II. LES TURBULENCES DE LA CRISE SANITAIRE NE DOIVENT PAS OCCULTER LE BESOIN D'UNE VÉRITABLE STRATÉGIE DE L'ÉTAT ACTIONNAIRE

A. L'ÉTAT ACTIONNAIRE RECAPITALISÉ PAR LE CONTRIBUABLE

1. Fin octobre 2021, le portefeuille coté de l'État actionnaire a tout juste effacé la perte constatée depuis début 2020

Depuis 2020, l'État actionnaire est venu en soutien des entreprises du portefeuille , tout en se tenant prêt à intervenir pour aider d'autres entreprises jugées stratégiques mais au bilan très dégradé.

Sur les 20 milliards d'euros mis à disposition par le Parlement dès avril 2020, ce sont environ 8,7 milliards d'euros qui ont, à ce jour, été consommés , dont 8,2 milliards d'euros dès 2020. Les opérations ont concerné trois entreprises , faisant partie du portefeuille avant la crise, à savoir :

- la SNCF , qui a fait l'objet d'une augmentation de capital souscrite intégralement par l'État le 15 décembre 2020, pour un montant de 4,05 milliards d'euros ;

- Air-France-KLM , qui a d'abord bénéficié dès 2020 d'une avance d'actionnaire de 3 milliards d'euros , ensuite convertie en dette subordonnée, puis d'une souscription par l'État à l'augmentation de capital à hauteur de 593,2 millions d'euros au printemps dernier ;

- EDF , dont l'État a souscrit en septembre 2020 à l'émission d'OCEANEs 18 ( * ) pour un montant de 1,03 milliard d'euros - sans, d'ailleurs, que le lien avec la crise sanitaire ne soit réellement avéré 19 ( * ) .

Près de vingt mois après le déclenchement de la crise sanitaire, il est possible de dresser un premier bilan de l'action de l'État actionnaire face à la tempête.

Comme le graphique ci-après l'illustre, la valorisation du portefeuille coté a retrouvé, fin octobre dernier, son niveau de décembre 2019. Rassurante, cette performance n'en demeure pas moins inférieure de 12 points par rapport à celle des entreprises du CAC 40 et du SBF 120 20 ( * ) .

Comparaison de l'évolution du portefeuille coté
de l'État actionnaire et du CAC 40 depuis fin 2019

(base 100 à fin décembre 2019)

NB : le SBF 120 suit une évolution très proche du CAC 40 sur l'ensemble de la période.

Source : commission des finances du Sénat

L'explication traditionnelle du biais sectoriel du portefeuille en faveur des valeurs de l'énergie , au premier rang desquelles EDF, qui pèse pour la moitié, ne s'applique pas . Retranché d'EDF, le portefeuille connaît ainsi une évolution négative de 13 % depuis fin 2019.

Comme le détaille le graphique ci-après, certaines valeurs restent en effet durablement affectées , à l'instar d'Aéroports de Paris, mais aussi de Renault et Orange. Pour ces deux dernières, les raisons de leur recul excèdent largement la crise sanitaire et doivent être recherchées dans des difficultés structurelles qu'elles n'ont, avec leur principal actionnaire, toujours pas surmontées .

Surtout, le contexte actuel pourrait menacer la reprise de plusieurs entreprises du portefeuille . Tel est déjà le cas pour l'automobile, où la crise des semi-conducteurs conduit les constructeurs à réduire leurs cibles de production, de 500 000 véhicules par exemple pour Renault. Plus largement, les tensions constatées sur les marchés de matière première, dont la hausse des coûts de l'énergie, jettent une voile d'incertitude sur la portée de la reprise .

Évolution de la valorisation du portefeuille coté
de l'État actionnaire de fin décembre 2019 à fin octobre 2021

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat

2. L'Agence des participations de l'État, un gestionnaire d'actifs recapitalisé par le budget général

La performance du portefeuille doit néanmoins être évaluée en regard des moyens budgétaires exceptionnels qui ont été mobilisés.

Sur le périmètre de l'État actionnaire, ce sont près de 10 milliards d'euros qui ont ainsi été versés depuis le budget général vers le compte d'affectation spéciale depuis le début de la crise sanitaire.

