CHAPITRE II - TECHNIQUES DE RENSEIGNEMENT

Articles 8 et 9 (art. L. 822-2, L. 852-2 [nouveau], L. 853-2, L. 854-9-1 [nouveau], L. 854-9-2 [nouveau], L. 854-9-3 [nouveau] et L. 871-2 du code de la sécurité intérieure ; Art. L. 2371-1 [nouveau] et L. 2371-2 [nouveau] du code de la défense) - Surveillance hertzienne

Les articles 8 et 9 du projet de loi tendent à redéfinir le régime légal de surveillance des communications hertziennes, afin de tirer les conséquences d'une récente censure du Conseil constitutionnel.

• Le principe de l'« exception hertzienne »

a) Le cadre légal d'autorisation des techniques de renseignement

La loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement a introduit dans le code de la sécurité intérieure un livre VIII qui fixe les règles générales relatives aux activités de renseignement et définit un nouveau cadre légal pour la mise en oeuvre des techniques de renseignement.

Toute demande d'utilisation d'une technique de renseignement, qui peut être formulée soit par l'un des six services de renseignement, soit par certains services des ministères de la défense, de l'intérieur ou de l'économie limitativement énumérés par décret, doit désormais être soumise à une procédure administrative d'autorisation préalable .

En application de cette dernière, la demande doit émaner du ministre de tutelle (ou de son délégué) du service de renseignement concerné et être soumise au Premier ministre, qui délivre l'autorisation, directement ou par délégation à des collaborateurs directs, au vu d'un avis préalable et obligatoire de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR).

L'autorisation ne peut être délivrée pour une durée supérieure à quatre mois. Elle peut faire l'objet d'une reconduction, dans les mêmes conditions. Certaines techniques de renseignement, jugées plus attentatoires à la vie privée, sont soumises à des durées d'autorisation plus brèves.

Les services autorisés à adresser des demandes de mise en oeuvre des techniques de renseignement

En application des articles L. 811-2 et L. 811-3 du code de la sécurité intérieure, sont autorisés à adresser des demandes de mise en oeuvre des techniques de renseignement :

- sans restriction, les services spécialisés de renseignement, au nombre de six, qui forment le « premier cercle » de la communauté française du renseignement : la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), la direction du renseignement militaire (DRM), la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) et le service de traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN) ;

- uniquement pour certaines finalités et pour une liste définie de techniques, certains services relevant des ministres de la défense, de l'intérieur et de l'économie , dont la liste a été définie par le décret n° 2015-1639 du 11 décembre 2015 relatif à la désignation des services autres que les services spécialisés du renseignement . Ces services constituent le « deuxième cercle » de la communauté française du renseignement.

Pour être légale, l'article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure prévoit que toute demande de mise en oeuvre d'une technique de renseignement doit être motivée par la défense et la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation, qui incluent notamment l'indépendance nationale, les intérêts majeurs de la politique étrangère, les intérêts économiques majeurs de la France, la lutte contre le terrorisme, la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées, etc.

Sauf exception, l'ensemble des techniques de renseignement destinées à surveiller le territoire national (techniques de recueil des données de connexion ; interceptions de sécurité ; techniques de sonorisation des lieux privés et de captation des données informatiques) est soumis à cette procédure d'autorisation préalable.

Prévue par les articles L. 854-1 à L. 854-9 du code de la sécurité intérieure, la surveillance des communications électroniques internationales, qu'elles soient émises de ou reçues à l'étranger, est soumise à une procédure d'autorisation différente, les mesures d'interception n'étant pas légalement soumises à un avis préalable de la CNCTR.

b) La censure de l'« exception hertzienne » par le Conseil constitutionnel

La loi n° 91-646 du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des télécommunications électroniques , qui a posé le premier cadre légal relatif aux autorisations de mise en oeuvre des techniques de renseignement, avait exclu du contrôle de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), ancêtre de la CNCTR, les mesures de surveillance relatives aux communications empruntant la voie hertzienne.

