Rapport général n° 108 (2017-2018) de M. Sébastien MEURANT , fait au nom de la commission des finances, déposé le 23 novembre 2017

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N° 108

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 novembre 2017

RAPPORT GÉNÉRAL

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi de finances pour 2018 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

Par M. Albéric de MONTGOLFIER,

Rapporteur général,

Sénateur

TOME III

LES MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES

ET LES DISPOSITIONS SPÉCIALES

( seconde partie de la loi de finances )

ANNEXE N° 16

IMMIGRATION, ASILE ET INTÉGRATION

Rapporteur spécial : M. Sébastien MEURANT

(1) Cette commission est composée de : M. Vincent Éblé , président ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Yvon Collin, Bernard Delcros, Mme Fabienne Keller, MM. Philippe Dominati, Charles Guené, Jean-François Husson, Georges Patient, Claude Raynal , vice-présidents ; M. Thierry Carcenac, Mme Nathalie Goulet, MM. Alain Joyandet, Marc Laménie , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Julien Bargeton, Arnaud Bazin, Yannick Botrel, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Mme Frédérique Espagnac, MM. Rémi Féraud, Jean-Marc Gabouty, Jacques Genest, Alain Houpert, Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Nuihau Laurey, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Sébastien Meurant, Claude Nougein, Didier Rambaud, Jean-François Rapin, Jean-Claude Requier, Pascal Savoldelli, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 235 , 264 rect. , 266 rect. , 273 à 278 , 345 et T.A. 33

Sénat : 107 et 109 à 114 (2017-2018)

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Les dépenses de la mission sont en réalité très concentrées sur l'asile, puisque l'action 2 « Garantie de l'exercice du droit d'asile » du programme 303 concentre à elle seule à plus de 70 % des crédits de paiement demandés.

2. Ces dépenses devraient continuer à connaître une augmentation importante puisqu'à l'issue du premier semestre 2017, la demande d'asile poursuit sa hausse (+ 13,4 % par rapport au premier semestre de 2016).

3. Par ailleurs, la France est également confrontée à une hausse importante (+ 114 % en 2016) des demandeurs d'asile sous procédure dite « Dublin » (migrants qui, après avoir enregistré cette demande dans un premier pays européen, la réitèrent dans un autre État membre de l'UE), qui ne sont pas comptabilisés dans les chiffre de la demande d'asile. Ce phénomène a un impact important sur les dépenses de la mission, puisque ces personnes sont éligibles à plusieurs dispositifs prévus par la mission, comme l'hébergement d'urgence ou l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) jusqu'à leur transfert effectif vers l'État membre responsable de l'examen de leur demande.

4. Dans ce contexte, il est prévu une augmentation significative des crédits de la mission, de 26,01 % en CP et de 10,45 % en AE par rapport à la loi de finances pour 2017. Toutefois, la programmation budgétaire n'est qu'en faible augmentation par rapport à la consommation prévisionnelle pour l'année 2017, de 6,25 % en CP. Cette différence s'explique principalement par l'importante sous-budgétisation dont a fait l'objet l'ADA en 2017. La hausse prévue en 2018 pourrait se révéler insuffisante pour faire face à l'augmentation de la demande d'asile.

5. L'Office français pour les réfugiés et les apatrides (Ofpra) connaît, pour 2018, une augmentation de sa subvention pour charges de service public (+ 4,98 millions d'euros) et de son plafond d'emploi (+ 15 ETPT) moins importante qu'en 2017. Cette hausse apparaît comme insuffisante pour lui permettre d'atteindre son objectif de réduction du délai d'instruction des demandes d'asile à 60 jours en 2018.

6. L'année 2018 sera marquée par une poursuite de la montée en puissance des centres d'accueil de demandeurs d'asile (Cada) au détriment de l'hébergement d'urgence. En 2018, la dotation de 296,2 millions d'euros en AE et en CP (+ 5 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2017) devrait permettre l'ouverture de 1 500 places supplémentaires. En revanche, les crédits demandés pour l'hébergement d'urgence (268,3 millions d'euros en AE, + 9 % par rapport à la loi de finances pour 2017) pourraient encore une fois se révéler insuffisants, le taux de demandeurs d'asile hébergés ne s'élevant qu'à 46 % en 2016, et cette dépense faisant l'objet d'une importante sous-budgétisation depuis 2015.

7. Les crédits destinés à la lutte contre l'immigration irrégulière sont en baisse de 7,10 % en CP et 7,18 % en AE. Cette diminution est en contradiction avec le volontarisme affiché par le gouvernement en la matière.

8. L'année 2018 est marquée par une augmentation des crédits dédiés à l'accueil des étrangers primo-arrivants, qui s'élèvent à 191,4 millions d'euros (+ 10,3 % par rapport à 2017), même s'il faut relever que ces crédits avaient connu une diminution de plus de 20 % entre 2010 et 2014. Ce financement reste, en tout état de cause, insuffisant pour garantir la mise en place d'un dispositif suffisamment ambitieux pour permettre une intégration réussie.

9. Les crédits dédiés au financement des centres provisoires d'hébergement (CPH) des demandeurs d'asile connaîtront une augmentation importante, de 62 % par rapport à 2017, permettant la création de 3 000 places supplémentaires. Le Gouvernement prévoit de porter le nombre total de places de CPH à 5 207 d'ici fin 2019, ce qui constitue une avancée importante, mais insuffisante au regard de l'évolution du nombre de personnes bénéficiant d'un statut protecteur.

L'article 49 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) fixe au 10 octobre la date limite pour le retour des réponses aux questionnaires budgétaires.

À cette date, 99 % des réponses étaient parvenues à votre rapporteur spécial en ce qui concerne la mission « Immigration, asile et intégration ».

ANALYSE GÉNÉRALE DE LA MISSION

I. UNE MISSION TOUJOURS SOUS FORTE TENSION

1. Un niveau de dépenses largement déterminé par l'asile

Les dépenses de la mission « Immigration, asile et intégration » sont en réalité très concentrées sur l'asile (instruction et conditions matérielles d'accueil des demandeurs d'asile), puisque l'action 2 « Garantie de l'exercice du droit d'asile » du programme 303 « Immigration et asile » concentre à elle seule à plus de 70 % des crédits de paiement demandés . En outre, l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii), dont les dépenses dépendent également du programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française », concourt également aux missions relatives à l'asile (guichet unique d'accueil des demandeurs d'asile et d'information des demandeurs d'asile, gestion du plan « Migrants », gestion de l'ADA, frais de transport et frais d'interprétariat pour les demandeurs d'asile, etc.).

Répartition des crédits de paiement demandés pour 2018

(en millions d'euros)

Source : commission des finances

Si les documents budgétaires ne contiennent aucune donnée relative aux prévisions d'évolution de la demande d'asile, cette donnée (flux et stocks), ainsi que le temps de traitement des demandes, constitue le principal déterminant des dépenses de la mission.

2. En France, une poursuite de l'augmentation du nombre de demandeurs d'asile

Après quatre années de baisse de la demande d'asile globale (mineurs accompagnants et réexamens inclus) entre 2004 et 2007, six années de hausse entre 2008 et 2013, une légère baisse en 2014, une forte hausse de la demande d'asile s'est amorcée au troisième trimestre 2015 et s'est intensifiée au quatrième trimestre, conduisant à une hausse globale de 24 % pour l'année 2015. Ce phénomène s'est poursuivi tout au long de l'année 2016, mais dans une moindre mesure (+ 7 %). Cette accélération de la demande résulte pour l'essentiel du contexte de crise de l'asile que connaît l'Europe dans son ensemble depuis la mi-2015, la France étant toutefois moins touchée que certains de ses homologues (Allemagne, Suède, Autriche, etc.). Sur l'ensemble de la période, entre 2007 et 2016, la demande de protection internationale a ainsi augmenté de 141 % en France.

Évolution de la demande d'asile en France

(en nombre de demandeurs)

* : prévision effectuée sur la base du premier semestre 2017

Source : commission des finances

À l'issue du premier semestre 2017, la demande d'asile continue d'augmenter (+ 13,4 % par rapport au premier semestre de 2016) avec une hausse des premières demandes (+ 13,3 %) et des demandes émanant de mineurs accompagnants (+ 25 %), tandis que les demandes de réexamen sont en baisse (- 5,8 %). Au 5 juillet 2017, le nombre de demandes d'asile atteint 47 225, contre 40 072 à la même période en 2016, soit une augmentation de 17 %.

La part des seules premières demandes (hors mineurs accompagnants) dans la demande globale, de l'ordre de 70 % en 2013 et 2014, est désormais de l'ordre de 74 %.

En 2016, les cinq premiers pays pour les premières demandes d'asile sont : le Soudan (5 897 demandes), l'Afghanistan (5 646 demandes), Haïti (4 927 demandes), l'Albanie (4 601) et la Syrie (3 615).

3. Une mission également contrainte par l'évolution des mouvements secondaires intra-européens

La politique d'asile s'inscrit dans un cadre européen. Les statistiques de la demande d'asile en France prennent en compte les demandes présentées auprès de l'Ofpra mais n'incluent pas les demandes d'asile relevant de la compétence d'un autre État membre en application du règlement « Dublin III » 1 ( * ) .

Évolution de la demande d'asile en France et dans l'UE (28)

(en nombre de demandeurs)

* : prévision effectuée sur la base du premier semestre 2017

Source : commission des finances, d'après Eurostat et le ministère de l'intérieur

La France est aujourd'hui confrontée à une hausse de ces flux. Il s'agit de migrants arrivés en Europe en 2015 ou 2016 et qui, après avoir enregistré cette demande dans un premier pays européen, la réitèrent dans un autre État membre de l'Union européenne (UE). La procédure Dublin, qui vise à éviter la multiplication des demandes d'asile dans différents pays de l'UE qui garantissent des standards de protection aussi élevés que ceux en vigueur en France, connaît d'importantes difficultés de mise en oeuvre.

Or, on constate un accroissement, tout particulièrement en 2016 et 2017, du nombre de ces mouvements secondaires de demandeurs d'asile. Le nombre de procédures Dublin engagées par les préfectures en 2016 a en effet augmenté de 114 % par rapport à l'année précédente. En 2016, près de 46 % des demandeurs d'asile se présentant en France étaient connus dans un ou plusieurs États membres alors qu'en 2015, ils n'étaient que 26 %. En 2016, 22 500 procédures Dublin ont été initiées par les guichets uniques, ce qui constitue un niveau inédit. Le nombre de demandeurs d'asile sous cette procédure devrait augmenter de 30 % en 2018, par rapport à 2017.

Ce phénomène a un impact important sur les dépenses de la mission « Immigration, asile et intégration », puisque les demandeurs d'asile sous procédure Dublin sont éligibles à plusieurs dispositifs prévus par la mission, comme l'hébergement (ils ne peuvent toutefois pas bénéficier des Cada, réservés aux demandeurs d'asile nationaux) ou l'ADA jusqu'à leur transfert effectif vers l'État membre responsable de l'examen de leur demande.

