EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 10 OCTOBRE 2018

M. Philippe Bas , président . - Ce texte est issu d'une proposition de loi de notre collègue Loïc Hervé et d'une autre de notre ancien collègue Jean-Claude Carle.

Mme Catherine Di Folco , rapporteur . - Adoptée au Sénat voici près d'un an, cette proposition de loi a pour objet de mieux circonscrire les obligations des communes et de leurs groupements dans la mise en oeuvre du schéma départemental d'accueil et d'habitat des gens du voyage, et de renforcer la lutte contre les campements illicites, à la fois par des moyens de police administrative et par la répression pénale. Le texte est arrivé au mois de juin devant l'Assemblée nationale, qui l'a examiné et modifié.

Dans sa rédaction adoptée par le Sénat en première lecture, l'article 1 er de la proposition de loi clarifiait la répartition des obligations entre les communes et leurs groupements à fiscalité propre en matière d'accueil des gens du voyage. Il prévoyait aussi que le schéma départemental ne pourrait imposer la création d'aires d'accueil aux communautés de communes ne comptant aucune commune de plus de 5 000 habitants. Grâce à un amendement de Françoise Gatel, la construction de nouvelles aires n'aurait pu être imposée là où le taux d'occupation des aires existantes aurait été inférieur à un seuil fixé par décret. La révision sexennale du schéma aurait dû tenir compte des évolutions de la carte intercommunale. Enfin, sur l'initiative de Dominique Estrosi Sassone, l'article 1 er prévoyait la comptabilisation des emplacements en aire d'accueil comme logements locatifs sociaux. L'Assemblée nationale n'a conservé que les dispositions relatives à la clarification des compétences et la référence aux évolutions de la carte intercommunale.

L'article 2 supprimait la procédure de consignation des fonds à l'encontre des communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ne satisfaisant pas à leurs obligations d'accueil, introduite en 2016 et qui porte atteinte à la libre administration des communes. L'Assemblée nationale a supprimé cet article, rétablissant ainsi la procédure.

En revanche, les députés ont adopté sans modification l'article 3, qui prévoit que tout rassemblement impliquant plus de 150 caravanes fasse l'objet d'une notification aux préfets de région et de département ainsi qu'au président du conseil départemental concernés au moins trois mois à l'avance.

Introduit à la demande de Dominique Estrosi Sassone et Sophie Primas, l'article 3 bis portait de 150 à 200 euros le montant de la taxe sur les résidences mobiles terrestres occupées à titre d'habitat principal, et prévoyait la délivrance d'un récépissé sous la forme d'une vignette à apposer sur le véhicule. Je regrette que l'Assemblée nationale l'ait supprimé : il aurait assuré un surplus de ressources bienvenu aux communes qui subissent des dégradations importantes et coûteuses.

L'article 4 visait à autoriser le maire de toute commune dotée d'une aire d'accueil à interdire le stationnement de résidences mobiles hors des emplacements prévus à cet effet et, par conséquent, à demander au préfet d'agir contre les installations illicites, même si l'EPCI à fiscalité propre dont la commune fait partie ne respecte pas ses obligations en la matière. C'était une mesure très attendue par les maires concernés qui, ayant financé l'aménagement d'une aire d'accueil dans leur commune, avaient le sentiment de subir une double peine. Jacqueline Gourault, qui n'a pas oublié son expérience d'élue locale, a su convaincre l'Assemblée nationale de conserver cet article.

En revanche, l'article 5 a été balayé. Il renforçait la procédure administrative d'évacuation des campements illicites en portant de huit à quinze jours la durée d'applicabilité de la mise en demeure d'évacuer, et en réduisant à 48 heures le délai de recours. Il introduisait un motif supplémentaire de recours à cette procédure, en plus du trouble à l'ordre public : « une atteinte d'une exceptionnelle gravité au droit de propriété, à la liberté d'aller et venir, à la liberté du commerce et de l'industrie ou à la continuité du service public ». Sans doute est-ce surtout cette dernière mesure, jugée inconstitutionnelle par l'Assemblée nationale, qui a motivé la suppression de l'article.

L'article 6 renforçait les sanctions pénales en cas d'occupation de terrain en réunion et sans titre en doublant les peines encourues, en permettant l'application de la procédure d'amende forfaitaire délictuelle et en supprimant la protection accordée aux véhicules destinés à l'habitation contre les saisies et les confiscations. Les deux premières mesures ont été conservées, la seconde malgré sa suppression par la commission et grâce à un avis de sagesse du Gouvernement en séance. En revanche, la possibilité de saisir et de transférer les véhicules dans une aire d'accueil du département a été supprimée.

