EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le mercredi 25 novembre 2020, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission procède à l'examen, en nouvelle lecture, du rapport sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général . - L'Assemblée nationale a adopté la nuit dernière le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2021 en nouvelle lecture, que nous sommes invités à examiner dès ce matin.

Comme d'habitude, à ce stade de la navette, les délais d'examen sont donc particulièrement contraints et nous obligent à aller à l'essentiel. Je ne pourrai donc pas, lors de cette présentation, préciser ce qu'il est advenu de chacune des initiatives du Sénat en première lecture mais vous pourrez trouver cette information dans le tableau récapitulatif qui figurera à la fin du rapport écrit.

Tout d'abord, comme Olivier Dussopt l'avait dit au Sénat, le Gouvernement a déposé des amendements révisant les prévisions de solde pour la sécurité sociale en 2021.

La dégradation est très nette, de l'ordre de 8 milliards d'euros - qui s'ajoutent aux 27,9 milliards d'euros déjà enregistrés - par rapport à ce que nous avons voté en première lecture. Il s'agit de prendre en compte les conséquences sur les recettes de la dégradation des hypothèses macro-économiques consécutive à la mise en oeuvre du second confinement. La prévision de croissance du PIB pour 2021 ne serait que de 6 %, contre 8 % auparavant ; de même, la croissance de la masse salariale privée est désormais évaluée à 4,8 %, en retrait de deux points par rapport à la prévision initiale.

Au bout du compte, le déficit des régimes obligatoires de base et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) s'établirait à 34,9 milliards d'euros en 2021, pour 552,4 milliards d'euros de dépenses ; sur le périmètre du régime général et du FSV, le déficit s'élèverait à 35,8 milliards d'euros pour 443,7 milliards d'euros de dépenses. Malgré la reprise attendue, ces chiffres se situeraient donc bien au-delà du précédent record de déficit en date de 2010, de 28 milliards d'euros pour le régime général et le FSV. C'est dire si la pente sera difficile à remonter.

Par ailleurs, les députés ont conservé quelques-unes de nos initiatives à l'occasion de la nouvelle lecture. Je pense, par exemple, à la mise en place de la branche autonomie, où ont été conservées les précisions apportées au rôle de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) en matière de soutien à l'habitat inclusif, ou aux conséquences qu'emporte la création d'une nouvelle branche pour la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole, quoique dans une rédaction un peu remaniée par le Gouvernement. Surtout, l'Assemblée nationale a retenu le principe d'une conférence des financeurs du soutien à l'autonomie chargée de formuler des recommandations sur le financement des mesures nouvelles ; les députés ont toutefois aligné son périmètre sur celui du conseil de la CNSA.

Je pense aussi à plusieurs dispositifs anti-fraude introduits au Sénat, comme l'annulation automatique des numéros d'inscription au répertoire (NIR) obtenus de manière frauduleuse, à l'initiative de Mme Goulet ; l'extension à cinq ans de la prescription des indus frauduleux de la sécurité sociale, à l'initiative de la commission ; l'instauration d'une dérogation au délai maximal de sept jours pour le paiement par l'assurance maladie de professionnels de santé convaincus de fraude à des fins de contrôle, à l'initiative de la commission ; ou encore, le déconventionnement d'office en cas de récidive en matière de fraude par un professionnel de santé, toujours à l'initiative de la commission.

Mais l'Assemblée nationale a surtout supprimé un grand nombre d'apports du Sénat, comme la compensation à la sécurité sociale de l'ensemble des pertes de recettes de ces deux dernières années qui n'avaient pas été compensées en application des principes définis dans le rapport dit « Charpy-Dubertret » sur la rénovation des relations financières entre l'État et la sécurité sociale ; la révision pour 2020 de la compensation de l'État au titre de la prise en charge de l'Agence nationale de santé publique (ANSP), dont le budget, pour mémoire, est passé en un an de 150 millions d'euros à 4,8 milliards d'euros ; le refus par le Sénat de la prise en charge par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) du financement d'un tiers de la dette des hôpitaux - d'autant que ces remboursements semblent désormais conditionnés à de nouveaux investissements ; ou encore la mise en place de la conférence de financement des retraites assortie, en cas d'échec, de la mise en place progressive de mesures paramétriques.

En somme, le désaccord reste entier sur l'ensemble des sujets de fond, qui ont abouti à l'échec de la commission mixte paritaire. On a entendu des voix regrettant que nous n'ayons pas abouti, mais l'Assemblée nationale n'a pas fait beaucoup d'efforts pour rendre possible l'établissement d'un texte commun.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Comme souvent...

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général . - Le Gouvernement doit aussi peser sur le choix des députés. Pour notre part, nous étions prêts à discuter mais les désaccords posent d'importants problèmes de principe.

