C. AUDITION DE M. MARC EL NOUCHI, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DES INFRACTIONS FISCALES (12 JUIN 2018)

Réunie le mardi 12 juin 2018, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a entendu M. Marc El Nouchi, président de la commission des infractions fiscales.

M. Vincent Éblé , président . - Mes chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui notre cycle d'auditions sur le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude.

Après l'audition de M. Bruno Parent, directeur général des finances publiques, la semaine dernière, nous entendons aujourd'hui M. Marc El Nouchi, président de la commission des infractions fiscales (CIF).

Cette commission, créée en 1977, est composée de membres du Conseil d'État et de la Cour des comptes, de magistrats honoraires à la Cour de cassation et de personnalités qualifiées désignées par les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat.

Souvent confondue à tort avec le « verrou de Bercy », cette commission a d'abord été conçue comme une garantie pour le contribuable : sur les quelque 1 000 dossiers que lui transmet chaque année l'administration fiscale en vue d'une plainte au pénal, elle en écarte environ 6 %, qui ne lui semblent pas présenter les caractéristiques suffisantes. L'administration est liée par son avis. De fait, la « vraie » sélection se fait en amont, parmi les quelque 5 000 dossiers potentiellement « répressifs », dont le montant dépasse les 100 000 euros.

Nous nous sommes déplacés hier à Bercy avec le rapporteur général pour voir comment l'administration effectuait cette sélection, mais les critères ne sont pas toujours très explicites.

C'est donc aussi pour cela, monsieur le président, que nous sommes heureux de vous recevoir aujourd'hui pour nous exposer le mode de fonctionnement de la CIF - même si celle-ci publie chaque année un rapport d'activité -, ainsi que pour votre expérience des « critères » susceptibles de justifier ou non des poursuites pénales.

Je vous laisse la parole pour un bref propos liminaire qui vous permettra de nous présenter brièvement les méthodes de fonctionnement de la CIF, ses moyens et son organisation.

M. Marc El Nouchi . - Merci à votre commission de m'accueillir. Je suis très honoré de contribuer à vos travaux dans la perspective de l'examen du projet de loi de lutte contre la fraude fiscale.

Votre commission a été éclairée sur le sujet par le rapport établi par le sénateur Jérôme Bascher, qui a le grand mérite de la pédagogie et a permis de dissiper certains mythes, voire certains fantasmes, qui entachent l'appréciation que l'on peut porter sur le « verrou de Bercy ».

M. Vincent Éblé , président . - Je crains qu'ils ne ressurgissent malgré le mérite de notre collègue !

M. Marc El Nouchi . - Je vais donc essayer d'objectiver la situation à travers la relation que je vais faire du fonctionnement de la CIF.

Comme vous l'avez dit, la CIF a été créée bien après ce qu'on appelle le « verrou de Bercy ». Le monopole des plaintes laissé à l'administration fiscale en matière de fraude fiscale remonte en effet à 1920, la CIF ayant été créée en 1977 par une loi destinée à assurer la garantie des contribuables, dans un contexte de mouvements antifiscaux, afin de préserver les droits des contribuables qui pouvaient être soumis à la discrétion de l'administration, voire à son arbitraire dans le choix des dossiers qu'elle décidait d'envoyer devant le juge pénal.

Elle a également été créée pour jouer un rôle de filtre indispensable. Si tous les délinquants doivent être sanctionnés, tous n'ont pas vocation à aller devant le juge pénal, sauf à engorger abusivement les parquets et le juge pénal, dont les tâches sont extrêmement lourdes.

Il est donc nécessaire d'assurer ce filtre selon des critères inspirés de ceux décidés par le juge constitutionnel. Tout le dispositif actuel sur lequel reposent le « verrou de Bercy » et la CIF, qui est adossée à ce verrou mais qui en est indépendante, est juridiquement sécurisé par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

La CIF elle-même est une commission administrative indépendante et non une juridiction. Ainsi que vous l'avez souligné, elle est composée de 24 membres : huit conseillers d'État, huit conseillers référendaires à la Cour des comptes, huit magistrats honoraires à la Cour de cassation, tous élus par leur corps d'origine, ce qui renforce leur indépendance, et quatre personnalités qualifiées, deux par le président de l'Assemblée nationale et deux par le président du Sénat. Cette composition a d'ailleurs été enrichie par la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique financière.

