Rapport n° 408 (2018-2019) de M. Loïc HERVÉ , fait au nom de la commission des lois, déposé le 27 mars 2019

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N° 408

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019

Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 mars 2019

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi tendant à sécuriser l' actionnariat des sociétés publiques locales et des sociétés d' économie mixte ,

Par M. Loïc HERVÉ,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; MM. Jean-Pierre Sueur, François-Noël Buffet, Jacques Bigot, Mmes Catherine Di Folco, Sophie Joissains, M. Arnaud de Belenet, Mme Nathalie Delattre, MM. Pierre-Yves Collombat, Alain Marc , vice-présidents ; M. Christophe-André Frassa, Mme Laurence Harribey, MM. Loïc Hervé, André Reichardt , secrétaires ; Mme Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Philippe Bonnecarrère, Mmes Agnès Canayer, Maryse Carrère, Josiane Costes, MM. Mathieu Darnaud, Marc-Philippe Daubresse, Mme Jacky Deromedi, MM. Yves Détraigne, Jérôme Durain, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Jean-Luc Fichet, Pierre Frogier, Mmes Françoise Gatel, Marie-Pierre de la Gontrie, M. François Grosdidier, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Jean Louis Masson, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Alain Richard, Vincent Segouin, Simon Sutour, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Catherine Troendlé, M. Dany Wattebled .

Voir les numéros :

Sénat :

303 et 409 (2018-2019)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION

Réunie le mercredi 27 mars 2019, sous la présidence de M. Philippe Bas, président, la commission des lois a examiné le rapport de M. Loïc Hervé, rapporteur, et établi son texte sur la proposition de loi n° 303 (2018-2019) tendant à sécuriser l'actionnariat des sociétés publiques locales et des sociétés d'économie mixte, présentée par Hervé Marseille et plusieurs de nos collègues.

Cette proposition de loi a pour objet d' expressément remettre en cause la jurisprudence du Conseil d'État issue de sa décision du 14 novembre 2018 .

Le juge impose désormais de manière prétorienne que chaque collectivité territoriale ou groupement de collectivités territoriales actionnaire d'une société publique locale (SPL) détienne l'ensemble des compétences sur lesquelles porte l'objet social de la société . La décision du 14 novembre dernier ne s'appliquait qu'aux seules SPL, mais les sociétés publiques locales d'aménagement (SPLA) et les sociétés d'économie mixte locales (SEML) devraient à terme être concernées puisqu'elles sont soumises à des dispositions similaires. Or, la majorité de ces sociétés sont capitalisées par des collectivités ou des groupements de collectivités qui ne détiennent pas l'ensemble des compétences sur lesquelles porte l'objet de ces sociétés.

La présente proposition de loi a pour but de contrer cette jurisprudence en précisant qu'une collectivité ou un groupement peut être actionnaire d'une SPL ou d'une SEML si elle est compétente pour au moins une activité comprise dans l'objet de cette société.

Votre commission a entièrement partagé l'objet de cette proposition . Les seuls amendements qu'elle a adoptés visaient, d'une part, à en clarifier la rédaction et, d'autre part, à en étendre le champ aux SPLA.

La commission des lois a adopté la proposition de loi ainsi modifiée .

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Les entreprises publiques locales (EPL) et l'économie mixte occupent aujourd'hui une place prépondérante à l'échelle de nos territoires. Ces sociétés de droit privé dont le capital est totalement ou partiellement public permettent de faire converger les moyens et les énergies pour conduire nombre de projets. Ces projets concernent aussi bien l'aménagement, l'immobilier ou les services publics locaux.

Leur succès rend les EPL incontournables. Il en existe 1 300 en activité, dont plus de 900 sociétés d'économie mixte locales (SEML) ainsi que plus de 350 sociétés publiques locales (SPL) et sociétés publiques locales d'aménagement (SPLA). Ensemble, elles représentent plus de 65 000 emplois, ont généré près de 14 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2017 et fournissent un logement à 1,4 million de personnes sur l'ensemble du territoire.

Ces sociétés courent aujourd'hui un danger grave. Par une décision du 14 novembre dernier, le Conseil d'État a décidé, de manière prétorienne, que chaque collectivité actionnaire doit désormais détenir l'ensemble des compétences sur lesquelles porte l'objet social de la société. D'un trait de plume, le juge a plongé dans l'incertitude la très grande majorité des EPL existantes et bloqué la plupart des projets de création. Cette jurisprudence ne s'appliquait qu'aux seules SPL, mais les SPLA et les SEML devraient également être concernées puisqu'elles sont soumises à des dispositions similaires. Or, la majorité de ces sociétés sont capitalisées par des collectivités ou des groupements de collectivités qui ne détiennent pas l'ensemble des compétences sur lesquelles porte l'objet de ces sociétés.

La proposition de loi n° 303 (2018-2019) tendant à sécuriser l'actionnariat des sociétés publiques locales et des sociétés d'économie mixte, déposée par Hervé Marseille et plusieurs de nos collègues, a pour but de contrer cette jurisprudence. Attendue par les territoires, cette proposition de loi est soutenue par quasiment tous les groupes de notre assemblée. Elle tend à préciser qu'une collectivité ou un groupement peut être actionnaire d'une SPL ou d'une SEML s'il est compétent pour au moins une activité comprise dans l'objet de cette société.

Votre commission a entièrement partagé l'objet de cette proposition. Les seuls amendements qu'elle a adoptés visaient, d'une part, à en clarifier la rédaction et, d'autre part, à en étendre le champ, notamment aux SPLA.

Elle a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.

I. L'ÉMERGENCE DES ENTREPRISES PUBLIQUES LOCALES

A. LES SOCIÉTÉS D'ÉCONOMIE MIXTE

Le développement de l'économie mixte

L'émergence des sociétés d'économie mixte est le corollaire de l'interventionnisme public dans l'économie. Comme le relevait la direction générale des collectivités locales en 2007, « jusqu'au début du XXe siècle, le juge admettait peu, ou pas du tout, l'intervention des collectivités territoriales dans le domaine économique, et ce pour trois motifs. D'abord, en raison du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, car les aides financières publiques faussent les règles de la concurrence. Ensuite, parce qu'il fallait assurer la protection des collectivités publiques contre le risque de faillite auquel s'expose tout opérateur privé. Enfin, parce qu'il était nécessaire de préserver les finances des collectivités territoriales, et donc les deniers publics, des risques financiers de ces interventions » 1 ( * ) .

