N° 171

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 1 er décembre 2022

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à lutter contre la précarité des accompagnants d' élèves en situation de handicap et des assistants d' éducation ,

Par Mme Marie-Pierre MONIER,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon , président ; M. Max Brisson, Mme Laure Darcos, MM. Stéphane Piednoir, Michel Savin, Mme Sylvie Robert, MM. David Assouline, Julien Bargeton, Pierre Ouzoulias, Bernard Fialaire, Jean-Pierre Decool, Mme Monique de Marco , vice-présidents ; Mmes Céline Boulay-Espéronnier, Else Joseph, Marie-Pierre Monier, Sonia de La Provôté , secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jérémy Bacchi, Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Toine Bourrat, Céline Brulin, Samantha Cazebonne, M. Yan Chantrel, Mme Nathalie Delattre, M. Thomas Dossus, Mmes Sabine Drexler, Laurence Garnier, Béatrice Gosselin, MM. Jacques Grosperrin, Jean Hingray, Jean-Raymond Hugonet, Claude Kern, Mikaele Kulimoetoke, Michel Laugier, Pierre-Antoine Levi, Jean-Jacques Lozach, Jacques-Bernard Magner, Jean Louis Masson, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Philippe Nachbar, Olivier Paccaud, Damien Regnard, Bruno Retailleau, Mme Elsa Schalck, M. Lucien Stanzione, Mmes Sabine Van Heghe, Anne Ventalon, M. Cédric Vial .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 16 ème législ.) :

4781 , 4899 et T.A. 761

Sénat :

379 (2021-2022) et 172 (2022-2023)

AVANT-PROPOS

La présente proposition de loi, dont l'initiative revient à l'ancienne députée Michèle Victory, a été adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale en première lecture, le 20 janvier 2022. Elle concerne deux catégories de personnels qui sont indispensables à la réalisation d'un objectif unanimement partagé, l'école inclusive : d'une part, les accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH), d'autre part, les assistants d'éducation (AED).

En début d'année, la rapporteure a, avec ses collègues Annick Billon et Max Brisson, dans le cadre de la mission d'information qui leur avait été confiée sur le bilan des mesures éducatives du quinquennat 1 ( * ) , lancé une première alerte sur les conditions d'emploi et de travail des accompagnants des élèves en situation de handicap.

Pour elle, cette proposition de loi s'inscrit donc dans la continuité de ce travail de contrôle, tout en offrant une opportunité de faire évoluer la législation.

Afin de disposer d'un état des lieux à jour et le plus exhaustif possible, la rapporteure a souhaité échanger avec l'ensemble des acteurs de l'école inclusive : collectifs d'AESH, syndicats des personnels de l'Éducation nationale, syndicat des personnels de direction, fédérations et associations de parents d'élèves, représentant des directeurs de maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), responsables de pôles inclusifs d'accompagnement localisés (PIAL), direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO).

À l'issue de ce travail d'audition, la rapporteure tire encore plus fort la sonnette d'alarme sur la situation des 132 000 AESH : la précarité dans laquelle sont maintenus ces professionnels, chevilles ouvrières de l'école inclusive, est inacceptable.

En accélérant la possibilité de « CDIsation » des AESH, la proposition de loi, telle qu'issue des travaux de l'Assemblée nationale, constitue une première avancée. Elle apporte stabilité de l'emploi, visibilité sur l'avenir et reconnaissance professionnelle. La rapporteure est néanmoins consciente de la longueur du chemin qu'il reste à parcourir pour sortir les AESH de la précarité. C'est pourquoi, en plus des avancées supplémentaires qui pourront être débattues lors de l'examen du texte en séance publique, elle appelle le Gouvernement à mener sans tarder une réforme structurelle de leurs conditions d'emploi et de travail, dans le cadre de « l'acte II de l'école inclusive » récemment annoncé par le ministre de l'Éducation nationale.

La proposition de loi confirme, par ailleurs, la possibilité de « CDIsation » des AED à l'issue de deux CDD, mesure déjà satisfaite par la loi du 2 mars 2022 visant à lutter contre le harcèlement scolaire, grâce à un apport du Sénat. La rapporteure a néanmoins proposé à la commission de maintenir cette disposition afin qu'en séance publique, le ministre en réaffirme son principe qui ne semble pas toujours effectif sur le terrain.

