D. DE PLUS EN PLUS DE MINISTÈRES ET ENTITÉS PUBLIQUES N'HÉSITENT PAS À CONTOURNER LES RÈGLES DU COMPTE POUR FINANCER LEURS PROJETS IMMOBILIERS

1. Le processus de labellisation : une efficacité à démontrer

À titre liminaire, vos rapporteurs spéciaux remarquent que la disparition des loyers budgétaires en loi de finances pour 2019 ne s'est pas encore traduite par la mise en oeuvre d'un dispositif véritablement incitatif à destination des ministères occupants . D'après les informations communiquées à vos rapporteurs spéciaux, la DIE a décidé de conserver un indicateur sur le coût d'occupation domaniale hors charges dans les conventions signées entre l'État propriétaire et les occupants. Elle entend également instaurer un dispositif plus incitatif à destination des ministères . Toutefois, vos rapporteurs spéciaux remarquent que tout ceci n'en est encore qu'à ses prémisses . La DIE compte en outre appuyer ce nouveau mécanisme sur la labellisation des projets. Or, même si les critères étaient respectés, cela ne se traduirait pas nécessairement par l'octroi d'un soutien financier, mais simplement par l'inscription du projet comme étant prioritaire.

Le dispositif de labellisation

Dans le cadre de la gouvernance rénovée de la politique immobilière de l'État (PIE), instaurée par les circulaires du Premier ministre du 27 avril 2016 et du 27 février 2017, la DIE a élaboré en co-construction avec les autres ministères, une méthodologie visant à renforcer le rôle de l'État propriétaire et à garantir le caractère vertueux des projets immobiliers de l'État et de ses opérateurs à travers la procédure de labellisation. Ce processus est obligatoire pour tous les projets d'une valeur supérieure à cinq millions d'euros (huit millions d'euros pour la région Ile-de-France).

Cette démarche se traduit par la mise en place d'un processus expérimental de labellisation des projets immobiliers, afin de vérifier leur conformité aux critères de la politique immobilière de l'État : rationalisation des emprises, réduction de l'éparpillement des services dans différentes implantations, mutualisation de services, densification des bâtiments, réduction des dépenses immobilières, et notamment de la consommation énergétique, accessibilité...

Plus précisément, la démarche consiste à s'assurer que les différents acteurs de l'immobilier de l'État ont étudié différents scénarios et se sont posés les bonnes questions et que le projet immobilier retenu présente des garanties de performance aussi bien techniques, énergétiques que financières et budgétaires. La méthode consiste ainsi pour l'administration occupante, porteur du projet, à proposer différents scénarios qui seront étudiés par le responsable régional de la politique immobilière (RRPIE), puis par les instances de gouvernance de la PIE, afin de retenir au final le meilleur projet au regard des critères de la PIE.

Selon la DIE, au 31 décembre 2018, 312 projets auraient été labellisés depuis l'introduction de cette nouvelle procédure en 2016, pour un montant de 1,08 milliard d'euros.

Source : réponses au questionnaire budgétaire de vos rapporteurs spéciaux

2. Le contournement des règles de gestion du compte d'affectation spéciale : l'illustration des insuffisances de la politique immobilière de l'État

Vos rapporteurs spéciaux considèrent que ce mécanisme de labellisation et d'incitation est encore flou et incapable, en l'état, d'inciter les ministères à adopter des politiques vertueuses , alors même que le compte d'affectation spéciale est de plus en plus utilisé par les ministères occupants, parfois au mépris de ses bonnes règles de gestion.

a) L'absence de mutualisation des produits de cession

Outre la dérogation permanente dont bénéficient le ministère des armées et le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, qui n'ont pas à reverser au compte d'affectation spéciale 50 % du produit de leurs cessions, d'autres projets ont pu être exonérés de cette obligation de mutualisation . C'est le cas par exemple du projet du plateau de Saclay : les produits tirés de la cession des locaux laissés vacants par les structures ayant décidé de rejoindre le plateau de Saclay ne sont pas mutualisés et reviennent entièrement au ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, qui doit s'en servir pour financer les nouveaux bâtiments de Saclay. Concrètement, les crédits correspondant à ces cessions sont reversés sur le compte d'affectation spéciale puis fléchés vers le ministère (4,5 millions d'euros en 2020). Ainsi, à défaut de respecter l'esprit du compte d'affectation spéciale, au moins le Gouvernement en respecte-t-il la lettre...

b) Le recours à des avances sur cession

Si vos rapporteurs spéciaux ne sont pas favorables à la multiplication de ces exonérations , ils relèvent que, dans le projet du plateau de Saclay, elles sont au moins financées par des produits de cession. Le principe du compte d'affectation spéciale est bien de s'appuyer sur des recettes pour en financer les dépenses . Or, de plus en plus d'avances sur cessions sont accordées aux ministères occupants .

C'est par exemple le cas du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Comme l'écrivent nos collègues Vincent Delahaye et Rémi Féraud 23 ( * ) dans leur rapport spécial sur la mission « Action extérieure de l'État », « le plan de sécurisation des emprises à l'étranger est assuré hors crédits budgétaires », en recourant au programme 723 du compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ». Celui-ci a octroyé au ministère une avance de 100 millions d'euros au titre de l'action 11 du programme 723 (« opérations structurantes et cessions »). Cette avance est supposée être remboursée par des cessions devant intervenir entre 2021 et 2025 . Or, comme le rappelle les rapporteurs spéciaux de la mission « Action extérieure de l'État », les produits de cession du ministère diminuent depuis 2015 et sont attendus à 30 millions d'euros en 2020, contre 335 millions d'euros en 2015.

Vos rapporteurs spéciaux ont également eu la surprise de constater que les ministères occupants n'étaient pas les seuls à déroger aux règles de gestion du compte d'affectation spéciale pour soutenir leurs dépenses immobilières . Une avance de six millions d'euros sera octroyée au titre de l'action 14 du programme 723 (« gros entretien, réhabilitation, mise en conformité et remise en état ») à la présidence de la République. Une décision attributive de subvention, à hauteur de 5,5 millions d'euros, a également été signée à l'été 2019 au profit de l'Élysée, à travers la mission « Pouvoirs publics ». Ces 11,5 millions d'euros correspondent aux coûts estimés des travaux du palais de l'Alma, inscrit dans le schéma directeur immobilier de l'Élysée.

Vos rapporteurs spéciaux regrettent de ne pas disposer davantage d'informations sur cette décision attributive, qui prévoit normalement les conditions de remboursement de l'avance. Ils jugent également dangereux pour la soutenabilité du compte d'affectation spéciale et pour la politique immobilière de l'État, déjà fragilisée, de multiplier le recours à ce type de dérogations .


* 23 Rapport général (2019-2020) de MM. Vincent DELAHAYE et Rémi FÉRAUD, fait au nom de la commission des finances. Mission Action extérieure de l'État.

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