La première guerre mondiale et l'après-guerre ont poussé la puissance publique à assurer le ravitaillement des populations alors que cette activité relevait auparavant de la seule sphère économique marchande 2 ( * ) . Par la suite, cet interventionnisme a été reconnu par la jurisprudence du Conseil d'État. Tout en relevant que « les entreprises ayant un caractère commercial restent, en règle générale, réservées à l'initiative privée », il soulignait que « les conseils municipaux ne peuvent ériger des entreprises de cette nature en services publics communaux que si, en raison de circonstances particulières de temps ou de lieu, un intérêt public justifie leur intervention en cette matière » 3 ( * ) . L'intérêt public est ici caractérisé par la carence ou l'insuffisance de l'initiative privée.

L'intervention des collectivités dans le domaine économique a été encouragée par un décret de 1955 4 ( * ) . Il prévoyait que l'intervention des communes et des départements pouvait être mise en oeuvre dans les domaines économiques et sociaux « notamment par voie d'exploitation directe ou par simple participation financière dans les organismes ou entreprises, même de forme coopérative ou commerciale, ayant pour objet la mise au point de projets, l'exécution de travaux présentant un caractère d'intérêt public ou l'exploitation de services publics, le ravitaillement et le logement de la population, les oeuvres d'assistance, d'hygiène et de prévoyance sociale ainsi que la réalisation d'améliorations urbaines et rurales » 5 ( * ) .

La crise économique des années 1970 a eu un impact significatif sur les sociétés d'économie mixte de construction du fait de la dépression connue par le marché de l'immobilier. Ces évènements ont notamment poussé à remettre en cause l'encadrement juridique de la participation des collectivités au sein d'entreprises privées au début des années 1980.

1. Les sociétés d'économie mixte locales

Les sociétés d'économie mixte locales actuelles ont été créées par la loi du 7 juillet 1983 6 ( * ) afin de doter les collectivités territoriales d'outils efficaces pour l'exercice de leurs nouvelles compétences liées à l'essor de la décentralisation . Leur régime est prévu aux articles L. 1521-1 et suivants du code général des collectivités territoriales (CGCT). Ce régime prévoit notamment que des collectivités territoriales ou d'autres personnes publiques peuvent constituer une SEML pour « réaliser des opérations d'aménagement 7 ( * ) , de construction , pour exploiter des services publics à caractère industriel ou commercial, ou pour toute autre activité d'intérêt général [...] des opérations de conception, réalisation, entretien ou maintenance ainsi que, le cas échéant, de financement d'équipements hospitaliers ou médico-sociaux pour les besoins d'un établissement de santé, d'un établissement social ou médico-social ou d'un groupement de coopération sanitaire » 8 ( * ) .

Les SEML sont constituées sous la forme de sociétés anonymes régies par le livre II du code de commerce. En conséquence, leur capital est divisé en actions et les actionnaires ne supportent les éventuelles pertes de la société qu'à concurrence de leurs apports. Le CGCT précise que « la participation des actionnaires autres que les collectivités territoriales et leurs groupements ne peut être inférieure à 15 % du capital social » 9 ( * ) .

En application de l'article L. 224-2 du code du commerce, le capital social des SEML doit s'élever au minimum à 37 000 € pour les sociétés anonymes ne faisant pas appel à l'épargne et à 225 000 € pour celles y faisant appel. Par dérogation, le CGCT précise que « le capital social doit être au moins égal à 225 000 euros pour les sociétés ayant dans leur objet la construction d'immeubles à usage d'habitation, de bureaux ou de locaux industriels, destinés à la vente ou à la location, et à 150 000 euros pour celles ayant dans leur objet l'aménagement » 10 ( * ) .

Le CGCT prévoit également des règles spécifiques qui encadrent les apports en compte courant des personnes publiques actionnaires des SEML 11 ( * ) . La nature, l'objet et la durée de l'apport doivent être précisés et le remboursement doit intervenir dans les deux années qui suivent le versement de cet apport 12 ( * ) . Son montant maximum est encadré et sa transformation en capital social ne peut permettre de déroger à la règle selon laquelle 15 % du capital des SEML doit être privé (voir supra ).

Le CGCT prévoit également les modalités spécifiques d'intervention des SEML lorsqu'elles sont titulaires d'une concession d'aménagement 13 ( * ) ou lorsqu'elles exercent une activité de construction ou de gestion de logements. Dans ce dernier cas, il est par exemple possible aux collectivités territoriales et à leurs groupements d'accorder « des subventions ou des avances destinées à des programmes de logements, et à leurs annexes, dont les financements sont assortis de maxima de loyers ou de ressources des occupants, déterminés par l'autorité administrative » 14 ( * ) . Ils peuvent également accorder « des subventions ou des avances destinées à des programmes d'intérêt général liés à la promotion économique du territoire ou à la gestion de services communs aux entreprises » 15 ( * ) .

Enfin, le CGCT prévoit des modalités de contrôle hybrides qui relèvent à la fois de la surveillance habituellement appliquée aux sociétés commerciales et des règles spécifiques applicables aux personnes publiques. Ainsi, les délibérations du conseil d'administration ou du conseil de surveillance et des assemblées générales ainsi que certains contrats conclus par la SEML, les comptes annuels et les rapports du commissaire aux comptes sont communiquée au préfet 16 ( * ) . Ce dernier dispose de la faculté de saisir la Chambre régionale des comptes compétente s'il détecte un risque financier pour les collectivités actionnaires 17 ( * ) . Un rapport spécial est également adressé aux collectivités actionnaires ou à leurs groupements actionnaires ainsi qu'au préfet lorsque la SEML exerce des prérogatives de puissance publique 18 ( * ) .

Les SEML ont pu se voir attribuer des délégations de service public ou des marchés publics de la part des collectivités actionnaires sans mise en concurrence jusqu'aux années 1990. Les évolutions du droit national et européen ont toutefois mis fin à cette situation et poussé à la création de nouvelles sociétés publiques.

2. Les sociétés d'économie mixte à opération unique

Le CGCT prévoit l'existence de sociétés d'économie mixte locales à opération unique (SEMOP) dont le régime juridique se rapproche significativement de celui des SEML 19 ( * ) . Alors que les collectivités actionnaires peuvent choisir librement les entités privées qui interviennent au capital d'une SEML puis mettre en concurrence cette SEML pour faire appel à ses services, le régime des SEMOP suit la logique inverse . Une collectivité ou un groupement de collectivités doit préalablement mettre en concurrence les entités privées souhaitant entrer au capital de la SEMOP . Une fois la SEMOP constituée, celle-ci n'a pas besoin d'être mise en concurrence pour effectuer l'opération unique prévue par son objet au profit de la collectivité ou du groupement qui l'a créée. De telles sociétés peuvent être créées pour « la réalisation d'une opération de construction, de développement du logement ou d'aménagement » 20 ( * ) , « la gestion d'un service public pouvant inclure la construction des ouvrages ou l'acquisition des biens nécessaires au service » 21 ( * ) ou « toute autre opération d'intérêt général relevant de la compétence de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales » 22 ( * ) .

