II. LE PROJET DE LOI : LA COLLECTIVITÉ EUROPÉENNE D'ALSACE, UN PEU PLUS QU'UN DÉPARTEMENT

Ce texte, conforme dans ses grandes lignes à la déclaration commune du 29 octobre 2018, ne constitue certes pas une révolution. La Collectivité européenne d'Alsace, issue de la fusion de deux départements, continuerait - malgré sa dénomination - d'appartenir à la catégorie juridique des départements. Elle en exercerait les compétences et se verrait attribuer, de surcroît, des compétences particulières limitées et justifiées par ses spécificités.

A. UN DÉPARTEMENT EXERÇANT DES COMPÉTENCES PARTICULIÈRES

Dans un avis du 7 décembre 2017 10 ( * ) , le Conseil d'État, s'appuyant sur la jurisprudence constitutionnelle, a rappelé qu' il n'est permis au législateur d'attribuer des compétences différentes à des collectivités territoriales d'une même catégorie que pour des raisons d'intérêt général ou en raison d'une différence de situation . Il n'y a là qu'une application du principe d'égalité qui, selon un considérant de principe du Conseil constitutionnel, « ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit ». Les différences de compétences entre collectivités d'une même catégorie doivent en tout état de cause rester limitées, car l'article 72 de la Constitution implique que les collectivités territoriales de droit commun - communes, départements et régions - disposent, au sein de chaque catégorie, d'un même statut et des mêmes compétences.

Le projet de loi du Gouvernement semble bien se conformer à ces principes.

1. Le rôle de chef de file en matière de coopération transfrontalière

L' article 1 er du projet de loi tend à reconnaître à la Collectivité européenne d'Alsace la qualité de chef de file de la coopération transfrontalière sur son territoire . Cette compétence particulière vise à donner à cette dernière des moyens supplémentaires d'action en matière de coopération transfrontalière. Elle a semblé à votre commission se justifier par les spécificités historiques, géographiques et économiques de l'Alsace, territoire au coeur de l'Europe et tourné vers l'Allemagne et la Suisse.

À ce titre, la Collectivité européenne d'Alsace élaborerait un schéma alsacien de la coopération transfrontalière, en associant l'ensemble des collectivités territoriales concernées. Ce schéma comporterait un volet opérationnel définissant les modalités de mise en oeuvre du schéma, le déclinant par projets et définissant les collectivités en charge de sa réalisation. Un mécanisme de délégation ad hoc est défini, reposant sur une approche par projets et non par compétence déléguée.

2. La promotion du bilinguisme

Dans le domaine de la promotion des langues régionales et du bilinguisme, l' article 1 er dispose également que des recrutements complémentaires de personnels chargés de dispenser un enseignement en langue et culture régionales seront prévus par voie conventionnelle entre l'État et la Collectivité européenne d'Alsace. Ces dispositions, dépourvues de réelle portée normative, ont néanmoins une valeur programmatique.

3. La coordination de la politique touristique

L' article 2 du projet de loi tend à confier à la Collectivité européenne d'Alsace la responsabilité de l'animation et de la coordination de l'action touristique des collectivités et des autres acteurs concernés sur son territoire, en cohérence avec le schéma régional de développement du tourisme et des loisirs. Ici encore, le Conseil d'État, estimant ces dispositions sans portée normative, souhaitait les écarter.

4. Le transfert de la voirie nationale

Enfin, le projet de loi prévoit de transférer à la Collectivité européenne d'Alsace , dès la date de sa création, l'ensemble des routes nationales et des autoroutes non concédées situées sur son territoire ( article 3 ). On ne peut parler de l'attribution d'une nouvelle compétence, puisque les départements sont déjà propriétaires d'une grande partie de la voirie publique et exercent les attributions qui y sont liées (police de la conservation et de la circulation, service public routier). En revanche, il s'agit bien d' un transfert de propriété sans précédent , puisque toutes les autoroutes appartiennent jusqu'ici au domaine public routier de l'État. La déclaration commune justifiait ce transfert par la nécessité de donner à la nouvelle collectivité les moyens de juguler le trafic routier sur son territoire, notamment celui des poids lourds dont les flux se sont reportés du côté français de la frontière depuis l'instauration outre-Rhin d'une redevance kilométrique dénommée LKW Maut en 2005.

Encore faut-il, nous le verrons, que la Collectivité européenne d'Alsace dispose des moyens juridiques d'agir et ne se voie pas seulement transférer les charges liées à l'entretien du réseau...

Les articles 5 et 6 fixent les règles applicables au transfert des services et agents de l'État affectés à la gestion de la voirie nationale en Alsace, ainsi qu'à la compensation financière due par l'État à la collectivité.

À l' article 10 , le Gouvernement demande à être habilité à prendre, par ordonnances , plusieurs mesures relevant du domaine de la loi et liées au transfert du réseau routier. Ces mesures auraient pour objet :

- d'instaurer des « contributions spécifiques » sur les transporteurs routiers de marchandises sur les axes relevant de la Collectivité européenne d'Alsace, autrement dit de faire revivre, sous une forme éventuellement modifiée, l'« écotaxe poids lourds » sur le seul territoire alsacien, pour mieux maîtriser le trafic routier ;

- de préciser et compléter les dispositions relatives au transfert des routes nationales, notamment les prescriptions techniques et les règles de police de la circulation ;

- de préciser les conditions dans lesquelles, en raison du transfert de la voirie nationale non concédée, la Collectivité européenne d'Alsace assume les engagements pris par l'État à l'égard de la société concessionnaire de l'autoroute de contournement Ouest de Strasbourg.


* 10 CE, avis du 7 décembre 2017 sur la différenciation des compétences des collectivités territoriales relevant d'une même catégorie et des règles relatives à l'exercice de ces compétences , n° 393651.

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