Ces communications, qui s'effectuent sans support filaire et utilisent le champ électromagnétique pour transmettre un message depuis une antenne émettrice vers une antenne réceptrice, se caractérisent par le fait qu'elles se propagent dans l'espace public , et peuvent, à ce titre, être captées par quiconque disposant d'une antenne réceptrice. Elles présentent par ailleurs la particularité, contrairement à d'autres types de communications empruntant des réseaux d'opérateurs, de ne comporter aucune information sur l'identification ou la localisation de l'émetteur ou du destinataire du message transmis. Comme l'ont rappelé les représentants des services de renseignement entendus par votre rapporteur, ces communications appartiennent, d'une certaine manière, au « domaine public ».

Aussi, l'exclusion de la surveillance des communications hertziennes, communément appelée l'« exception hertzienne », avait-elle à l'origine été justifiée par le fait que les opérations d'interception consistaient en une surveillance générale du domaine radioélectrique, sans viser de communications individualisables , et ne portaient pas, en conséquence, atteinte au secret des correspondances.

La loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement a repris, sans modification, le principe de l'« exception hertzienne », qui a été intégrée à l' article L. 811-5 du code de la sécurité intérieure .

Si de nombreuses catégories de communications empruntent, à un moment de leur cheminement, la voie hertzienne, le périmètre de l'« exception hertzienne » a été rapidement circonscrit par la CNCIS, puis par la CNCTR. Les communications effectuées par téléphone mobile, bien qu'empruntant partiellement la voie hertzienne, en ont ainsi été exclues. De la même manière, la CNCTR a adopté rapidement une conception restrictive de l'« exception hertzienne », estimant qu'elle ne pouvait avoir pour conséquence de contourner le régime légal général prévu pour les autres techniques de renseignement.

Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a, par sa décision n° 2016-590 QPC du 21 octobre 2016 censuré l'article L. 811-5 du code de la sécurité intérieure . Malgré les restrictions d'usage posées par la CNCTR, il a en effet considéré que la rédaction de cet article, en permettant « aux pouvoirs publics de prendre des mesures de surveillance et de contrôle de toute transmission empruntant la voie hertzienne, sans exclure que puissent être interceptées des communications ou recueillies des données individualisables » , portait « une atteinte manifestement disproportionnée au droit au respect de la vie privée et au respect des correspondances résultant de l'article 2 de la Déclaration de 1989 » .

Afin de ne pas priver les services de l'État de toute possibilité de surveillance des communications empruntant la voie hertzienne, et de manière à permettre au législateur d'en tirer les conséquences, le Conseil constitutionnel a reporté les effets de la censure au 31 décembre 2017. Il a toutefois formulé deux réserves d'interprétation pour l'application de l'article L. 811-5 du code de la sécurité intérieure au cours de cette phase transitoire :

- l'interdiction d'user des dispositions maintenues pour la mise en oeuvre de techniques qui ne relèveraient pas de l'« exception hertzienne » mais du cadre légal d'autorisation des techniques de renseignement ;

- la mise en place d'un contrôle par la CNCTR, qui doit être régulièrement informée sur « le champ et les natures des mesures prises » .

• La définition d'un nouveau cadre légal pour les communications hertziennes

Les articles 8 et 9 du projet de loi, tirant les conséquences de la censure du Conseil constitutionnel, tendent à définir un nouveau cadre légal pour les communications hertziennes avant que la censure ne devienne effective.

a) La nécessité de préserver la surveillance des transmissions hertziennes

Comme le relève l'exposé des motifs du projet de loi, la définition d'un nouveau cadre juridique est indispensable pour permettre la poursuite de la surveillance des communications radio, notamment internationales, qui, bien que ne constituant qu'une part très réduite des flux mondiaux de communications, demeurent utilisées par des acteurs stratégiques pour les services de renseignement et les forces armées françaises.

Selon les informations communiquées à votre rapporteur, la surveillance des communications empruntant la voie hertzienne est notamment utilisée dans trois secteurs stratégiques :

- dans le domaine militaire , car les interceptions de communications radio longues distances et très longues distances permettent, y compris lorsqu'elles sont menées depuis le territoire national, aux forces armées de connaître les mouvements de troupes, des sous-marins, des bâtiments et des aéronefs militaires étrangers ;

- en matière de lutte contre le terrorisme , dans la mesure où les organisations terroristes et les réseaux djihadistes ont un usage régulier des communications radio sur les théâtres de conflits ;

- dans le domaine de la contre-ingérence , notamment aux fins d'intercepter des communications entre des puissances étrangères et leurs agents.

b) La définition d'un nouveau régime juridique

Aussi, le projet de loi propose-t-il de définir un nouveau cadre juridique pour les communications empruntant la voie hertzienne, qui tend à intégrer, dans le droit commun des techniques de renseignement, la surveillance des transmissions hertziennes les plus attentatoires au droit au respect de la vie privée ainsi qu'au secret des correspondances, tout en maintenant une « exception hertzienne » restreinte.