I. LES ACCOMPAGNANTS D'ÉLÈVES EN SITUATION DE HANDICAP (AESH) : UN STATUT ET DES CONDITIONS DE TRAVAIL À LA PRÉCARITÉ ALARMANTE

Remplaçant les auxiliaires de vie scolaire (AVS), les AESH ont été créé en 2014 2 ( * ) et sont devenus, au fil des années, des acteurs essentiels de l'école inclusive . Leurs missions sont divisées en trois grands domaines qui regroupent les différentes formes d'aide apportées aux élèves en situation de handicap, sur tous les temps et lieux scolaires 3 ( * ) :

? l'accompagnement dans les actes de la vie quotidienne (assurer les conditions de sécurité et de confort, aider aux actes essentiels de la vie, favoriser la mobilité) ;

? l'accompagnement dans l'accès aux activités d'apprentissage (éducatives, culturelles, sportives, artistiques ou professionnelles) ;

? l'accompagnement dans les activités de la vie sociale et relationnelle.

A. DES CONDITIONS D'EMPLOI ET DE TRAVAIL QUI MAINTIENNENT DE FACTO LES AESH SOUS LE SEUIL DE PAUVRETÉ

1. Les conditions d'emploi des AESH : un cumul de précarités

• Les AESH exercent principalement au sein de l'Éducation nationale, où ils peuvent être recrutés soit par le directeur académique ou le recteur, soit par le chef d'un établissement public local d'enseignement (collège ou lycée). Les AESH peuvent aussi être embauchés par les collectivités territoriales pour assurer l'accompagnement des élèves en situation de handicap sur les temps périscolaires. Nombre sont ceux qui cumulent ainsi deux emplois.

La coexistence de ces différents modes de recrutement et la possibilité d'avoir plusieurs employeurs complexifient les règles de gestion relatives aux AESH 4 ( * ) . Des retards dans le versement des payes ont, par exemple, été constatés en septembre dernier dans les académies de Toulouse, Montpellier et Aix-Marseille. Le ministre a récemment annoncé vouloir « travailler à une seule fiche de paie qui rémunérerait les AESH à la fois sur les temps scolaires et périscolaires, avec les collectivités qui rembourseraient le ministère pour le temps périscolaire » .

La rapporteure souhaite que le Gouvernement lance rapidement ce chantier, certes juridiquement et techniquement complexe, mais indispensable au passage à temps complet des AESH qui le souhaitent .

• Les AESH sont des agents contractuels de droit public, recrutés :

- par contrat à durée déterminée (CDD) de trois ans, renouvelable une fois ;

- après six ans de service dans ces fonctions et, en cas de renouvellement, par contrat à durée indéterminée (CDI) : le bénéfice de cette « CDIsation » a été introduit par la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance.

En audition, la rapporteure a été alertée sur des dysfonctionnements dans la gestion des contrats de travail des AESH , en particulier sur des retards dans leur transmission et sur des freins à leur renouvellement.

• Les AESH travaillent sur la base de 1 607 heures annuelles pour un temps complet, réparties entre 41 et 45 semaines. En général, ce temps de travail est réparti sur 41 semaines.

Seulement 2 % des AESH disposent d'un emploi à temps complet, la quotité de travail moyenne n'étant que de 62 % (ce qui correspond à 24 heures hebdomadaires, soit le nombre d'heures de classe par semaine dans le premier degré, sur 41 semaines). Certains AESH ont un temps de travail hebdomadaire supérieur, par exemple autour de 30 heures lorsqu'ils exercent dans le second degré, mais ils ne sont qu'une petite minorité.

Le temps de travail est l'un des principaux enjeux de l'amélioration des conditions d'emploi des AESH . Actuellement, ceux qui veulent travailler à temps complet ne le peuvent pas. Cette situation de temps incomplet subi contraint les AESH à cumuler les « petits » contrats (CDD, intérim) pour prétendre a` un niveau de revenus plus décent.

À l'occasion de l'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2023, le ministre a indiqué que son objectif était « de proposer à tous les AESH qui le souhaitent un contrat de 35 heures , ce qui représentera un gain substantiel de revenus » , précisant qu'« une telle mesure suppose un chantier d'ensemble sur le rôle des AESH et leurs missions ».

La rapporteure accueille avec intérêt le souhait du ministère d'engager une réforme sur le temps de travail des AESH, qui n'a que trop tardé .

• La rémunération des AESH repose sur une grille indiciaire entrée en vigueur le 1 er septembre 2021. Avec les revalorisations successives du salaire minimum dans la fonction publique, la grille s'est progressivement « tassée » , si bien qu'aujourd'hui, les trois premiers échelons ont des indices équivalents ou quasi-équivalents 5 ( * ) .