En 2016, seules 10 % des procédures de transfert au titre du règlement Dublin ont abouti. Le Gouvernement indique que « le plan d'action du gouvernement 2 ( * ) prévoit de renforcer les moyens dédiés dans les préfectures et de créer des pôles spécialisés dans la mise en oeuvre de la procédure Dublin. Ceux-ci seront adossés à des capacités d'hébergement dédiées, où les personnes concernées pourront être assignées à résidence avant leur transfert ». Le plan d'action prévoit en outre que les demandeurs d'asile sous procédure « Dublin » puissent être placés en rétention administrative dès que la demande a été déposée auprès de l'État compétent, alors qu'il faut aujourd'hui attendre que l'arrêté de transfert soit pris. Un arrêt de la Cour de cassation 3 ( * ) en date du 27 septembre 2017 vient par ailleurs de juger illégal un placement en détention de demandeur d'asile sous procédure Dublin, faute de « disposition contraignante de portée générale, fixant les critères objectifs sur lesquels sont fondées les raisons de craindre la fuite du demandeur », risquant à terme de complexifier davantage encore leurs transferts par les autorités françaises.

Une évolution sur ce plan requiert une évolution législative, qui pourrait être inclue dans le futur projet de loi pour un droit d'asile garanti et une immigration maîtrisée, dont l'examen par le Parlement est prévu au premier semestre 2018.

4. L'échec et la reconduction incertaine du plan de relocalisation des migrants

L'échéance du premier plan de relocalisation des demandeurs d'asile, qui s'est achevé le 26 septembre 2017, constitue une incertitude supplémentaire pouvant avoir une incidence sur la mission. Décidé par le Conseil de l'Union européenne le 27 mai 2015, ce système a donné lieu à une première répartition qui concernait 40 000 demandeurs d'asile , arrivés en Grèce et en Italie. Il a été modifié en septembre 2015, au regard de l'aggravation de la crise des migrants. Le Conseil, a proposé de relocaliser 120 000 migrants supplémentaires présents en Italie, en Grèce et en Hongrie. Au total, la France devait accueillir 30 783 migrants dans le cadre des programmes de relocalisation d'urgence adoptés au niveau européen .

Début septembre, 27 695 personnes en avaient bénéficié, en provenance de Grèce (19 244) et d'Italie (8 451), soit à peine 28 % de l'objectif initial. La France a, pour sa part, accueilli 4 278 demandeurs en vertu de ce plan (330 d'Italie et 3 948 en provenance de Grèce) 4 ( * ) .

Au total, l'échec de ce plan et la volonté exprimée par la Commission européenne et certains pays, au premier rang desquels la France et l'Allemagne, de voir un tel projet se poursuivre, pourrait avoir un impact sur les dépenses d'asile de la mission. Cet impact est, à ce stade des négociations (qui sont ralenties par le désaccord de certains pays d'Europe centrale et orientale), difficile à évaluer. La pression migratoire subie par la Grèce et l'Italie, notamment, devrait toutefois se répercuter sur la France dans les années à venir. Le projet de limitation des flux de réfugiés pouvant s'installer outre-Rhin à 200 000, annoncée récemment par le Gouvernement allemand 5 ( * ) , pourrait également avoir un impact important sur la hausse du nombre de demandeurs d'asile en France.

II. UN EFFORT DE SINCÉRITÉ BUDGÉTAIRE QUI POURRAIT TOUTEFOIS SE RÉVÉLER INSUFFISANT

1. Une augmentation significative des crédits demandés : + 26 %

La maquette de la mission reste stable en 2018 . Elle est composée de deux programmes :

- le programme 303 « Immigration et asile » , qui porte les crédits de garantie du droit d'asile et d'accueil des demandeurs d'asile, ainsi que les crédits relatifs à la lutte contre l'immigration irrégulière ;

- le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française » , qui porte les crédits d'intégration des étrangers primo-arrivants et des réfugiés, en particulier la subvention à l'Ofii et les subventions aux associations oeuvrant en la matière.

En outre, aucune évolution de périmètre n'a eu lieu depuis la loi de finances pour 2017.

Cette dernière avait été marquée par la budgétisation des taxes précédemment affectées à l'Ofii 6 ( * ) , désormais inscrites sur le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française ». Cette mesure de transfert, qui « gonflait » visuellement les crédits du programme 104 d'environ 130 millions d'euros, expliquait une partie de la forte augmentation des crédits de paiement entre 2016 et 2017, de plus de 31 %. En neutralisant le transfert des taxes affectées, l'augmentation s'établissait à 14 % .

Le projet de loi de finances pour 2018 prévoit une augmentation conséquente des crédits de paiement de la mission « Immigration, asile et intégration », de 26,01 % en CP.

Évolution des crédits de paiement de la mission
« Immigration, asile et intégration »
à périmètre constant

(en millions d'euros)

Source : commission des finances

Cette hausse trouve son origine dans deux principaux éléments de la budgétisation pour 2018 :

- une hausse des dépenses d'asile , de plus de 33 %, principalement celles concernant l'allocation demandeurs d'asile (ADA) et l'hébergement (Cada et hébergement d'urgence) ;

- une hausse des dépenses d'accompagnement des réfugiés.

Évolution des crédits de paiement de la mission « Immigration, asile et intégration » à périmètre constant

(en millions d'euros)

Crédits de paiement

Exécution 2015

Exécution 2016

LFI 2017

PLF 2018

Variation

2017-2018

Immigration et asile

617,89

912,90

858,16

1100,56

28,25%

Circulation des étrangers et politique des visas

1,02

0,34

0,52

0,52

0,00%

Garantie de l'exercice du droit d'asile

495,90

798,47

740,91

985,45

33,01%

Lutte contre l'immigration irrégulière

93,95

85,52

89,16

82,83

- 7,10%

Soutien

27,03

28,57

27,57

31,76

15,20%

Intégration et accès à la nationalité française

59,62

87,47

239,49

282,59

18,00%

Accompagnement du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants

8,43

8,54

8,54

0,00%

Actions d'accompagnement des étrangers en situation régulière

32,35

26,11

29,73

38,43

29,26%

Accompagnement des réfugiés

18,17

33,82

26,72

43,16

61,53%

Accueil des étrangers primo arrivants

7,44

18,22

173,5

191,43

10,33%

Accès à la nationalité française

1,67

0,89

1

1,03

3,00%

Total général

677,52

804,12

1097,65

1383,15

26,01%

Source : commission des finances

Entre 2017 et 2018, le montant des AE augmente de 10,45 % pour l'ensemble de la mission. Cette différence importante entre l'évolution des AE et des CP s'explique par le choix de recourir, en 2017, à un appel d'offres national pour 5 351 nouvelles places d'hébergement d'urgence, pour une durée de cinq ans, qui a nécessité d'inscrire un montant élevé d'AE en loi de finances initiale pour 2017 . La faible évolution entre la prévision 2017 et la prévision 2018 ne doit donc pas masquer l'évolution tendancielle, fortement haussière, d'une loi de finances initiale à l'autre.

Évolution des autorisations d'engagement de la mission « Immigration, asile et intégration » à périmètre constant

(en millions d'euros)

Autorisations d'engagement

Exécution 2015

Exécution 2016

LFI 2017

PLF 2018

Variation

Immigration et asile

610,79

920,76

985,02

1069,79

8,61%

Circulation des étrangers et politique des visas

1,02

0,35

0,52

0,52

0,00%

Garantie de l'exercice du droit d'asile

496,56

798,87

868,67

953,01

9,71%

Lutte contre l'immigration irrégulière

85,86

88,36

89,02

82,63

-7,18%

Soutien

27,35

33,18

26,81

33,63

25,44%

Intégration et accès à la nationalité française

59,57

87,45

239,44

282,63

18,04%

Accompagnement du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants

8,43

8,54

8,54

0,00%

Actions d'accompagnement des étrangers en situation régulière

32,41

26,29

29,73

38,43

29,26%

Accompagnement des réfugiés

18,58

33,4

26,72

43,16

61,53%

Accueil des étrangers primo arrivants

7,44

18,22

173,5

191,43

10,33%

Accès à la nationalité française

1,14

1,09

0,95

1,07

12,63%

Total général

670,36

1008,21

1224,46

1352,42

10,45%

Source : commission des finances

2. Un effort insuffisant de sincérité budgétaire

Depuis le début de la crise migratoire, la mission « Immigration, asile et intégration » souffre d'une sous-budgétisation chronique. Le taux d'exécution s'élevait, en 2016, à 116 % en AE et en CP pour l'ensemble de la mission. Cette sur-exécution est principalement due à la sous-dotation de l'action 2 du programme 303 « Garantie de l'exercice du droit d'asile », qui ne prenait pas suffisamment en compte l'augmentation du nombre de demandeurs d'asile, qui constitue, avec les délais d'instruction des demandes par l'Ofpra (qui conditionnent les dépenses d'hébergement et de prise en charge sociale des demandeurs), le principal déterminant des dépenses de la mission.

Évolution des crédits de paiement demandés pour l'action
« Garantie de l'exercice du droit d'asile » du programme 303
et évolution de la demande d'asile

(en millions d'euros et en nombre de demandeurs)

*: prévision

Source : commission des finances

La programmation budgétaire n'est en réalité qu'en augmentation plus faible par rapport à la consommation prévisionnelle pour l'année 2017, de 6,25 % en CP pour 2018. La différence entre les montants demandés en projet de loi de finances pour 2018 et ceux prévus en exécution pour 2017 est faible et doit mener à nuancer l'idée d'une augmentation significative des crédits disponibles. Ainsi, en tenant compte du seul décret d'avance du 20 juillet 2017 7 ( * ) , les crédits exécutés pour l'année en cours pourraient dépasser 1,2 milliard en CP pour l'ensemble de la mission.

Comparaison de l'exécution prévisionnelle 2017 des crédits de la mission
« Immigration, asile et intégration » à ceux inscrits en PLF 2018

(en CP, en millions d'euros)

*: prévision effectuée à partir du décret d'avance du 20 juillet 2017 et de la situation mensuelle du budget de l'État

Source : commission des finances

Ce besoin d'ouverture était nécessaire en raison, d'une part, des insuffisances des dotations inscrites en loi de finances initiale et d'autre part, de la hausse constatée des flux de demandeurs d'asile, en particulier des demandeurs sous procédure Dublin, qui entraîne une augmentation du nombre de bénéficiaires de l'ADA et des besoins d'hébergement liés aux opérations de mises à l'abri.

Ainsi, si la budgétisation de la mission en projet de loi de finances pour 2018 se démarque des années précédentes par un plus grand effort de sincérité, ce dernier pourrait se révéler insuffisant. L'augmentation prévisionnelle des flux de demandeurs d'asile et de demandeurs sous procédure Dublin, ainsi que l'inertie des stocks risquent en effet d'entrainer un dépassement des crédits demandés au cours de l'exercice.