Cette commission n'a pas de pouvoir d'autosaisine. Elle émet un avis conforme qui lie le ministre dans un sens ou un autre, sur la base des dossiers qui lui sont transmis par l'administration fiscale. Son champ de compétences couvre celui défini par l'article L. 228 du livre des procédures fiscales, c'est-à-dire les impôts directs, la TVA, les autres taxes sur le chiffre d'affaires et les droits d'enregistrement.

La CIF est compétente pour les délits prévus à l'article 1741 du code général des impôts (CGI) qui caractérise la fraude fiscale et la volonté délibérée de soustraire certains montants à l'imposition et comporte des circonstances aggravantes prévues par les mêmes dispositions - organisation de l'insolvabilité, création de sociétés d'interposition, établissement de comptes à l'étranger, etc.

Par ailleurs, ces dossiers nous sont transmis sur le fondement de l'article 1743 du CGI lorsqu'il n'existe pas de comptabilité régulière et probante. Dans ce cas, la CIF émet un avis conforme. Lorsque cet avis est favorable, le ministre qui nous a saisis d'un dépôt de plainte est tenu de transmettre la plainte au parquet. Dans le cas contraire, il ne peut pas le faire.

La CIF émet un avis in rem , c'est-à-dire sur les faits constitués présentés par l'administration. Si l'administration fait état, dans son projet de dépôt de plainte, de fraude à la TVA ou à l'impôt sur les sociétés, l'avis ne porte que sur ce sujet, même si la commission peut, dans certains cas, considérer que l'administration aurait pu étendre son contrôle à d'autres impôts le cas échéant.

L'avis porte donc sur ces faits et sur les personnes mises en cause, ce qui ne départit pas le procureur d'élargir le champ des poursuites à d'autres personnes que celles mises en cause par l'administration fiscale.

Par ailleurs, le procureur est libre de ne pas donner suite aux poursuites, de provoquer une information judiciaire ou de saisir un juge d'instruction. Il retrouve, une fois la plainte déposée, une marge d'appréciation totale, ce qui a conduit le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2016-546 QPC du 24 juin 2016, à considérer que la procédure n'était pas dans ces conditions de nature à remettre en cause l'indépendance de l'autorité judiciaire.

En revanche, la CIF n'a pas à être saisie de délits non fiscaux qui peuvent avoir un lien connexe, comme les délits d'escroquerie. L'administration peut porter plainte sur un autre terrain.

De la même façon, le délit de blanchiment de fraude fiscale n'entre pas en tant que tel dans le champ de compétences du dépôt de plainte par l'administration après avis de la CIF. Une jurisprudence extensive de la Cour de cassation de 2008 considère que ceci constitue un délit distinct et autonome de la fraude fiscale. Dans ce cas de figure, le procureur peut poursuivre sans avoir à requérir préalablement une plainte de l'administration fiscale.

Il existe également un délit de faux par production de pièces fausses ou inexactes. En application du second alinéa de l'article 40 du code de procédure pénale, les agents de l'administration fiscale sont tenus d'en informer le ministère public.

Pour tous ces délits qui ne sont pas des délits fiscaux à proprement parler, l'autorité judiciaire a une pleine liberté d'appréciation. L'administration peut de son côté porter plainte ou se porter partie civile.

La CIF est saisie d'environ 1 000 dossiers par an. Le rapport de M. Bascher a démontré que les contrôles effectués par l'administration sur les entreprises et les personnes physiques, soit un million au total, constituent essentiellement des contrôles sur pièces. Environ 50 000 font l'objet de vérifications. 15 000 d'entre eux excèdent un certain seuil et sont susceptibles d'être examinés dans ce cadre. 4 000 dossiers excèdent le seuil indicatif de 100 000 euros. L'administration décide de ne saisir la CIF que pour 1 000 d'entre eux. Pour ce qui est des 3 000 autres, l'administration transige dans 7 % des cas, considérant que les autres dossiers ne méritent pas une suite pénale et que la seule sanction administrative pécuniaire suffit. D'autres considérations liées au risque juridique interviennent en cas de risque de décharge de l'imposition en cause devant le juge de l'impôt.

