyenneté » auquel est consacré votre commission spéciale. Je suis très heureux, parce que j'estime que les réserves sont, pour nous, militaires, un sujet stratégique d'un double point de vue sécuritaire, mais aussi sociétal.

Le sujet des réserves, qui n'était plus un sujet avant les attentats de janvier 2015, est aujourd'hui très souvent évoqué, en particulier depuis le 15 juillet dernier, mais il l'est parfois de manière un peu confuse, tant la multitude des dispositifs existants, ainsi que les initiatives prises au nom de la réserve citoyenne par l'ensemble de la société civile et reprises dans le projet de loi précité, brouillent les pistes.

Permettez-moi donc un bref rappel de ce que représentent les réserves militaires et leurs différentes déclinaisons au sein du seul ministère de la Défense - je n'évoquerai qu'à titre de comparaison les réserves de la gendarmerie.

Les réserves militaires sont globalement constituées de l'ensemble des citoyens qui consacrent une partie de leur temps à la défense de la Nation. Dans les faits, ce modèle, hérité de la professionnalisation, est régi par les lois du 22 octobre 1999, du 18 avril 2006 et du 28 juillet 2015 portant actualisation de la loi de programmation militaire. Il repose sur trois types de réserves.

Première composante, la réserve opérationnelle de premier niveau, dite RO1, comptait 28 000 volontaires à la fin de 2015 - à titre de comparaison, la réserve de la gendarmerie est forte de 24 000 volontaires -, issus à 48 % de la société civile - contre 70 % pour la gendarmerie. Depuis le 1 er janvier 2016, il est à noter que 66 % des recrues de la réserve de l'armée de terre sont issues de la société civile : on constate donc un effort d'ouverture dans cette direction. La moyenne d'âge des réservistes est de 36 ans et le taux de féminisation s'établit à 18 % au 30 juin 2016. Ces réservistes reçoivent une formation et un entraînement spécifiques afin d'apporter un renfort temporaire de quelques dizaines de jours par an aux forces armées et formations rattachées : en 2014, il s'agissait de 24 jours d'activité par réserviste ; en 2015, cette durée s'élevait à 28 jours - l'augmentation est donc significative. En 2016, selon les prévisions, les réservistes du commandement des forces terrestres - c'est-à-dire les réservistes opérationnels « combattants » - pourraient voir leur durée moyenne d'activité s'établir à 36 jours. Ces chiffres suffisent à rendre compte de l'effort consenti par nos réservistes.

Quel que soit leur statut dans le secteur civil, ces réservistes opérationnels servent, selon leurs compétences et leur spécialité, dans le domaine opérationnel ou dans le domaine du soutien, en unités, dans les états-majors, les établissements ou les administrations centrales, sur le territoire national ou sur les théâtres d'opérations extérieurs, et se voient confier les mêmes missions que les militaires d'active. C'est un point important : aujourd'hui, les effectifs déployés dans le cadre du plan Sentinelle associent réservistes et militaires d'active.

La réserve opérationnelle permet ainsi de faire face à la simultanéité des opérations et d'accroître la capacité des forces à durer en renforçant les unités d'active, en particulier lors des pics d'activité. Nous en connaissons un aujourd'hui, avec le maintien à 10 000 hommes de l'opération Sentinelle pour les semaines et les mois à venir, mais aussi en raison des nécessités liées à la protection et à la défense de nos propres infrastructures. Elle constitue également un « vivier de compétences », en faisant bénéficier les armées de l'expertise et de l'expérience de réservistes dans des spécialités professionnelles rares ou particulièrement recherchées - risques environnementaux, expertise juridique, infrastructures, communications, armement, etc.

En moyenne, pour les armées hors gendarmerie, 2 200 réservistes sont quotidiennement en activité. Les réservistes opérationnels sont employés sur toute la palette des activités des armées. La part des opérations intérieures, actuellement sous les feux de la rampe, est passée de 6 % en 2014 à 13 % en 2015 ; elle devrait nettement augmenter en 2016, compte tenu de l'augmentation du volume d'engagement des réservistes opérationnels.

Le Livre blanc pour la défense et la sécurité nationale de 2013 fixe comme priorité à cette RO1 l'extension de ses missions sur le territoire national. Actuellement, au moins 700 réservistes des armées sont engagés chaque jour sur le territoire national, dans le cadre de la mission de protection, ce qui représente pour la période de juillet-août entre 5 000 et 7 000 réservistes, c'est-à-dire la quasi-totalité des réservistes présents dans les unités opérationnelles, compte tenu des contraintes liées à la nécessité d'assurer la relève, les réservistes intervenant pour des périodes variant de huit jours à quinze jours.

Deuxième composante, la réserve opérationnelle de deuxième niveau, dite RO2, ou réserve de disponibilité, regroupe, sous un régime de contrainte, tous les anciens militaires issus de l'armée active dans la limite des cinq années suivant la cessation de leur état militaire. Je serai donc assez bref sur ce point, puisqu'il ne correspond pas à l'objet de votre commission spéciale, dans la mesure où il ne s'agit plus de volontariat.

Cette réserve comprend environ 97 800 anciens militaires. Le rappel de cette catégorie de réservistes n'est actuellement envisageable que par la mobilisation ou dans des circonstances exceptionnelles prévues par la loi de 2011 sur la réserve de sécurité nationale. Le Livre blanc pour la défense et la sécurité nationale de 2013 fixe comme priorité la rénovation de cette réserve pour en assurer une mobilisation rapide.