L'article 8 introduit à cet effet, au sein du chapitre II du titre V du livre VIII du code de la sécurité intérieure, relatif aux interceptions de sécurité, un article L. 852-2 en vue de créer une nouvelle technique de renseignement pour les « correspondances échangées au sein d'un réseau de communications électroniques empruntant exclusivement la voie hertzienne et n'impliquant pas l'intervention d'un opérateur de communications électroniques, lorsque ce réseau est conçu pour une utilisation privative par une personne ou un groupe fermé d'utilisateurs » . Sont notamment concernées par ce nouveau régime les communications radio dites « PMR 50 ( * ) », soit des systèmes de communications radio de « point à point », tels les dispositifs de talkie-walkies numériques. Ces communications qui, bien qu'empruntant la voie hertzienne, revêtent un caractère privé , seront soumises à la procédure d'autorisation préalable par le Premier ministre, après avis de la CNCTR. De même que dans le cadre des interceptions de sécurité, les correspondances interceptées sur ce fondement ne pourront être conservées que pour une durée maximale de trente jours.

En parallèle, l'article 8 du projet de loi tend à définir, par la création au sein du titre V du livre VIII du code de la sécurité intérieure d'un nouveau chapitre V intitulé « Des mesures de surveillance de certaines communications hertziennes » , un nouveau régime juridique pour la surveillance des communications empruntant la voie exclusivement hertzienne mais ne relevant d'aucun réseau privatif . La surveillance de ces communications resterait soumise à un régime allégé, aucune autorisation préalable n'étant exigée.

Comme le précise l'étude d'impact du projet de loi, la nouvelle « exception hertzienne » ne concernerait qu'un périmètre très résiduel de techniques de communications, regroupant principalement la CB, les radioamateurs, les talkie-walkies analogiques ainsi que les communications radio longues distances et très longues distances, principalement exploitées à des fins de surveillance internationale.

De manière à tenir compte des prescriptions du Conseil constitutionnel, le régime applicable au champ hertzien public et ouvert serait assorti d'un certain nombre de garanties , prévues aux nouveaux articles L. 854-9-2 et L. 854-9-3 du code de la sécurité intérieure. De même que pour les autres techniques de renseignement, la surveillance des communications relevant du champ de l'« exception hertzienne » ne pourrait être conduite qu'aux finalités de la défense et de la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation, définies par l'article L. 811-3.

Par ailleurs, le régime prévoit une durée maximale de conservation des données collectées à l'occasion de ces surveillances, fixée en principe à six ans, mais portée à huit ans lorsque les données sont chiffrées.

Enfin, en vertu de l'article L. 854-9-3 du code de la sécurité intérieure, la CNCTR se verrait confier, comme elle le fait depuis la censure constitutionnelle, des pouvoirs de contrôle pour lui permettre de s'assurer du caractère résiduel des mesures mises en oeuvre pour la surveillance de ces communications hertziennes, et notamment de vérifier que les services ne mettent pas en oeuvre des techniques qui devraient relever d'un régime de droit commun. Il est prévu qu'elle soit, à cette fin, « informée du champ et de la nature » de ces mesures et qu'elle puisse effectuer des contrôles sur place des capacités d'interception mises en oeuvre par les services de renseignement. Enfin, elle serait autorisée à solliciter du Premier ministre tous les éléments nécessaires à sa mission et à se voir communiquer les renseignements collectés ainsi que les transcriptions et les extractions réalisées.

Entendue par votre rapporteur, la CNCTR a jugé que les durées de conservation des données collectées sur le fondement du nouveau régime d'« exception hertzienne » étaient excessives et proposé de les réduire à quatre ans, et six ans pour les données chiffrées. Suivant l'avis de son rapporteur, votre commission a toutefois estimé préférable de maintenir les durées définies dans le projet de loi. Elle a en effet considéré qu'en raison du caractère public et ouvert des données collectées, une durée de conservation plus longue ne soulevait pas de difficulté particulière au regard des principes de respect de la vie privée.