Nous recevons donc 1 000 dossiers par an. Nous les examinons assez rapidement. Dans les cas de droit commun, nous laissons un mois aux contribuables mis en cause pour faire valoir leurs observations.

Dans la moitié des cas, avec ou sans le concours d'avocats fiscalistes spécialisés, ceux-ci produisent des observations examinées par la CIF sur la base d'un document établi par un rapporteur au sein d'un vivier d'une quarantaine de personnes, soit magistrats, soit fonctionnaires. Ce sont actuellement essentiellement des fonctionnaires de la DGFiP, qui font preuve de beaucoup d'indépendance. Ces rapports tendent à établir la matérialité des faits, leur intentionnalité. Ils prennent en compte les observations des contribuables et proposent un avis favorable ou défavorable.

C'est sur cette base que la CIF, qui compte 28 membres, soit quatre sections de sept membres, délibère collégialement.

La CIF, sur la base d'un ensemble de critères, de circonstances atténuantes ou aggravantes, qui tiennent aussi aux personnes, décide ou non de donner un avis favorable à l'engagement de poursuites. Cet avis favorable est donné dans 90 % à 95 % des cas, ce dont il ne faudrait pas inférer abusivement qu'elle ne sert à rien et constitue une simple chambre d'enregistrement, car ce rôle de filtre joue précisément du début jusqu'à la fin. D'une certaine façon, l'administration fiscale intériorise la jurisprudence de la CIF dans les projets de plaintes qu'elle nous envoie, même si celle-ci n'est pas écrite.

Certains dossiers nous paraissent mériter une suite pénale. Dans ce cas de figure, le doute subsiste peu. Le juge lui-même n'en a pas beaucoup : dans plus de 90 % des cas, il suit la proposition de l'administration, après avis conforme de la CIF. L'ensemble du dispositif repose sur le principe du tri. Celui-ci est absolument indispensable. L'organisation juridique est fondée sur la partition entre d'une part des sanctions administratives pécuniaires qui peuvent atteindre 40 % des droits dus en cas de manquement délibéré, et jusqu'à 80 % en cas de manoeuvres ou d'abus de droit, voire 100 % en cas d'opposition à un contrôle fiscal, et d'autre part des sanctions pénales.

Au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du principe constitutionnel selon lequel la sanction doit toujours être proportionnelle à la gravité des fautes, ce tri est normal, et il faut réserver la sanction pénale à sa fonction réelle d'exemplarité.

C'est dans l'exemplarité de cette sanction que l'action publique, qui est garante des intérêts de la société, trouve sa justification. Elle revêt un caractère très difficile pour les personnes qui la subissent, et possède un aspect parfois infamant et destructeur. Il ne faut jamais avoir une conception technocratique de ce que représente le renvoi d'un contribuable devant un tribunal correctionnel.

C'est ainsi que fonctionne la CIF. Elle le fait dans le respect de la jurisprudence du Conseil constitutionnel - qu'elle respectait avant même qu'elle soit établie par le juge constitutionnel. Nous avons globalement le sentiment que ce système est juridiquement sécurisé et joue son rôle de tri et de garant de la protection des contribuables, qui peuvent faire falloir leurs observations, même s'il n'y a pas d'oralité.

La CIF est un organe extrêmement original dans l'administration française. C'est à la fois un pont avec l'administration, mais aussi avec le pénal, puisque c'est son intervention qui déclenche ou non l'intervention du juge pénal.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Selon moi, la CIF n'est pas le vrai « verrou de Bercy ». La question réside plutôt dans ce qui se passe avant.

La CIF constitue plutôt une protection du contribuable contre un éventuel arbitraire de l'administration, qui peut juger que le dossier n'est pas suffisamment établi, que l'âge du contribuable conduit à ne pas poursuivre, etc.

En 2017, on a compté 47 900 contrôles externes. 14 228 constituent des dossiers répressifs au-delà de 7 500 euros de droit éludés et plus de 30 % de droits rappelés. Parmi ces dossiers, 4 785 dossiers ont des droits supérieurs à 100 000 euros.

