Rapport n° 159 (2017-2018) de M. Philippe BAS , fait au nom de la commission des lois, déposé le 13 décembre 2017

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N° 159

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 décembre 2017

RAPPORT

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) portant avis sur la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d' enquête sur la prise en charge des djihadistes français et de leurs familles de retour d' Irak et de Syrie ,

Par M. Philippe BAS,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; MM. François Pillet, Jean-Pierre Sueur, François-Noël Buffet, Jacques Bigot, Mmes Catherine Di Folco, Sophie Joissains, M. Arnaud de Belenet, Mme Nathalie Delattre, MM. Pierre-Yves Collombat, Alain Marc , vice-présidents ; M. Christophe-André Frassa, Mme Laurence Harribey, MM. Loïc Hervé, André Reichardt , secrétaires ; Mme Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Philippe Bonnecarrère, Mmes Agnès Canayer, Maryse Carrère, Josiane Costes, MM. Mathieu Darnaud, Marc-Philippe Daubresse, Mme Jacky Deromedi, MM. Yves Détraigne, Jérôme Durain, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Jean-Luc Fichet, Pierre Frogier, Mmes Françoise Gatel, Marie-Pierre de la Gontrie, M. François Grosdidier, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Sébastien Leroux, Henri Leroy, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Jean Louis Masson, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Alain Richard, Simon Sutour, Mmes Lana Tetuanui, Catherine Troendlé, M. Dany Wattebled .

Voir le numéro :

Sénat :

101 (2017-2018)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le mercredi 13 décembre 2017, sous la présidence de M. Philippe Bas , président , la commission des lois a examiné, sur le rapport de M. Philippe Bas , la recevabilité de la proposition de résolution n° 101 (2017-2018), présentée par Mme Sylvie Goy-Chavent, tendant à la création d'une commission d'enquête sur la prise en charge des djihadistes français et de leurs familles de retour d'Irak et de Syrie .

Le groupe Union Centriste a fait savoir qu'il demanderait la création de cette commission d'enquête au titre de la procédure du « droit de tirage », prévue à l'article 6 bis du Règlement du Sénat, de sorte que la commission des lois a uniquement à se prononcer sur sa recevabilité.

Constatant que l'objet de la commission d'enquête envisagée portait sur des faits déterminés , à savoir les conditions dans lesquelles sont pris en charge les djihadistes français à leur retour sur le territoire national , et non sur la gestion de services publics, le rapporteur a indiqué avoir saisi le Président du Sénat, afin qu'il interroge la garde des sceaux sur l'existence d'éventuelles poursuites judiciaires en cours.

La garde des sceaux a indiqué que plusieurs enquêtes et informations judiciaires étaient en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution, diligentées au principal sous la qualification d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, au parquet de Paris ainsi qu'au pôle antiterroriste du tribunal de grande instance de Paris, concernant des individus de retour de la zone irako-syrienne.

En conséquence, la commission des lois a constaté que la proposition de résolution était irrecevable .

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le 21 novembre 2017, notre collègue Sylvie Goy-Chavent a déposé une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête « sur la prise en charge des djihadistes français et de leurs familles de retour d'Irak et de Syrie » (n° 101, 2017-2018) 1 ( * ) .

Compte tenu de son objet, cette proposition de résolution a été envoyée au fond à votre commission des lois.

Le groupe Union Centriste a fait connaître qu'il demanderait la création de cette commission d'enquête, pour l'année 2017-2018, au titre du « droit de tirage » qui permet à chaque groupe politique d'obtenir, de droit, une fois par année parlementaire, la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information. Sous réserve de sa recevabilité, il doit être pris acte de cette demande de constitution d'une commission d'enquête par la Conférence des présidents lors de sa prochaine réunion.

Dans ces conditions, votre commission des lois n'a pas à se prononcer sur l'opportunité de la création d'une telle commission d'enquête, mais elle est chargée d'apprécier la recevabilité de la proposition de résolution au regard des conditions posées par l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ainsi que par l'article 11 du Règlement du Sénat.

Dans la mesure où il s'agirait d'enquêter sur des faits déterminés et non sur la gestion d'un service public ou d'une entreprise nationale, la garde des sceaux a été interrogée sur l'existence éventuelle de poursuites judiciaires en cours. Elle a répondu que plusieurs enquêtes et informations judiciaires étaient en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la présente proposition de résolution.

