F. UN FINANCEMENT DE LA RECHERCHE ÉCLATÉ ET MANQUANT DE LISIBILITÉ

1. La part croissante des financements en provenance des investissements d'avenir

Composante du Grand plan d'investissement (GPI) depuis la loi de finances pour 2018, le troisième Programme d'investissements d'avenir (PIA 3) contribue au financement de plusieurs actions relevant de la mission « Recherche » .

Ainsi, les financements portés par le PIA sur le secteur de la recherche ont cru de 63,5 % entre 2019 et 2020, représentant désormais 1 055,3 millions d'euros, soit près de 7 % des crédits budgétaires de la mission « Recherche » .

Évolution de la part des crédits budgétaires et extrabudgétaires
consacrés à la recherche à périmètre courant

(en millions d'euros)

LFI 2018

LFI 2019

LFI 2020

Évolution 2020/2019

Périmètre « recherche » 32 ( * ) de la MIRES

14 831,54

15 154,24

15 464,22

+ 2,0 %

PIA 3 - programme 421

142,5

212,5

435,0

+ 104 %

PIA 3 - programme 422

227,0

433,0

620,33

+ 43,3 %

Total PIA

369,5

645,5

1 055,33

+ 63,5 %

Part du PIA sur les crédits budgétaires « recherche »

2,5 %

4,3 %

6,8 %

+ 5,8 %

Source : commission des finances du Sénat, à partir des réponses au questionnaire budgétaire

Si ces crédits sont évidemment bienvenus, force est de constater qu'ils tendent à se substituer aux financements classiques, qui auraient dû être dégagés de manière pérenne , de telle sorte que la fin progressive de ces programmes se traduit, pour les opérateurs de recherche qui en bénéficient, par une situation budgétaire incertaine.

De surcroît, les crédits issus des PIA participent d'une complexification de la tuyauterie budgétaire propre à la recherche , nuisant à l'identification des financements publics alloués et à la qualité du contrôle exercé par la représentation nationale.

À titre d'exemple, l'action « Programmes prioritaires de recherche », dotée de 400 millions d'euros sur 10 ans, finance notamment l'initiative « Make our planet net again » (30 millions d'euros), les quatre Instituts interdisciplinaires d'intelligence artificielle (3IA) dans le cadre du programme national pour l'intelligence artificielle (105 millions d'euros), ou encore le programme interdisciplinaire Antibiorésistance ou le plan « Maladies rares », confiés à l'Inserm.

Or, ces différentes actions bénéficient également de crédits budgétaires, portés notamment par le programme 172 ; il parait dès lors particulièrement difficile d'appréhender dans leur globalité les sommes allouées à ces initiatives, donc de bénéficier d'une vision d'ensemble des crédits dévolus à la recherche en France.

2. De nouveaux abondements en provenance du Fonds pour l'innovation et l'industrie

Constitué le 15 janvier 2018, le Fonds pour l'innovation et l'industrie (FII) est doté de 10 milliards d'euros , issus des cessions d'actifs d'Engie et de Renault (1,6 milliard d'euros) et des apports en titres d'EDF et de Thalès (environ 8,4 milliards d'euros).

Ces titres ont vocation à être progressivement remplacés 33 ( * ) par le numéraire issu des cessions votées par le Parlement dans le cadre de la loi PACTE, ainsi que par des dotations en fonds propres.

Le rendement du Fonds est de 2,5 %, permettant de générer 250 millions d'euros par an, utilisés comme suit :

- 70 millions d'euros d'aides individuelles aux start-ups deep tech , dans le cadre du plan opéré par Bpifrance. L'offre de financements a été déployée à compter du 1 er janvier 2019, de telle sorte qu'à la date du 15 juin 2019, 130 dossiers de financement avaient été déposés et 75 validés à concurrence de 36 millions d'euros, pour un total de 9,4 millions d'euros décaissés ;

- 120 millions d'euros pour le financement des Grands défis d'innovation de rupture , qui ont vocation à créer ou orienter les filières vers des secteurs à forts enjeux technologiques. Ces grands défis bénéficient chacun d'une enveloppe initiale de 30 millions d'euros, pour une période d'exécution comprise entre trois et cinq ans maximum. Arrêtés par le Conseil de l'innovation 34 ( * ) , ils sont pilotés par des directeurs de programme autonomes. À ce stade, 5 Grands défis ont été identifiés, et trois directeurs de programme recrutés au premier trimestre 2019. Les feuilles de route des Grands défis IA ont été validées et vont pouvoir donner lieu aux premiers appels à projets d'ici la fin de l'année 2019 ;

- 60 millions d'euros pour le soutien des filières stratégiques (plan Nano 2022, plan batteries électriques). La première contribution a été effectuée en février 2019, afin de rémunérer les premiers travaux lancés par les industriels fin 2018.