Ces chiffres nous ont été communiqués par l'administration fiscale. Au final, environ un millier de dossiers sont transmis à la CIF.

L'administration centrale fait ensuite un premier tri et est amenée à écarter une quarantaine de dossiers, considérant qu'il n'y a pas lieu de poursuivre : quand des personnes ont été condamnées pénalement pour d'autres faits bien plus graves et que la poursuite pour fraude fiscale n'est pas indispensable.

Le vrai problème est de savoir ce qui se passe pour les 3 000 à 4 000 dossiers, qui représentent un enjeu de 100 000 euros de droits éludés mais ne sont pas soumis à la CIF. C'est sur ce point que les éléments donnés dans le rapport de notre collègue Jérôme Bascher et celui de l'Assemblée nationale nécessiteraient d'être encore détaillés.

Connaissez-vous l'origine des dossiers que l'on vous transmet ? Émanent-ils d'une direction particulière ? Vous intéressez-vous à cette question ou est-elle pour vous secondaire ?

Par ailleurs, votre qualité vous autorise-t-elle à émettre une appréciation personnelle sur les préconisations du rapport de nos collègues députés, qui proposent notamment de revoir les critères ? Pensez-vous possible d'inscrire dans la loi des critères objectifs de seuils ou de type d'infractions ?

Pouvez-vous enfin nous expliquer quels sont les critères qui vous amènent à renoncer aux poursuites ?

M. Marc El Nouchi . - Les dossiers nous sont transmis par le service du contrôle fiscal de la DGFiP, qui les fait remonter des pôles régionaux, parfois avec difficulté : il faut en effet mobiliser l'ensemble de ces pôles pour qu'ils puissent constater les infractions et mener les contrôles afin que l'administration centrale sélectionne les dossiers.

Nous ne connaissons que l'origine géographique des contribuables en cause, le dépôt de plainte prenant la forme d'une transmission au parquet. Le fait de connaître l'origine du dossier apparaît in fine sans incidence sur la suite à donner à ces dossiers, notamment pénale.

Les propositions de la mission d'information commune de l'Assemblée nationale peuvent laisser à penser que l'administration retiendrait des dossiers pour des motifs étrangers à ses missions, procédant d'un certain arbitraire ou de considérations politiques ou autres. Je n'y crois absolument pas !

L'administration s'inscrit dans le cadre de l'ordonnancement juridique. Elle a la possibilité d'infliger aux délinquants des sanctions administratives pécuniaires très fortes et, au-delà, de façon complémentaire, dans le but d'une répression effective de la fraude fiscale, d'engager éventuellement des poursuites pénales.

L'administration agit sur la base de critères déjà définis. La circulaire de décembre 2014, qui a suivi la loi du 6 décembre 2013 poussant à la coopération entre l'administration et l'autorité judiciaire, comporte déjà ces critères, liés à la fois au quantum de droits éludés d'un certain montant, avec l'idée qu'il faut conserver à la sanction pénale un caractère d'exemplarité. Banaliser la répression pénale, c'est en quelque sorte la « démonétiser ».

Le second critère porte sur la nature des agissements : la soustraction frauduleuse à l'impôt s'est-elle faite en recourant à des logiciels permissifs de caisse, à la création fictive d'établissements stables, à la création artificielle de sociétés dans des paradis fiscaux ? L'équation humaine liée à la personne du contribuable peut aussi jouer son rôle...

Un expert-comptable, un notaire, un avocat, un pharmacien, quelqu'un qui détient a fortiori des fonctions électives ou qui vient de la haute administration a une obligation d'exemplarité en matière fiscale. C'est donc une circonstance aggravante. Les professions réglementées sont également astreintes à l'exemplarité fiscale.

Parfois, certaines personnes âgées ont pu faire l'objet de manipulations familiales en matière de plus-values, d'héritage ou de transmission. Certains jeunes démarrent également dans la vie avec un passif terrible, ayant été eux aussi des hommes de paille. Cependant, l'absence de comptabilité, l'existence d'agissements fautifs et de réitération de faits n'entraîne aucune bienveillance.

