E. UNE STABILISATION DES MOYENS DÉVOLUS AUX ORGANISMES DE RECHERCHE

En 2020, le montant global des subventions pour charges de service public (SCSP) allouées aux opérateurs de la mission « Recherche » représenterait 7,1 milliards d'euros 27 ( * ) , en augmentation de 57 millions d'euros (+ 0,8 %) à périmètre courant.

La relative stabilité de cette enveloppe traduit en réalité plusieurs mouvements différenciés.

Elle ne doit pas occulter, en premier lieu, des efforts budgétaires ciblés vers certains opérateur, comme le CEA, le CNRS, le CNES ou encore l'IFREMER (voir infra ).

Les programmes prioritaires du CNES bénéficieront ainsi d'une augmentation significative de 15 millions d'euros , afin de couvrir une partie des dépenses liées au Centre spatial guyanais et de contribuer au programme Callisto.

En parallèle, la subvention versée au CEA au titre du programme 190 augmentera de 27 millions d'euros , afin de financer notamment la poursuite de la construction du projet de réacteur Jules Horowitz (RJH) et l'achèvement de l'avant-projet d'ASTRID en 2019, entrainant un redimensionnement du programme de R&D relatif aux réacteurs de 4 ème génération 28 ( * ) . Il convient par ailleurs de relever que la baisse de la subvention versée au titre du programme 172 (- 3,8 millions d'euros) sera compensée par une hausse des transferts (+ 8 millions d'euros) permettant de répondre aux besoins croissants de financement sur le projet ITER (+ 4,7 millions d'euros) et les TGIR internationales (+ 5,2 millions d'euros).

Enfin, le CNRS bénéficiera d'une enveloppe de 12 millions  d'euros supplémentaires, pour garantir sa trajectoire d'emplois, avec le recrutement de 250 chercheurs et 310 ingénieurs et techniciens et renforcer sa capacité d'action.

Si plusieurs organismes de recherche voient également leur subvention augmenter, quoique dans des proportions moindres, une part significative de cette hausse - 28,5 millions d'euros pour les seuls établissements publics à caractère scientifique et technique (EPST 29 ( * ) ) du programme 172 - correspond à la prise en charge, par le ministère, du coût du protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR ).

Cette mesure mise à part, la somme des subventions pour charges de service public versées aux principaux opérateurs de recherche se révèle quasiment constante par rapport à 2019 (+ 0,4 %).

Enfin, si certains opérateurs, au premier rang desquels figure cette année encore l'IFP Énergies nouvelles (IFPEN) sont confrontés à une baisse significative de leurs moyens, de nombreux organismes voient à nouveau leurs moyens s'éroder.

Évolution de la subvention pour charges de service public des opérateurs à périmètre courant

(en milliers d'euros)

Opérateurs

Exécution 2018

LFI 2019

PLF 2020

Variation 2020 / 2019 (valeur)

Variation 2020 / 2019 (%)