Le plan « deep tech » opéré par Bpifrance

Le plan « deep tech » vise à accroître le nombre de start-ups à forte intensité technologique et leur donner les moyens financiers et humains de leur croissance. Il est structuré en trois volets principaux :

- un volet réglementaire destiné à offrir des conditions favorables au parcours des chercheurs souhaitant créer ou participer à la vie d'une entreprise ; la loi PACTE adoptée par le Parlement a ainsi assoupli à cette fin les conditions de création des start-ups par les chercheurs qui pourront désormais cumuler leurs activités de recherche pour une création d'entreprise jusqu'à 50 % du temps. Les règles de complément de rémunération ont également été assouplies dans ce cadre ;

- un volet financement permettant d'offrir à ces entreprises un continuum de financement, de la création à l'industrialisation ; le FII alloue 70 millions d'euros par an au financement des projets innovants des start-ups deep tech, complétés par plusieurs actions du Programme d'investissements d'avenir. Au total, le volet financement représente ainsi 800 millions d'euros de dotations sur 5 ans et 1,3 milliards d'euros d'investissements ;

- un volet accompagnement pour renforcer les liens entre recherche et innovation, incluant notamment la reprise par Bpifrance de la gestion des sociétés d'accélération et de transfert de technologie (SATT) à la Caisse des dépôts et consignations en 2019 et la mobilisation de l'enveloppe du PIA « intégration des SATT, incubateurs et accélérateurs » pour apporter un soutien public à des structures portant des programmes de formation à l'entrepreneuriat, d'incubation ou d'accélération des start-ups deep tech, et mener des actions d'accompagnement et d'attractivité dirigées vers les chercheurs, français et étrangers.

Source : réponse au questionnaire budgétaire

Pour votre rapporteur spécial, cette doctrine d'emploi est contestable à plus d'un titre . En effet, elle s'effectue en dehors de tout contrôle parlementaire, permettant l'abondement de projets relevant directement du secteur de la recherche sans que la représentation nationale ne soit invitée à s'exprimer sur la destination des crédits .

Or, rien ne s'opposerait à ce que les crédits portés par le Fonds soient inclus dans le budget général, de façon à ce que leur emploi soit détaillé dans les documents budgétaires.

En tout état de cause, la création de ce Fonds ne peut que nuire à la lisibilité des financements dédiés à la recherche, participant d'un éclatement des crédits en tout point contraire aux principes budgétaires.

3. Un cas emblématique : le plan Intelligence artificielle

Ces dernières années, plusieurs rapports ont mis en exergue les enjeux relatifs à l'intelligence artificielle. Ainsi, le rapport de l'OPECST « Pour une intelligence artificielle maîtrisée, utile et démystifiée » , publié en mars 2017 35 ( * ) a constitué une étape importante pour la prise de conscience publique du phénomène de l'intelligence artificielle en France, de même que l'action #FranceIA.

En 2017, pour orienter l'action du Gouvernement, le Premier ministre a confié au député Cédric Villani une mission d'information sur la stratégie française et européenne en intelligence artificielle. Publié en mars 2018, le rapport de la mission Villani intitulé « Donner du sens à l'intelligence artificielle : pour une stratégie nationale et européenne », a favorisé l'émergence d'une coordination interministérielle autour de ces problématiques .

Au cours de la conférence « AI for humanity » du 29 mars 2018, le Président de la République a présenté la stratégie de la France pour devenir un pays leader de l'intelligence artificielle . Celle-ci tiendrait en quatre grands axes :

- un programme national pour la recherche ;

- l'ouverture et le partage des données ;

- le développement d'une économie de l'IA ;

- l'appropriation par l'État des enjeux éthiques et politiques de l'IA.

Ces grands axes se déclineraient en 24 opérations, dont 12 relevant directement de la mission « Recherche et enseignement supérieur », regroupant chacune plusieurs des recommandations formulées par la mission Villani.