Autrement dit, le compte a dû lui-même faire l'objet d'une recapitalisation par le budget général pour être en mesure de faire face à ses obligations. Comme l'illustre le graphique ci-après, en dépit de l'injection de près de 5 milliards d'euros 21 ( * ) , le portefeuille coté de l'État actionnaire vient seulement de retrouver sa valorisation d'avant-crise.

Évolution de la valorisation du portefeuille coté
de l'État actionnaire depuis fin février 2020

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat

Ces éléments soulèvent la question de la stratégie de sortie , à savoir la façon dont l'APE procèdera au retour progressif de l'État actionnaire à ses niveaux de participation d'avant-crise, ce qui correspond à une exigence du cadre temporaire des aides d'État.

Deux interrogations se posent, concernant :

- d'une part, l'horizon et les conditions financières dans lesquelles cette sortie pourra être progressivement mise en oeuvre ;

- d'autre part, l'utilisation qui sera faite des crédits qui seront versés sur le compte dans le cadre de ce retrait.

Plus largement, ces observations confortent le rapporteur spécial dans sa conviction de l'inadéquation du cadre budgétaire de l'État actionnaire avec les exigences d'une réelle gestion des actifs financiers de l'État.

3. Le risque d'un rendez-vous manqué de la transition du portefeuille ?

L'APE met en avant l'effet de la crise sanitaire pour accélérer, au sein des entreprises du portefeuille, d'indispensables mutations en faveur de la compétitivité et de la transition écologique.

Cette évolution est à appréhender conjointement avec la démarche engagée par l'APE en faveur de la responsabilité sociale, sociétale et environnementale (RSSE) des entreprises du portefeuille. À cet effet, la Charte dédiée a été actualisée début 2021 22 ( * ) autour des quatre axes suivants :

- « intégrer pleinement les enjeux RSE dans la stratégie des entreprises ;

- « s'assurer de la transition vers une économie bas carbone ;

- « agir en employeur responsable ;

- « générer un impact sociétal positif » 23 ( * ) .

Tout en approuvant cette initiative, le rapporteur spécial ne peut que la lire à l'aune des débats sur la conditionnalité des aides publiques qui ont jalonné les différents textes financiers au cours de ces derniers mois.

À défaut d'une stricte conditionnalité, la troisième loi de finances rectificative pour 2020 24 ( * ) a prévu que toute prise de participation effectuée par l'APE au moyen des crédits exceptionnels dans une entreprise de plus de 500 millions d'euros de chiffre d'affaires devait être conditionnée à des engagements de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre , en cohérence avec les budgets carbone sectoriels et par catégorie de gaz à effet de serre prévus par la stratégie nationale bas carbone.

Le rapporteur spécial a eu l'occasion de l'indiquer l'an dernier : en assortissant son soutien de stricts engagements des entreprises aidées, la puissance publique assure le double rôle qui lui revient d'acteur de dernier ressort lorsque le marché ne suffit plus et de « maître des horloges » doté d'un horizon de long terme.

Pour suivre la mise en oeuvre de ces engagements, les entreprises doivent publier, dans un délai d'un an à compter de la prise de participation par l'État, un rapport annuel présentant les engagements pris, assortis d'un bilan de leurs émissions de gaz à effet de serre au cours de l'exercice clos.

Les premiers éléments devraient donc rapidement être communiqués. Il s'agira sans nul doute d'un outil précieux de contrôle et de suivi.

Le rapporteur saura s'en saisir pour veiller au respect des engagements pris et voir si le risque d'un « rendez-vous » manqué, redouté par certains, se confirme.


* 18 Obligations à option de conversion et/ou d'échange en actions nouvelles ou existantes.

* 19 Voir le rapport n° 743 (2020-2021) de M. Victorin Lurel sur le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2020, fait au nom de la commission des finances, 7 juillet 2021.

* 20 Le SBF 120, pour Société des bourses françaises, est un indice boursier de référence de la bourse de Paris, déterminé à partir des cours des quarante actions du CAC 40 et de quatre-vingt valeurs des compartiments A et B d'Euronext.

* 21 Pour le périmètre du portefeuille coté, à savoir sans prendre en compte les 4 milliards d'euros de l'augmentation de capital de la SNCF.

* 22 Voir la Charte de l'État actionnaire en matière de RSSE, édition 2021.

* 23 Voir le Rapport d'activité de l'APE 2020-2021, page 24.

* 24 Loi n° 2020-935 du 30 juillet 2020 de finances rectificative pour 2020.

Page mise à jour le

Partager cette page