Votre commission a constaté, en conséquence, que la proposition de résolution était irrecevable .

I. LA CRÉATION D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE PAR « DROIT DE TIRAGE » D'UN GROUPE POLITIQUE

Introduit par la résolution tendant à modifier le Règlement du Sénat pour mettre en oeuvre la révision constitutionnelle, conforter le pluralisme sénatorial et rénover les méthodes de travail du Sénat, adoptée le 2 juin 2009 à la suite de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la V ème République, l'article 6 bis du Règlement du Sénat prévoit que chaque groupe politique a droit à la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information par année parlementaire.

En vertu de la résolution réformant les méthodes de travail du Sénat dans le respect du pluralisme, du droit d'amendement et de la spécificité sénatoriale, pour un Sénat plus présent, plus moderne et plus efficace, adoptée le 13 mai 2015, le groupe politique à l'origine de la demande de création a, en outre, le droit d'obtenir que la fonction de rapporteur soit confiée à l'un de ses membres.

Article 6 bis du Règlement du Sénat

« 1. - Chaque groupe a droit à la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information par année parlementaire.

« 2. - Dans le cas de création d'une commission d'enquête, les dispositions de l'article 11 sont applicables, sous réserve de l'alinéa suivant.

« 3. - La demande de création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information doit être formulée au plus tard une semaine avant la réunion de la Conférence des présidents qui doit prendre acte de cette demande.

« 4. - Les fonctions de président et de rapporteur d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information sont partagées entre la majorité et l'opposition. Lorsque le groupe à l'origine de la demande de création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information sollicite la fonction de rapporteur pour l'un de ses membres, elle est de droit s'il le souhaite. »

Communément appelé « droit de tirage », ce droit attribué à tous les groupes du Sénat, qu'ils se soient ou non déclarés d'opposition ou minoritaire, a donné une réelle consistance au nouvel article 51-1 de la Constitution, issu de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Celui-ci prévoit en effet que « le règlement de chaque assemblée détermine les droits des groupes parlementaires constitués en son sein » et « reconnaît des droits spécifiques aux groupes d'opposition de l'assemblée intéressée ainsi qu'aux groupes minoritaires ». En tout état de cause, s'il n'était pas nécessaire qu'une telle disposition figurât dans la Constitution pour que les règlements fussent en mesure de déterminer les droits des groupes - ce qu'ils font depuis le début du XX ème siècle -, cette disposition assure la reconnaissance au niveau constitutionnel des groupes politiques et de leur rôle au sein des assemblées.

Lorsqu'un groupe demande la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information et fait connaître son intention d'utiliser à cette fin son « droit de tirage » annuel, la Conférence des présidents prend acte de la demande, cette prise d'acte valant création de la commission d'enquête ou de la mission d'information. Dans le cas d'une commission d'enquête, ainsi que le prévoit l'article 11 du Règlement, une proposition de résolution tendant à la création de cette commission d'enquête doit avoir été préalablement déposée, dans les conditions réglementaires normales, mais elle n'a pas à être adoptée en séance, comme le prescrit la première phrase de l'alinéa 1 de l'article 11 2 ( * ) : la proposition de résolution est considérée comme adoptée du fait de la prise d'acte par la Conférence des présidents. Dès lors, pour la commission saisie au fond de la proposition de résolution, il n'y a pas lieu d'examiner l'opportunité de la création de la commission d'enquête.

Depuis juin 2009, quinze commissions d'enquête ont été créées sur le fondement du « droit de tirage », aucune n'ayant été créée selon la procédure normale depuis cette même date :

- commission d'enquête sur le rôle des firmes pharmaceutiques dans la gestion par le Gouvernement de la grippe A (H1N1v), créée en 2010 ;

- commission d'enquête sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, créée en 2012 ;

- commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité afin d'en déterminer l'imputation aux différents agents économiques, créée en 2012 ;

- commission d'enquête sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé, créée en 2012 ;

- commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage, créée en 2013 ;

- commission d'enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l'évasion des ressources financières en ses conséquences fiscales et sur les équilibres économiques ainsi que sur l'efficacité du dispositif législatif, juridique et administratif destiné à la combattre, créée en 2013 ;

- commission d'enquête sur les modalités du montage juridique et financier et l'environnement du contrat retenu in fine pour la mise en oeuvre de l'écotaxe poids lourds, créée en 2013 ;