P172

Académie des technologies

1 301

1 375

1328

- 47

- 3,4%

ANR

29 192

30 218

29 643

- 575

- 1,9%

BRGM

46 688

49 451

49 518

+ 67

+ 0,1%

CEA

486 022

490 375

486 512

- 3 863

- 0,8%

CIRAD

128 265

130 312

130 707

+ 395

+ 0,3%

CNRS

2 618 872

2 643 651

2 673 056

+ 29 405

+ 1,1%

Génopole

2 826

3 000

2 892

- 108

- 3,6%

IFREMER

167 177

171 350

178 848

+ 7 498

+ 4,4%

IHEST

1 478

1 547

1 523

- 24

- 1,6%

INED

17 086

17 356

17 433

+ 77

+ 0,4%

INRIA

172 113

173 946

173 946

0

0,0%

INSERM

632 058

635 366

639 753

+ 4 387

+ 0,7%

IPEV

13 900

14 951

14 391

- 560

- 3,7%

IRD

202 596

205 342

206 982

+ 1 640

+ 0,8%

P193

CNES

553 975

566 555

581 555

+ 15 000

+ 2,6%

P190

CEA

1 207 922

1 223 869

1 250 884

+ 27 015

+ 2,2%

IFPEN

128 264

125 290

123 290

- 2 000

- 1,6%

IRSN

167 755

170 775

170 775

0

0,0%

P192

GENES

10 426

10 041

10 041

0

0,0%

Groupe Mines TELECOM

180 717

189 233

183 402

- 5 831

- 3,1%

LNE

21569

21 785

17 000

- 4 785

- 22,0%

P191

CEA

28 853

29 318

23 818

- 5 500

- 18,8%

CNES

42 645

43 827

39 060

- 4 767

- 10,9%

Écoles d'enseignement supérieur agricole et vétérinaire

41 264

41 292

41 264

- 28

- 0,1%

ACTA et ACTIA

679

679

679

0

0,0%

P186

Universcience

94 751

98 544

98 544

0

0,0 %

TOTAL

6 998 394

7 089 448

7 146 745

57 297

0,8%

Mesures statutaires

- 23 057

34 240

0,4 %

* Le champ retenu exclut la subvention pour charges de service public versé à l'INRAE, résultant de la fusion entre l'INRA et l'IRSTEA au 1er janvier 2020, afin de neutraliser toute mesure de périmètre entre la LFI 2019 et le PLF 2020.

Source : commission des finances du Sénat, à partir des réponses aux questionnaires budgétaires

1. La persistance de tensions sur la masse salariale des organismes de recherche, se traduisant par une diminution tendancielle des emplois

La subvention pour charges de service public versée aux opérateurs finance à titre principal la masse salariale des emplois sous plafond et pour une moindre part, les crédits de fonctionnement, d'équipement et d'investissement (FEI).

Or, la masse salariale des organismes de recherche a considérablement augmenté au cours des trois dernières années en raison de la relance de la politique salariale , avec la revalorisation du point d'indice, la modernisation des « parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR), le régime indemnitaire fondé sur les fonctions, les sujétions, l'expertise et l'engagement professionnel (RIFSEEP) ainsi que le glissement vieillesse et technicité (GVT).

Éléments de politique salariale

Le protocole « « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR) vise à revaloriser la carrière des fonctionnaires en prévoyant un rééquilibrage progressif au profit de la rémunération indiciaire.

Le glissement vieillesse technicité (GVT) positif est un solde qui traduit l'augmentation de la masse salariale du fait de la progression des agents dans leurs grilles indiciaires (changements d'échelon, de grade ou de corps). Le GVT négatif (ou « effet noria ») désigne les économies dues au fait que les nouveaux recrutés ont un indice plus bas que les agents qui quittent le CNRS.

Du fait des nouvelles grilles PPCR, qui ouvrent de nouveaux espaces indiciaires pour les agents, le GVT est en augmentation.

L'impact de ces mesures n'est pas le même en fonction des opérateurs ; ainsi, contrairement aux établissements publics à caractère scientifique et technique (EPST), les établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) ne sont pas concernés par les mesures « fonction publique » .

Si, en 2020, une enveloppe de 28,5 millions d'euros est destinée au financement du PPCR pour les EPST du programme 172, force est de constater que, cette année encore, le coût du glissement-vieillesse-technicité (GVT), de l'ordre de 30 millions d'euros, ne fera l'objet d'aucune compensation pour ces établissements . Selon les informations communiquées à votre rapporteur spécial, la masse salariale budgétée en loi de finances se révèle donc à nouveau insuffisante pour neutraliser l'impact de la politique salariale à effectif constant, contraignant les organismes à réduire leurs effectifs ou à puiser dans leur fonds de roulement pour dégager des marges de manoeuvre budgétaires et absorber le coût du GVT.

À titre d'exemple, tandis que les effectifs du CNRS ont diminué de 2 740 ETPT entre 2011 et 2020 (- 10 %), la masse salariale de cet organisme a progressé de 237 millions d'euros sur la période (+ 12 %). Selon les informations transmises à votre rapporteur spécial, le CNRS serait confronté, en 2020, à une hausse de 45,5 millions d'euros de sa masse salariale - le seul coût du GVT étant estimé à 19,5 millions d'euros - nécessitant une diminution de 72 ETPT.

Afin de pouvoir néanmoins continuer à embaucher des chercheurs, le CNRS a réalisé un audit de son fonds de roulement, permettant d'identifier 80 millions d'euros libres d'engagement ; en 2019, un prélèvement de 48,3 millions d'euros sur ce fonds de roulement a ainsi permis le recrutement de 300 doctorants.

Ces tensions récurrentes sur la masse salariale se traduisent par une sous-exécution chronique des plafonds d'emploi de la mission « Recherche » , associée à une baisse considérable des effectifs des organismes de recherche.