Grille indiciaire des AESH

ÉCHELON

INDICE BRUT (IB)

INDICE MAJORÉ (IM)

11

505

435

10

493

425

9

478

415

8

463

405

7

450

395

6

437

385

5

422

375

4

404

365

3

388

355

2

382

352

1

382

352

MONTANTS DES SALAIRES DES AESH AU 1 ER JUILLET 2022

ÉCHELON

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

11

Indice

352

352

355

365

375

385

395

405

415

425

435

Temps complet

Salaire brut

1 707 €

1 707 €

1 722 €

1 770 €

1 819 €

1 867 €

1 916 €

1 964 €

2 013 €

2 061 €

2 110 €

Net

Zone 3

1 369 €

1 369 €

1 381 €

1 420 €

1 459 €

1 498 €

1 536 €

1 575 €

1 614 €

1 653 €

1 692 €

À 62 %

(24 h/ semaine)

Salaire brut

1 058 €

1 058 €

1 068 €

1 097 €

1 128 €

1 158 €

1 188 €

1 218 €

1 248 €

1 278 €

1 308 €

Net

Zone 3

849 €

849 €

856 €

880 €

904 €

929 €

953 €

977 €

1 001 €

1 025 €

1 049 €

Subissant des temps de travail incomplets et pâtissant d'indices de rémunération au minimum de la fonction publique, les AESH perçoivent en moyenne 850 euros nets par mois , soit un montant de revenu inférieur au seuil de pauvreté 6 ( * ) .

Pour la rapporteure, ce niveau de salaire n'est absolument pas à la hauteur du service rendu par les AESH au bénéfice des élèves en situation de handicap et, plus largement, de l'école inclusive. Elle estime urgent que le ministère s'engage à améliorer la rémunération des AESH, ce qui passe à la fois par une augmentation des temps de travail et une révision à la hausse de la grille indiciaire .

Les alertes de la rapporteure sur deux récentes annonces budgétaires
relatives à la rémunération des AESH

ï Les projets de décret et d'arrêté élargissant le bénéfice des primes REP 7 ( * ) et REP + 8 ( * ) , présentés en octobre dernier au comité technique ministériel de l'Éducation nationale (CTMEN), prévoient des montants moindres pour les AESH et les AED que pour les autres personnels de l'Éducation nationale. La rapporteure juge cette différence de traitement injustifiée . Si 2023 peut être considérée comme une année transitoire, elle demande au ministère de s'engager sur un alignement des montants dès 2024.

ï À l'Assemblée nationale, un amendement au PLF pour 2023, retenu par le Gouvernement après l'utilisation du 49-3, prévoit une enveloppe de 80 M€ pour revaloriser de 10 % les crédits alloués à la rémunération des AESH . Aucune précision n'a cependant été apportée sur le fléchage de cette enveloppe. La rapporteure souhaite qu'elle serve à augmenter les salaires des AESH et non à proposer aux AESH d'être rémunérés pour d'autres missions que l'accompagnement des élèves en situation de handicap sur le temps scolaire.

• La formation initiale des AESH consiste en une adaptation à l'emploi ayant pour objectif de leur apporter des compétences directement utilisables. D'une durée de 60 heures, elle est obligatoire. La formation continue repose, quant à elle, sur un cahier des charges national. Elle doit ensuite être déclinée, au niveau local, dans les plans de formation académiques et départementaux.

La rapporteure a été informée de fréquents cas d'« auto-formation » , c'est-à-dire de situations dans lesquelles l'AESH effectue ses propres démarches pour trouver la formation répondant à ses besoins, qu'elle règle sur ses propres deniers voire que les parents de l'enfant dont elle s'occupe lui financent (notamment lorsqu'il s'agit d'un handicap spécifique). Face à ce type de dérive, elle estime indispensable de renforcer la formation des AESH et de revoir ses modalités de prise en charge financière .

• Les auditions ont également mis en exergue la situation particulière des AESH exerçant dans l'enseignement agricole et maritime . Au nombre de 700 environ, ils sont confrontés à des conditions d'emploi encore plus difficiles - quotité de travail comprise entre 10 % et 20 %, non-accès aux dispositifs de formation -, si bien qu'ils se qualifient eux-mêmes de « sous-AESH » .

Dans le cadre du « chantier d'ensemble » annoncé par le ministre, la rapporteure appelle à prendre en considération l'ensemble des AESH et non uniquement ceux relevant du ministère de l'Éducation nationale .