3. Une programmation triennale prévoyant une légère baisse des crédits, en inadéquation avec le contexte migratoire et les annonces politiques

Sur le triennal 2018-2020, les crédits diminuent de 1,4 % en valeur, contre une augmentation de 3 % en moyenne pour les missions du budget général.

Plafond des crédits de paiements de la mission
« Immigration, asile et intégration » pour le triennal 2018-2020

(en millions d'euros)

2020 Vs. 2018

Mission

LFI 2017*

2018

2019

2020

En Md€

En %

Immigration, asile et intégration

Valeur

1,1

1,38

1,36

1,36

-0,02

-1,4%

Volume

1,10

1,37

1,33

1,31

-0,05

-3,9%

Note de lecture : les montants indiqués pour 2017 correspondent à la LFI 2017 retraitée au format 2018. Les montants en volume sont exprimés en euros constants de 2017 à partir des hypothèses d'inflation du Gouvernement.

Source : commission des finances du Sénat, à partir du projet de loi de programmation des finances publiques 2018-2022.

La programmation des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » dans le budget triennal 2018-2020 apparaît en décalage avec l'augmentation prévisible des flux sur les deux prochaines années (demandeurs d'asile nationaux et sous procédure Dublin). Surtout, elle traduit l'absence de volonté du Gouvernement de se donner les moyens des ambitions qu'il affiche. Cette programmation prend le risque de ne pas donner de marge de manoeuvre budgétaire suffisante pour renforcer certains aspects fondamentaux de la mission, comme la lutte contre l'immigration irrégulière, ou le nécessaire renforcement du parcours d'intégration des étrangers primo-arrivants.

ANALYSE PAR PROGRAMME

I. LE PROGRAMME 303 « IMMIGRATION ET ASILE »

1. Un programme largement dédié à l'hébergement et aux prestations sociales en faveur des demandeurs d'asile

Le programme 303 « Immigration et asile » est composé de quatre actions :

- l'action 1 « Circulation des étrangers et politique des visas » , qui porte les crédits de fonctionnement de la sous-direction des visas, placée au sein de la direction générale des étrangers en France ; cette action ne porte, en 2016, plus qu'un reliquat de crédits de 560 000 euros, en raison du transfert des crédits de fonctionnement de la sous-direction des visas de Nantes vers le programme 216 ;

- l'action 2 « Garantie de l'exercice du droit d'asile » , qui rassemble les crédits destinés à l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra) et l'ensemble du financement des conditions matérielles d'accueil des demandeurs d'asile (centres d'accueil des demandeurs d'asile, hébergement d'urgence, allocation aux demandeurs d'asile) ;

- l'action 3 « Lutte contre l'immigration irrégulière » , qui porte principalement les crédits destinés au fonctionnement des centres et lieux de rétention administrative (CRA), ainsi que les frais d'éloignement des étrangers en situation irrégulière ;

- l'action 4 « Soutien » , qui porte les dépenses de fonctionnement - en particulier informatiques - de la direction générale des étrangers en France, à l'exclusion des dépenses de personnel et des loyers budgétaires.

Les dépenses liées à l'asile représentent près de 90 % des crédits demandés pour le programme 303.

Évolution des autorisations d'engagement et des crédits de paiement
du programme 303 « Immigration et asile »

(en millions d'euros)

Autorisations d'engagement

LFI 2017

PLF 2018

Variation

Immigration et asile

985,02

1069,79

8,61 %

Action 1 - Circulation des étrangers et politique des visas

0,52

0,52

0,00 %

Action 2 - Garantie de l'exercice du droit d'asile

868,67

953,01

9,71 %

Action 3 - Lutte contre l'immigration irrégulière

89,02

82,63

- 7,18 %

Action 4 - Soutien

26,81

33,63

25,44 %

Crédits de paiement

LFI 2017

PLF 2018

Variation

Immigration et asile

858,16

1100,56

28,25 %

Action 1 - Circulation des étrangers et politique des visas

0,52

0,52

0,00 %

Action 2 - Garantie de l'exercice du droit d'asile

740,91

985,45

33,01 %

Action 3 - Lutte contre l'immigration irrégulière

89,16

82,83

- 7,10 %

Action 4 - Soutien

27,57

31,76

15,20 %

Source : commission des finances, à partir du projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2018

2. Une importante augmentation des crédits demandés en faveur de l'ADA, qui pourrait rester inférieure aux besoins

Créée par la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile 8 ( * ) l'allocation pour demandeur d'asile (ADA), est versée aux demandeurs d'asile pendant toute la durée de la procédure d'instruction de leur demande, y compris en cas de recours devant la Cour nationale du droit d'asile (Cnda). Cette allocation est familialisée et versée à l'ensemble des demandeurs d'asile dès lors qu'ils ont accepté l'offre de prise en charge qui leur a été présentée lors de leur admission au séjour. Les demandeurs d'asile relevant des dispositions du règlement Dublin peuvent également percevoir l'ADA jusqu'à leur transfert effectif vers l'État membre responsable de l'examen de leur demande. La gestion de l'ADA est assurée par l'Ofii.

En progression de 45 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2017 (220 millions d'euros), la dotation prévue pour l'ADA en projet de loi de finances pour 2018 s'élève à 318,1 millions d'euros.

Cette dotation reste inférieure à la prévision de dépenses pour 2017 qui s'élève, selon les données disponibles au 31 août, à 355 millions d'euros. Cette baisse s'explique, selon le Gouvernement, par plusieurs éléments de nature à contribuer à renforcer la maîtrise de la trajectoire des dépenses de l'ADA :

- la réduction des délais de traitement des demandes, qui doit se traduire par une diminution des durées de perception de l'allocation. L'augmentation du taux d'hébergement des demandeurs d'asile entraînera une diminution du nombre de bénéficiaires de l'allocation majorée ;

- la réduction des coûts de gestion (qui représentent 3,7 millions d'euros en 2017), engagée par l'Ofii ;

- le recouvrement des versements indus 9 ( * ) ;

- la lutte contre la fraude.

Au total, le Gouvernement évalue les économies à 109,7 millions d'euros. Une telle prévision pourrait toutefois se révéler trop optimiste, l'écart à l'évolution tendancielle étant élevé (427,8 millions d'euros). Par ailleurs, cette augmentation est basée sur une progression de la demande d'asile de 10 %, identique à celle retenue en 2017, et qui s'est révélée irréaliste 10 ( * ) . De même, le nombre de demandeurs d'asile sous procédure Dublin, pouvant bénéficier de l'ADA, devrait augmenter en 2018 (cf. supra ). Le flux des demandeurs placés sous procédure Dublin est évalué en augmentation de 44 % en 2017 et de 10% en 2018, et contribuera à l'augmentation du nombre de bénéficiaire de l'ADA.

L'ADA est en outre marquée par l'accumulation, notamment en 2014 et 2015, d'une dette importante de l'État auprès de Pôle emploi qui avait permis de masquer les sous-dotations massives dont elle souffrait. Le règlement de cette dette, d'un montant de 166,02 millions d'euros au 31 décembre 2016, n'est toujours pas prévu. Selon les informations recueillies par votre rapporteur spécial, un apurement de cette dette pourrait être prévu dans le projet de loi de finances rectificative pour 2017.

Évolution de la dépense d'allocation
aux demandeurs d'asile

(1) Exécution prévisionnelle, d'après le ministère de l'intérieur

Source : commission des finances

3. La stabilisation des crédits et des effectifs de l'Ofpra, insuffisants pour permettre la réduction du délai d'examen à deux mois

L'Ofpra est l'office chargé, en première instance, d'accorder ou non la protection de la France aux demandeurs d'asile qui la sollicitent . Établissement public administratif de l'État placé sous la tutelle du ministre de l'intérieur depuis 2010, il bénéficie de l'indépendance fonctionnelle. Son financement est assuré presque intégralement par une subvention pour charges de service public versée par le ministère.

Le projet de loi de finances pour 2018 marque un léger ralentissement de l'effort consacré au renforcement des moyens de l'Ofpra, qui avait été particulièrement fort en 2017, en cohérence avec l'objectif de réduction des délais de traitement des demandes affiché dans le cadre de la réforme de l'asile à trois mois (sans compter un éventuel appel auprès de la Cnda). Comme le montre le graphique ci-dessous, l 'Ofpra connaît, pour 2018, une augmentation de sa subvention pour charges de service public (+ 4,98 millions d'euros) et de son plafond d'emploi (+ 15 ETPT ) plus faible que celle des années précédentes.

L'évolution des moyens accordés à l'Ofpra

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Malgré cette évolution qui a reflété celle de la demande d'asile, l'Ofpra reste confronté à d'importants délais de traitement, supérieurs aux objectifs fixés par la réforme . Un nouveau contrat d'objectifs et de performance (COP) pour les années 2016-2018 a été signé le 12 janvier 2017 et fixe comme objectif de ramener à 9 mois le délai de traitement global de la demande d'asile (3 mois pour l'Ofpra et 6 mois pour la CNDA). Le nombre de décisions rendues dans l'année par ETP instructeur, fixé à un niveau compris entre 404 et 412, prend en compte, en année pleine à partir de 2016, l'impact sur la durée des entretiens des garanties nouvelles (accueil d'un tiers et enregistrement sonore notamment) introduites par la loi du 29 juillet 2015.

Toutefois, alors qu'un objectif de réduction des délais de traitement des demandes d'asile à 90 jours avait été fixé dès 2017, la prévision actualisée fixe désormais ce délai à 140 jours, rendant irréaliste l'atteinte de l'objectif de réduction délai à 60 jours dès 2018.

Il est vrai que les effets de l'augmentation du plafond d'ETPT de l'Ofpra prévue en lois de finances pour 2017 et la vague de recrutements qu'elle a permis ne produit ses effets qu'avec un important retard, de l'ordre de six à neuf mois, en raison des délais de recrutement puis de formation des officiers de protection. Une fois qu'elle aura produit ses pleins effets, elle pourrait entrainer un raccourcissement des délais dès fin 2017. Toutefois, la persistance d'un stock important de demandes non traitées, dont plus d'un tiers a déjà dépassé le délai de trois mois 11 ( * ) , semble compromettre réellement l'objectif d'atteinte d'un délai de trois mois dès 2018.

Stock et délai moyen de traitement des demandes d'asile
traitées par l'Ofpra

(en nombre de demandes)

Source : commission des finances, d'après les réponses aux questionnaires et les réponses aux questionnaires

La réduction des délais d'instruction des demandes constitue en outre un important levier de réduction du coût de la mission, puisque le coût budgétaire mensuel de la demande d'asile est estimé à plus de 82 millions d'euros, rendant d'autant plus nécessaire la poursuite des efforts en ce sens.