B. LES SOCIÉTÉS PUBLIQUES LOCALES ET SOCIÉTÉS PUBLIQUES LOCALES D'AMÉNAGEMENT

1. L'émergence de la doctrine « in house » conduisant à mettre en concurrence les sociétés d'économie mixte

Le droit de la commande publique est fortement encadré par le droit de l'Union européenne dans la mesure où il concerne les libertés économiques nécessaires à la construction et au parachèvement du marché unique européen. Ce principe est d'ailleurs rappelé par le premier considérant de la directive 2014/24/UE sur la passation des marchés publics 23 ( * ) : « La passation de marchés publics par les autorités des États membres ou en leur nom doit être conforme aux principes du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment la libre circulation des marchandises, la liberté d'établissement et la libre prestation de services, ainsi qu'aux principes qui en découlent comme l'égalité de traitement, la non-discrimination, la reconnaissance mutuelle, la proportionnalité et la transparence » .

Ces principes impliquent la nécessaire mise en concurrence des candidats à l'attribution d'une commande publique mais ne fait pas obstacle à ce qu'une entité ou un pouvoir adjudicateur réponde à ses besoins par ses propres moyens, dans le cadre de régies. La jurisprudence européenne a toutefois considéré que certains acteurs économiques entretenaient un lien suffisamment étroit avec les pouvoirs et les entités adjudicateurs pour que ces derniers fassent appel à leurs services sans procédures d'appel d'offres.

La Cour de justice des communautés européennes (CJCE) a créé cette exception dite « in house » à l'occasion d'une première décision Teckal du 18 novembre 1999 24 ( * ) . Le juge y indique que l'acheteur public est exonéré d'appel d'offres lorsqu'il « exerce sur la personne en cause un contrôle analogue à celui qu'elle exerce sur ses propres services et où cette personne réalise l'essentiel de son activité avec la ou les collectivités qui la détiennent » . Par une décision du 11 janvier 2005 Stadt Halle 25 ( * ) , la CJCE est venue préciser que le critère du contrôle analogue ne pouvait être rempli par une société dont le capital comporte une part de capitaux privés, ce qui est obligatoirement le cas des sociétés d'économie mixte en droit français. L'obligation de mise en concurrence des sociétés d'économie mixte avait, par ailleurs, également été imposée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel 26 ( * ) .

Les critères dégagés par la jurisprudence européenne ont ensuite été repris par les directives de 2014 relatives aux marchés publics et aux concessions 27 ( * ) . Le critère de la part essentielle d'activité a été objectivé par un seuil fixé à 80 % du chiffre d'affaires du contractant et le critère de l'absence de capitaux privés a été dissocié de celui du contrôle analogue que doit exercer l'acheteur. Les trois critères ont été repris in extenso dans les ordonnances « marchés publics » 28 ( * ) et « concessions » 29 ( * ) puis dans le code de la commande publique 30 ( * ) qui les remplacera au 1 er avril 2019 .

2. La nécessité de créer des sociétés au capital intégralement public : les sociétés publiques locales d'aménagement et les sociétés publiques locales

Afin de respecter les critères « in house » , le législateur national a créé des sociétés de droit privé entièrement capitalisées par des personnes morales de droit public.

Les sociétés publiques locales d'aménagement (SPLA) prévues aux articles L. 327-1 et suivants du code de l'urbanisme ont d'abord été créées à titre expérimental, pour cinq ans, par la loi du 13 juillet 2006 dite « loi ENL » 31 ( * ) , avant d'être pérennisées par la loi du 28 mai 2010 32 ( * ) . Comme les SEML, les SPLA sont constituées sous forme de sociétés anonymes par renvoi aux dispositions du code de commerce 33 ( * ) . Elles sont exclusivement capitalisées par des collectivités territoriales ou des groupements de collectivités territoriales dont l'un doit détenir à lui seul la majorité des parts 34 ( * ) . Ces sociétés peuvent revêtir le caractère de SPLA « d'intérêt national » lorsqu'elles sont capitalisées par l'État ou un de ses établissements publics. Les SPLA « sont compétentes pour réaliser toute opération ou action d'aménagement au sens du présent code [de l'urbanisme] » 35 ( * ) . Elles peuvent, pour cela, se voir déléguer certains droits de préemption ou de priorité prévus par le code de l'urbanisme et peuvent agir par voie d'expropriation, sous certaines conditions 36 ( * ) . L'essentiel du régime juridique applicable aux SPLA est désormais basé sur celui des sociétés publiques locales (SPL) créées par la loi du 28 mai 2010 précitée.

L'existence des sociétés publiques locales (SPL) est prévue à l'article L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales depuis la loi du 28 mai 2010 précitée pour le développement des sociétés publiques locales 37 ( * ) . Leur régime est essentiellement basé sur celui des SEML , à la différence près que leurs actionnaires ne sont que des personnes de droit public et exclusivement des collectivités territoriales ou des groupements de collectivités territoriales .

Ces sociétés sont créées dans le cadre des compétences qui sont attribuées par la loi à leurs actionnaires . Leur objet social porte sur la réalisation de différentes opérations d'aménagement ou de construction ainsi que l'exploitation des services publics à caractère industriel ou commercial ou toutes autres activités d'intérêt général. Ces sociétés exercent leurs activités exclusivement pour le compte de leurs actionnaires et sur le territoire des collectivités territoriales et des groupements de collectivités territoriales qui en sont membres.

C. LA PLACE PRÉPONDÉRANTE DES ENTREPRISES PUBLIQUES LOCALES DANS LE DÉVELOPPEMENT LOCAL

La création des SPL est un véritable succès puisque 359 de ces sociétés ont été créées depuis 2010 et qu'une soixantaine de projets de création sont actuellement enregistrés 38 ( * ) . Comme le soulignent certains élus, « La plupart des SPL en activité sont soit des créations ex nihilo permettant aux collectivités locales d'intervenir dans de nouveaux champs comme la petite enfance, les énergies renouvelables ou le numérique, soit des transformations d'entités déjà existantes sous d'autres formes pour permettre aux élus d'en conserver la maîtrise tout en y introduisant un management innovant. Dans les deux cas, il est d'usage que les SPL rassemblent des collectivités locales de différents niveaux. Elles entendent ainsi se donner le maximum de chances lorsqu'elles investissent les nouveaux domaines précités, ou quand elles décident de rassembler désormais en une seule entité des missions complémentaires jusqu'alors exercées par plusieurs organismes, en particulier dans le tourisme, la mobilité ou la revitalisation des coeurs de ville » 39 ( * ) .