- commission d'enquête sur l'organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, créée en 2014 ;

- commission d'enquête sur la réalité du détournement du crédit d'impôt recherche de son objet et de ses incidences sur la situation de l'emploi et de la recherche dans notre pays, créée en 2014 ;

- commission d'enquête sur le fonctionnement du service public de l'éducation, sur la perte de repères républicains que révèle la vie dans les établissements scolaires et sur les difficultés rencontrées par les enseignants dans l'exercice de leur profession, créée en 2015 ;

- commission d'enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l'air, créée en 2015 ;

- commission d'enquête sur le bilan et le contrôle de la création, de l'organisation, de l'activité et de la gestion des autorités administratives indépendantes, créée en 2015 ;

- commission d'enquête sur les chiffres du chômage en France et dans les pays de l'Union européenne, ainsi que sur l'impact des réformes mises en place par ces pays pour faire baisser le chômage, créée en 2016 ;

- commission d'enquête sur la réalité des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures, intégrant les mesures d'anticipation, les études préalables, les conditions de réalisation et leur suivi dans la durée, créée en 2016 ;

- commission d'enquête sur les frontières européennes, le contrôle des flux des personnes et des marchandises en Europe et l'avenir de l'espace Schengen, créée en 2016.

À titre de comparaison, l'Assemblée nationale a repris le mécanisme sénatorial du « droit de tirage », dans le cadre d'une résolution du 28 novembre 2014 tendant à modifier son Règlement 3 ( * ) , en instaurant un nouveau mécanisme similaire de création d'une commission d'enquête : chaque président de groupe d'opposition ou minoritaire obtient, de droit, une fois par session ordinaire, à l'exception de celle qui précède le renouvellement de l'Assemblée, la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information, la Conférence des présidents prenant acte de cette création, sous réserve des règles de recevabilité applicables à la création d'une commission d'enquête 4 ( * ) .

Auparavant, le mécanisme équivalent au « droit de tirage », instauré par la résolution du 27 mai 2009, permettait simplement à chaque président de groupe d'opposition ou minoritaire de demander, une fois par an, la mise d'office à l'ordre du jour d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête, à condition qu'elle soit recevable, celle-ci pouvant être modifiée par la commission saisie au fond de la proposition et rejetée en séance à la majorité des trois cinquièmes des membres de l'Assemblée.

II. LE CONTRÔLE DE LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION DANS LE CADRE DU « DROIT DE TIRAGE »

L'exercice du « droit de tirage » pour la création d'une commission d'enquête ne dispense pas du contrôle de la recevabilité de la proposition de résolution tendant à cette création. Cette obligation de contrôle de recevabilité résulte de la procédure de droit commun de création de ces commissions, fixée par l'article 11 du Règlement.

L'article 11 du Règlement du Sénat, applicable à la création de toute commission d'enquête en vertu de l'article 6 bis du Règlement, hormis ses dispositions relatives à la procédure de création proprement dite, dispose que la proposition de résolution « doit déterminer avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission d'enquête doit examiner la gestion ». Il ajoute que, lorsqu'elle n'est pas saisie au fond de la proposition de résolution, « la commission des lois (...) est appelée à émettre un avis sur la conformité de cette proposition avec les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958, modifiée, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ». Il prévoit en outre que la commission « ne peut comporter plus de vingt et un membres ».

Article 11 du Règlement du Sénat

« 1. - La création d'une commission d'enquête par le Sénat résulte du vote d'une proposition de résolution, déposée, renvoyée à la commission permanente compétente, examinée et discutée dans les conditions fixées par le présent Règlement. Cette proposition doit déterminer avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission d'enquête doit examiner la gestion. Lorsqu'elle n'est pas saisie au fond d'une proposition tendant à la création d'une commission d'enquête, la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale est appelée à émettre un avis sur la conformité de cette proposition avec les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958, modifiée, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. La proposition de résolution fixe le nombre des membres de la commission d'enquête, qui ne peut comporter plus de vingt et un membres.