En revanche, elle a, par un amendement COM-48 de son rapporteur, simplifié la procédure permettant à la CNCTR de recueillir les informations nécessaires à la conduite de sa mission de contrôle, notamment les données collectées et les transcriptions et extractions réalisées, en supprimant la sollicitation préalable du Premier ministre. En vertu de l'article L. 833-2 du code de la sécurité intérieure, la CNCTR dispose d'un accès permanent aux registres, renseignements collectés, transcriptions et extractions réalisées dans le cadre des techniques de renseignement soumises à la procédure d'autorisation préalable. Bien que la surveillance mise en place au titre de l'« exception hertzienne » échappe à ce contrôle préalable, votre commission a en effet estimé qu'il convenait de conférer à la commission des pouvoirs de contrôle a posteriori de même nature que dans le droit commun.

c) La création d'une base légale pour les interceptions concernant les réseaux wifi

Le 3° du I de l'article 8 du projet de loi modifie l'article L. 853-2 du code de la sécurité intérieure, relatif aux techniques de pénétration de données informatiques, afin d'étendre l'application de cette technique de renseignement à la captation non seulement des données informatiques échangées avec des périphériques audiovisuels, mais également de celles échangées via des protocoles sans fil (objets connectés par exemple).

Une telle modification permettrait de donner un cadre juridique à la captation de ces données informatiques, d'autant plus protecteur que la durée de l'autorisation serait limitée à deux mois.

d) L'extension du nouveau régime de l'« exception hertzienne » à certaines unités des forces armées

Si elles n'appartiennent pas aux services autorisés à mettre en oeuvre des techniques de renseignement sur le territoire national, certaines unités des forces armées ont recours à des techniques de surveillance du domaine hertzien dans le cadre de leurs missions de défense militaire, notamment à des fins de veille stratégique et de soutien aux opérations.

C'est la raison pour laquelle l'article 9 du projet de loi prévoit d' étendre le nouveau régime allégé applicable aux communications hertziennes publiques et ouvertes pour l'appliquer aux unités des armées chargées des défenses militaires , pour le seul exercice de leurs missions. Il introduit, à cet effet, un article L. 2371-1 dans le code de la défense. Contrairement au régime prévu par le code de la sécurité intérieure, aucun contrôle ne pourrait être exercé par la CNCTR sur la mise en oeuvre de ces mesures de surveillance. La commission ne serait qu'informée du champ et de la nature des mesures mises en oeuvre. Ne seraient concernées par cet article que les unités armées agissant sur le territoire national, au nombre de deux selon les informations communiquées à votre rapporteur. Serait en revanche exclue de ce régime la surveillance effectuée par les armées à l'étranger, sur les théâtres d'opération.

Enfin, l'article 9 tend à insérer un article L. 2371-2 dans le code de la défense pour permettre à la direction générale de l'armement de réaliser des interceptions de communications aux seules fins d'effectuer des tests des matériels utilisés par les forces armées et sans possibilité d'exploiter les informations collectées à des fins de renseignement.

Votre commission n'a pas vu d'obstacle à cette extension aux unités des forces armées de la possibilité de procéder à une surveillance du domaine hertzien, dans les mêmes conditions qu'à l'article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure. En effet, s'agissant de communications publiques et ouvertes, l'extension de la surveillance ne paraît pas porter atteinte aux libertés constitutionnellement garanties, et notamment au secret des correspondances et au droit au respect de la vie privée.

Entendu par votre rapporteur, le Président de la CNCTR a regretté que, contrairement à l'avis rendu, aucun contrôle sur place des mesures d'interception effectuées par les unités armées, sur le territoire national, ne soit prévu, de même que pour tous les autres services de renseignement.

Le Gouvernement justifie ce choix par les difficultés matérielles qu'il pourrait y avoir à organiser de tels contrôles, notamment pour des unités ayant recours à ces techniques de surveillance dans le cadre d'opérations militaires. Sensible à cet argument, votre commission a conservé la rédaction proposée par le texte initial du projet de loi.

Votre commission a adopté l' article 8 ainsi modifié et l' article 9 sans modification .


* 50 Private mobile radiocommunications , soit réseau mobile privé de télécommunications

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