Ces critères généraux sont maintenant constitutionnels. Je pense qu'il faut les inscrire dans la loi, avec le souci d'une certaine plasticité. En effet, si la loi est trop rigide, cela peut poser un problème constitutionnel par rapport à l'exercice par le Gouvernement de la liberté de définition de la politique pénale, qui est de son ressort. Par ailleurs, le fait de trop brider la marge d'appréciation de l'administration pourrait être défavorable à la répression de la fraude fiscale.

Vous avez évoqué le montant de 100 000 euros : je n'en ai jamais parlé, car il est purement indicatif. On poursuit bien évidemment les infractions au-delà d'un certain montant, mais on poursuit parfois en deçà en raison de la personnalité du contribuable en cause et des circonstances.

De la même manière, on peut faire preuve de bienveillance, même au-delà des 100 000 euros, pour un chef de PME qui procède accidentellement à de la rétention de TVA pendant six mois pour payer ses salariés, alors que ni lui ni son épouse, qui s'avère être sa collaboratrice, ne s'octroient de salaire et que la société est économiquement en péril.

C'est l'ensemble de ces appréciations qui donne un sens à l'examen individualisé par la CIF, qui tient compte des dossiers et permet, par son caractère centralisé, d'assurer une égalité de traitement entre les contribuables fautifs.

De ce point de vue, les propositions de la mission de l'Assemblée nationale tendent à transférer ce filtre à la coopération entre l'administration fiscale et les parquets au plan régional. Autrement dit, les 4 000 dossiers seraient étudiés par l'administration et les parquets lors de réunions trimestrielles, ceux-ci décidant vraisemblablement en méconnaissance des garanties qu'apporte actuellement la CIF aux contribuables.

Il faut, dans ce domaine, assurer une bonne coopération entre les administrations et l'autorité judiciaire, mais dans le respect de leurs compétences respectives.

Dans ce dispositif, que ferait un parquet local si la DGFiP lui disait qu'elle n'est pas favorable aux poursuites ? Actuellement, le juge pénal prend en moyenne trois ans pour juger les 1 000 plaintes. Certains dossiers très importants attendent d'être jugés depuis cinq ou six ans, et pourraient être atteints un jour par la prescription, ce qui serait dramatique et discréditerait l'autorité judiciaire face aux contribuables, qui sont en droit d'attendre une sanction pénale efficiente et rapide en la matière. Dans quelles conditions de moyens opérationnels ce type d'opérations pourrait-il avoir lieu ?

Je ne défends pas absolument la CIF : je considère simplement que le dispositif actuel a sa vertu et son efficacité.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Environ 1 000 dossiers par an sont soumis à la CIF. En revanche, le nombre des décisions de justice diminue. On recensait 1 101 décisions en 2006, contre 770 décisions en 2016. On est par ailleurs passé de 697 condamnations définitives à 430.

Même les peines d'amende sont passées de 250 à 131 entre 2006 et 2016, alors que le nombre des dossiers transmis à la CIF et celui des dossiers auxquels la CIF donne un avis favorable est constant. Le nombre des décisions de justice a quasiment diminué de moitié, et le nombre d'amendes aussi.

Il y a donc un problème d'allongement des délais ou de non-lieu. Peut-être la justice estime-t-elle en ce moment avoir d'autres priorités que de traiter la fraude fiscale ?

Mme Nathalie Goulet . - Nous sommes ici un certain nombre à émettre quelques doutes. Vous nous avez communiqué des éléments extrêmement importants concernant les délais, le tri, l'opportunité des poursuites. Nous ne sommes de toute façon pas là pour nous convaincre les uns les autres.

Un classement sans suite de l'enquête pénale pour fraude fiscale n'a aucune autorité de la chose jugée vis-à-vis du juge administratif - juge de l'impôt - alors même que le procureur de la République, saisi suite à un avis favorable de la CIF, a déterminé qu'il n'y avait pas de délit de fraude fiscale.

Ne pensez-vous pas que la loi devrait évoluer pour permettre de donner une autorité à l'extinction des poursuites pénales afin que le juge de l'impôt ne rende pas de décisions contradictoires en édictant des pénalités pour mauvaise foi ou manoeuvres frauduleuses ?