« 2. - Pour la nomination des membres des commissions d'enquête dont la création est décidée par le Sénat, une liste des candidats est établie par les présidents des groupes et le délégué des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, conformément à la règle de la proportionnalité. Il est ensuite procédé selon les modalités prévues à l'article 8, alinéas 3 à 11. »

Dans son rapport 5 ( * ) sur la proposition de résolution tendant à modifier le Règlement adoptée le 2 juin 2009, notre ancien collègue Patrice Gélard, après avoir constaté que « la création de la commission d'enquête ne ferait pas l'objet d'un vote du Sénat », indiquait que « la création de l'organe de contrôle serait donc automatique, sous réserve, pour les demandes de création d'une commission d'enquête, d'un contrôle de recevabilité minimal ».

Cette obligation de contrôle de recevabilité a d'ailleurs été clairement rappelée par le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2009-582 DC du 25 juin 2009 sur la résolution du Sénat du 2 juin 2009. Il est de jurisprudence constante, en effet, que les règlements des assemblées doivent respecter les dispositions de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 précitée et singulièrement, pour la création des commissions d'enquête, celles de son article 6 qui fixent des conditions de recevabilité de cette création.

Dans les considérants 5 et 6 de sa décision, le Conseil constitutionnel a ainsi rappelé :

« 5. Considérant que, conformément au principe de la séparation des pouvoirs, l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 susvisée, d'une part, interdit que soient créées des commissions d'enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours et, d'autre part, impose que toute commission d'enquête prenne fin dès l'ouverture d'une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d'enquêter ; qu'en outre, il prévoit que les commissions d'enquête ont un caractère temporaire et que leur mission prend fin, au plus tard, à l'expiration d'un délai de six mois à compter de la date de l'adoption de la résolution qui les a créées ;

« 6. Considérant que l'article 2 de la résolution soumise à l'examen du Conseil constitutionnel n'a pas pour effet de restreindre la portée des dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 susvisée qui conditionnent la recevabilité des demandes de création de commissions d'enquête ; que, dans ces conditions, il n'est pas contraire à la Constitution ; »

Ainsi, la demande de création d'une commission d'enquête par recours au « droit de tirage » est bien pleinement soumise à la procédure normale de vérification de la recevabilité de la proposition de résolution déposée en ce sens, c'est-à-dire au contrôle par votre commission des lois de sa conformité à l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958.

Ce contrôle porte sur le respect par la proposition de résolution des premier à cinquième alinéas du I de cet article 6, qui prévoient notamment que « les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales », qu'« il ne peut être créé de commission d'enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours » et que les commissions d'enquête « ne peuvent être reconstituées avec le même objet avant l'expiration d'un délai de douze mois à compter de la fin de leur mission ».

Par ailleurs, selon ces mêmes dispositions, la mission des commissions d'enquête prend fin avec la remise de leur rapport et, « au plus tard, à l'expiration d'un délai de six mois à compter de la date de l'adoption de la résolution qui les a créées ».

Dans le cadre de la procédure de « droit de tirage », la compétence de votre commission des lois se limite donc strictement, comme lorsqu'elle n'est saisie que pour avis d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête, à l' examen de sa recevabilité .

Pour mémoire, la loi n° 91-698 du 20 juillet 1991 tendant à modifier l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative aux commissions d'enquête et de contrôle parlementaires a regroupé, sous l'unique dénomination globale de commissions d'enquête, les commissions d'enquête et les anciennes commissions de contrôle, lesquelles avaient pour objet de contrôler le fonctionnement d'une entreprise nationale ou d'un service public.

Pour autant, cette unification d'ordre terminologique n'a pas remis en cause la dualité existant entre les commissions d'enquête stricto sensu et les commissions d'enquête chargées de contrôler la gestion d'un service public ou d'une entreprise nationale, dualité qui entraîne une procédure différenciée de vérification de la recevabilité.

En effet, dans la première hypothèse , c'est-à-dire en cas d'enquête sur des faits déterminés, la pratique traditionnellement suivie pour les anciennes commissions d'enquête continue d'être observée par votre commission des lois : le président de votre commission demande au Président du Sénat de bien vouloir interroger le garde des sceaux sur l'existence éventuelle de poursuites judiciaires concernant les faits en cause .

Dans la seconde hypothèse , comme pour les anciennes commissions de contrôle, cette procédure de consultation du garde des sceaux ne s'impose pas en raison de l'objet même de la commission , qui est d'enquêter non sur des faits déterminés, mais sur la gestion d'un service public ou d'une entreprise nationale.