4. Une poursuite de la montée en puissance des Cada, appelés à devenir le principal mode d'hébergement des demandeurs au détriment de l'hébergement d'urgence

La loi portant réforme de l'asile 12 ( * ) a réaffirmé le rôle des centres d'accueil pour demandeurs d'asile (Cada) comme solution principale d'hébergement de ces derniers . Ainsi, l'article L. 348-1 du code de l'action sociale et des familles dispose que « les personnes dont la demande d'asile a été enregistrée (...) peuvent bénéficier d'un hébergement en centre d'accueil pour demandeurs d'asile ». L'article L. 348-2 du même code précise que ces centres « ont pour mission d'assurer l'accueil, l'hébergement ainsi que l'accompagnement social et administratif des personnes dont la demande d'asile a été enregistrée, pendant la durée d'instruction de cette demande ». Ce dispositif spécifique d'hébergement pérenne compte près de 350 centres. Le financement des Cada par l'État est assuré par une dotation globale de financement, résultant d'une analyse contradictoire entre les services déconcentrés chargés de la tarification et les gestionnaires de centres.

En raison de l'augmentation des besoins résultant de la forte croissance de la demande d'asile ces dernières années, l'État a engagé au cours de la période récente des efforts sans précédent de développement de la capacité d'hébergement des demandeurs d'asile. Ainsi, près de 16 904 places ont été créées depuis la fin de l'année 2013, pour porter la capacité d'hébergement à 40 385 places à la fin 2017, permettant d'atteindre les objectifs du schéma national d'accueil des demandeurs d'asile fixés par l'arrêté du 21 décembre 2015.

Les créations de places en Cada depuis 2012

Date de lancement de l'AAP

Prévision du nombre de places à créer

Nombre de places validées

Nombre de places effectivement ouvertes

Commentaires

09/11/2012

+ addendum 21/01/2013

1 000 + 1 000

= 2 000

2 102

2 057

Deux projets n'ont pas pu aboutir.

05/04/2013

1 000

1 038

1 038

Ouverture reportée en avril 2014 et ce pour raison budgétaire. Le report de la date d'ouverture du 1 er décembre 2013 au 1 er avril 2014 n'a pas été sans incidence. Ainsi, les projets instruits en vue d'une création au 1 er avril 2014, ont été construits par les candidats autour d'une ouverture au 1 er décembre 2013. Ce décalage s'est ressenti dans les perspectives de captation des lieux d'hébergement envisagées, impliquant des scénarii à court et long termes, dans l'attente d'une installation définitive des places nouvellement ouvertes.

01/12/2014

1 000

948

948

Ouverture reportée en janvier 2015 et ce pour des raisons budgétaires.

20/04/2015

Pouvant aller jusqu'à 5 000

4 114

4 114

Source : réponse au questionnaire budgétaire

En 2018, la dotation de 296,2 millions d'euros en AE et en CP (+ 5 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2017) permettra le financement des places du parc des Cada, qui devrait être étendu à près de 42 000 places, après l'ouverture de 1 500 places supplémentaires en cours d'année, dans le cadre d'un appel à projets lancé à l'automne 2017.

Le parc de places de Cada est complété par des places en dispositifs d'hébergement d'urgence, dont le nombre est amené à diminuer.

Évolution du nombre de places en Cada et en hébergement d'urgence
des demandeurs d'asile (HUDA)

(1) 2016 : exécution prévisionnelle, d'après les informations recueillies par votre rapporteur spécial

Source : commission des finances

Une part de ce dispositif, offrant des prestations et des conditions d'accueil similaires à celles observées en Cada, est considérée comme de l'hébergement pérenne, permettant une prise en charge des demandeurs tout au long de leur procédure.

Les structures n'offrant pas un tel niveau de prestations, tels que les dispositifs hôteliers, sont, elles, destinées à accueillir, à titre transitoire, des demandeurs d'asile préalablement à leur admission éventuelle dans un hébergement pérenne.

Le dispositif d'hébergement d'urgence permet, en outre, de prendre en charge des demandeurs d'asile ne pouvant bénéficier d'un hébergement en Cada - singulièrement les demandeurs d'asile sous procédure Dublin, qui bénéficient du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à leur transfert effectif.

Au total, les crédits demandés pour l'hébergement d'urgence (268,3 millions d'euros en AE, + 9 % par rapport à la loi de finances pour 2017) pourraient encore une fois se révéler insuffisants , le taux de demandeurs d'asile hébergés ne s'élevant qu'à 46 % en 2016, et cette dépense faisant l'objet d'une importante sous-budgétisation depuis 2015. En 2016, les dépenses pour l'hébergement d'urgence se sont ainsi élevées à 139,5 millions d'euros (en CP), alors que 111,5 millions d'euros avaient été ouverts. La prévision de dépenses pour 2017 (au 31 août) s'élève à 270 millions d'euros en CP, alors que seuls 118 millions d'euros ont été ouverts en loi de finances initiale.

La réflexion amorcée par le Gouvernement visant à la « création de nouveaux types de dispositifs d'hébergement pour répondre à des besoins spécifiques » 13 ( * ) , doit être encouragée, surtout si elle permet la mise en place de dispositifs dédiés aux demandeurs sous procédure Dublin, faisant aujourd'hui défaut et empêchant leur traitement dans des délais restreints (centres d'assignation à résidence près des aéroports pour les demandeurs sous procédure Dublin, centres de transit ou centres d'accueil et d'évaluation des situations pour une prise en charge de premier niveau de ces personnes migrantes, en amont de leur orientation vers les lieux d'hébergement, notamment en cas d'afflux massifs dans certains territoires). De tels dispositifs pourraient permettre une réduction des coûts d'hébergement et une gestion plus adaptée des demandeurs d'asile.

5. Un financement de la lutte contre l'immigration irrégulière incompatible avec les ambitions du Gouvernement

L'action 3 du programme 303 relative à la lutte contre l'immigration irrégulière finance trois principaux postes :

- les dépenses de fonctionnement des centres et locaux de rétention administrative et zones d'attente ;

- les frais d'éloignement des migrants en situation irrégulière ;

- diverses subventions aux associations chargées du suivi sanitaire, social et juridique des étrangers retenus .

Les crédits prévus pour le fonctionnement hôtelier des centres de rétention administrative (CRA) sont en légère baisse et s'établissent à 18 millions d'euros, contre 19 millions d'euros en 2017 alors que le contexte migratoire devrait conduire à une augmentation des placements en rétention .

Le parc des CRA est constitué de 27 centres dont 23 en métropole et 4 outre-mer, représentant une capacité immobilière de 1 554 places en métropole et 227 outre-mer.

Sur ces 1 781 places, certaines sont neutralisées pour des raisons de maintenance ou de redéploiement d'effectifs policiers sur les missions de contrôle aux frontières intérieures, traduisant ainsi une capacité « opérationnelle » moindre (1 484 places effectivement disponibles en 2016). Le taux moyen d'occupation des centres de rétention administrative (CRA) de métropole a progressé de 9 points depuis 2012, passant de 51 % en 2012 à 60 % en 2016 pour les 23 CRA de métropole. Le premier semestre 2017 est marqué par une progression significative du taux d'occupation, qui s'élève à 66 % 14 ( * ) , démontrant la mobilisation accrue du dispositif de rétention, qui devrait encore augmenter en 2018.

Les frais d'éloignement des migrants en situation irrégulière diminuent très légèrement, alors même que la réforme de l'asile (augmentation du nombre d'éloignements) et l'augmentation des éloignements vers des pays tiers (entrainant une hausse de leur coût). Ils s'établissent ainsi à 30,1 millions d'euros contre 33,3 millions d'euros en 2017, même si les documents budgétaires évoquent un éventuel recours au « Fonds asile, migration et intégration » (FAMI) en cas d'insuffisance des moyens budgétaires prévus.

Il convient également de relever la création d'un nouvel indicateur au sein du programme 303 : le nombre de retours aidés exécutés, qui ne s'élève qu'à 48 % et révèle l'inefficacité de ce type de mesures, ce qui est particulièrement alarmant, alors même que le nombre de retours forcés exécutés est lui aussi en constante diminution.

Évolution du nombre et du coût des reconduites à la frontière

(1) Pour 2012, le nombre de reconduites à frontière comprend également les retours volontaires, qui ne sont plus comptabilisés à compter de 2013

Source : commission des finances, d'après les projets annuels de performances

En tout état de cause, cette diminution des crédits est en contradiction avec la politique affichée à plusieurs reprises par le Gouvernement de « faciliter l'accès aux places de rétention partout sur le territoire », dans l'objectif, notamment, de lutter contre l'insécurité 15 ( * ) et renforcer la lutte contre l'immigration irrégulière.

II. LE PROGRAMME 104 « INTÉGRATION ET ACCÈS À LA NATIONALITÉ FRANÇAISE »

1. Une augmentation des crédits du programme, portant principalement sur l'accompagnement des réfugiés

Le programme 104 regroupe les crédits d'intervention consacrés à l'intégration des étrangers et des réfugiés et s'articule autour de cinq actions :

- l'action 11 « Accueil des étrangers primo-arrivants », qui porte la subvention pour charges de service public (SCSP) versée à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) ;

- l'action 12 « Accompagnement des étrangers primo-arrivants », qui finance les actions d'intégration des étrangers en situation régulière hors OFII ;

- l'action 14 « Accès à la nationalité française », qui porte les crédits de fonctionnement de la sous-direction des naturalisations ;

- l'action 15 « Accompagnement des réfugiés », qui finance les actions d'intégration des réfugiés et, en pratique, essentiellement les centres provisoires d'hébergement des réfugiés (CPH) ;

- l'action 16 « Accompagnement du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants », nouvellement créée, qui reprend des crédits auparavant intégrés au sein de l'action 12 et qui sont désormais, à juste titre, isolés au sein d'une action spécifique.

La hausse des crédits du programme s'explique en partie par l'augmentation du financement des actions d'accompagnement des étrangers en situation régulière (+ 61,53 % en AE et en CP), qui portent principalement sur le financement des centres provisoires d'hébergement des réfugiés.