Troisième composante, qui vous intéresse plus particulièrement, la réserve citoyenne regroupe des volontaires agréés, à titre temporaire, par l'autorité militaire en raison de leurs compétences, de leurs expériences ou de leur intérêt pour les questions relevant de la défense nationale. Constituée d'environ 2 800 collaborateurs bénévoles du service public - à titre de comparaison, ils sont 1 300 pour la gendarmerie -, cette réserve citoyenne fait partie intégrante de la réserve militaire. La moyenne d'âge de ses membres est supérieure à 50 ans. La répartition socioprofessionnelle de ces réservistes s'établit comme suit : 66 % d'actifs, 20 % de retraités, 1 % d'étudiants, 13 % indéterminés. Les armées, directions et services du ministère de la Défense l'emploient bien au-delà des missions de rayonnement, de développement de l'esprit de défense et du lien armées-Nation pour lesquelles elle avait été initialement conçue.

Le cas de la réserve de cyberdéfense, inscrite dans la loi de programmation militaire, illustre les pistes d'évolution possibles. Cette réserve, fondée sur un noyau de 400 réservistes opérationnels de niveau 1 en cible, sera principalement constituée de réservistes citoyens - 4 000 en cible -, recrutés au sein des grandes écoles d'informatique et au-delà. Sa force résidera dans la capacité de bascule très rapide du statut de réserviste citoyen à celui de réserviste opérationnel en cas de crise. Ce principe original pourrait, dans un premier temps, être appliqué à d'autres organismes, puis généralisé. Des réflexions sont lancées pour estimer dans quelle mesure la réserve citoyenne pourrait permettre de répondre aux nombreuses demandes d'engagement qui convergent vers les armées, mais auxquelles ces dernières ne peuvent donner suite quand les intéressés ne remplissent pas les conditions - âge, état de santé, etc.

Les réserves militaires recouvrent donc différents modes d'engagement. Elles rassemblent un grand nombre d'acteurs de tous milieux et de toutes catégories, tous réunis autour de mêmes valeurs et d'une même ambition : se mettre au service de nos armées et, à travers elles, de la Nation. Cette diversité est une chance pour la défense. Elle permet de soulager une armée d'active très sollicitée. Elle est aussi essentielle pour permettre à nos concitoyens de participer à leur propre sécurité, induisant le sentiment d'être un « citoyen actif et utile pour son pays ».

Au lendemain des attentats de janvier 2015, le ministère a élaboré un plan d'action visant à permettre un appel renforcé à la réserve opérationnelle de niveau 1, conformément au souhait du Président de la République.

L'actualisation de la loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019 prévoit ainsi : une augmentation du nombre de réservistes pour atteindre 40 000 réservistes opérationnels d'ici à la fin de 2018, contre 27 352 à la fin de 2014 ; une capacité de déploiement de 1 000 réservistes opérationnels chaque jour pour participer à des missions de protection du territoire national - pour atteindre 1 000 réservistes par jour sur le territoire national, il en faut 20 000, si l'on estime que chaque réserviste est déployé 20 jours par an, la durée de la formation et la préparation opérationnelle étant évaluée à 10 jours par an - ; enfin, un accroissement des jours d'activité de 25 jours à 30 jours par homme et par an.

Pour y parvenir, les budgets consacrés à la réserve militaire ont été augmentés de manière significative. Ils sont ainsi passés de 71,1 millions d'euros en 2014 à 96,3 millions d'euros en 2016. Ils s'établiront à 125 millions d'euros à partir de 2018.

Depuis les tragiques événements de 2015, et plus encore depuis le 14 juillet dernier, il n'a échappé à personne que la réserve a retrouvé du sens et de l'élan. La mobilisation sans précédent des

réservistes des armées ces derniers mois, leur motivation et l'intérêt que suscite ce dispositif auprès de nos concitoyens en attestent. En 2016, la cible de 30 jours d'activité par réserviste en moyenne et le seuil de 30 000 réservistes opérationnels devraient être atteint, avec un recrutement centré sur la jeunesse, les moins de 30 ans représentant désormais un tiers des effectifs.

Incontestablement, la dynamique est lancée. L'année 2015 a été l'année de l'inflexion, les suivantes seront celles de la modernisation et de l'accélération, avec une augmentation des effectifs de 3 000 en 2016, de 4 500 en 2017 et en 2018. Nous avons clairement changé de paradigme. Le ministère de la Défense a pris la mesure des enjeux et consacré les moyens nécessaires, en augmentant les crédits de 100 millions d'euros par rapport aux prévisions initiales sur la durée de la loi de programmation militaire et en créant la direction du projet Réserve qui m'a été confiée en janvier 2016.

L'objectif est clair : disposer d'ici trois ans d'une réserve opérationnelle plus nombreuse, plus moderne, plus jeune et recentrée sur la protection du territoire national.

Dans ce cadre, plusieurs principes structurants ont été récemment partagés au niveau interarmées et validés par le cabinet du ministre de la Défense.

La réserve « rénovée » devra être pleinement intégrée à l'armée active, de manière à conforter son caractère militaire et à promouvoir appui mutuel et complémentarité, car l'armée active ne peut pas fonctionner sans la réserve, et réciproquement. Elle devra également être organisée en branches ou composantes, pour répondre aux missions et besoins spécifiques à chaque armée, direction et service, chacune des branches disposant de viviers clairement identifiés. Elle devra aussi être fortement ancrée aux territoires, de manière à renforcer la présence et la visibilité des armées et à bénéficier des effets positifs de la proximité géographique entre zone d'implantation, bassin de recrutement, bassins de risques et zone d'emploi des réserves. Enfin, elle devra faire une large place à la jeunesse, en particulier aux moins de 30 ans.