La plupart des organismes de recherche verront donc à nouveau leurs effectifs diminuer en 2020, à l'exception notable du CEA, dont le plafond d'emploi a été rehaussé de 240 ETPT afin de permettre notamment la progression des effectifs de la direction des applications militaires, en cohérence avec la mise en oeuvre des programmes de la dissuasion.

Au total, entre 2012 et 2018, les emplois des EPST du programme 172 ont chuté de 3 532 ETPT, passant de 46 372 à 42 840 ETPT. En parallèle, en exécution 2018, l'écart entre les plafonds d'emploi et les emplois effectifs s'est creusé à 7 152 ETPT pour les EPST (+ 496 ETPT par rapport à 2019) et 364 ETPT pour les EPIC (+ 264 ETPT par rapport à 2019).

Écart entre les plafonds d'emploi et les emplois effectifs dans les EPST et les EPIC de la mission « Recherche » en 2018

(en ETPT)

Source : commission des finances du Sénat, à partir des réponses au questionnaire budgétaire

Pour votre rapporteur, cette tendance doit à tout prix est renversée, tant l'érosion du nombre de chercheurs rémunérés par les organismes risque de peser, à terme, sur les capacités de recherche de notre pays . S'il est vrai que le projet de loi de finances pour 2020 constitue avant tout un budget de transition, en prévision de la loi de programmation pluriannuelle pour la recherche, force est de constater que l'attrition continue des moyens alloués aux organismes de recherche au cours des dernières années a contribué à nourrir des attentes élevées, auxquelles le texte présenté par la ministre devra s'efforcer de répondre, au risque sinon de décevoir profondément la communauté scientifique.

Par ailleurs, si votre rapporteur spécial est bien évidemment favorable à une gestion rigoureuse des deniers publics, passant par un effort de maîtrise de la dépense, il s'étonne du montant très élevé des annulations de crédits sur la mission « Recherche » dans le projet de loi de finances rectificative pour 2019 , de l'ordre de 214 millions d'euros en CP - soit près des trois quart des augmentations de crédits prévus dans le budget 2020 .

2. Des incertitudes regrettables quant au taux de mise en réserve

En 2018, le taux de réserve applicable a été ramené de 4,85 % à 3 % pour les crédits hors dépenses de personnels, tandis qu'il a été relevé de 0,35 % à 0,5 % pour les dépenses de fonctionnement portées par le titre 2. Pour l'ANR et les groupements d'intérêt public, le taux appliqué en 2017 s'élevait à 8 % sur les dépenses d'intervention et sur les crédits de fonctionnement.

La notification transmise aux opérateurs n'a cependant pas intégré la baisse de la réserve au taux normé, afin de permettre au ministère de constituer une « marge de gestion » , correspondant à la différence entre le taux de réserve normé de 2018 et le taux de réserve applicable en 2017, destinée à permettre un redéploiement interne des crédits disponibles.

Estimée à 63,3 millions d'euros en 2018 (en CP), cette marge de gestion a principalement été mobilisée pour le renforcement les moyens des laboratoires (25 millions d'euros) et le financement des plans Santé confiés à l'Inserm (6,5 millions d'euros), tandis que 9,5 millions d'euros sont revenus à l'ANR.

Cette pratique n'ayant pas été renouvelée en 2019, l'application d'un taux de mise en réserve de 3 % a permis aux opérateurs de recherche de retrouver des marges de manoeuvre budgétaires bienvenues .

Votre rapporteur spécial s'étonne donc qu'un relèvement de ce taux à 4 % en 2020 soit actuellement envisagé ; un tel rehaussement se traduirait par une diminution notable de la subvention versée aux opérateurs, dans un contexte budgétaire pourtant relativement contraint. À titre d'exemple, cette mesure entraînerait une réduction de l'ordre de 7 millions d'euros de la subvention au CEA, venant effacer une partie des hausses obtenues en projet loi de finances.

Étant donné que les crédits mis en réserve sont dans leur grande majorité annulés en loi de finances rectificative, le relèvement du taux de mise en réserve permettrait de revenir, en fin de gestion, sur les hausses de crédits votées en loi de finances initiale en procédant à des annulations de crédits . Dès lors, la sanctuarisation affichée des moyens dédiés à la recherche se limiterait à un effet d'annonce sans réelle portée, contrevenant au principe de sincérité budgétaire, ce que votre rapporteur spécial déplore profondément.