Évolution des autorisations d'engagement et des crédits de paiement
du programme 303 « Immigration et asile »

(en millions d'euros)

Autorisations d'engagement

LFI 2017

PLF 2018

Variation

Intégration et accès à la nationalité française

239,44

282,63

18,04 %

Accompagnement du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants

8,54

8,54

0,00 %

Actions d'accompagnement des étrangers en situation régulière

29,73

38,43

29,26 %

Accompagnement des réfugiés

26,72

43,16

61,53 %

Accueil des étrangers primo arrivants

173,5

191,43

10,33 %

Accès à la nationalité française

0,95

1,07

12,63 %

Total général

1 224,46

1 352,42

10,45 %

Crédits de paiement

LFI 2017

PLF 2018

Variation

Intégration et accès à la nationalité française

239,49

282,59

18,00%

Accompagnement du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants

8,54

8,54

0,00%

Actions d'accompagnement des étrangers en situation régulière

29,73

38,43

29,26%

Accompagnement des réfugiés

26,72

43,16

61,53%

Accueil des étrangers primo arrivants

173,5

191,43

10,33%

Accès à la nationalité française

1

1,03

3,00%

Total général

1 097,65

1 383,15

26,01%

Source : commission des finances, à partir du projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2018

2. Une politique d'accueil et d'intégration des primo-arrivants toujours trop peu ambitieuse

La loi du 7 mars 2016 relative aux droits des étrangers en France 16 ( * ) a réformé le dispositif d'accueil et d'intégration des étrangers accédant pour la première fois au séjour en France et désireux de s'y installer durablement en remplaçant l'ancien « contrat d'accueil et d'intégration » par un « contrat d'intégration républicaine ». Elle a créé un nouveau parcours d'intégration, caractérisé par de nouvelles formations linguistiques et civiques, une volonté d'articulation avec la politique des visas, et un relèvement de l'objectif linguistique de A1.1 à A1.

En pratique, sur la période du 1 er juillet 2016 (date d'entrée en vigueur de la réforme) au 30 juin 2017, 101 448 contrats ont été signés et 55,6 % des signataires ont bénéficié d'une formation linguistique.

L'année 2018 est marquée par une augmentation des crédits dédiés à l'accueil des étrangers primo-arrivants, qui s'élèvent à 191,4 millions d'euros (+ 10,3 % par rapport à 2017), même s'il faut relever que ces crédits avaient connu une diminution de plus de 20 % entre 2010 et 2014. Parallèlement à cette augmentation de crédits, des remaniements de la formation linguistique et civique devraient avoir lieu :

- un arrêté du ministère de l'intérieur du 25 juillet 2017 permet de prescrire 20 % d'heures de cours supplémentaires pour les stagiaires n'ayant pas obtenu le niveau A1 à la fin de leur formation ;

- des modules de formation linguistique spécifiques pour les étrangers primo-arrivants analphabètes qui n'ont jamais été scolarisés dans leur pays d'origine vont être créés (et devraient représenter une dépense supplémentaire financée de l'ordre de 3,3 millions d'euros).

Ces évolutions, qui rejoignent pour partie les recommandations présentées par notre collègue Roger Karoutchi, devraient renforcer l'efficacité de ces formations mais ne remédient toutefois pas aux carences structurelles de ces formations 17 ( * ) . Tout d'abord, le taux de réussite global apparaît comme particulièrement faible, et ne s'élève à 61,4 %. Surtout, le niveau visé (A1), inférieur à celui requis dans d'autre pays européens, comme l'Allemagne (qui requiert B1) s'avère largement insuffisant pour garantir une intégration réussie des étrangers. Enfin, l'articulation avec la politique de délivrance des titres de séjour fait encore très largement défaut, puisque la seule assiduité est prise en compte, indépendamment de l'implication réelle de l'étranger dans ses formations.

Dans ce contexte, l'indicateur de performance de l'efficience de la formation linguistique dans le cadre du CIR, à savoir le taux d'atteinte du niveau A1, n'apparaît pas pertinent (61 % en 2017). En plus de mesurer un niveau trop faible pour être satisfaisant, il ne tient pas compte des progrès effectués par les migrants et de l'impact réel de la formation, indépendamment de leur niveau initial.

Réussite aux formations linguistique
en fonction du parcours suivi

(en nombre de bénéficiaires)

200 h

100 h

50 h

Total

Taux de réussite

A1 acquis

5 302

6 292

3 531

15 125

61,40 %

A1 partiellement acquis

4 563

1 681

388

6 632

26,90 %

A1 non acquis

2 386

375

108

2 869

11,70 %

Total

12 251

8 348

4 027

24 626

100,00 %

Source : commission des finances, à partir des réponses aux questionnaires budgétaires

3. Une augmentation de la subvention de l'Ofii insuffisante pour réduire les délais de traitement des demandes

Créé en 2009, l'Ofii dispose d'une compétence générale en matière d'intégration des étrangers en situation régulière dans les cinq premières années de résidence sur le territoire français .

Jusqu'en 2016, il était financé essentiellement par des taxes affectées , correspondant aux droits de timbre acquittés par les étrangers ou aux taxes sur la main d'oeuvre étrangère due par les entreprises. La loi de finances pour 2017 a modifié la structure des ressources de l'établissement, par une mesure de budgétisation de l'ensemble des taxes qui lui étaient précédemment affectées. Le portage budgétaire est exclusivement assuré par le programme 104 18 ( * ) , par le biais d'une subvention pour charges de service public (SCSP) ainsi que de transferts directs destinés à couvrir les dépenses d'intervention.

Ces ressources sont complétées par des crédits européens issus des fonds « Réfugiés, Intégration et Retour » relevant de la programmation 2007-2013 mais aussi désormais du fonds « Asile, Migration, Intégration » (FAMI) relevant de la programmation 2014-2020.

Au titre du programme 104, il est prévu, pour 2018, d'allouer à l'Ofii 191,4 millions d'euros en AE et CP, (+ 10,3 %). Ces crédits comprennent 10,5 millions d'euros de crédits d'intervention et 180,9 millions d'euros de subvention pour charges de service public (SCSP).

Financement de l'Ofii intéressant le programme 104

(en millions d'euros, hors crédits d'intervention)

Source : commission des finances, d'après les réponses aux questionnaires budgétaires

L'adoption, en 2015 et 2016, des deux lois relatives à l'asile 19 ( * ) d'une part et au droit des étrangers 20 ( * ) d'autre part , a considérablement renforcé ses missions.

S'agissant de l'asile, l'Ofii est désormais un acteur majeur du dispositif d'orientation, d'accompagnement et de gestion des demandeurs d'asile , en étant chargé du premier accueil des demandeurs, de la gestion du parc d'hébergement et de la gestion de l'ADA.

S'agissant du droit des étrangers et de l'intégration, les missions de l'Ofii ont été également revues à la hausse : refonte du parcours d'intégration autour d'un contrat d'intégration républicaine (voir supra ), qui comprend un entretien individuel plus personnalisé, renforcement de la formation civique (deux jours, contre deux heures auparavant), relèvement des exigences de connaissance de la langue pour les étrangers.

Les documents budgétaires précisent que cette évolution est basée sur une évolution de 10 % de la demande d'asile. Le risque de voir ce chiffre dépassé, ainsi que l'importance des demandeurs sous procédure Dublin mène toutefois à penser que cette dotation insuffisante pour permettre à l'Ofii d'assurer pleinement ses missions.

4. Les centres provisoires d'hébergement : un effort budgétaire important qui devrait permettre la création de 3 000 places en 2018

L'action 15 du programme 104 porte essentiellement les crédits destinés au financement de l'hébergement des réfugiés, en particulier les centres provisoires d'hébergement (CPH) 21 ( * ) . Ils s'élèvent à 43,16 millions d'euros, soit une augmentation de 62 % par rapport à 2017.

Le Gouvernement prévoit la création de 5 000 places supplémentaires d'ici fin 2019, dont 3 000 dès 2018. Cette ambition est justifiée par l'augmentation du nombre de personnes bénéficiant d'un statut protecteur en France, qui augmentera mécaniquement le nombre de bénéficiaires potentiels du dispositif.

Nombre d'admissions à la protection
(y compris protection subsidiaire et apatride)
et nombre de places en centres provisoires d'hébergement

(*) Estimation prévisionnelle 2017 sur la base du nombre d'admissions au 1 er semestre (15 996)

Source : commission des finances, d'après les projets annuels de performances et les rapports annuels de performances

Toutefois, l'exécution du projet du Gouvernement doit être observée avec une vigilance toute particulière, puisqu'il prévoit en réalité un doublement du parc de CPH dès 2018, celui-ci étant actuellement composé de 2 207 places. Par ailleurs, le nombre de place total (5 207) restera dérisoire par rapport au nombre de personnes bénéficiant d'un statut protecteur, alors même que ce mode d'hébergement est particulièrement adapté aux personnes présentant des difficultés (il comprend en effet un encadrement social, administratif et sanitaire spécifique).

Au 31 juin 2017, 1 964 places de CPH étaient occupées sur les 2 207 places existantes, ce qui représente un taux d'occupation de 89 %. Si les 11 % restants s'expliquent en partie par le taux frictionnel de rotation, une meilleure gestion administrative de ces places pourrait permettre une augmentation du taux d'occupation.

EXAMEN DES ARTICLES RATTACHÉS

ARTICLE 56 - Mise en oeuvre progressive de l'application du contrat d'intégration républicaine à Mayotte

Commentaire : le présent article retarde l'entrée en vigueur du « contrat d'intégration républicaine » à Mayotte, du 1 er janvier 2018 au 1 er janvier 2020.

I. LE DROIT EXISTANT

La loi du 7 mars 2016 22 ( * ) a remplacé le « contrat d'accueil et d'intégration », obligatoire depuis 2007, par un « contrat d'intégration républicaine », dont l'ambition était de créer un parcours davantage individualisé et mieux relié à la politique de délivrance des titres. Ce contrat, qui constitue le socle du dispositif d'intégration des étrangers primo-arrivants, comprend notamment l'obligation, pour tous les signataires, de suivre une formation civique et, pour ceux dont le niveau de langue est inférieur à A1, une formation en langue française. Les prestations prévues dans le cadre de ce contrat sont mises en oeuvre par, ou sous le contrôle de, l'Ofii.

Dans un objectif de convergence, le IV de l'article 67 de cette loi prévoit d'étendre l'application de ce dispositif à Mayotte à partir du 1 er janvier 2018.

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

Le présent article modifie le IV de l'article 67 de la loi du 7 mars 2016 relative aux droits des étrangers en France, qui porte sur les dispositions spécifiques relatives à Mayotte. Il retarde l'entrée en vigueur des dispositions relatives au « contrat d'intégration républicaine » à Mayotte de deux ans, au 1 er janvier 2020.

II. LA POSITION DE LA COMMISSION DES FINANCES

Le présent article revient sur un choix fort exprimé par le législateur en 2016, de voir le département de Mayotte soumis au droit commun en matière d'intégration des étrangers. Il est regrettable que le présent article revienne en partie sur ce choix en repoussant de deux ans l'entrée en vigueur du dispositif d'intégration.

Il convient de rappeler que ce dispositif, bien qu'il soit encore indigent, faute notamment de moyens suffisants et d'incitations suffisantes pour les étrangers 23 ( * ) , conditionne l'intégration des étrangers primo-arrivants à la société française. Selon le Gouvernement, 6 000 titres de séjour long devraient être délivrés à Mayotte en 2018 et 2019 ; le report de deux ans du dispositif devrait donc empêcher 12 000 primo-arrivants de bénéficier du « contrat d'intégration républicaine », soit plus de 5 % du nombre total attendu de signataires de ces contrats. Cette situation ne peut être tolérée pendant deux ans.