Les SEML demeurent également des outils prépondérants de l'action territoriale. Auditionnée par votre rapporteur, la Caisse des Dépôts a indiqué qu'il s'agissait d'un des principaux vecteurs lui permettant d'agir en faveur du développement économique des territoires , notamment par l'intermédiaire de la Banque des territoires.

État des entreprises publiques locales au 1 er juin 2018 40 ( * )

II. UNE PROPOSITION DE LOI EN RÉACTION À LA JURISPRUDENCE DU CONSEIL D'ÉTAT QUI CONÇOIT DE MANIÈRE RESTRICTIVE LE LIEN DE COMPATIBILITÉ ENTRE LES COMPÉTENCES DES ACTIONNAIRES ET L'OBJET D'UNE SPL

A. L'ÉMERGENCE D'UNE JURISPRUDENCE LIMITANT LA LIBERTÉ D'ACTION DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Par une décision rendue en cassation le 14 novembre 2018 41 ( * ) , le Conseil d'État a précisé la nature du lien de compatibilité devant exister entre les compétences des collectivités territoriales ou de leurs groupements actionnaires de la SPL et l'objet social de cette dernière . En effet, l'article L. 1531-1 du CGCT se contente d'énoncer que les SPL peuvent être créées par les collectivités territoriales et leurs groupements « dans le cadre des compétences qui leur sont attribuées par la loi » .

Devant le caractère sibyllin des dispositions en cause, deux options d'interprétation étaient possibles. Le choix de la souplesse a prévalu pour les juges de première instance et d'appel, pour qui les SPL ne sont qu'un outil au service des collectivités et groupements actionnaires (1). À l'inverse, le juge de cassation semble considérer les SPL comme le prolongement organique des collectivités qui en sont actionnaires. Il a opéré un virage rigoriste pour rejoindre une ligne d'interprétation déjà présente dans la jurisprudence administrative (2).

1. Une analyse fonctionnelle des SPL conduisant à l'interprétation souple des juges de première instance et d'appel

Le tribunal administratif de Clermont-Ferrand était saisi d'une demande du préfet du Puy-de-Dôme tendant à annuler la décision du 29 mai 2013 par laquelle le syndicat mixte pour l'aménagement et le développement des Combrailles (SMADC) avait accepté la transformation de la société d'économie mixte pour l'exploitation des réseaux d'eau potable et d'assainissement en société publique locale dénommée « société d'exploitation mutualisée pour l'eau, l'environnement, les réseaux, l'assainissement dans l'intérêt du public » (SEMERAP) et a approuvé le projet de statuts de la société.

Afin d'interpréter le lien de compatibilité devant exister entre l'objet social de la SPL et les compétences des collectivités et groupements actionnaires, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand saisi en première instance a considéré que « si les collectivités territoriales et leurs groupements ne peuvent être actionnaires d'une société publique locale dont l'objet social ne comporterait aucune des compétences attribuées à ceux-ci, en revanche, il ne résulte pas des dispositions précitées de l'article L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales que les actionnaires d'une société publique locale doivent être attributaires de l'ensemble des compétences regroupées dans l'objet social de la société publique locale » 42 ( * ) .

Le juge administratif présentait son raisonnement comme la conséquence logique des dispositions applicables, éclairées des débats parlementaires qui ont précédé l'adoption de la loi du 28 mai 2010 précitée. En ce sens, il considérait que « les sociétés publiques locales, qui revêtent la forme de société anonyme, ne constituent pas des établissements publics de coopération intercommunale à qui les membres adhérents transféreraient leurs compétences » , mais que ces sociétés sont « de simples outils d'intervention économique mis à la disposition des collectivités publiques afin qu'elles puissent assurer, le cas échéant et sous certaines conditions, la réalisation d'opérations dites de ?"prestations intégrées", non soumises aux procédures de passation des marchés publics ».

La cour administrative d'appel de Lyon traduisait cette acception souple en des termes différents, en considérant que le droit applicable fait « obstacle à ce qu'une [...] personne publique puisse être membre d'une société publique locale dont la partie prépondérante des missions outrepasserait son domaine de compétence » 43 ( * ) . Le juge d'appel a estimé que son considérant de principe était la conséquence directe des dispositions du CGCT lues à la lumière du droit européen de la commande publique.

Il privilégiait, lui aussi, une analyse fonctionnelle des SPL en considérant qu'il ne s'agit que d'un moyen donné aux collectivités territoriales et à leurs groupements pour éviter d'être soumis au droit de la commande publique .

Pour résumer cette logique, l'objet de la SPL ne peut pas être plus large que la somme des compétences des collectivités et des groupements qui en sont actionnaires et chaque actionnaire peut ne détenir que certaines des compétences en lien avec l'objet de la SPL pour justifier la détention de ses parts. Une fois cette condition préalable remplie, chaque actionnaire qui respecte les critères fixés par le droit européen, dont celui du contrôle analogue sur la SPL, peut exercer ses propres compétences au travers de la SPL.

Cette conception n'a toutefois pas été partagée par le Conseil d'État, juge de cassation.

2. Une interprétation organique des SPL justifiant le virage rigoriste du Conseil d'État

Dans sa décision du 14 novembre 2018, le Conseil d'État a pris le contre-pied des décisions de première instance et d'appel en considérant que « la participation d'une collectivité territoriale ou d'un groupement de collectivités territoriales à une société publique locale, qui lui confère un siège au conseil d'administration ou au conseil de surveillance et a nécessairement pour effet de lui ouvrir droit à participer au vote des décisions prises par ces organes, est exclue lorsque cette collectivité territoriale ou ce groupement de collectivités territoriales n'exerce pas l'ensemble des compétences sur lesquelles porte l'objet social de la société ».

La référence à la participation de la collectivité ou du groupement actionnaire aux instances de contrôle de la SPL montre que le juge de cassation n'aborde plus la SPL comme un outil au service de ses actionnaires mais comme leur prolongement organique. Le Conseil d'État semble ici considérer que si le représentant d'une collectivité participe à la gouvernance d'une société dont l'objet dépasse ses propres compétences, alors cette collectivité pourra, de fait, exercer des compétences qui ne lui sont pas attribuées par la loi. La conséquence de ce raisonnement est que chaque collectivité ou groupement actionnaire doit posséder l'ensemble des compétences correspondant à l'objet de la SPL, nonobstant les exceptions explicitement prévues par la loi 44 ( * ) .

Bien que différente de celles exprimées par les juges de première instance et d'appel statuant en l'espèce, la position prise par le Conseil d'État avait déjà été exprimée par plusieurs juridictions administratives de niveau inférieur à l'occasion d'affaires antérieures 45 ( * ) .