Issu de la proposition de loi déposée par Loïc Hervé, l'article 7 renforçait les sanctions pénales en cas de destruction, de dégradation ou de détérioration du bien d'autrui et ajoutait une circonstance aggravante si ces faits étaient commis au cours d'une installation illicite. Il a été supprimé par l'Assemblée nationale, tout comme l'article 8, lui aussi issu de la proposition de loi de Loïc Hervé, qui visait à créer un délit d'occupation habituelle d'un terrain en réunion et sans titre. L'habitude était caractérisée si l'auteur s'était acquitté d'au moins quatre amendes forfaitaires pour occupation illicite sur une période de deux ans.

Supprimé également, l'article 9 qui appliquait une peine complémentaire d'interdiction de séjour en cas d'occupation d'un terrain sans titre et en réunion. En revanche, l'article 10, qui étendait les dispositions pénales du texte dans les outre-mer, a été conservé.

Vous le voyez, ce texte a subi...

Mme Françoise Gatel . - Des violences !

Mme Catherine Di Folco , rapporteur . - En effet. Cependant, certaines de ses dispositions ont été conservées : la prise en compte de l'évolution du schéma départemental de coopération intercommunale au moment de la révision du schéma d'accueil, l'attribution claire de la compétence de création des aires à l'EPCI et non à la commune, la clarification de la répartition des compétences entre communes et groupements de communes, l'obligation d'information des autorités trois mois avant tout grand rassemblement, la possibilité pour le maire de demander au préfet de prendre les mesures nécessaires au maintien de l'ordre public quand il n'est pas lui-même en mesure de le faire, la possibilité pour les maires de toutes les communes dotées d'une aire d'accueil de prendre des arrêtés d'interdiction de stationnement, le doublement des sanctions pour occupation d'un terrain sans titre et en réunion et l'amende forfaitaire délictuelle.

Certes, nous ne pouvons nous déclarer satisfaits, en particulier à cause de la suppression de l'article 5. Néanmoins, je vous propose d'adopter ce texte sans modification pour que les dispositions restantes soient appliquées le plus rapidement possible.

M. Philippe Bas , président . - Je vous remercie. C'est un problème infiniment complexe qui suscite chez les maires, mais aussi les propriétaires de terrain privés, du mécontentement et de l'angoisse.

M. Loïc Hervé . - Dans mon département de Haute-Savoie, la situation a de nouveau été particulièrement difficile cet été, marquée par un regain de tension avec les agriculteurs et les chefs d'entreprise. Je partage l'analyse de Mme le rapporteur et la remercie du travail qu'elle a accompli pour fusionner les deux propositions de loi déposées l'an dernier. Nos vingt-quatre amendements adoptés en première lecture ont donné au texte une cohérence d'ensemble que, malheureusement, l'Assemblée nationale n'a pas choisi de conserver. Je suis néanmoins favorable à un vote conforme.

La possibilité pour le maire de toute commune dotée d'une aire d'accueil d'interdire le stationnement des résidences mobiles hors de cette aire est très attendue. Une commune peut se trouver privée de cette possibilité du jour au lendemain à la suite d'une fusion d'EPCI... Je me félicite également de l'extension à l'occupation illicite de terrains de la procédure de l'amende forfaitaire délictuelle : cet instrument, issu de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI e siècle, permettra de sanctionner de manière plus rapide et efficace tout en soulageant les parquets.

L'adoption de ce texte enverrait donc un signe fort aux magistrats, aux forces de l'ordre et aux élus locaux. En revanche, je partage les regrets du rapporteur sur les dispositions rejetées par l'Assemblée nationale. Il me semble inutile de poursuivre la navette. Prenons ce qui est à prendre, et poursuivons le dialogue avec nos collègues députés dans le cadre d'un nouveau texte.

M. Jean-Luc Fichet . - Je remercie le rapporteur. L'accueil des gens du voyage est un sujet très sensible qui touche toutes les intercommunalités. En Bretagne, les tensions sont peut-être moins exacerbées qu'ailleurs, parce que les communes et les EPCI se sont acquittés de leurs obligations d'accueil.