M. Marc Laménie . - Avez-vous une idée du manque à gagner pour l'État que représentent les dossiers que vous examinez ?

Par ailleurs, le premier impôt, c'est la TVA, mais il en existe d'autres. Quels sont ceux sur lesquels vous recensez le plus de fraudes ?

Enfin, le budget de la sécurité sociale, également très important, fait souvent l'objet de fraudes. Intervenez-vous dans ce domaine ?

M. Jérôme Bascher . - Vous avez dit être moins bienveillant en cas de récidive. Seriez-vous favorable à l'inscription de ce critère ?

Par ailleurs, pensez-vous que les peines de prison pour fraude fiscale soient encore utiles lorsqu'un ancien ministre du budget condamné pour fraude fiscale ne va pas en prison ? Ne faut-il pas plutôt « frapper au portefeuille » ?

Enfin, on regrette souvent que la justice ne puisse pas s'autosaisir des faits de fraude fiscale. Verriez-vous d'un bon oeil que la justice puisse saisir la CIF pour savoir s'il y a lieu ou non de poursuivre ?

M. Éric Bocquet . - Vous avez dit que tous les dossiers n'avaient pas vocation à finir au pénal. On peut l'entendre. Pouvez-vous toutefois nous dire quel est le dossier type avec circonstances aggravantes qui serait sans aucun doute transmis au pénal ?

En second lieu, comment expliquer la relative stabilité du nombre de contrôles ? Est-ce dû à votre capacité de traitement ou à celle de la DGFiP, ou bien s'agit-il d'un objectif ?

Mme Sylvie Vermeillet . - Avez-vous une idée de l'impact de la mise en place du prélèvement à la source et de la transformation du régime social des indépendants (RSI) sur la fraude ?

M. Thierry Carcenac . - La CIF travaille sur des contrôles aboutis. Les contrôles en cours pourraient-ils présenter un intérêt en matière de poursuites ?

Deuxièmement, on a évoqué le critère de 100 000 euros de droits. Pour 2016, on est en moyenne à 286 000 euros. S'agissant de l'ISF, huit personnes, l'an dernier, ont été soumises à ce traitement. Les droits sont de 125 000 euros. Les particuliers, cela représente 25 % de vos dossiers. S'agissant des 3 000 ou 4 000 dossiers restants, a-t-on une idée du pourcentage qui concerne le secteur des entreprises ?

Enfin, on parle beaucoup du plaider-coupable. Pensez-vous que cela puisse avoir un effet d'accélération dans le traitement des dossiers ?

M. Michel Canevet . - Quel est le délai moyen de décision de la CIF une fois le dossier transmis par la DGFiP ?

Par ailleurs, la difficulté venant de Bercy, ne conviendrait-il pas que la CIF puisse se saisir de l'ensemble de ces dossiers ? Avez-vous la capacité de traiter un tel volume ?

M. Vincent Éblé , président . - Monsieur le président, vous avez la parole.

M. Marc El Nouchi . - Certaines de mes réponses vont sans doute vous décevoir, quelques questions ne ressortant pas de la compétence du président de la CIF.

La première question est une question juridique, qui met en cause le principe de l'indépendance des procédures pénale, administrative et judiciaire. De la même façon que le juge pénal statue souverainement, le juge administratif lui-même n'est pas lié par l'engagement d'une procédure visant à sanctionner une fraude fiscale. Ceci repose sur le principe constitutionnel de l'indépendance des procédures, qui n'est pas facile à remettre en cause.

Le juge constitutionnel a posé un principe dans sa décision du 24 juin 2016 en indiquant que lorsqu'un contribuable a été déchargé de l'imposition, il ne peut plus y avoir de sanction pénale à son encontre. Ceci signifie qu'il faut fixer des limites au cumul des sanctions administratives et pénales. C'est aussi une façon de plafonner le montant global de l'imposition infligée à un contribuable.

Je ne peux qu'en rester à ce constat. Ce sont des principes qui participent de l'indépendance de chaque juridiction et de leur mode de fonctionnement. On a, en France, une séparation duale assez importante entre le juge judiciaire et le juge administratif, qui tient à l'histoire de notre pays. Le Royaume-Uni n'a pas la même tradition. Pour être sincère, je ne vois pas beaucoup de perspectives pour remettre ce dispositif en cause.