Le principe de cette jurisprudence paraît difficilement contournable pour les collectivités territoriales ou leurs groupements car le droit applicable ne semble pas leur permettre de renoncer à leurs prérogatives de gouvernance de la SPL au profit d'une simple capitalisation. Le code général des collectivités territoriales garantit au contraire leur représentation au conseil d'administration ou au conseil de surveillance de la SPL, même lorsqu'une collectivité ne détient qu'une faible fraction du capital social 46 ( * ) . Ces garanties sont d'ailleurs rappelées par le Conseil d'État pour justifier son considérant de principe. En outre, un apport libéré dans de telles conditions pourrait être requalifié de subvention et soumis aux règles applicables en matière d'aide publique aux entreprises.

Comme le souligne la doctrine, la problématique relative au lien de compatibilité entre compétences des collectivités et groupements actionnaires et objet social de la SPL est indépendante de celle des règles européennes applicables en matière d'« in house » , puisque « aucune restriction n'apparaît, dans la jurisprudence européenne, quant à l'objet susceptible d'être confié à une telle société. Les seuls véritables critères fixés au niveau européen tiennent au contrôle exercé par la collectivité territoriale » 47 ( * ) .

En conséquence, les travaux préparatoires de la loi du 28 mai 2010 précitée ne peuvent être mis à profit pour trancher le débat, puisqu'ils se focalisent principalement sur la soustraction des SPL aux règles de la commande publique 48 ( * ) . Ce point était d'ailleurs souligné dans le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand précité.

B. DES EFFETS DÉVASTATEURS POUR L'ÉCONOMIE MIXTE LOCALE

Si la position du Conseil d'État peut se prévaloir d'une justification théorique, son application a des effets dévastateurs pour l'action des entreprises publiques locales.

Le premier risque que cette jurisprudence fait courir est d'ordre juridique. Son application pourrait conduire à remettre en cause la légalité des actes par lesquelles des collectivités ou groupements actionnaires ont participé aux SPL alors qu'ils ne détenaient pas l'ensemble des compétences correspondant à l'objet de la SPL. En effet, de nombreuses entreprises publiques locales existantes ne répondent pas au nouveau critère imposé par le Conseil d'État et ce dernier pourrait également être appliqué mutatis mutandis aux SEML dont le régime est relativement similaire.

Le deuxième risque est économique puisque les SPL ne peuvent exercer leur activité qu'au profit des collectivités ou groupements qui en sont actionnaires. Restreindre le nombre de collectivités ou de groupements pouvant être actionnaires revient à restreindre les « clients » potentiels de la SPL et aura donc un effet négatif direct sur leur chiffre d'affaires.

En ce sens, les auditions conduites par votre rapporteur ont révélé qu'une application stricte de la jurisprudence du Conseil d'État porterait une atteinte immédiate à la viabilité économique d'un grand nombre de SPL . Le retrait de certaines collectivités rendrait impossible l'exécution de certains contrats majeurs et mettrait la société en très graves difficultés financières. Sept de ces cas létaux ont été relevés au cours des auditions.

Enfin, le troisième risque induit par la jurisprudence est d'ordre politique, puisqu'elle porte atteinte à la conduite de projets locaux. De nombreux projets d'EPL se trouvent bloqués dans les territoires dans la mesure où ils ne répondent pas aux nouveaux critères du Conseil d'État. En l'état, la jurisprudence du Conseil d'État sonne également le glas des EPL et des SEML « multicouches » , capitalisées par des collectivités territoriales de différents niveaux dès lors qu'elles ne disposent pas nécessairement des mêmes compétences.

C. UNE PROPOSITION DE LOI AYANT POUR OBJET PRINCIPAL D'ASSOUPLIR LE LIEN DE COMPATIBILITÉ ENTRE LES COMPÉTENCES DES ACTIONNAIRES ET L'OBJET DES SPL ET DES SEML

L'objet de la présente proposition de loi vise à faire obstacle à la nouvelle jurisprudence du Conseil d'État en ce qu'elle remet gravement en cause le fonctionnement des entreprises publiques locales.

1. L'article premier relatif aux SPL

L'article 1 er de la proposition de loi tend ainsi à préciser qu' « aucune collectivité ou groupement de collectivités ne peut participer au capital d'une société publique locale s'il ne détient pas au moins une compétence sur laquelle porte l'objet social de la société » . Il vient donc remettre expressément en cause la jurisprudence du Conseil d'État qui impose que toutes les compétences soient détenues par les actionnaires.

Cet article tend également à préciser que les différentes activités entrant dans l'objet social d'une SPL doivent être complémentaires. Cette condition de complémentarité est déjà applicable puisqu'elle est prévue par les dispositions du CGCT relatives aux SEML auxquelles renvoie l'article L. 1531-1 du même code qui porte sur les SPL.

Enfin, l'article 1 er tend à préciser que les SPL ne peuvent réaliser pour leurs actionnaires que des missions relevant de leurs propres compétences.

2. L'article 2 relatif aux SEML

Le second article de la proposition de loi anticipe l'application mutatis mutandis de la jurisprudence du Conseil d'État aux SEML . Il tend à préciser que chacun des actionnaires doit être compétent au moins pour l'une des activités couvertes par l'objet social de la SEML.

III. DES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR VOTRE COMMISSION NE VISANT QU'À RENFORCER LA PORTÉE DE LA PROPOSITION DE LOI SANS EN CHANGER LE SENS

Votre rapporteur soutient la volonté de l'auteur de la proposition de loi. L'adaptation législative qu'elle prévoit est, par ailleurs, jugée « indispensable » par une partie de la doctrine 49 ( * ) afin de clore le débat relatif à l'objet social des EPL et d'opter pour une solution plus souple, dans l'intérêt des collectivités territoriales et de leurs groupements.

A. DES DISPOSITIONS CLARIFIÉES

1. La clarification de l'article 1er relatif aux SPL

Par l'adoption d'un amendement COM 6 , votre commission a tenu à clarifier la rédaction de l'article 1 er visant à assouplir le lien de compatibilité entre objet d'une SPL et compétences de ses actionnaires.

Cette nouvelle rédaction supprime la mention initiale selon laquelle chaque actionnaire est compétent pour au moins une activité incluse dans l'objet de la SPL. En effet , les compétences des collectivités ou groupements ne portent pas, à proprement parler, sur l'objet des SPL dont elles sont actionnaires. La nouvelle rédaction tient compte du fait que les collectivités ou groupement créent des SPL pour que la réalisation de l'objet de ces sociétés permette l'exercice de leurs compétences.

La nouvelle rédaction de l'article conserve la mention explicite de la complémentarité des activités des sociétés publiques locales au sein de l'article L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales.