Par conséquent, lorsque votre commission est uniquement chargée d'examiner la recevabilité d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête, sa tâche consiste à déterminer si cette création entre bien dans le champ de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 et si la consultation du garde des sceaux s'impose ou non .

En outre, il convient de s'assurer que, conformément à l'article 11 du Règlement, la proposition de résolution fixe le nombre des membres de la commission d'enquête, « qui ne peut comporter plus de vingt et un membres », et que, conformément au dernier alinéa du I de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 précitée, une commission d'enquête n'est pas reconstituée avec le même objet avant l'expiration d'un délai de douze mois à compter de la fin de sa mission.

Dans le cadre du « droit de tirage », ce contrôle de recevabilité doit s'opérer, le cas échéant, dans des conditions compatibles avec le délai, établi par l'alinéa 3 de l'article 6 bis du Règlement, d'une semaine au moins avant la réunion de la Conférence des présidents qui doit prendre acte de la demande de création de la commission d'enquête.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : L'IRRECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

L'article unique de la proposition de résolution présentée par notre collègue Sylvie Goy-Chavent tend à créer « une commission d'enquête sur la prise en charge des djihadistes français et de leurs familles de retour d'Irak et de Syrie ».

En premier lieu, votre commission a constaté que cette proposition de résolution ne prévoyait pas un nombre de membres supérieur à vingt et un pour la commission d'enquête qu'elle tend à créer.

En deuxième lieu, votre commission a constaté qu'elle n'avait pas pour effet de reconstituer avec le même objet une commission d'enquête ayant achevé ses travaux depuis moins de douze mois.

En dernier lieu, votre commission a étudié le champ d'investigation retenu par la proposition de résolution pour la commission d'enquête, afin de vérifier s'il conduit à enquêter sur des faits déterminés ou bien sur la gestion d'un service public ou d'une entreprise nationale.

Dans son exposé des motifs, la proposition de résolution évoque l'enjeu du « retour des combattants de Daech » pour « la sécurité du territoire ». Elle estime que l'« on peut s'attendre à ce que les Français partis faire le djihad cherchent à regagner l'Europe, sans pour autant avoir renoncé à leur idéologie », conduisant à la présence de « milliers de bombes à retardement (...) disséminées dans notre pays ».

La proposition de résolution s'interroge ainsi : « Quand ils reviennent, comment prenons-nous en charge ces combattants et leurs familles ? Comment empêchons-nous ces djihadistes de commettre des attentats ? »

Elle conclut en indiquant que ce nouveau phénomène est un « défi qui est aujourd'hui lancé à notre démocratie ».

Il apparaît à votre rapporteur que cette commission d'enquête, au vu de l'objet et de l'exposé des motifs de la proposition de résolution, devrait donc faire porter ses investigations sur des faits déterminés , et non sur la gestion de services publics.

Ainsi, la proposition de résolution entre bien dans le champ défini par l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 précitée, au titre des faits déterminés. Dans ces conditions, votre rapporteur, en sa qualité de président de la commission des lois, a sollicité le Président du Sénat, afin qu'il interroge la garde des sceaux sur l'existence éventuelle de poursuites judiciaires concernant les faits en cause.

Par un courrier du 12 décembre 2017, la garde des sceaux a fait savoir au Président du Sénat que plusieurs enquêtes et informations judiciaires, diligentées au principal sous la qualification d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, étaient actuellement en cours au parquet de Paris et au pôle antiterroriste du tribunal de grande instance de Paris, mettant en cause des individus de retour de la zone irako-syrienne.

Votre commission a constaté que des poursuites judiciaires étaient en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution et que, par conséquent, la proposition de résolution n° 101 (2017-2018) tendant à la création d'une commission d'enquête sur la prise en charge des djihadistes français et de leurs familles de retour d'Irak et de Syrie était irrecevable .

EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 13 DÉCEMBRE 2017

_____

M. Philippe Bas , rapporteur . - Conformément à la procédure, comme nous sommes dans l'hypothèse d'une enquête sur des faits déterminés et non sur la gestion d'un service public, le Président du Sénat a demandé à la garde des sceaux si les faits devant être examinés par la commission d'enquête faisaient l'objet d'une procédure judiciaire en cours. La ministre nous a informés hier que tel était le cas. Notre commission ne peut par conséquent que constater l'irrecevabilité de cette proposition de résolution. Le groupe Union Centriste a cependant la possibilité de constituer une mission d'information sur le même sujet.