Ainsi, comment imaginer revenir à l'équilibre des comptes de la sécurité sociale si on la leste de charges qui ne sont pas les siennes, comme l'Agence nationale de santé publique (ANSP), ou les 13 milliards d'euros de dette hospitalière, si l'on multiplie les entorses à la loi Veil et si l'on se refuse à engager la concertation sur de nécessaires réformes ?

Et comment éteindre un jour la dette sociale si l'on commence à faire financer des charges de toute nature par la Cades ?

Dans ces conditions, je considère qu'il est préférable d'acter dès à présent la fin du dialogue utile entre les deux assemblées sur ce texte. C'est pourquoi je vous proposerai d'adopter une motion posant la question préalable.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Pour confirmer ce que dit le rapporteur général, nous avons bien vu lors de la commission mixte paritaire que, sur des questions de fond, le désaccord porte sur une somme comprise entre 10 et 20 milliards d'euros - il est vrai que, dans la période actuelle, cela paraît presque peu...

M. Daniel Chasseing . - On peut regretter l'échec de la commission mixte paritaire. L'Assemblée nationale a rejeté beaucoup de mesures adoptées par le Sénat, même si certaines propositions, en matière de la lutte contre la fraude, ou sur la conférence des financeurs pour l'autonomie, ont été acceptées. Je ne vois pas, cela dit, de financement pour l'autonomie en 2021, notamment pour les emplois dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). La proposition de parler de l'avenir des retraites avec les partenaires sociaux n'a pas été acceptée. On peut dire que le moment était mal choisi pour augmenter l'âge de départ, mais on connaît les déficits, et il serait normal d'aborder le sujet avec les partenaires sociaux. La contribution des organismes complémentaires d'assurance maladie (OCAM) n'a pas été acceptée non plus. Le Sénat n'a pas accepté de participation de la Cades dans la prise en charge des 13 milliards d'investissements. Comme l'Objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) est très bas depuis 2012 - 2 % puis 1,5 %, contre une croissance réelle de 4 % - une partie des 13 milliards d'euros aurait dû être prise en charge par le budget des hôpitaux, selon un pourcentage à débattre. On peut dire de même pour Santé publique France. Le travail de conciliation aurait pu être réalisé, pour plus d'unité nationale dans cette période difficile pour le secteur hospitalier, pour les Ehpad, pour notre pays. Nous nous abstiendrons sur la motion.

M. René-Paul Savary . - Effectivement, rien n'a changé dans ce PLFSS, puisqu'on maintiendra les non-compensations de pertes de recettes de la sécurité sociale sur les années à venir, et que la « conférence de financement » sur l'autonomie risque de se réduire à une réunion spéciale du conseil d'administration de la CNSA que l'on baptisera ainsi, alors qu'il faudrait un large débat. Certaines de nos propositions correspondaient aux besoins du terrain, comme la pérennisation des exemptions de cotisations pour les emplois précaires saisonniers (dispositif TO-DE) mais n'ont pas été retenues en nouvelle lecture. Nous aurions pu être suivis : franchement, les députés auraient pu faire un effort pour accepter quelques modifications... Mais non, comme tous les ans, ce sont toujours les mêmes déceptions !

Mme Catherine Deroche , présidente . - C'est vrai que la pérennisation du dispositif TO-DE était une bonne mesure, au lieu de les prolonger tous les deux ans...

M. Alain Milon . - Le rapporteur général dit que le poids du Gouvernement l'emporte sur les décisions de la majorité à l'Assemblée nationale depuis plusieurs années. Mais il faudrait peut-être plus encore souligner le poids de l'administration. Qui détermine l'Ondam, par exemple ? Certainement pas le Parlement, puisque celui-ci n'a pas le droit de modifier la proposition du Gouvernement. Mais celle-ci vient en réalité de l'administration de Bercy, et les ministres eux-mêmes suivent souvent leur administration.

Il faut aussi s'interroger, comme l'a fait René-Paul Savary, sur l'organisation de la santé dans notre pays. Le monde de la sécurité sociale est rempli de sigles : l'Ondam, la DGS, la DGOS, la DGSS, Santé publique France, la HAS, la CNAM, l'ACOSS, la Cades... Qui y comprend encore quelque chose, à part les personnels et ceux qui sont directement au contact direct de ces institutions ? Je suis d'accord avec le rapporteur général, il ne faut pas voter ce PLFSS, élaboré par les administrations et organismes que j'ai cités. Les responsables politiques, au Parlement comme au Gouvernement, devraient reprendre le pouvoir qui leur revient sans le laisser exercer dans les faits par l'administration ou les organismes et agences qui en émanent.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Votre propos peut s'appliquer à beaucoup de ministères... Vous pourriez le réitérer en séance publique.

Mme Laurence Cohen . - Nous approuvons cette question préalable, ce qui ne sera pas pour vous étonner, puisque nous en avions déposé une nous-mêmes en première lecture. Les désaccords que nous avons avec la majorité sénatoriale sont connus. Au fond, nous avons le sentiment qu'aucun enseignement n'est tiré de la crise de la pandémie.