Cette réserve « rénovée » forte de 40 000 personnes permettra de mieux répondre aux enjeux stratégiques, aux besoins des armées et aux attentes de nos concitoyens désireux de servir. Dans ce contexte, les propositions formulées dans le projet de loi « Égalité et citoyenneté », en particulier les dispositions prévues dans les articles 1 er et 6 sur l'appellation « réserve citoyenne de défense et de sécurité », et surtout celles de l'article 14, contenant les mesures en faveur des étudiants accomplissant une activité militaire dans la RO1, ou encore celles des articles 12 octies sur la création, à titre expérimental, d'un programme de cadets de la défense, et 12 nonies sur l'expérimentation relative au service civique universel, sont en cohérence avec l'esprit qui anime le ministère de la Défense et avec les travaux qu'il a entrepris.

Si vous me le permettez, je formulerai une petite réserve sur l'article 12 octies , en ce qui concerne la reconnaissance de l'aptitude des cadets par le service de santé des armées. Je ne sais pas si la loi doit entrer dans ce degré de détail. Quoi qu'il en soit, il faut savoir que le service de santé des armées doit aujourd'hui assurer la visite médicale d'aptitude de tous les personnels d'active et de réserve recrutés par les armées et la gendarmerie : il est donc déjà extrêmement sollicité et il ne semble pas utile d'allonger la liste de ses missions. Un certificat établi par le médecin traitant et attestant de l'absence de contre-indication devrait suffire pour les cadets.

De plus, vous comprendrez bien que, depuis le tragique événement de Nice, le ministère pourrait être amené à proposer l'insertion de dispositions complémentaires dans ce projet de loi au moment où vous l'examinerez.

À titre tout à fait personnel et pour conclure, permettez-moi de vous faire part d'un léger étonnement. En effet, le chapitre I er du projet de loi est intitulé « Encourager l'engagement républicain de tous les citoyens et les citoyennes pour faire vivre la fraternité ». Dans ce chapitre, je ne trouve aucune mention de la réserve opérationnelle des armées qui, à mon sens, constitue un lieu où les notions d'« engagement républicain » et de « fraternité » font sens, d'autant plus que les réservistes opérationnels jouent également un rôle important en matière de citoyenneté, en assurant notamment l'encadrement des journées défense citoyenneté, des journées découvertes, des préparations militaires, des cadets - en développement depuis 2008 - et de bien d'autres actions au profit de la jeunesse.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Général, je vous remercie de cette présentation du développement de la réserve opérationnelle, voulu depuis longtemps. À titre d'exemple, j'ai été l'auteur en 2010, avec mon collègue Michel Boutant, au nom de la commission des affaires étrangères - nous rédigeons des rapports bipartites - d'un rapport consacré à la création d'une réserve de sécurité nationale pour faire face à un événement géopolitique majeur. Ce rapport s'est traduit par la loi du 28 juillet 2011 tendant à faciliter l'utilisation des réserves militaires et civiles en cas de crise majeure.

J'avoue que nous étions un peu agacés de voir que les choses tardaient à se mettre en place alors que les risques étaient avérés. Il a ainsi fallu attendre 2015 pour que les décrets d'application soient publiés...

Je vois un autre problème. Vous nous parlez essentiellement de la réserve opérationnelle, et c'est tout à fait normal. En établissant notre rapport, nous nous sommes rendu compte du décalage entre réserve opérationnelle et réserve citoyenne, et surtout d'une certaine méfiance des militaires à l'égard notamment de la réserve citoyenne.

À titre personnel, je me suis toujours battue pour cette réserve citoyenne, d'abord parce que j'en suis membre depuis ma sortie de l'Institut des hautes études de défense nationale il y a très longtemps, mais surtout parce qu'elle me paraît indispensable dans le contexte actuel. La réserve citoyenne permet d'avoir des gens motivés, entièrement bénévoles et qui veulent véritablement se mettre au service de cet idéal de fraternité dont vous parliez, mot que l'on retrouve dans l'intitulé du chapitre I er du titre I er du projet de loi.

Il faut effectivement continuer de développer la réserve opérationnelle, mais je pense que des mesures plus importantes devraient être prises pour renforcer cette réserve citoyenne, qui pourrait jouer le rôle de défenseur de nos valeurs républicaines.

Je vais vous donner un exemple qu'il m'est déjà arrivé de citer.

Je travaille sur la lutte contre le terrorisme au sein de l'assemblée parlementaire de l'OTAN. Certains pays comme le Maroc ont recours à une forme de réserve citoyenne, qui n'en a pas le titre, pour quadriller les quartiers, pour observer ce qui s'y passe, pour recréer du lien, pour parler avec ces jeunes qui sont complètement désorientés, qui n'ont pas de travail, qui n'ont pas d'idéal, pour essayer de les remettre dans le droit chemin. Je pense que nous avons vraiment intérêt à mettre nous aussi l'accent sur cette réserve citoyenne, même si je sais qu'elle agace les réservistes opérationnels, qui se sentent beaucoup plus professionnels.

Je rappelle également que, lors de l'examen par le Sénat, la semaine dernière, de la loi prorogeant l'état d'urgence, un amendement de nos collègues Roger Karoutchi et Jacques Gautier a été adopté visant à ce que les durées maximales d'activité dans les réserves soient prolongées de la durée totale de l'application de la loi relative à l'état d'urgence.