Par ailleurs, le manque à gagner en matière de revenus soustraits à l'imposition est considérable : il s'agit de dizaines de milliards d'euros. Cet enjeu est à la mesure de ce qu'il faut faire pour mener le combat qui convient, en articulant les compétences des uns et des autres de façon intelligente, et en renonçant aux querelles de chapelle.

Ces sommes sont distraites au financement de l'économie et à la redistribution sociale, mais je n'ai pas d'autres chiffres à vous donner que ceux qui figurent dans la presse.

Quant aux montants soustraits aux Urssaf, ils ne figurent absolument pas dans le champ de compétences de la CIF, aux termes de l'article L.228 du livre des procédures fiscales. Notre champ de compétences concerne les contributions directes, l'impôt sur le revenu, l'impôt sur les sociétés, les taxes sur le chiffre d'affaires, etc., mais pas l'ensemble des ressources d'ordre social.

Le sénateur Jérôme Bascher m'a par ailleurs demandé s'il faut inscrire le critère de récidive parmi les critères de la loi. En termes juridiques, on ne parle pas de « récidive » mais de « réitération » des infractions. Cela fait partie des circonstances aggravantes lors de l'examen de nos dossiers. Déterminer les cas de réitération serait quelque peu difficile à définir dans la loi. Cela fait partie des circonstances aggravantes dont l'appréciation doit être laissée à l'administration, de la même façon qu'il peut exister des circonstances atténuantes au profit des contribuables.

Pour ce qui est de l'utilité des peines de prison, il existe beaucoup de condamnations - 524 l'année dernière -, assez peu de peines de prison ferme - 70 environ -, pas mal de peines de prison avec sursis et un certain nombre de peines d'emprisonnement de l'ordre d'un an maximum.

La loi permet de sanctionner financièrement à un niveau bien plus élevé : l'article 1 741 prévoit 500 000 euros, cinq ans d'emprisonnement et, en cas de circonstances aggravantes 2 millions d'euros et sept ans d'emprisonnement. Le juge pénal a donc la faculté d'utiliser toutes les ressources de la loi.

Je crois qu'une peine de prison ferme, même s'il y est recouru assez modestement, revêt une valeur d'exemplarité. Je ne pense pas qu'il convienne de revenir sur la possibilité de l'infliger.

Quant à la saisine directe de la CIF par le procureur, elle pourrait se faire dans un cas très différent de celui que vous imaginez. S'il n'y avait plus de « verrou de Bercy », le procureur de la République et le parquet auraient alors à traiter directement ces 4 000 dossiers susceptibles de faire l'objet de poursuites pénales. Ils pourraient solliciter l'avis de la CIF pour un examen individuel de la situation des contribuables avant l'engagement de poursuites pénales. C'est un cas de figure dans lequel je ne m'inscris naturellement pas.

Il en existe un second, lorsque le procureur découvre, à la faveur de l'enquête sur un délit de droit commun, un élément sous-jacent de fraude fiscale. Serait-il possible de poursuivre sans demander à l'administration de déposer une plainte préalable ? Ceci n'empêche pas que la coopération serait absolument nécessaire, le parquet ne pouvant absolument pas travailler sans l'administration. La CIF n'a pas vocation à exister en tant que telle : elle doit être utile dans sa double fonction de garantie des contribuables et de filtre.

Le sénateur Éric Bocquet a demandé de définir le dossier type. Il existe des dossiers absolument accablants sur lesquels la CIF n'a pas l'ombre d'un doute. Elle prend le temps de la réflexion, examine le dossier de l'administration et le document établi par le rapporteur, lit les observations du tribunal, qui la confortent dans sa conviction : quand un contribuable fraude de façon massive, en utilisant des procédés extrêmement déloyaux en matière de rétention de la TVA ou de fraude à l'impôt sur les sociétés, il crée des distorsions de concurrence, cette pratique lui permettant d'offrir des prix absolument déloyaux.