Enfin, la nouvelle rédaction ne conserve pas la mention selon laquelle « aucune collectivité ou groupement de collectivités ne peut participer au capital d'une société publique locale s'il ne détient pas au moins une compétence sur laquelle porte l'objet social de la société. » . Cette mention apparaît redondante puisque le premier alinéa de l'article L. 1531-1 précise d'ores et déjà explicitement que les SPL sont créées par leurs actionnaires « dans le cadre des compétences qui leur sont reconnues par la loi » .

2. La clarification de l'article 2 relatif aux SEML

Comme pour les SPL, votre commission a également réécrit l'article 2 de la proposition de loi par l'adoption de l'amendement COM 7 afin de tenir compte des liens existants entre les compétences des collectivités actionnaires et l'objet des SEML .

Par souci de cohérence et de lisibilité, l'amendement intègre ces précisions au sein de l'article L. 1522-1 du code général des collectivités territoriales qui porte spécifiquement sur les règles applicables à la prise de participations de ces sociétés et non à l'article L. 1521-1 du même code.

B. DES DISPOSITIONS ÉTENDUES

1. L'élargissement du champ de la proposition de loi aux SPLA et SPLA d'intérêt national

Par l'adoption de l'amendement COM 8 , votre commission a étendu aux SPLA et SPLA d'intérêt national les dispositions de la proposition de loi initialement applicables aux seules SPL et SEML. En conséquence, votre commission a adopté l'amendement COM 10 afin d'adapter l'intitulé de la proposition de loi cet élargissement. En englobant désormais les SPL, les SPLA et les SEML, elle vise désormais la très grande majorité des entreprises publiques locales.

2. L'application de la loi aux entreprises publiques locales créées antérieurement à son entrée en vigueur

Une application stricte de la jurisprudence du Conseil d'État du 14 novembre 2018 porterait une atteinte immédiate à la viabilité économique d'un grand nombre d'entreprises publiques locales (voir supra ). Le retrait de certaines collectivités rendrait impossible l'exécution de certains contrats majeurs et mettrait certaines sociétés en très grave difficulté financière.

La sécurisation de l'actionnariat des entreprises publiques locales existantes constitue donc un impérieux motif d'intérêt général justifiant l'application de la présente loi aux sociétés constituées antérieurement à sa publication. Tel est l'objet de l'amendement COM 9 adopté par votre commission.

3. L'application des dispositions de la proposition de loi outre-mer

Un amendement sera déposé au stade de la séance pour prévoir les modalités d'application outre-mer de la présente proposition de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

__________

MERCREDI 27 MARS 2019

M. Loïc Hervé , rapporteur . - Nous connaissons tous parfaitement la place prépondérante des entreprises publiques locales, dites EPL, et de l'économie mixte dans nos territoires. Ces sociétés de droit privé dont le capital est totalement ou partiellement public permettent de faire converger les moyens et les énergies pour conduire nombre de projets, concernant aussi bien l'aménagement, l'immobilier que les services publics locaux.

La Caisse des dépôts et consignations nous l'a confirmé lors de son audition, les sociétés publiques locales (SPL), les sociétés publiques locales d'aménagement (SPLA) et les sociétés d'économie mixte locales (SEML) sont des éléments clés du dynamisme de nos territoires.

Leur succès rend aujourd'hui les EPL incontournables. Il en existe 1 300 en activité, dont plus de 900 SEML, et plus de 350 SPL et SPLA. Ensemble, elles représentent plus de 65 000 emplois, près de 14 milliards d'euros de chiffre d'affaires et fournissent un logement à 1,4 million de personnes en France.

Ces sociétés courent aujourd'hui un grave danger. Par une décision du 14 novembre dernier, le Conseil d'État a imposé que chaque collectivité actionnaire détienne désormais l'ensemble des compétences sur lesquelles porte l'objet social de la société.

D'un trait de plume, le juge a plongé dans l'incertitude la très grande majorité des EPL existantes et bloqué la plupart des projets de création. Cette jurisprudence ne s'appliquait qu'aux SPL, mais on peut penser que les SPLA et les SEML seront également concernées puisqu'elles sont soumises à des dispositions similaires. Or la majorité de ces sociétés sont capitalisées par des collectivités ou des groupements de collectivités ne détenant pas l'ensemble des compétences sur lesquelles porte leur objet.

En l'état, cette jurisprudence sonne donc le glas des EPL « multicouches » et de la coopération inter-collectivités.

Plus grave, une SPL ne peut exercer son activité que pour le compte des collectivités ou des groupements qui en sont actionnaires. Réduire le nombre de collectivités autorisées à participer au capital limite donc le nombre de « clients » de la SPL et porte une atteinte, parfois insurmontable, à sa viabilité économique.

Les territoires attendent une réponse rapide et efficace du législateur pour contrer cette jurisprudence. Je suis sûr que vous avez quasiment tous reçu des demandes en ce sens.

C'est précisément l'objet de la proposition de loi déposée par Hervé Marseille et soutenue par pratiquement tous les groupes de notre assemblée. Ce texte tend à préciser que la possibilité d'être actionnaire d'une SPL ou d'une SEML est ouverte à toute collectivité ou groupement ayant compétence pour, au moins, une activité comprise dans l'objet de cette société. Je remercie son auteur d'avoir avancé cette mesure, que je soutiens totalement.

Les amendements déposés par mes soins, avec l'accord d'Hervé Marseille, sont essentiellement techniques. Ils visent à clarifier les dispositions de la proposition de loi et à en étendre le champ.

Ainsi, pour plus de clarté, j'ai souhaité que seules des dispositions strictement nécessaires à la mise en échec de la jurisprudence du Conseil d'État soient introduites, afin de ne pas bouleverser inutilement le droit applicable.

J'ai également souhaité que la formulation retenue lève toute ambiguïté sur le rôle des entreprises publiques locales, qui sont des prestataires, et non des EPCI. Sociétés commerciales strictement tenues par leur objet social, les EPL n'exercent aucune compétence en lieu et place des collectivités actionnaires ; elles fournissent des prestations, pour leur compte et sous leur contrôle, afin que celles-ci exercent leurs compétences.

S'agissant de l'extension du champ de la proposition de loi, j'ai déposé un amendement pour que celle-ci s'applique aussi aux SPLA et aux SPLA d'intérêt national, afin de protéger ces dernières contre les effets de cette jurisprudence, mais aussi de garder l'homogénéité du droit applicable aux différentes EPL.

Un autre de mes amendements tend à valider l'actionnariat des EPL existantes qui ne respectent pas le nouveau critère fixé par le Conseil d'État.

Enfin, je vous informe qu'un amendement sera déposé, au stade de l'examen en séance, pour prévoir les modalités d'application outre-mer de cette proposition. Le sujet est complexe et il nous faut encore y réfléchir.