Le plan Intelligence artificielle, qui sera déployé jusqu'en 2022, bénéficiera de 1 527 millions d'euros de financements publics, avec une montée en charge progressive sur la période 2018 - 2020 (94 millions d'euros en 2018, 302 millions d'euros en 2019, 377 millions d'euros en 2020) et une indication de budgets prévisionnels pour les deux années suivantes (377 millions d'euros en 2021 et en 2022).

L'action publique serait principalement financée par des réaffectations budgétaires au sein des programmes concernés (50 %) et le recours à des dispositifs adaptés tels que le PIA, le Fonds pour l'innovation et l'industrie (FII), le Fonds de transformation pour l'action publique (FTAP) (41 %), tandis que le reste (9 %) correspondrait à des crédits nouveaux.

Éparpillés entre une multitude de programmes et de structures, les moyens alloués au plan « Intelligence artificielle » se révèlent ainsi particulièrement peu lisibles, ce que votre rapporteur spécial déplore vivement.

En pratique, sur l'enveloppe globale de 1 527 millions d'euros, les opérations relevant uniquement de la mission « Recherche » représenteraient un effort budgétaire de 358 millions d'euros sur 5 ans (soit 23 % du montant total) , composé de 227 millions d'euros de réaffectations budgétaires et 131 millions d'euros de crédits nouveaux .

Ainsi, financé à hauteur de 17 millions d'euros par le programme 172 en 2019, le plan Intelligence artificielle devrait bénéficier d'un soutien renforcé de 21 millions d'euros en 2020, 2021 et 2022, portant ainsi à 38 millions d'euros par an les crédits budgétaires supplémentaires versés au titre de la mission « Recherche » .

En parallèle, le plan serait abondé à hauteur de 125,5 millions d'euros de crédits en provenance des PIA sur la période 2018-2022 . Le tableau ci-après présente la répartition des moyens nouveaux en provenance du programme 172 (« DGRI ») et des PIA (« SGPI ») par année.

Programmation prévisionnelle des crédits dévolus à la mise en oeuvre du plan « Intelligence artificielle »

(en millions d'euros)

Nouvelle répartition (avril 2019)

2018

2019

2020

2021

2022

Total

SGPI

DGRI

SGPI

DGRI

SGPI

DGRI

SGPI

DGRI

SGPI

DGRI

SGPI

DGRI

Programme national - programme PhD

0

0

0

2

0

6

0

7

0

5

0

20

Institut I3A -

Chaires académiques

0

0

9

0

13,5

10,5

18,5

8,5

20,5

8,5

61,5

27,5

Infrastructures Calcul et données- GENCI

0

0

0

0

0

0

0

0

40

0

40

0

Infrastructures Calcul et données- calculateurs données

0

0

0

3

0

3

0

5

0

6

0

17

Recherche partenariale-

Carnot

0

0

2

0

2

0

3

0

3

0

10

0

Recherche partenariale-

IRT

2

0

3

0

3

0

3

0

3

0

14

0

Autres actions recherche

0

0

0

12

0

18,5

0

17,5

0

18,5

0

66,5

Total

2

0

14

17

18,5

38

24,5

38

66,5

38

125,5

131

Source : ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation

Si votre rapporteur spécial salue les efforts consentis afin de doter la France d'une véritable stratégie en matière d'intelligence artificielle, il note que l'enchevêtrement des structures et la multiplicité des circuits de financement entravent considérablement le suivi des crédits déployés pour la mise en oeuvre de ce plan.


* 32 Le périmètre recherche inclut les dépenses des programmes "recherche" : 172,193,190,191 et 186 et la part recherche des programmes 142 (action 2), 192 (actions 2 et 3) et 150 (actions n° 6 à 12 hors titre 2).

* 33 Le calendrier des cessions n'étant pas encore connu, il n'est pas possible d'indiquer la date à laquelle la totalité de la dotation de 10 Md€ sera exclusivement composée de numéraire.

* 34 Créé le 18 juillet 2018, le Conseil de l'innovation est chargé de fixer les priorités stratégiques en matière de politiques d'innovation. Il est coprésidé par les ministres en charge de l'industrie et de la recherche et a vocation à se réunir trois fois par an

* 35 Rapport de M. Claude DE GANAY, député et Mme Dominique GILLOT, sénatrice, fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, mars 2017

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