Oui, des milliards d'euros ont été dégagés, mais on voit bien que l'Ondam pour 2021, hors covid et hors Ségur, reste minimaliste. Cela conduit nécessairement à la politique de santé que nous dénonçons tous et toutes. Il faut tirer les conséquences de ce que nous disons sur les bancs de cet hémicycle, et de ce qu'on voit dans nos territoires : un système de santé à genoux, et qui tient le coup par le dévouement des personnels à l'hôpital, bien sûr, mais aussi l'engagement de la médecine de ville qui, pendant la pandémie, a été conduite à être l'arme au pied, sans pouvoir toujours se déployer comme il aurait fallu.

Ce PLFSS ne répond en rien à tous les problèmes que nous avons dénoncés et que nous constatons. Au contraire, presque - le comble étant tout de même l'instauration d'une conditionnalité à l'installation de centres de santé. Quelle méconnaissance de ce qui se passe dans les communes, dans les territoires ! C'est tout sauf intelligent.

Nous votons contre ce PLFSS et contre bon nombre de mesures que vous avez introduites et qui n'étaient pas de nature à améliorer les choses. Nous allons donc nous retrouver sur cette question préalable, mais pas pour les mêmes raisons ! Au bout d'un moment, le dialogue ne sert plus à grand-chose...

M. Olivier Henno . - Voilà trois ans que je suis sénateur. Au début, avec tous ces acronymes, je me disais avec humilité que je n'arriverais jamais à comprendre cette tuyauterie. Avec le temps, on y arrive, mais la transparence vis-à-vis du citoyen n'est pas optimale.

Je me félicite que la conférence de financement ait été acceptée dans le domaine de l'autonomie, et je regrette qu'elle ne l'ait pas été sur la question des retraites. Il ne s'agit de rien moins que du paritarisme et, au fond, c'est une question essentielle. C'est le rôle du Sénat de défendre le paritarisme. Je regrette à mon tour que des dispositifs d'exonérations de cotisations que nous avions votés, qui avaient une portée à la fois symbolique et incitative, n'aient pas été retenus, alors que leurs conséquences budgétaires n'étaient pas si lourdes.

En revanche, je ne suis pas d'accord avec l'idée que les leçons de la crise n'ont pas été tirées. Notre rôle n'est pas de nous enfermer dans la dialectique des moyens. Ceux-ci sont là - ce qui génère un déficit préoccupant. Ce qui m'inquiète est plutôt que la question ait été posée de telle manière qu'on mette les moyens avant d'avoir eu une réflexion sur la structure même de notre système de santé, sur son organisation, et sur le poids excessif de la technostructure. Notre rôle de parlementaire est de ne pas nous enfermer dans cette dialectique des moyens, mais d'essayer d'avoir une vision sur l'organisation la plus pertinente pour améliorer notre système de santé.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général . - Je rejoins sur beaucoup de points à vos remarques. Nous avons des regrets sur la conférence de financement des retraites, sur les 13 milliards de dette hospitalière transférés à la Cades, de nature essentiellement immobilier. Le Gouvernement refuse de l'entendre...

Mme Laurence Cohen . - Il le sait pourtant très bien !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général . - ... mais c'est bien l'État qui est propriétaire des hôpitaux.

Par ailleurs, je rejoins Alain Milon pour dire qu'il faut absolument transformer l'administration de la santé. Plus il y a d'organismes, de sigles et d'acronymes improbables, moins le citoyen et nous-mêmes nous y retrouvons. Olivier Henno l'a dit, beaucoup de moyens ont été mis. Mais le vrai problème, ce sont les structures. Des hauts fonctionnaires passent au cours de leur carrière d'administrations en organismes ou en cabinets ministériels. Cela peut aboutir à des phénomènes de cooptation ou de protection mutuelle, auxquels les ministres ne s'opposent pas. Difficile dans ces conditions d'engager le dialogue confiant entre les parlementaires et la haute administration qui serait pourtant nécessaire pour avancer sur de bonnes bases... On ne pouvait pas, dans le cadre du PLFSS, tirer toutes les leçons de la pandémie en matière d'organisation de la santé, mais j'espère bien qu'on va les tirer à l'issue de la commission d'enquête que préside Alain Milon.

Un mot enfin sur le dispositif d'exonération dit TO-DE : il n'était pas très compliqué pérenniser le dispositif. Certes, il coûte quelque 127 millions d'euros selon le montant des crédits inscrits à ce titre au sein du programme 149 de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », mais il est nécessaire à l'équilibre économique des filières concernées. Nous verrons ce que nous pourrons faire l'an prochain.

EXAMEN DE LA MOTION TENDANT À OPPOSER LA QUESTION PRÉALABLE

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général . - La motion reprend les arguments que j'ai développés dans mon propos introductif.

La commission adopte la motion tendant à opposer la question préalable.

La réunion est close à 11 h 45.

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