Le Gouvernement indique que des difficultés techniques ne permettent pas d'envisager sa mise en oeuvre dans les délais, faute notamment de « prestataires locaux capables d'assurer les missions afférentes au déploiement du dispositif », comme la formation linguistique. Par ailleurs, « le calibrage des cours de français destinés aux étrangers à Mayotte [nécessiterait] un travail important en lien avec l'administration locale ». Le Gouvernement indique en outre vouloir tirer profit des Assises des outre-mer, lancées en octobre 2017, pour mener ces consultations.

Sans remettre en cause la réalité des difficultés pratiques liées à cette mise en oeuvre, ainsi que les spécificités de ce territoire (liée notamment au fait qu'une partie de la population mahoraise n'est pas francophone), l'octroi d'un délai supplémentaire de deux ans apparaît excessif au regard de l'enjeu. Par ailleurs, si ces difficultés sont prégnantes pour la formation linguistique, déclinée en groupes de niveau et dont le volume horaire peut aller de 50 heures à 200 heures, elle ne s'applique que dans une moindre mesure à la formation civique. Cette dernière porte sur un programme unique, seule la langue de traduction pouvant être amenée à changer.

Dans ces conditions, votre rapporteur spécial propose de réduire le délai de deux à un an, permettant à l'Ofii de disposer d'un délai suffisant pour mettre en place ces formations sans entrainer un décalage trop important excluant un nombre trop élevé de primo-arrivants du dispositif d'intégration.

Décision de votre commission : votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi modifié.

ARTICLE 57 (Article L. 744-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) - Réduction de la durée de versement de l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) des personnes n'étant plus demandeurs d'asile

Commentaire : le présent article réduit, pour les déboutés du droit d'asile, le délai au terme duquel intervient la cessation du versement de l'allocation pour demandeur d'asile.

I. LE DROIT EXISTANT

L'allocation pour demandeur d'asile (ADA) a été créée par la loi du 29 juillet 2015 portant réforme de l'asile 24 ( * ) . L'ADA remplace l'allocation temporaire d'attente (ATA) qui était antérieurement versée aux demandeurs d'asile.

Elle est versée par l'Ofii depuis 2015 aux demandeurs d'asile dans l'attente de la décision définitive leur accordant ou leur refusant une protection au titre de l'asile ou jusqu'à leur transfert effectif vers un autre État membre si la demande d'asile relève de la compétence de cet État conformément au règlement dit « Dublin III » 25 ( * ) .

Aux termes de l'article L. 744-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, « le versement de l'allocation prend fin au terme du mois qui suit celui de la notification de la décision définitive concernant cette demande ».

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

Le présent article réduit, pour les déboutés du droit d'asile, le délai au terme duquel intervient la cessation du versement de l'allocation pour demandeur d'asile (ADA).

Cette prestation prendra fin « au terme du mois au cours duquel est expiré le délai de recours contre la décision de l' [Ofpra] , a été notifiée la décision de rejet par la [CNDA] ou a pris fin le droit du demandeur à se maintenir sur le territoire français [...] ».

Cette mesure s'accompagne d'une adaptation pour les personnes bénéficiaires d'une protection. Ainsi, pour les personnes qui obtiennent la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire, « le bénéfice de l'allocation prend fin au terme du mois qui suit celui de la notification de la décision ».

Par coordination, le présent article prévoit que tous les autres motifs qui mettent fin du droit au maintien (article L.743-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) entraînent l'arrêt du versement de l'allocation.

II. LA POSITION DE LA COMMISSION DES FINANCES

L'allocation pour demandeur d'asile constitue l'une des principales dépenses de la mission « Immigration, asile et intégration ». La volonté de la rationnaliser en la circonscrivant aux seuls demandeurs d'asile constitue une avancée, et pourrait entrainer une économie de plus de 20 millions d'euros.

Décision de votre commission : votre commission vous propose d'adopter cet article sans modification.

ARTICLE 57 bis (Article L. 213-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) - Clarification de l'obligation, pour le transporteur, de prendre en charge l'étranger dont le refus d'entrée a été prononcé pendant le délai nécessaire à son réacheminement, ainsi que les frais de réacheminement

Commentaire : le présent article clarifie l'obligation, pour le transporteur, de prendre en charge l'étranger ayant fait l'objet d'un refus d'entrée pendant le délai nécessaire à son réacheminement, ainsi que les frais de réacheminement.

I. LE DROIT EXISTANT

Aux termes de l'article L. 213-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, « lorsqu'un refus d'entrée a été prononcé, et à compter de cette décision, les frais de prise en charge de l'étranger non ressortissant d'un État membre de l'Union européenne, pendant le délai nécessaire à son réacheminement, ainsi que les frais de réacheminement, incombent à l'entreprise de transport qui l'a débarqué en France ».

Cette disposition découle d'un engagement européen de la France, puisque aux termes de l'article 26 de la Convention Schengen, les États « s'engagent à introduire dans leur législation nationale [une règle selon laquelle] , si l'entrée sur le territoire d'une des Parties Contractantes est refusée à un étranger, le transporteur qui l'a amené à la frontière extérieure par voie aérienne, maritime ou terrestre est tenu de le reprendre en charge sans délai. À la requête des autorités de surveillance de la frontière, il doit ramener l'étranger dans l'État tiers à partir duquel il a été transporté, dans l'État tiers qui a délivré le document de voyage avec lequel il a voyagé ou dans tout autre État tiers où son admission est garantie ». Les États membres s'engagent en outre à « instaurer des sanctions à l'encontre des transporteurs qui acheminent par voie aérienne ou maritime d'un État tiers vers leur territoire, des étrangers qui ne sont pas en possession des documents de voyage requis. » 26 ( * ) .

L'article 3 de la directive du 18 juin 2001 prévoit en outre que « les États membres prennent les mesures nécessaires pour imposer aux transporteurs qui ne sont pas en mesure d'assurer le retour d'un ressortissant de pays tiers dont l'entrée est refusée l'obligation de trouver immédiatement le moyen de réacheminement et de prendre en charge les frais correspondants, ou, lorsque le réacheminement ne peut être immédiat, de prendre en charge les frais de séjour et de retour du ressortissant de pays tiers en question » 27 ( * ) .

Les dépenses afférentes à cette prise en charge (7 millions d'euros par an) sont actuellement avancées par l'État, et ne font l'objet, selon le Gouvernement, d'aucun remboursement des entreprises de transport qui se sont abstenues ces dernières années de rembourser les sommes dues.

II. LE DISPOSITIF ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Le présent article, adopté à l'initiative du Gouvernement avec l'avis favorable du rapporteur vise à clarifier la rédaction de l'article L. 213-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile afin de faciliter le recouvrement par l'État des sommes dues par les transporteurs.

Le présent article précise ainsi que les frais de prise en charge de l'étranger incombent à l'entreprise de transports « jusqu'à la sortie de la zone d'attente ». Il précise surtout que ces frais sont également à la charge de l'entreprise « à compter de la décision de maintien en zone d'attente prise dans les cas prévus au cinquième alinéa de l'article L. 221-1 », c'est-à-dire lorsque l'étranger qui se trouve en transit dans une gare, un port ou un aéroport quand l'entreprise de transport qui devait l'acheminer dans le pays de destination ultérieure refuse de l'embarquer ou si les autorités du pays de destination lui ont refusé l'entrée et l'ont renvoyé en France.

III. LA POSITION DE LA COMMISSION DES FINANCES

Cet article de clarification vise à rendre effective une obligation incombant aux transporteurs. Selon le Gouvernement, ces derniers ne s'acquittent pas des amendes dont ils ont fait l'objet, en cas de défaut d'application des dispositions de l'article L. 213-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Le présent article, en plus de présenter une économie de 7 millions d'euros pour la mission « Immigration, asile et intégration » est de nature à responsabiliser les transporteurs dans la lutte contre l'immigration illégale.

Décision de votre commission : la commission vous propose d'adopter cet article sans modification.

AMENDEMENT PROPOSÉ PAR VOTRE COMMISSION DES FINANCES

PROJET DE LOI DE FINANCES
POUR 2018

SECONDE PARTIE
MISSION « IMMIGRATION, ASILE ET INTÉGRATION »

1

COMMISSION DES FINANCES

A M E N D E M E N T

Présenté par

M. MEURANT
rapporteur spécial

_________________

ARTICLE 56

Alinéa 4

Remplacer l'année :

2020

par l'année :

2019

OBJET

Le présent amendement vise à limiter le report de l'entrée en vigueur du contrat d'intégration républicaine à Mayotte de deux à un an. Ce contrat, qui constitue le socle du dispositif d'intégration des étrangers primo-arrivants, comprend notamment l'obligation, pour tous les signataires, de suivre une formation civique et, pour ceux dont le niveau de langue est inférieur à A1, une formation en langue française.

Le Gouvernement souhaite repousser l'entrée en vigueur de ce dispositif, fixé au 1 er janvier 2018 par la loi du 7 mars 2016 relative aux droits des étrangers en France, de deux ans en raison de difficultés techniques propres à Mayotte (manque de prestataires locaux), et pour tirer profit des Assises des outre-mer, lancées en octobre 2017, pour mener ces consultations.

Toutefois, un report de deux ans apparaît excessif, puisqu'il empêcherait plus de 6 000 étrangers primo-arrivants de bénéficier de ce dispositif d'intégration annuellement. Il est donc proposé de ne reporter cette entrée en vigueur que d'un an, ce qui constitue un délai suffisant pour permettre au Gouvernement d'organiser rapidement ces formations.

LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

En seconde délibération, l'Assemblée nationale a adopté un amendement du Gouvernement visant à minorer de 2 361 370 d'euros (en AE et en CP) les crédits de la mission. Cette minoration est répartie de la façon suivante :

- 1 456 987 euros en AE et CP sur le programme « Immigration et asile ».

- 904 383 euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement sur le programme « Intégration et accès à la nationalité française ».

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 25 octobre 2017, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Sébastien Meurant, rapporteur spécial, sur la mission « Immigration, asile et intégration ».

M. Sébastien Meurant , rapporteur spécial . - Les crédits de la mission s'élèvent environ à 1,4 milliard d'euros, dont 80 % pour le programme 303 « Immigration et asile » et le reste pour le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française ». Ces questions devraient être au coeur du débat démocratique car nous devons sortir de l'aveuglement et faire preuve de cohérence. On peut bien s'apitoyer sur l'assassinat de deux jeunes filles à Marseille, ou allumer des bougies à Nice, la réalité est que les auteurs de ces actes n'auraient pas dû se trouver en France, il aurait fallu les expulser. Or les crédits de lutte contre l'immigration irrégulière - action 03 - passent de 89 millions d'euros à 82 millions d'euros, soit une baisse de 7 %. Où est la cohérence ? Le 15 octobre sur TF1, le Président de la République déclarait être favorable à l'expulsion de « tout étranger en situation irrégulière qui [commet] un acte délictueux ». Fort bien, mais comment ? Il est urgent de revenir sur la loi du 31 décembre 2012 qui a supprimé le délit de séjour irrégulier, et d'arrêter les postures bien-pensantes, jusqu'au sommet de l'État : nous avons tout de même eu un Premier ministre qui a déclaré en octobre 2015 qu'il ne fallait pas trier entre les migrants, avant de reconnaître en novembre 2015 que des terroristes s'étaient glissés parmi ceux-ci !