Tout cela va dans le bon sens et j'aimerais connaître vos projets pour le développement de la réserve citoyenne.

Le Sénat a créé un groupe de travail sur la proposition de Jean-Marie Bockel de création d'une « garde nationale ». J'aimerais avoir votre point de vue sur cette dénomination. Pour ma part, j'y suis assez opposée, car cela me paraît être le replâtrage de quelque chose qui existe déjà ; le terme « réserve citoyenne », qui est contesté - on parle de réserve civique -, me semble extrêmement fort. Je sais que Najat Vallaud-Belkacem a décidé de se l'approprier pour l'enseignement, ce que je trouve vraiment dommage, car je pense que l'armée devrait conserver ce terme.

Dernière chose : il me semble indispensable de développer cette réserve citoyenne à l'international, bien sûr sous la responsabilité des attachés de défense ; nous avons d'ailleurs fait passer trois amendements à cette fin. Là encore, il y a beaucoup de choses à faire. Or le ministre des affaires étrangères veut supprimer les journées défense et citoyenneté à l'étranger, ce qui me paraît une erreur considérable. En effet, beaucoup de jeunes, en particulier binationaux, n'ont de contact avec la France que lors de cette journée défense et citoyenneté, laquelle est justement l'occasion de leur faire passer des messages forts pour leur redonner la fierté de leur appartenance à la France.

M. Alain Richard . - Je vous remercie d'avoir apporté ces précisions, mon général, et d'avoir discrètement suggéré, en évoquant une période antérieure, que l'utilisation pleine et le financement régulier de la réserve opérationnelle n'ont pas toujours été la priorité centrale du chef d'état-major des armées et du ministre de la défense.

Dans ma vision de ce qui s'est passé au ministère depuis la professionnalisation des armées, cela reste un point faible. Les circonstances font qu'on va pouvoir établir ou conforter une réserve opérationnelle d'un calibre et d'une variété répondant aux exigences d'une puissance de premier niveau dont les forces armées sont exposées ; cela aurait pu être fait plus tôt.

Je réponds d'un mot à votre observation, que je comprends tout à fait, sur la terminologie employée au chapitre I er du projet de loi. Nous sommes quelques-uns, très minoritaires, à nous en désoler, mais force est de constater que le législateur est devenu bavard : les expressions à caractère proclamatoire prennent une place disproportionnée par rapport à ce qu'est l'objet d'une loi, c'est-à-dire fixer des interdictions ou des obligations. À cet égard, ne vous faites pas de souci...

Ce qui compte vraiment dans une loi - malheureusement, nous ne sommes pas assez nombreux à en être conscients -, c'est ce qui modifie les codes en vigueur ; tout le reste, ce ne sont que des affirmations. D'ailleurs, il est assez illogique, alors que l'article 1 er a vocation à fixer un cadre, de ne pas indiquer le code dans lequel seront inscrites les dispositions qu'il contient et ensuite de commencer une énumération par l'adverbe « notamment ». Il me semble que l'effort minimal que doit faire un législateur conscient de ses missions, c'est quand même de statuer sur l'ensemble des sujets sur lesquels il a à se prononcer. Je ferme la parenthèse.

S'agissant de la réserve opérationnelle, je constate son niveau relatif d'âge. Si les choses sont en train d'évoluer, c'est satisfaisant, mais il y a là quand même un décalage assez prononcé entre la réserve opérationnelle et les militaires d'active, également en termes de niveaux de grade. Quelle est aujourd'hui la proportion d'officiers, de sous-officiers et de militaires du rang dans la réserve opérationnelle ? Car il faudra des effectifs suffisamment nombreux en militaires du rang pour assurer les missions prioritaires de la réserve. Et je ne répète pas cette vérité de La Palice : un système militaire tient essentiellement grâce à la charpente que représentent les sous-officiers.

Je suppose que, dans les mesures d'agrément qui seront prises, on gardera à l'esprit la nécessité de disposer prioritairement de militaires du rang en nombre suffisant.

J'aimerais bien que vous m'expliquiez aussi comment est prévu ce basculement possible - vous citiez l'exemple de la cyberdéfense - de la réserve citoyenne avec une spécialisation vers la réserve opérationnelle. Comment seront choisis les gens ? Au moment de leur agrément au titre de la réserve citoyenne, leur dira-t-on qu'ils sont pris à la seule condition qu'ils soient aptes à passer en réserve opérationnelle pour une certaine durée avec un certain préavis ?

Dernière question : dans les crédits du ministère consacrés à la réserve, quelle est la part consacrée à la rémunération effective des réservistes durant leurs périodes d'activité ?

M. Jacques-Bernard Magner . - Je fais partie de cette génération qui a accompli son service militaire. Celui-ci, qu'on regrette parfois aujourd'hui, était un lieu d'intégration, de rencontre, de mixité, de brassage des jeunes des différentes couches sociales. Encore que l'on sait bien que certains y échappaient ; en particulier, les filles n'y étaient pas soumises. De fait, le brassage était insatisfaisant eu égard aux exigences de parité dans tous les domaines qui sont celles d'aujourd'hui.

Il est normal que les militaires soient pour une bonne part associés à ces initiatives, qu'il s'agisse de la réserve citoyenne, du service civique et de toutes ces activités qui permettent d'apprendre à être un citoyen et de se confronter aux autres, puisque vous en avez plus que d'autres l'expérience.