M. Philippe Bas , président . - Chacun d'entre nous a pu expérimenter les difficultés engendrées par le caractère trop rigide de la législation sur les sociétés publiques locales et les sociétés d'économie mixte locales. J'imagine donc que cet assouplissement sera bien accueilli au sein de la commission.

M. Pierre-Yves Collombat . - Je partage totalement les mesures avancées dans cette proposition de loi et l'objectif que l'on cherche à atteindre. Mais où est le problème ? On nous explique que l'un des considérants de la jurisprudence du Conseil d'État exclut la participation d'une collectivité ou d'un groupement n'exerçant pas l'ensemble des compétences : le Conseil d'État a donné raison à la collectivité, et non au préfet ! Je reste donc sur ma faim, mais, après tout, tant mieux si la proposition de loi permet de régler un faux problème !

M. Loïc Hervé , rapporteur . - Dans tout le pays, les préfets envoient des courriers aux EPL en cours de création ou s'intéressent à celles qui sont déjà créées. Plus qu'un émoi, c'est une difficulté qui se pose partout !

M. Pierre-Yves Collombat . - Mais le Conseil d'État a donné raison à la collectivité...

M. Loïc Hervé , rapporteur . - Il a aussi posé un considérant de principe, qui est problématique.

M. Alain Richard . - Le Conseil d'État fixe une règle et considère qu'elle ne s'applique pas en l'espèce.

M. Pierre-Yves Collombat . - Du coup, on n'y comprend rien du tout !

EXAMEN DES ARTICLES

M. Loïc Hervé , rapporteur . Avant de passer à l'examen des amendements, je souhaite formuler deux remarques.

Conformément aux souhaits du président du Sénat, je vous précise que tous les amendements de séance ne portant pas sur le régime juridique des EPL seront susceptibles d'être déclarés irrecevables au titre de l'article 45 de la Constitution.

Par ailleurs, les dispositions de la présente proposition de loi sont attendues de toute urgence dans les territoires. Afin de favoriser une adoption rapide, Hervé Marseille et moi-même tenons à ce que tout amendement éloigné de son objet initial soit écarté. Trop élargir le champ du texte aurait pour conséquence de rompre le consensus qui l'entoure et prolongerait d'autant la navette parlementaire. Nous ne pouvons pas nous le permettre !

Article 1 er

M. Loïc Hervé , rapporteur . - Mon amendement COM-6 tend à clarifier la rédaction de l'article 1 er et limiter au minimum les modifications apportées au code général des collectivités territoriales.

L'amendement COM-6 est adopté.

M. Loïc Hervé , rapporteur . - L'amendement du Gouvernement COM-4 devient, de ce fait, sans objet. Je précise toutefois que je n'étais pas favorable à cette rédaction. En l'absence d'une signification claire des termes « part significative », celle-ci était susceptible de nous exposer à plusieurs années d'élaboration de jurisprudence et d'insécurité juridique.

M. Jacques Bigot . - Le dépôt de cet amendement confirme la nécessité de la proposition de loi. Derrière les recours et interrogations des préfets, se trouve la volonté de l'administration centrale de freiner le développement des SPL, qui sont des sociétés « in-house », permettant d'éviter la complexité des sociétés d'économie mixte et la mise en concurrence.

M. Loïc Hervé , rapporteur . - Je partage cette analyse. Les services de la Direction générale des collectivités locales affichent une forme de défiance à l'égard de l'économie mixte. C'est regrettable car les outils proposés dans ce cadre sont très opérationnels et adaptés aux réalités de terrain. Effectivement, cela justifie encore plus le dépôt de ce texte, venant, a contrario , confirmer l'intérêt du législateur pour cette économie mixte et pour les SPL.

Mme Brigitte Lherbier . - Je rejoins le rapporteur : pourquoi enrayer un processus qui fonctionne ?

L'amendement COM-4 devient sans objet.

Article 2

M. Loïc Hervé . - Mon amendement COM-7 vise à appliquer aux SEML les efforts de clarté et de concision que nous avons voulus pour les SPL.

L'amendement COM-7 est adopté.

Les amendements COM-3 , COM-5 et COM-2 rectifié quater deviennent sans objet.

Articles additionnels après l'article 2

M. Loïc Hervé , rapporteur . - L'amendement COM-1 tend à prévoir l'assouplissement du régime de cession de parts de SEML par les départements. Comme je l'ai indiqué, je ne souhaite pas étendre le champ de la proposition de loi au-delà de son objet premier. L'avis est défavorable.

L'amendement COM-1 n'est pas adopté.

M. Loïc Hervé , rapporteur . - Mon amendement COM-8 vise à étendre la clarification prévue aux articles 1 et 2 aux sociétés publiques locales d'aménagement et aux sociétés publiques locales d'aménagement d'intérêt national.

L'amendement COM-8 est adopté.

M. Loïc Hervé . - La sécurisation de l'actionnariat des EPL existantes constitue un impérieux motif d'intérêt général, justifiant l'application de la présente loi aux sociétés constituées antérieurement à sa publication. C'est l'objet de mon amendement COM-9 .

L'amendement COM-9 est adopté.

Intitulé de la proposition de loi

M. Loïc Hervé , rapporteur . - En englobant désormais les sociétés publiques locales, les sociétés publiques locales d'aménagement et les sociétés d'économie mixte locales, la proposition de loi vise la très grande majorité des EPL. Mon amendement COM-10 tend à adapter son intitulé en conséquence.

L'amendement COM-10 est adopté.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1 er

M. Loïc HERVÉ, rapporteur

6

Clarification de la rédaction de l'article 1 er

Adopté

Le Gouvernement

4

Réécriture de l'article 1er de la proposition de loi par le Gouvernement

Satisfait ou sans objet

Article 2

M. Loïc HERVÉ, rapporteur

7

Harmonisation de l'écriture de l'article 2 avec l'article 1 er

Adopté

M. de BELENET

3

Correction d'une erreur matérielle

Satisfait ou sans objet

Le Gouvernement

5

Réécriture de l'article 2 par le Gouvernement

Satisfait ou sans objet

Mme BERTHET

2 rect. quater

Élargissement du champ de compétence géographique des SEML.