J'appelle de mes voeux une évolution législative significative au premier semestre 2018 afin de garantir le droit d'asile tout en maîtrisant - enfin - l'immigration. Un arrêt de la Cour de cassation, du 24 septembre dernier, estime illégale la détention d'un demandeur d'asile en procédure Dublin. Le président Gérard Larcher a déclaré que notre priorité était de retisser les liens qui font une nation. Ceux-ci sont très distendus...

Comment pouvons-nous voter ce budget dès lors que nous ne disposons d'aucune donnée sur les flux et les stocks ? L'évolution de la demande d'asile n'est pas évaluée. Pourtant, nous l'avons vu exploser depuis quelques années, et notre voisin a décidé unilatéralement d'accueillir un million de personnes.

Il faut aussi évoquer les filières d'immigration : le trafic d'êtres humains rapporte davantage que celui de la drogue ou des armes. Un sénateur de Guyane a parlé dans l'hémicycle de génocide de substitution. À Mayotte, 75 % des naissances sont le fait de parents en situation irrégulière. Comment intégrer ces flux alors que les budgets baissent et que nos exigences sont moindres que celles existant en Allemagne, par exemple ? La volonté d'intégration n'est pas à la hauteur des besoins.

L'allocation pour demandeur d'asile (ADA) est de 360 euros pour une personne seule non hébergée. Sans aller chercher au bout du monde, le salaire minimal en Roumanie est de 320 euros... Nous attirons l'immigration clandestine ! L'accueil est une tradition française, mais accepter ce que nous acceptons depuis des années revient à menacer la cohésion de la nation. Un ancien ministre parlait des Molenbeeck qui se développent chez nous. Notre non-politique en matière d'immigration est inquiétante. Il est urgent de dire la vérité sur ce sujet. Jacques Mézard expliquait récemment qu'à Sarcelles, il a visité une école où aucun parent ne parlait français. Et dire qu'on ne cesse de fermer des écoles dans nos territoires ruraux... Dramatique.

À l'article 56, je vous propose un amendement visant à réduire de deux à un an le report de l'entrée en vigueur du contrat d'intégration républicaine à Mayotte. Je vous propose également une adoption sans modification de l'article 57, qui vise à limiter la durée de versement de l'ADA aux seules personnes ayant le statut de demandeur d'asile, et non plus aux déboutés qui peuvent aujourd'hui en bénéficier le mois suivant le rejet définitif de leur demande.

M. François-Noël Buffet , rapporteur pour avis de la commission des lois . - Les crédits affectés à la mission croissent de 10,44 % en autorisations d'engagements et de 26 % en crédits de paiement. Des efforts importants ont été consentis pour l'asile - autorisations d'engagements en hausse de 11,25 % - afin de tenir compte de la crise du Levant. L'ADA coûtera 318 millions d'euros cette année, ce qui semble une prévision plus sincère que l'an dernier. Malgré un effort sur l'hébergement d'urgence, les montants restent considérables.

Le délai moyen d'instruction des demandes d'asile reste trop élevé : 449 jours en 2017, pour un objectif de 209 jours, et 228 jours en procédure accélérée pour un objectif de 178 jours. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) a essayé de gérer au mieux l'afflux important que nous avons connu, sachant que la loi de 2015 ajoute des contraintes. Et 61 % des demandeurs d'asile en procédure Dublin sont réellement hébergés en centre d'accueil de demandeurs d'asile (CADA). Le problème de fond reste : quid de la gestion des déboutés ? Ils représentaient 53 600 personnes en 2016, qui alimentent l'immigration irrégulière ; or les crédits dédiés baissent de 7 %. Il faut donner des moyens aux services et négocier des accords de réadmission. L'assignation à résidence est inefficace, puisqu'elle n'aboutit à une reconduite à la frontière que dans 2 % des cas. La faiblesse de ce budget est sans conteste cette baisse de 7 %.

M. Roger Karoutchi . - Je salue en notre rapporteur spécial la fougue de la jeunesse, qui donne à ses propos un aspect carré. De fait, les questions budgétaires renvoient à la politique suivie. Le Président de la République, le Premier ministre, le ministre de l'Intérieur s'engagent en faveur d'une politique de reconduite automatique à la frontière. Très bien, mais si le budget affecté à cette politique diminue, cela n'a aucun sens.

Notre politique de droit d'asile est parfaitement légitime, mais elle est détournée de son objet. Le nombre de demandes, qui atteignait les 40 000 en 2012, va dépasser 100 000 cette année. Cela signifie que la moitié des demandes correspondent à de l'immigration économique. Or notre système déboute, mais ne reconduit pas, faute d'un financement adéquat. D'ailleurs, les crédits de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) sont aussi dérisoires. Bref, nous ne manifestons pas la fermeté nécessaire, et ne faisons pas les efforts d'intégration requis intégration. Depuis six ans, notre politique ne tient pas la route. Je crains que le texte annoncé en 2018 - le quatrième en cinq ans - ne soit purement déclamatoire et ne fasse de la France un pays sans politique migratoire, sans politique d'asile, sans politique d'intégration : trois fois « sans », qui font zéro !

M. Rémi Féraud . - Sans partager le point de vue politique du rapporteur spécial, j'observe que nous partons d'une budgétisation insuffisante. Je salue l'augmentation des crédits pour l'intégration et le doublement de la capacité d'hébergement. Cela dit, certains moyens ne sont pas inscrits dans le budget, qu'il s'agisse des crédits de l'Ofpra - qui ne suffiront certes pas à réduire le délai d'instruction à 60 jours - ou de l'engagement du Président de la République qu'il n'y ait plus personne à la rue fin 2017. Il y a des incohérences : davantage d'expulsions, cela impose un plus grand nombre de places en centre de rétention.

M. Marc Laménie . - Ces questions nous interpellent fortement. La baisse de 7 % me laisse perplexe : 82 millions d'euros, c'est peu, surtout sur un total de 1,3 milliard d'euros ! Combien faudrait-il pour bien faire ? Et combien d'agents ?

M. Bernard Lalande . - Les propos du rapporteur spécial me surprennent. Un être humain mérite le respect, et l'immigration et l'asile ne doivent pas être envisagés comme des stocks à traiter. Nous observons un flux beaucoup plus important, qui s'accroîtra encore, ce qui nous incite à mettre en oeuvre un véritable politique de reconnaissance des populations et d'asile. À cet égard, ce budget est insuffisant. Nous sommes donc très critiques sur les crédits de cette mission.

Mme Nathalie Goulet . - Notre politique d'asile, c'est l'honneur de la France. Et il est déplacé de lier immigration et terrorisme. Pour la reconduite à la frontière, nous manquons de moyens. Le problème est souvent d'identifier la nationalité des intéressés. Je m'abstiendrai, pour contester le manque de moyens alloués à cette mission, pourtant essentielle, et dans un contexte préoccupant.

M. Gérard Longuet . - Je salue la tonalité du propos de notre rapporteur. Elle peut déranger, mais elle a le mérite de présenter avec énergie un problème d'ampleur. J'imagine que l'État s'est intéressé à la professionnalisation des réseaux de passeurs. De fait, l'immigration massive à laquelle nous sommes confrontés n'a souvent pas le caractère spontané qu'on lui prête. Pour avoir vu la population refluer devant l'avance des Khmers rouges, je sais ce qu'est un déplacement massif de population pour faits de guerre. Or, dans notre cas, les migrants traversent des milliers de kilomètres, franchissent des frontières, bénéficient de soutiens logistiques - dans des conditions scandaleuses. Tout cela révèle une organisation. L'État peut-il la mettre au jour ? Les organisateurs sont sans doute poussés par l'appât du gain, et soutenus par certains pays. L'immigration n'est pas une fatalité, et ne survient pas par génération spontanée. À Mayotte et en Guyane, nous ne faisons rien. Ailleurs, l'opinion sent l'État désarmé dans son analyse, alors que celle-ci est un préalable indispensable à l'action politique.

Que coûte la reconduite à la frontière des déboutés ?

M. Julien Bargeton . - Je remercie Roger Karoutchi et François-Noël Buffet d'avoir tenu des propos apaisés et d'être restés dans des considérations budgétaires. Je suis surpris par la tonalité générale du débat sur les crédits de cette mission, puisque les autorisations de programme augmentent de 10,5 % et les crédits de paiement de 26 %, ce qui ne doit pas être le cas de beaucoup de missions. Les critiques restent nombreuses, alors que des orateurs de toutes les sensibilités ont souligné la sincérité des inscriptions, en particulier concernant l'allocation pour l'ADA et l'hébergement d'urgence.

En ce qui concerne l'Ofii, je suis également surpris par les critiques, puisque ses crédits passent de 160 millions d'euros en 2017 à 180 millions d'euros en 2018, après avoir baissé de quelques millions d'euros entre 2016 et 2017. On peut toujours estimer cette augmentation insuffisante, mais elle mérite d'être soulignée quand la tendance générale est à la limitation de la dépense publique.

La lutte contre l'immigration illégale et les reconduites à la frontière méritent effectivement une attention particulière, puisque leurs crédits baissent de 7 %. Compte tenu de la consommation réelle des crédits, la baisse n'est que de 2,9 %, puisque les crédits n'ont pas été consommés en 2016. Par ailleurs, l'action « Soutien » augmente beaucoup, de même que d'autres actions, ce qui mérite d'être examiné de plus près.

Compte tenu de ces éléments, Didier Rambaud et moi-même voterons les crédits de cette mission.

M. Philippe Dallier . - On peut saluer un effort accru de sincérité budgétaire, mais il n'est pas possible d'en conclure que les crédits sont au niveau des besoins. On ne peut pas en même temps se plaindre des difficultés rencontrées sur le terrain et constater chaque année que les crédits sont insuffisants.