En tout état de cause, les incertitudes entourant, à l'heure actuelle, le montant final de l'enveloppe dévolue aux organismes de recherche constituent un signal particulièrement négatif, aux antipodes des objectifs affichés par le Gouvernement de gratifier le monde de la recherche de davantage de visibilité et de stabilité quant aux moyens alloués 30 ( * ) .

3. La résolution temporaire de plusieurs impasses budgétaires

Ayant identifié plusieurs situations d'impasses budgétaires à moyen-terme lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2019, votre rapporteur spécial se félicite de constater que ces dernières semblent avoir été résolues, au moins à titre temporaire.

a) Le financement du réacteur Jules Horowitz

Comme votre rapporteur spécial l'avait relevé dans son rapport sur le projet de budget pour 2019, le contrat d'objectif et de performance conclu entre l'État et le CEA pour la période 2016-2022 n'avait pas tenu compte d'un certain nombre de surcoûts bien identifiés, laissant en suspens 2 milliards d'euros d'impasses de financement , liées à la construction du réacteur expérimental Jules Horowitz (582 millions d'euros), au projet Astrid (141 millions d'euros), à la couverture des dépenses 2015 des fonds dédiés aux obligations de fin de cycle du CEA (376 millions d'euros), à la dette du CEA vis-à-vis d'ORANO Cycle (800 millions d'euros) et à l'acquisition par le CEA de 20 % du capital de TechnicAtome (120 millions d'euros).

Si la plupart de ces besoins de financement ont été comblés au cours des années 2018 et 2019 31 ( * ) , le CEA restait confronté jusqu'alors à une impasse de financement de l'ordre de 600 millions d'euros dans le cadre de la construction du Réacteur Jules Horowitz (RJH) , le coût du projet, initialement estimé à 500 millions d'euros, ayant été revu plusieurs fois à la hausse depuis 2015, pour atteindre 1,8 milliard d'euros.

À la suite d'un audit complet du projet réalisé sur demande du cabinet du Premier ministre, l'État a finalement, lors du Comité de l'énergie atomique du 16 mai 2019, confirmé l'objectif d'achever la construction du réacteur et clarifié le financement de cette opération . Selon les informations recueillies par votre rapporteur spécial, les financements complémentaires seront mobilisés par le CEA (200 millions d'euros) et les industriels de la filière nucléaire (300 millions d'euros), l'État contribuant pour sa part à hauteur de 100 millions d'euros.

En 2020, la construction du RJH serait ainsi financée à hauteur de 63 millions d'euros par les subventions du CEA, auxquels s'ajouteraient 43 millions d'euros de recettes externes et 105 millions d'euros en provenance du PIA 3, pour un montant total de 211 millions d'euros.

b) Les investissements à venir pour renouveler la flotte océanographique de l'IFREMER

Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2019, votre rapporteur spécial a pu constater que les investissements conséquents auxquels se trouvera confronté l'Ifremer à horizon 2050, générant un besoin de financement de près de 500 millions d'euros , ne faisaient l'objet d'aucun plan d'investissement à moyen terme .

Dans ce contexte, votre rapporteur spécial se disait favorable à la mise en oeuvre d'une programmation pluriannuelle pour les investissements de la flotte océanographique , à l'instar des plans à moyen terme existant pour le CEA et le CNES .

S'il parait acquis que la future LPPR sera en mesure de combler cette absence de programmation, votre rapporteur se félicite de l'augmentation, dès 2020, de la subvention versée à cet opérateur (+ 7,5 millions d'euros). Cette hausse encourageante traduit une prise en compte bienvenue des besoins liés à l'entretien et aux travaux de jouvence de la flotte océanographique française.


* 27 Le champ retenu exclut la subvention pour charges de service public versé à l'INRAE, résultant de la fusion entre l'INRA et l'IRSTEA au 1 er janvier 2020, afin de neutraliser toute mesure de périmètre entre la LFI 2019 et le PLF 2020.

* 28 Essentiellement financé par des subventions de PIA, le redimensionnement de ce programme de R&D vers les réacteurs de 4ème génération se traduit par une augmentation de la subvention.

* 29 Les EPST du programme 172 sont le CNRS, l'Ined, l'Inrae, l'Inria, l'IRD ,l'Inserm et l'ANR.

* 30 Lettre de la ministre aux acteurs de la recherche, 15 mars 2019 : https://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/Recherche/30/1/Courrier_adresse_aux_chercheurs_15_03_2019_1093301.pdf .

* 31 Voir rapport spécial de l'année dernière

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