Satisfait ou sans objet

Articles additionnels après l'article 2

M. GRAND

1

Assouplissement du régime de cession de parts de SEML

Rejeté

M. Loïc HERVÉ, rapporteur

8

Élargissement du champ de la proposition de loi aux SPLA

Adopté

M. Loïc HERVÉ, rapporteur

9

Validation des EPL existantes

Adopté

Intitulé de la proposition de loi

M. Loïc HERVÉ, rapporteur

10

Adaptation de l'intitulé à l'élargissement du champ du texte

Adopté

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
ET CONTRIBUTIONS ÉCRITES

M. Hervé Marseille , auteur de la proposition de loi

Ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales - Direction générale des collectivités locales

M. Bruno Delsol , directeur général

M. Arnaud Menguy , sous-directeur des finances locales et de l'action économique

Mme Magali Roques , cheffe du bureau des interventions économiques et de l'aménagement du territoire

Ministère de l'économie et des finances - Direction des affaires juridiques

M. Benoît Dingremont , sous-directeur, sous-direction du droit de la commande publique

M. Clément Demas , adjoint au chef du bureau de la règlementation générale de la commande publique

Caisse des Dépôts Groupe

M. Pierre Chevalier , directeur juridique et fiscal

M. Antoine Troesch , directeur des investissements - Banque des territoires

Mme Isabelle Bonnaud-Jouin , responsable économie mixte - Banque des territoires

M. Philippe Blanchot , directeur des relations institutionnelles

Association des régions de France

M. Jules Nyssen , directeur général

Mme Marie-Reine du Bourg , conseillère aux relations parlementaires, Parlement français et européen

Association des communautés de France

M. Olivier Crépin , conseiller économie

France urbaine

M. Franck Claeys , directeur économie et finances territoriales

Fédération des entreprises publiques locales

M. Jean-Marie Sermier , président

M. Thierry Durnerin , directeur général

Personnalité qualifiée

M. Gilles Le Chatelier , avocat associé du cabinet ADAMAS

Contributions écrites

Association des maires de France

Assemblée des départements de France


* 1 Le guide des sociétés d'économie mixte locales, Direction générale des collectivités locales, La documentation Française, 2007, page 7.

* 2 Voir les décrets-lois Poincaré des 5 novembre et 28 décembre 1926.

* 3 Conseil d'État, section, 30 mai 1930, Chambre syndicale de commerce en détail de Nevers, n° 06781.

* 4 Décret n° 55-579 du 20 mai 1955 relatif aux interventions des collectivités locales dans le domaine économique.

* 5 Ibidem, article 1 er applicable aux communes auquel renvoie l'article 3 applicable aux départements.

* 6 Loi n° 83-597 du 7 juillet 1983 relative aux sociétés d'économie mixte locales.

* 7 L'article L. 1523-2 du CGCT prévoit des règles spécialement applicables aux contrats de concession d'aménagement conclus entre une collectivité ou un groupement de collectivités et une SEML.

* 8 Article L. 1521-1du CGCT.

* 9 Article L. 1522-2 du CGCT.

* 10 Article L. 1522-3 du CGCT.

* 11 Article L. 1522-5 du CGCT.

* 12 Ibidem.

* 13 Articles L. 1523-2 et suivants du CGCT.

* 14 Article L. 1523-5 du CGCT.

* 15 Article L. 1523-7 du CGCT.

* 16 Article L. 1524-1 du CGCT.

* 17 Article L. 1524-2 du CGCT.

* 18 Article L. 1524-3 du CGCT.

* 19 Articles L. 1541-1 et suivants du CGCT.

* 20 Article L. 1541-1 du CGCT.

* 21 Ibidem .

* 22 Ibidem .

* 23 Directive 2014/24/UE du Parlement européen et du conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE.

* 24 CJCE, 18 novembre 1999, affaire C-107/98.

* 25 CJCE, 11 janvier 2005, Stadt Halle, affaire C-26/03.

* 26 Conseil constitutionnel, décision n° 92-316 DC du 20 janvier 1993, considérants 49 et suivants.

* 27 Article 13 de la directive 2014/23/UE du 26 février 2014 sur l'attribution de contrats de concession, article 12 de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE et article 28 de la directive 2014/25/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 relative à la passation de marchés par des entités opérant dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux et abrogeant la directive 2004/17/CE.

* 28 Article 17 de l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics.

* 29 Article 16 de l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession.

* 30 Articles L. 2511-1 et suivants du code de la commande publique en ce qui concerne les marchés publics et articles L. 3211-1 du même code en ce qui concerne les concessions.

* 31 Loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement.

* 32 Loi n° 2010-559 du 28 mai 2010 pour le développement des sociétés publiques locales.

* 33 L'article L. 327-1 du code de l'urbanisme renvoie au livre II du code de commerce.

* 34 Article L. 327-2 du code de l'urbanisme.

* 35 Ibidem .

* 36 Article L. 327-1 du code de l'urbanisme.

* 37 Loi n° 2010-559 du 28 mai 2010 pour le développement des sociétés publiques locales.

* 38 Chiffres issus de la tribune Sociétés publiques locales : revenons à l'esprit du législateur !, du 21 février 2019, cosignée par MM. Daniel Raoul, Jean-Léonce Dupont Jean-Pierre Schosteck, Jean-Pierre Balligand et André Chassaigne.

* 39 Ibidem.

* 40 Source : Infographie extraite de « EPLscope 2018 » , édité par la Fédération des EPL.

* 41 Conseil d'État, 14 novembre 2018, n° 405628.

* 42 TA Clermont-Ferrand, 1 er juillet 2014, n° 1301728.

* 43 Cour administrative d'appel de Lyon, chambres réunies, 4 octobre 2016, n° 14LY02753.

* 44 La décision du Conseil d'État fait référence au cas prévu par l'article L. 1521-1 du code général des collectivités territoriales qui vise les communes actionnaires de sociétés d'économie mixte locales, mais rendu applicable aux SPL par renvoi opéré par l'article L. 1531-1 du même code. Cet article dispose qu'une commune actionnaire d'une SEML dont l'objet social s'inscrit dans le cadre d'une compétence qu'elle a intégralement transférée à un établissement public de coopération intercommunale peut continuer à participer au capital de cette société à condition qu'elle cède à l'établissement public de coopération intercommunale plus des deux tiers des actions qu'elle détenait antérieurement au transfert de compétences.

* 45 Voir notamment, TA de Rennes, 11 avril 2013, n° 1203243, 1203244, 1203245, 1203246, 1203247, 1203248 et CAA Nantes, 19 septembre 2014, n° 13NT01683, Syndicat intercommunal de la Baie et autres.

* 46 Article L. 1524-5 du code général des collectivités territoriales rendu applicable aux SPL par renvoi opéré par l'article L. 1531-1 du même code.

* 47 Stéphanie Damarey, Quels actionnaires pour une société publique locale ? AJDA 2017, p. 62 et suivantes.

* 48 Voir notamment le rapport n° 430 (2008-2009) fait, en première lecture, au nom de la commission des lois du Sénat, par M. Jacques Mézard, rapporteur, disponible à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/rap/l08-430/l08-4301.pdf

* 49 L'essor des sociétés publiques locales (SPL) passe par une modification de la loi, Gilles Le Chatelier, Avocat associé cabinet ADAMAS, professeur associé à l'ENS de Lyon, AJ Collectivités Territoriales 2018 p. 263.

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