En aval, on relève un problème lié à la baisse du budget consacré à la lutte contre l'immigration irrégulière, mais il y a surtout un problème en amont. Nous ne nous sommes pas préparés à l'arrivée massive de migrants - si la France avait connu ce qu'a connu l'Allemagne, je ne sais pas comment elle aurait fait face à la situation. Ainsi, cet été, en Île-de-France, pour vider le camp de La Chapelle, on s'est précipité pour réquisitionner les gymnases dans les communes, solution peu adaptée aux besoins des migrants et qui crée de graves difficultés aux collectivités locales. Or, à l'occasion de ces réquisitions, l'État engage des dépenses : il mandate des associations, rembourse les frais engagés aux collectivités locales. Combien coûte cette impréparation, par rapport à ce qu'aurait coûté un plan établi à l'avance, permettant un accueil respectant la dignité des demandeurs d'asile en attente de traitement de leur dossier ? Je ne sais pas si ce coût est évalué, mais je serais curieux de le connaître. Ces opérations très médiatisées donnent le sentiment que les problèmes sont traités, alors que la situation sur le terrain ne s'améliore pas. Des dépenses sont donc engagées sans grande efficacité, et j'aimerais qu'elles puissent être identifiées dans ce budget.

Mme Fabienne Keller . - Je voudrais apporter un témoignage. Élue de Strasbourg, j'ai pu observer l'accueil d'un flux important de migrants organisé sur l'autre rive du Rhin. Il est vrai que les Allemands avaient déjà une expérience, puisqu'ils avaient accueilli beaucoup de réfugiés d'Europe orientale d'ascendance allemande après la chute du Mur. Il serait intéressant de procéder à une analyse des procédures bien structurées mises en place par nos voisins, qu'il s'agisse des cours de langue, de l'intégration, mais aussi de la gestion de la reconduite à la frontière.

Comme l'a indiqué Gérard Longuet, il faut s'attaquer à l'amont, au problème des passeurs, mais le sujet me semble devoir être traité au niveau européen, qu'il s'agisse de la gestion de Schengen, des accords de réadmission signés avec les pays d'origine, des procédures internationales de lutte contre les trafics. Cela mériterait un travail de fond.

Je relève l'effort réalisé pour raccourcir les délais de traitement des demandes d'asile. Sur le terrain, nous observons que la durée de la procédure initiale et de la procédure de recours rend très difficile humainement la reconduite des familles à la frontière.

M. Bernard Delcros . - Ce sujet extrêmement complexe exige de nous la plus grande objectivité et un grand sens des responsabilités. La France doit être à la hauteur de son histoire dans le traitement de ces enjeux.

Comme l'ont dit plusieurs collègues, il est nécessaire de structurer de manière solide la politique d'asile et d'intégration et, du coup, de calibrer les moyens qui doivent lui être consacrés dans la durée. Je constate l'augmentation importante des crédits de la mission, même s'ils ne sont peut-être pas encore tout à fait suffisants, et je voterai donc en faveur de leur adoption.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Je note avec satisfaction que l'on sort d'une sous-budgétisation chronique. Néanmoins, nous restons dans la gestion de l'urgence, contrairement à l'Allemagne dont la politique a été rappelée. La politique d'intégration reste largement à construire, c'est pourquoi je partage certaines réticences qui ont été exprimées. Il ne s'agit pas simplement d'afficher des moyens budgétaires, mais de savoir quelle politique d'intégration nous voulons, quel traitement nous réservons aux déboutés du droit d'asile.

En ce qui concerne l'hébergement des demandeurs d'asile, la Société nationale immobilière (SNI), filiale de la Caisse des dépôts et consignations, a acheté l'année dernière 62 hôtels Formule 1. Dispose-t-on déjà d'une évaluation de ces acquisitions et sait-on si elles ont permis une amélioration des conditions d'hébergement des demandeurs d'asile ? Il me semble que les préfectures recourent souvent à des hôtels tenus par des marchands de sommeil, aux conditions de sécurité catastrophiques, avec des drames à la clé - au moins, les Formule 1 respectent les normes de sécurité.

M. Philippe Dallier . - Cette opération de rachat d'hôtels relève également des programmes liés au logement dont je suis rapporteur spécial. Elle vise à réduire le nombre de nuitées hôtelières, mais n'a pas pour vocation principale l'accueil des personnes en attente d'une décision sur leur demande d'asile.

M. Sébastien Meurant , rapporteur spécial . - Dans le domaine budgétaire, la difficulté consiste à avoir une vision d'ensemble. L'intervention de Philippe Dallier nous prouve que la gestion des demandeurs d'asile bascule parfois vers d'autres missions. Hier, nous examinions les crédits relatifs à la contribution de la France au budget de l'Union européenne : on y trouvait 68 millions d'euros destinés à la Turquie pour l'aider dans la gestion des réfugiés. Or cette somme n'est pas recensée dans la mission. « Gouverner, c'est prévoir » : pour cela, il faut bien parvenir à chiffrer le coût d'une politique. On voit bien les limites de « l'Europe qui protège », que beaucoup parmi nous appellent de leurs voeux...

L'immigration est entre les mains de passeurs sur notre territoire, nous le savons ; elle a un impact sur l'ensemble de la société française et sur tous les budgets de la nation : il me semble donc urgent d'avoir une vision globale.

Dans son édition du 24 octobre, Le Figaro indiquait que sur près de 3 000 étrangers retenus à Coquelles, 42 seulement ont été éloignés dans un pays hors d'Europe. Il ne faut donc pas se payer de mots.

Vous aurez compris que je vous propose de ne pas adopter les crédits de cette mission.

M. Vincent Éblé , président . - Nous devons voter sur les crédits de la mission, mais aussi sur les articles 56 et 57 qui lui sont rattachés. J'ajoute que vous avez déposé un amendement à l'article 56.

M. Sébastien Meurant , rapporteur spécial . - En résumé, je vous propose de voter contre l'adoption des crédits de la mission. Je propose par ailleurs l'adoption conforme de l'article 57. Quant à l'article 56, relatif à Mayotte, j'ai déposé un amendement tendant à faire appliquer à compter du 1 er janvier 2019 le contrat d'intégration républicaine, qui s'appliquerait alors pour 6 000 primo-arrivants supplémentaires, selon les estimations, soit une anticipation d'un an.

M. Bernard Lalande . - Nous reconnaissons l'effort budgétaire réalisé, même s'il est insuffisant par rapport aux besoins. Le groupe socialiste et républicain s'abstiendra sur l'adoption des crédits et sur celle des articles 56 et 57.

M. Roger Karoutchi . - Le coût moyen de reconduite à la frontière était estimé en 2016 à 4 200 euros par personne ; pour 30 000 à 40 000 déboutés du droit d'asile, cela représente un total supérieur à 100 millions d'euros, alors que les crédits ne sont que de 10 millions d'euros. Il y a donc un problème de cohérence.

Par ailleurs, je suis d'accord avec le rapporteur sur la situation à Mayotte, même si je trouve un peu optimiste la limitation du nombre de migrants annuels à 6 000. Je voterai contre les crédits et je suivrai le rapporteur sur l'amendement et sur les articles.

À l'issue de ce débat, la commission a décidé de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

La commission a adopté l'amendement n° 1 du rapporteur spécial et a décidé de proposer au Sénat l'adoption de l'article 56 ainsi modifié et de l'article 57.

*

* *

Réunie à nouveau le jeudi 23 novembre 2017, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission, après avoir pris acte des modifications adoptées par l'Assemblée nationale, a confirmé :

-  le rejet des crédits de la mission ;

- l' adoption de l'article 56 , tel que modifié par l'amendement adopté par la commission des finances ;

- l' adoption sans modification de l'article 57 ;

Elle a également décidé d'adopter, sans modification , de l'article 57 bis .


* 1 Règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

* 2 Communication rendue publique suite au Conseil des ministres du 12 juillet 2017, Plan d'action pour garantir le droit d'asile et mieux maîtriser les flux migratoires

* 3 Arrêt n° 1130 du 27 septembre 2017 (17-15.160) - Cour de cassation - Première chambre civile - ECLI:FR:CCASS:2017:C101130

* 4 Cinquantième rapport de la Commission européenne sur le plan de relocalisation, 6 septembre 2017.

* 5 Déclaration de la chancelière de la République fédérale d'Allemagne, Angela Merkel, 8 octobre 2016.

* 6 Il s'agit des différentes taxes et droits de timbre assis sur la délivrance de titres de séjour et sur l'emploi de main d'oeuvre étrangère par les entreprises.

* 7 Décret n° 2017-1182 du 20 juillet 2017 portant ouverture et annulation de crédits à titre d'avance (ouverture pour le financement de l'ADA de 217,7 M€ en AE et 206,2 M€ en CP sur le programme 303 « Immigration et asile »).

* 8 Loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile.

* 9 L'arrêté ministériel du 2 mai 2017 pris en application des dispositions de l'article L. 744-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile offre à l'Ofii un cadre juridique pour procéder au recouvrement des sommes par le biais de retenues sur les échéances à venir. Ce texte fixe à 30 % le plafond des retenues mensuelles, à l'exception des situations de fraude ou lorsque le demandeur s'est vu notifier la décision définitive concernant sa demande d'asile.

* 10 Au 5 juillet 2017, le nombre de demandes d'asile est en augmentation de 17 %.

* 11 35 954 demandes en stock au 30 juin 2017, dont 20 968 pour lesquels le délai de 90 jours déjà dépassé

* 12 Loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile.

* 13 Projet annuel de performance 2018 de la mission « Immigration, asile et intégration ».

* 14 Ce taux doit être analysé en prenant en compte les contraintes réglementaires d'aménagement des centres de rétention administrative qui obligent à ménager des zones réservées aux femmes et aux familles. Si l'on mesure le seul taux d'occupation des zones réservées aux hommes, celui-ci est de plus de 80%, correspondant, de fait, compte tenu des vacances frictionnelles, à un fonctionnement à pleine capacité.

* 15 Communiqué de presse du 10 octobre 2017 du ministre d'État, ministre de l'intérieur - Rapport de l'IGA sur le traitement administratif de l'auteur de l'attentat de Marseille.

* 16 Loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.

* 17 Rapport d'information de Roger Karoutchi, fait au nom de la commission des finances n° 660 (2016-2017) - 19 juillet 2017.

* 18 Des crédits sont également versés depuis le programme 303. Ils correspondent au flux financier généré par l'ADA dont la gestion est assurée par l'Ofii.

* 19 Loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile.

* 20 Loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.

* 21 Aux termes de l'article R. 349-1 du code de l'action sociale et des familles, « Les centres provisoires d'hébergement accueillent, sur décision de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, les réfugiés et les bénéficiaires de la protection subsidiaire pour une période de neuf mois. Après évaluation de la situation de la personne ou de celle de sa famille, cette période peut être prolongée, par période de trois mois, (...) ».

* 22 Loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.

* 23 Rapport d'information de Roger Karoutchi, fait au nom de la commission des finances, n° 660 (2016-2017) - 19 juillet 2017.

* 24 Loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 portant réforme de l'asile.

* 25 Règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

* 26 Convention du 19 juin 1990 d'application de l'Accord de Schengen du 14 juin 1985.

* 27 Directive 2001/51/CE du Conseil du 28 juin 2001 visant à compléter les dispositions de l'article 26 de la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985

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