Les chiffres que vous nous avez donnés semblent indiquer un quasi-doublement à la fois en hommes et en moyens. Aurez-vous la capacité pour y faire face, notamment en personnels d'encadrement ? Si l'on suit les annonces qui ont été faites par le Président de la République ou les débats qui ont eu lieu au Parlement, les effectifs du service civique devraient atteindre 150 000. Or l'on sait bien que pratiquement un jeune sur quatre n'est pas retenu pour faire un service civique. Qu'en est-il s'agissant de la réserve militaire ? Tous les jeunes qui sont candidats sont-ils admis ? Sur quels critères ? Sont-ils intégrés pour peut-être évoluer vers un engagement plus permanent ?

Certes, le volontarisme est une chose, mais la formation militaire est très spécifique. Je peux dire, pour l'avoir vécu, que le service militaire n'était pas vraiment un lieu d'apprentissage des valeurs citoyennes ; c'était certes un lieu de brassage, mais je ne suis pas certain que ce soit au service militaire que j'ai appris à être un citoyen : j'ai appris à fumer, à me planquer pour ne pas accomplir certaines tâches... Mais bon, quand on est appelé, on n'a pas la même vision des choses que lorsqu'on est militaire de carrière. J'ai moi-même encadré des engagés en tant qu'adjoint de section dans une école de formation et il est vrai que les militaires ont leur part à prendre pour inculquer des valeurs aux jeunes de notre société. C'est sans doute moins facile qu'avec un contingent d'appelés, qui, à l'époque, n'avaient de toute façon pas le choix et étaient obligés de faire ce qu'on leur disait de faire.

L'aspect strictement militaire est important, tout comme l'aspect volontariat. Les gens appelés à intégrer la réserve seront certainement meilleurs que nous ne l'étions, nous, les appelés, à l'époque.

M. Yves Rome . - Ma question détonnera un peu par rapport à celles qu'ont posées mes collègues : puisqu'on compte aussi des pompiers militaires, j'aimerais connaître l'articulation possible avec l'organisation de la couverture du territoire par les services départementaux d'incendie et de secours, dont l'utilité peut être avérée pour atteindre les objectifs visés par le projet de loi « Égalité et citoyenneté ».

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Mon général, je vais vous soumettre les questions que Françoise Gatel, rapporteur, vous aurait posées si elle avait pu être présente ce matin. Certains des points qu'elle soulève ont déjà été évoqués par les intervenants qui m'ont précédé.

Tout d'abord, quel regard portez-vous sur les dispositions relatives à la réserve citoyenne dans le projet de loi ? Ne risquent-elles pas d'entraîner une perte de la spécificité de la réserve citoyenne du ministère de la défense ?

La deuxième question concerne les aménagements de scolarité et la reconnaissance du service effectué par les membres de la réserve opérationnelle : les dispositions prévues aux articles 14 et suivants - reconnaissance des compétences acquises par les étudiants servant dans la réserve opérationnelle et aménagement de scolarité à leur profit - vous semblent-elles suffisantes pour valoriser l'engagement dans la réserve opérationnelle ?

La troisième question concerne le programme des cadets de la défense : quel regard portez-vous sur les dispositions qui les concernent ?

Enfin, une question plus générale : d'autres évolutions législatives vous semblent-elles souhaitables ou nécessaires afin d'appuyer la montée en puissance des réserves opérationnelles des différentes armées ou de faciliter leur emploi ?

Général Gaëtan Poncelin de Raucourt . - Madame Garriaud-Maylam, pour ma part, je n'ai pas perçu d'agacement au sujet de la réserve citoyenne, notamment de la part des réservistes opérationnels.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - J'ai parlé au passé !

Général Gaëtan Poncelin de Raucourt . - Aujourd'hui, la situation a beaucoup évolué. Ces deux réserves ont trouvé toute leur place au sein de la réserve du ministère de la défense.

À cet égard, l'appellation de « réserve citoyenne de défense et de sécurité » qui figure dans ce projet de loi est extrêmement importante : il faut éviter tout amalgame avec la réserve civique. (M. Yves Rome acquiesce.) En effet, il est essentiel d'insister sur les notions de défense et de sécurité. Il faut donc veiller à maintenir cet intitulé.

Bien sûr, cette réserve doit se développer. Elle compte déjà 2 800 personnes, et il n'est pas toujours facile de suivre, d'encadrer et d'occuper les réservistes citoyens, qui se montrent très volontaires. À titre personnel, au cours des derniers mois, j'ai reçu de très nombreuses sollicitations de la part des personnes qui ne remplissent plus les conditions nécessaires pour servir dans la réserve opérationnelle, mais qui souhaitent malgré tout se mettre au service de leur pays. Ces personnes désespèrent de servir auprès d'un employeur. J'ai pu assurer un certain nombre de recrutements, mais je ne vous cache pas qu'il s'agit là d'une difficulté générale.

Cela étant, les initiatives spécifiques se développent. J'ai notamment évoqué la réserve de cyberdéfense, qui dénombre 4 000 réservistes citoyens. Ce volume est extrêmement important. La réserve de cyberdéfense n'en sera observée que plus attentivement par le ministère. Il faut étudier les moyens de développer ce dispositif dans de bonnes conditions.

À ce titre, comment les réservistes pourront-ils passer de la réserve citoyenne à la réserve opérationnelle ? Cette question concerne principalement les jeunes, notamment dans les écoles, mais le champ d'action est susceptible d'être quelque peu élargi.