Mme Esther Benbassa . - J'entends les arguments, mais c'est un sujet d'actualité particulièrement important. Curieusement, un débat en séance a été ajouté à l'ordre du jour avant cette décision. Était-ce pour mieux refuser la constitution de la commission d'enquête ? La garde des sceaux devra s'expliquer.

M. Philippe Bas , rapporteur . - Je vous transmettrai la réponse écrite de la ministre. Cette décision relève du principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs : le Parlement ne peut interférer avec une procédure judiciaire en cours. À chacun sa mission. De plus, nous avons d'autres instruments à notre disposition.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - La constitution d'une mission d'information semble être la solution la plus simple, mais le point de vue du Gouvernement suscite des interrogations qu'il devra lever ce soir en séance. Certes, une commission d'enquête ne peut être créée sur des faits donnant lieu à des poursuites en cours ; mais en l'espèce il s'agit de cas très généraux. Il doit être possible de contourner l'interdiction.

M. Philippe Bas , rapporteur . - La garde des sceaux nous ayant informés de poursuites judiciaires en cours sur les faits en question, la constatation de l'irrecevabilité, en application de l'ordonnance du 17 novembre 1958, est automatique.

Je puis cependant vous dire que la question du périmètre constitutionnel des commissions d'enquête fait l'objet d'une réflexion du groupe de travail constitué par le président Larcher sur les réformes institutionnelles, sans qu'une position définitive ait encore été arrêtée. Reconnaissons que, de son côté, le Parlement n'aime pas que l'autorité judiciaire empiète sur ses prérogatives...

Enfin, je rappelle que la condamnation des individus qui se sont rendus dans des pays où se trouvent des camps d'entraînement djihadistes n'est possible que grâce à des textes votés à l'initiative du Sénat. Toute personne rentrant de Syrie est identifiée et poursuivie.

Mme Esther Benbassa . - Pourquoi l'opposition n'est-elle mise au courant de ce type de décision - ou de la remise d'un rapport, comme la semaine dernière - que quand elle le demande ? Nous ne sommes pas la cinquième roue du carrosse !

M. Simon Sutour . - C'est loin d'être un carrosse...

M. Philippe Bas , rapporteur . - La garde des sceaux a répondu hier ; vous en êtes informés aujourd'hui.

Mme Brigitte Lherbier . - Le retour des djihadistes pose de nombreux problèmes aux familles concernées. Un étudiant à Roubaix ne cesse de nous répéter que la publicité donnée au cas de sa soeur, partie en Syrie avec son époux, lui porte tort.

M. Jean-Pierre Sueur . - Il serait de bonne méthode de ne pas rouvrir un débat clos par le président avec ce type de considérations particulières.

La décision concernant la recevabilité de la résolution n'appartient pas au Gouvernement mais au Parlement, à travers la commission des lois. Puisque nous sommes informés de poursuites judiciaires en cours, nous n'avons d'autre choix que de déclarer la proposition de résolution irrecevable. J'attire votre attention sur la nécessité de rédiger avec soin l'intitulé d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête. André Reichardt et moi-même avons respectivement présidé et rapporté une commission d'enquête sur la radicalisation en France, mais en rédigeant son intitulé de façon à ne pas encourir l'irrecevabilité : elle portait sur l'organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes.

M. Philippe Bas , rapporteur . - Tout à fait. Si la demande de création d'une commission d'enquête porte sur des faits faisant l'objet de poursuites judiciaires, le Sénat n'a d'autre choix que de s'y opposer ; mais si elle porte sur le fonctionnement de services publics, elle est tout à fait recevable.

La commission constate l'irrecevabilité de la proposition de résolution.


* 1 Le texte de la proposition de résolution est consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/leg/ppr17-101.html

* 2 Cette phrase indique :

« La création d'une commission d'enquête par le Sénat résulte du vote d'une proposition de résolution, déposée, renvoyée à la commission permanente compétente, examinée et discutée dans les conditions fixées par le présent Règlement. »

* 3 Dans sa décision n° 2014-705 DC du 11 décembre 2014, le Conseil constitutionnel a considéré que ce nouveau mécanisme n'était pas contraire à la Constitution.

* 4 Articles 141 et 145 du Règlement de l'Assemblée nationale.

* 5 Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/l08-427/l08-427.html

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