Un dossier type est un dossier dans lequel il existe une réitération des faits, où le contribuable a déjà fait opposition à un contrôle fiscal ou a créé des sociétés pour les seuls besoins d'une activité en franchise d'impôt.

En ce qui concerne la stabilité des chiffres, je l'ai dit, nous instruisons les dossiers que nous recevons. Certes, la CIF est relativement occupée. Nous sommes tous pratiquement bénévoles - et pour la plupart fonctionnaires en activité. Deux séances par semaine dans chaque section, soit huit séances par mois, cela représente beaucoup de travail, mais ce n'est pas le critère qui, selon moi, détermine la transmission.

Les critères sont basés sur la nature des dossiers eux-mêmes. Ce sont des questions qu'il faut poser en amont à l'administration. La CIF n'est pas un « second verrou », comme j'ai pu l'entendre par ailleurs.

Quant au prélèvement à la source, il peut y avoir des comportements anticipatoires en la matière, mais ils ne peuvent être pour le moment analysés sur le terrain de la fraude fiscale. Il faudrait avoir davantage de recul. Nous n'avons aucun dossier à ce sujet.

Le nombre de dossiers se répartit globalement à 70 % entre les entreprises et 30 % pour les personnes physiques. Parmi elles figurent des dirigeants sociaux à qui l'on reproche, en tant qu'acteur social de l'entreprise, d'effectuer une captation des revenus sociaux de l'entreprise ou d'utiliser les comptes de l'entreprise à des fins personnelles.

S'agissant du plaider-coupable, il convient de poser la question au ministère de la justice et à l'administration fiscale. Peut-être est-ce un moyen d'accélérer les procédures qui peut être utile, mais c'est un dossier en gestation, et je n'ai aucun recul pour apprécier son efficacité.

Concernant les moyens, la CIF travaille rapidement dans la mesure où nous recevons les dossiers, les transmettons aux contribuables en cause, qui ont un mois pour répondre et faire valoir leurs observations. Il n'existe pas de débat contradictoire. Nous recevons souvent des mémoires très consistants. Dès qu'on obtient une réponse, on inscrit l'affaire à l'ordre du jour. Cela peut donc aller très vite. Parfois, c'est encore plus rapide lorsqu'on a des dossiers de police fiscale.

En effet, la CIF n'intervient pas toujours au terme d'un contrôle avéré. La procédure de police fiscale, prévue par l'article L. 228 du livre des procédures fiscales, constitue un cas dérogatoire dans lequel l'administration a une présomption caractérisée de fraude fiscale aggravée en cas de création de sociétés dans des paradis fiscaux, d'interposition, d'organisation d'insolvabilité, etc. Des présomptions caractérisées et un risque de dépérissement des preuves sont nécessaires pour agir. Il faut rapidement engager les moyens de la police judiciaire fiscale, au sein de la Brigade nationale de répression de la délinquance financière (BNRDF) pour donner les moyens à ces services d'identifier les contribuables et l'objet de la soustraction à l'impôt.

Dans ce cas, le contribuable n'est pas informé. Dès que l'on réceptionne le dossier, il est inscrit à l'ordre du jour sans que l'on ait besoin des observations des intéressés.

Quant à la capacité de la CIF à traiter 4 000 dossiers, elle n'en a absolument pas la possibilité actuellement. Est-ce vraiment sa vocation ? Je rejoins les réflexions de Jérôme Bascher : la CIF a été créée pour être un organisme de tri, d'examen individualisé des dossiers qui méritent la sanction pénale. Si on va au-delà, on en fait un organisme d'investigation. Sa nature change alors complètement. Elle n'a pas vocation à être une autorité administrative indépendante. C'est une hypothèse que je n'envisage pas. Il faut qu'elle reste dans ce dispositif très souple qui la relie à la fois à l'administration et au juge pénal.

En revanche, il serait bon que la CIF soit informée des 3 000 dossiers que l'administration ne lui soumet pas. Nous tenons des réunions où nous invitons l'administration à échanger avec nous. Nous allons également inviter le parquet afin de travailler en bonne synergie. Il serait normal d'avoir cette information.

J'ajoute - et je crois que c'est l'intention du Gouvernement - qu'il me paraîtrait normal que le Parlement en dispose aussi.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page