Pour les intéressés, le but est d'effectuer le contrôle élémentaire lors du passage dans la réserve citoyenne. Dès lors, on aura la certitude que les personnes recrutées ne sont pas dangereuses : dans le domaine cybernétique, il faut être particulièrement vigilant ! Parallèlement, il faudra prévoir une visite médicale ou, à tout le moins, imposer la transmission d'un certificat médical, délivré notamment par un médecin militaire. Je le répète, le service de santé des armées reçoit déjà de très fortes sollicitations. Il faut garantir que les réservistes soient mentalement en capacité de servir.

M. Alain Richard . - De son côté, le service de santé des armées pourrait déjà mobiliser davantage sa propre réserve !

Général Gaëtan Poncelin de Raucourt . - Il le fait de plus en plus, monsieur le sénateur.

Une dernière piste va être explorée. Depuis les événements du 14 juillet dernier, on observe un nouvel élan citoyen, qui, à mon sens, va se confirmer dans la durée. La réserve citoyenne peut constituer une bonne réponse d'attente pour des jeunes et des moins jeunes désireux de rejoindre la RO1.

Je me doutais que la garde nationale susciterait des questions. En tant que directeur du projet Réserve du ministère de la défense, je ne me focalise pas sur cette question d'appellation. Ma mission, c'est d'obtenir dans les trois ans une réserve forte de 40 000 personnes, préparée, moderne, rajeunie et recentrée sur le territoire national. Sur cette base, la réserve pourrait très bien devenir la composante d'un ensemble plus large, éventuellement baptisé « garde nationale », qui compterait également une branche « ministère de l'intérieur » avec la gendarmerie et la police, et une branche « sapeurs-pompiers volontaires » - il s'agit là d'un domaine que M. Rome connaît bien. Une gouvernance d'ensemble ne serait pas forcément nécessaire : chaque branche se gérerait elle-même. C'est là une piste que je suggère.

Au demeurant, il faut avant tout veiller à stabiliser nos travaux : la montée en puissance qui est en cours est déjà très complexe à mettre en oeuvre. Il ne faudrait pas perturber cette manoeuvre en déployant encore d'autres dispositifs.

De surcroît, pour ce qui concerne la réserve du ministère de la défense, nous sommes attachés au respect de quelques principes très simples : que nous puissions avoir la maîtrise de l'emploi de nos réservistes ; que notre réserve soit pleinement intégrée à l'active et clairement distincte des autres réserves ; qu'elle reste une réserve des armées, dirigée par les armées et déployée majoritairement sur le territoire national.

Monsieur Richard, vous avez évoqué le niveau d'âge des réservistes. Il faut bien avoir en tête les volumes humains concernés. Aujourd'hui, on dénombre 28 000 réservistes, à savoir 20 000 personnes relevant du complément individuel, lesquelles viennent renforcer les états-majors - ce sont principalement des cadres, officiers et sous-officiers, très rarement des militaires du rang - et 8 000 combattants, qui sont dans les unités combattantes de l'armée de terre, les unités élémentaires de réserve, de la marine, les compagnies ROMÉO, et de l'armée de l'air.

L'objectif qui m'est assigné est clair : atteindre 20 000 personnes pour chacune des deux catégories. Le volume de la réserve de disponibilité restera inchangé. Cette dernière est bien dimensionnée. Elle répond aux besoins qu'éprouve notre armée aujourd'hui. En revanche, il faut développer la réserve combattante pour atteindre les 20 000 individus nécessaires au déploiement de 1 000 hommes par jour.

Mécaniquement, les nouvelles recrues ne pourront donc être que des jeunes.

M. Alain Richard . - Sans doute des jeunes âgés de moins de trente-cinq ans !

Général Gaëtan Poncelin de Raucourt . - La limite d'âge fait encore quelque peu débat, des personnes âgées de quarante ans manifestant également leur volonté de participer à la réserve.

Cela étant, les recrues seront globalement des jeunes et des militaires du rang, ainsi que des sous-officiers destinés à assurer l'encadrement.

Pour l'heure, il m'est absolument impossible de vous communiquer des volumes précis : je ne dispose pas de chiffres en la matière.

M. Alain Richard . - Un agrément sera-t-il nécessaire pour basculer de la réserve citoyenne vers la réserve opérationnelle ? Ces transferts peuvent être exigés par les circonstances.

Général Gaëtan Poncelin de Raucourt . - Tout à fait monsieur le sénateur, et ce pour une durée indéterminée, notamment en cas d'attaque sévère sur les réseaux internet. Ces attaques sont très rapides, voire foudroyantes. En revanche, la reconstruction des réseaux est très longue, et elle exige de nombreux renforts venus de tous les horizons. Les effectifs concernés, à savoir 4 000 personnes, ne seront pas versés dans la réserve opérationnelle : en procédant ainsi, l'on aboutirait à un dispositif surdimensionné. Il faut organiser des coopérations de quelques semaines, en garantissant que les personnes choisies ont fait l'objet d'un contrôle élémentaire et sont ainsi mentalement aptes à être employées.

M. Alain Richard . - Envisagez-vous d'instaurer ces contrôles pour d'autres spécialités ?

Général Gaëtan Poncelin de Raucourt . - Cette piste est à l'étude.

Enfin, la rémunération effective de l'activité des réservistes représente la quasi-totalité de notre budget. Les coûts de structure sont presque inexistants.

Monsieur Magner, nous aurons bel et bien les moyens de répondre aux demandes. Il faut avoir à l'esprit la cohérence d'ensemble que présente ce dispositif : le but, c'est d'atteindre une réserve de 40 000 hommes. Les moyens budgétaires sont déployés en connaissance de cause.

Aussi, le problème n'est pas tant celui des moyens financiers,...