L'évolution du texte me satisfait : le problème ne se réglera pas par la seule inflation des sanctions. Adoptons une approche plus équilibrée : soucions-nous par exemple de l'accueil des enfants des gens du voyage dans les écoles. L'amende forfaitaire délictuelle me semble une réponse appropriée. Il est également important que l'intercommunalité reste l'échelon compétent pour la mise en oeuvre des obligations d'accueil. Je me félicite de l'obligation de notification, trois mois à l'avance, des grands rassemblements : elle figurait déjà dans les textes de nature réglementaire, mais elle n'était pas respectée. Le doublement des sanctions pour occupation illicite nous laisse plus dubitatifs... Néanmoins, le groupe socialiste et républicain votera ce texte en l'état.

M. Dany Wattebled . - Nous prendrons ce qu'il y a à prendre, avec un regret, celui de n'avoir pu obtenir la possibilité de saisir les véhicules en cas d'occupation illicite - alors que nous l'avons récemment votée pour lutter contre les rodéos urbains. C'est pourtant le seul moyen d'empêcher les invasions telles que celles que nous connaissons chaque année lors de la braderie de Lille : 300 véhicules, des terrains saccagés. Nous sommes à mi-chemin. Je voterai ce texte conforme, mais à regret.

Mme Françoise Gatel . - Je remercie les auteurs de cette proposition de loi. Elle traite d'un sujet important pour les élus, qui réclame du réalisme et du pragmatisme, non de l'angélisme et de la bien-pensance. Dans mon département d'Ille-et-Vilaine, la situation est préoccupante sur la côte ; des maires ont même été victimes de violences. Merci à Catherine Di Folco de son travail juste et équilibré. Prenons donc ce que nous pouvons prendre.

Cependant, le texte voté par les députés illustre la vision hors sol et idyllique de certains d'entre eux qui ne connaissent pas les problèmes de terrain - alors que les élus, rappelons-le, s'acquittent de leurs obligations d'accueil avec un grand sens des responsabilités.

Mme Maryse Carrère . - Je remercie le rapporteur de sa position de sagesse. Le texte qui nous revient de l'Assemblée nationale reprend certains amendements du groupe du RDSE. Il était difficile de trouver un équilibre entre la liberté des personnes et le désarroi des maires parfois confrontés à des violences ou à des arrivées intempestives. L'arsenal existant est déjà important : la principale difficulté est de le mettre en oeuvre. Le groupe du RDSE votera le texte conforme.

Mme Sophie Joissains . - Je salue à mon tour les auteurs de la proposition de loi et la sagesse de Mme le rapporteur. Il est dommage que le texte ait été quelque peu dégarni, mais le sujet est complexe. Grâce à ce texte, les maires ne subiront plus les conséquences des défaillances de leurs voisins : c'est une belle avancée. Votons-le conforme.

Mme Brigitte Lherbier . - L'attente est grande chez les maires du Nord, surtout au moment de la braderie de Lille, où les gens du voyage convergent, d'autant que de l'autre côté de la frontière, les Belges sont très sévères. Saisir ou immobiliser une résidence mobile est une procédure très lourde... Il y a un véritable sentiment d'impuissance. Tous les pays sont confrontés à ce phénomène, qui va devenir un problème européen. Les autorités communautaires doivent s'en saisir.

Mme Catherine Troendlé . - Le rapporteur a produit un travail remarquable, avec un grand sens du consensus. J'étais initialement défavorable au vote conforme, mais il nous faut des solutions, même minimes. Tel qu'il est, ce texte ne règle pas le problème pour autant. En revenant dans mon département, je n'aurai pas de solution à proposer à tous les drames qui s'y produisent. Nous continuerons le combat pour répondre au désarroi et au malheur des maires.

Mme Françoise Gatel et M. Loïc Hervé . - Très bien !

M. Arnaud de Belenet . - Le groupe La République en Marche salue lui aussi le travail réalisé et soutient le texte pour des raisons semblables à celles indiquées par Loïc Hervé, ce qui me dispense d'y revenir.

M. Philippe Bas , président . - Je me félicite de cette unanimité et m'associe aux compliments adressés à notre rapporteur. Voilà une proposition de loi du Sénat qui nous revient en deuxième lecture : ce n'est pas un miracle, mais c'est assez rare pour être relevé. Une solution est enfin apportée au problème du stationnement illicite des gens du voyage. Il faut aller plus loin, mais ne laissons pas passer cette chance. Le Sénat ne saurait s'enfermer dans une posture du « tout ou rien » qui n'est pas dans sa nature.

Mme Catherine Di Folco , rapporteur . - Je vous remercie de votre compréhension et de votre confiance.

La proposition de loi est adoptée.

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