M. Alain Richard . - Quand même !

Général Gaëtan Poncelin de Raucourt . - ... que celui de notre capacité à absorber ces nouveaux effectifs. En la matière, nous devons franchir trois goulets d'étranglement. Petit à petit, ces difficultés vont être résolues, et je suis persuadé que dans trois ans les objectifs seront atteints.

Le premier goulet est la visite médicale d'aptitude, que j'ai déjà mentionnée. Le service de santé des armées assure déjà de nombreuses visites de cette nature, pour les réservistes, les militaires d'active de l'armée et de la gendarmerie.

M. Alain Richard . - En tout, entre 25 000 et 28 000 visites par an !

Général Gaëtan Poncelin de Raucourt . - Le deuxième goulet est le contrôle élémentaire : les personnes recrutées doivent être passées au crible, et pour cause : elles se verront confier des armes, elles ne doivent donc présenter aucun risque !

Le troisième goulet est la formation, qui exige des cadres et des espaces appropriés, notamment des champs de tir. Or nos cadres sont fortement mobilisés au titre de l'opération Sentinelle et des OPEX. C'est là une grande difficulté.

M. Jacques-Bernard Magner . - La question est bien : comment accueillir ces nouvelles recrues ?

M. Alain Richard . - C'est le problème depuis l'origine !

Général Gaëtan Poncelin de Raucourt . - Les moyens financiers sont déjà au rendez-vous. Mais, même s'ils étaient plus élevés, il faudrait tenir compte de ces trois goulets.

Cette année, étant donné le niveau d'engagement de nos réservistes, nous savons déjà que les crédits consommés seront plus lourds qu'escompté. Toutefois, cette situation ne pose pas problème : en interministériel, nous n'aurons aucun mal à obtenir le complément budgétaire, qui représente 4 à 5 millions d'euros. Il va sans dire que l'argent qui nous est confié n'est pas destiné à gonfler les états-majors : il permet de déployer des combattants dans le cadre des missions de protection !

Le service civique relève essentiellement du directeur du service national jeunes, le général Pontiès , récemment nommé. Je ne pourrai pas vous donner beaucoup de détails supplémentaires, n'étant pas très compétent en la matière. Toujours est-il que le recrutement et l'emploi des personnes concernées sont assurés dans les conditions prévues par l'Agence du service civique, dans le cadre de la mission « Mémoire et citoyenneté ».

M. Jacques-Bernard Magner . - Il s'agit surtout de tâches administratives, et non du maniement des armes.

Général Gaëtan Poncelin de Rancourt . - Absolument, monsieur le sénateur.

Monsieur Rome, vous m'avez interrogé au sujet des pompiers militaires. Ayant commandé la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, je suis bien placé pour évoquer ce sujet.

Les pompiers militaires disposent d'environ 200 cadets, auxquels s'ajoutent de nombreuses personnes recrutées via le service civique. Ce dernier dispositif présente un grand intérêt dans ce cadre.

Sur ce sujet, l'article 9 du projet de loi égalité et citoyenneté est très enthousiasmant : il permet aux sapeurs-pompiers d'effectuer un pré-recrutement de volontaires parmi les jeunes du service civique.

Au reste, j'ai d'ores et déjà prévu de tester ce dispositif en interne, au ministère de la défense. Cette expérimentation a été validée par le cabinet du ministre. Elle doit être menée dans le courant du second semestre 2016 et fera suite à celle qui a été effectuée dans la région de Nancy. Ainsi, nous pourrons déterminer si le ministère tout entier ne peut pas effectuer des recrutements par ce biais. Le directeur du service national jeunes y travaille actuellement, en lien avec l'Agence du service civique.

J'en viens aux questions que M. le président de la commission m'a posées au nom de Mme Gatel.

Dès lors que la réserve du ministère de la défense dispose d'une appellation spécifique, je n'ai pas d'inquiétude particulière : il ne me semble pas qu'elle risque d'être noyée dans les dispositions de ce projet de loi. (M. Alain Richard acquiesce.)

J'insiste sur le fait que l'article 14 nous paraît très important et très utile. Il est possible que le ministère suggère tel ou tel amendement, sur cet article ou sur d'autres, mais à ce stade je ne peux pas m'engager sur ce sujet.

M. Alain Richard . - Le Parlement est habitué à ce que le ministère lui communique ses amendements une demi-journée à l'avance...

Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - C'est vrai !

Général Gaëtan Poncelin de Raucourt . - L'article 12 prévoit une expérimentation consacrée aux cadets. Sur ce sujet, les sapeurs-pompiers de Paris sont très en avance. Nous avons également étudié les dispositifs appliqués à l'étranger, notamment au Canada.

Les cadets constituent un projet extrêmement ambitieux. Le ministère de la défense en emploie depuis 2008. Ils sont très présents dans la marine et vont se développer dans l'armée de terre. À mon sens, les actions mises en oeuvre vont dans la bonne direction.

En la matière, nous ne rencontrons qu'une seule difficulté : nous ne pouvons pas courir trop de lièvres à la fois. Commençons par mobiliser les efforts pour la réserve opérationnelle. En bout de chaîne, la mise en oeuvre de ces missions incombe aux régiments. Or notre armée est engagée sur le territoire national comme dans le cadre des opérations extérieures. De plus, elle doit se former et s'entraîner. Elle ne peut pas être sur tous les fronts ! Bien sûr, il faut travailler sur le sujet des cadets, mais il faut également veiller à suivre le bon tempo .

M. Jean-Claude Lenoir, président . - Avez-vous une connaissance approfondie des dispositifs similaires mis en oeuvre à l'étranger ? Et pourriez-vous, à la suite de cette audition, nous communiquer des informations à cet égard ?

Général Gaëtan Poncelin de Raucourt . - Monsieur le président, sur ce sujet, je vous invite à vous tourner vers le général Pontiès. Cela étant, j'ai eu connaissance d'un excellent rapport parlementaire consacré au benchmarking des cadets. Ce travail très riche préconisait notamment de s'inspirer du modèle canadien.

M. Jean-Claude Lenoir, président . - Le modèle suisse pourrait également être très instructif.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Il faudrait une étude de législation comparée !

M. Alain Richard . - Cela étant, ce qui fonctionne bien dans un pays ne s'applique pas nécessairement dans un autre : il faut tenir compte des réalités nationales.

M. Jean-Claude Lenoir, président . - Il faut procéder avec la plus grande prudence, cela va sans dire.

M. Alain Richard . - J'ajoute qu'en la matière la France est loin d'être en bas du classement : dans de nombreux pays, la situation est encore beaucoup plus difficile.

M. Yves Rome . - Surtout pour ce qui concerne les sapeurs-pompiers ! Or, en l'occurrence, l'enjeu est bel et bien le plein exercice de la citoyenneté.

Général Gaëtan Poncelin de Raucourt . - L'expérience menée par les sapeurs-pompiers volontaires est particulièrement intéressante : on a pu constater que des personnes entrées jeunes parmi les cadets restaient très fidèles à leur engagement. Elles rejoignent souvent la réserve. De tels recrutements constituent donc un investissement pour l'avenir, et ils permettront de franchir les goulets d'étranglement que j'ai précédemment évoqués.

Reste le problème du calendrier. Au cours des trois prochaines années, nous devons commencer par faire face à l'urgence.

Mme Évelyne Yonnet . - Pourriez-vous nous détailler les missions confiées aux cadets ? Qu'envisage-t-on de leur apprendre ?

Général Gaëtan Poncelin de Raucourt . - Dans l'esprit des enseignements dispensés aux cadets des sapeurs-pompiers, leur formation doit comprendre un certain nombre d'activités, notamment physiques, mais aussi des apprentissages liés à la citoyenneté. Elle sera davantage orientée vers la défense.

M. Jacques-Bernard Magner . - Bref, ce sera le parcours du combattant ! (Sourires.)

Général Gaëtan Poncelin de Raucourt . - Nous n'en serons pas si loin ! (Nouveaux sourires.) Les jeunes cadets actuellement recrutés accomplissent déjà des entraînements très physiques. Nous procéderons à des activités à peu près équivalentes, en y ajoutant des enseignements portant sur la connaissance des armées et de la défense nationale. La formation sera clairement normée et qualifiante. Ainsi, au terme de leur parcours, les cadets pourront s'engager dans la réserve ou entrer dans l'armée d'active. Même s'ils rejoignent la vie civile, ils auront été structurés grâce à cette formation.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Général, permettez-moi d'aborder de nouveau le sujet de la réserve citoyenne. Les membres de la commission sénatoriale des affaires étrangères, de la défense et des forces armées en sont pleinement conscients : il est nécessaire de renforcer ce dispositif. Or il faut bien admettre que l'on observe un certain flottement en la matière.

Tous mes interlocuteurs m'assurent que des réflexions sont en cours, mais que l'on ne sait trop comment déployer cette réserve. À l'heure actuelle, un responsable du ministère de la défense se consacre-t-il spécifiquement à ce sujet ?

Je l'affirme au risque de faire sourire tel ou tel de mes collègues : à mes yeux, il s'agit là d'un instrument essentiel, surtout dans le climat de tensions que connaît aujourd'hui notre société. Beaucoup de bonnes volontés se manifestent, mais on déplore peut-être un défaut d'encadrement et un nombre insuffisant de missions proposées, au-delà de sujets très précis comme la cyberdéfense.

En structurant mieux la réserve citoyenne, il serait possible de donner une feuille de route à tous ces jeunes qui ont envie de s'engager. À l'étranger, la situation est spécifique. Je précise à ce sujet qu'il y a quelques mois, j'ai créé une association internationale de réservistes citoyens avec le général Paloméros. En la matière, nous travaillons sur les moyens d'apporter un soutien à nos ambassades. Mais il faut également songer aux initiatives à déployer sur le territoire national. Un ancien gouverneur militaire de Paris avait par exemple envoyé des réservistes citoyens dans les banlieues dans le cadre d'opérations « permis de conduire » : dans ce cadre, des jeunes en déshérence ont pu préparer l'examen du permis de conduire. Ce soutien leur a ouvert des perspectives d'avenir, notamment pour obtenir un travail. De telles pistes doivent être explorées. Encore faut-il disposer de structures nécessaires !

Général Gaëtan Poncelin de Raucourt . - Madame la sénatrice, je peux vous garantir qu'au moins un responsable par armée est chargé de coordonner la réserve citoyenne. Mais les réservistes ne sont pas toujours employés de la même manière au sein des directions des services ou des différentes armées, qu'il s'agisse de la gendarmerie, de l'armée de terre, de la marine ou de l'armée de l'air. Chacun a sa manière de procéder.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Précisément, une coordination pourrait être souhaitable au niveau du ministère : il faut éviter les risques de fractionnement que l'on observe par exemple au titre du renseignement !

M. Jean-Claude Lenoir, président . - Mon général, il me reste à vous remercier, ainsi que vous tous, mes chers collègues, de ces échanges particulièrement intéressants.

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