2. Des conditions de travail qui n'ont cessé de se détériorer

Les conditions de travail des accompagnants d'élèves en situation de handicap , y compris du temps des AVS, n'ont jamais été bonnes . Mais, selon les collectifs d'AESH et les représentants syndicaux des personnels de l'Éducation nationale auditionnés par la rapporteure, elles n'ont cessé de se dégrader depuis quelques années . La mise en place, en 2021, des pôles inclusifs d'accompagnement localisés (PIAL) semble avoir aggravé la situation (cf. infra ).

Aujourd'hui, le quotidien d'un AESH se caractérise par une très grande flexibilité :

§ affectation dans différents établissements relevant du territoire du PIAL ;

§ prise en charge simultanée de plusieurs enfants, consécutive au développement de l'aide mutualisée ;

§ changements fréquents et non concertés d'emploi du temps et d'affectation ;

§ accomplissement de tâches ne faisant pas partie de ses missions, comme la surveillance de classes entières, d'examens, ou l'aide à des tâches administratives ;

§ multiplication des déplacements, en particulier en milieu rural, dont les frais ne sont pas toujours pris en charge alors qu'ils le devraient, en application de la réglementation de l'Éducation nationale 9 ( * ) ;

§ droits à la pause méridienne et au fractionnement des jours de congé non respectés 10 ( * ) .

3. Des professionnels « en train de sombrer »

Les auditions menées par la rapporteure ont révélé un tableau édifiant des conditions de travail des AESH . Certaines expressions utilisées par les professionnels entendus sont particulièrement saisissantes : « de l'exploitation pure et simple », « des conditions de travail déshumanisées », « sentiment d'être du sous-personnel », « AESH sous-payés et corvéables », « AESH toujours relégués en dernier » .

Ces conditions de travail extrêmement dégradées conduisent à des arrêts maladie à répétition, des cas de dépression, des abandons de poste, des démissions - très nombreuses l'été dernier dans certains territoires 11 ( * ) . Indicateur particulièrement significatif de cette situation, l'ancienneté moyenne dans la fonction n'est que de deux ans et demi .

Malgré l'absence de reconnaissance et la perte de sens que les AESH dénoncent , la rapporteure a été frappée de constater que nombre d'entre eux ont le courage de continuer car, selon certains témoignages, « c'est un beau métier » , « sans AESH, il n'y a pas d'école inclusive » .


* 1 Rapport d'information de Mme Annick Billon, M. Max Brisson et Mme Marie-Pierre Monier, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, n° 543 (2021-2022) - 23 février 2022.

* 2 Cf. l'article L. 917-1 du code de l'éducation et le décret n° 2014-724 du 27 juin 2014 relatif aux conditions de recrutement et d'emploi des AESH.

* 3 Cf. la circulaire n° 2017-084 du 3 mai 2017.

* 4 Les AESH recrutés par l'académie ou le rectorat sont rémunérés directement sur le budget de l'État, alors que ceux recrutés par le chef d'établissement relèvent du budget dudit établissement. Les AESH recrutés par les collectivités territoriales sont rémunérés par celles-ci.

* 5 Les indices des deux premiers échelons ont été revalorisés en mai 2022 à la suite du relèvement du traitement minimum de la fonction publique.

* 6 Selon l'Insee, est considérée comme pauvre une personne dont les revenus mensuels sont inférieurs à 885 euros ou 1 102 euros, selon que le seuil de pauvreté est fixé à 50 % ou 60 % du niveau de vie médian.

* 7 Réseaux d'éducation prioritaire.

* 8 Réseaux d'éducation prioritaire renforcés.

* 9 En théorie, les AESH peuvent prétendre à une prise en charge de 50 % de l'abonnement à des transports publics de voyageurs et de services publics de location de vélo entre leur résidence habituelle et leur lieu de travail. Mais selon de nombreuses remontées de terrain, ce remboursement est, en pratique, très peu effectif.

* 10 Si sa journée atteint 6 heures continues de travail, l'AESH doit bénéficier d'une pause d'une durée minimale de vingt minutes, avant ou après le temps de restauration de l'élève. En tant que contractuels de droit public, les AESH ont droit au fractionnement de leurs jours de congé, c'est-à-dire à la possibilité de les prendre en plusieurs fois, lorsque le congé est supérieur à 12 jours ouvrables. Dans les faits, ces dispositions ne sont peu ou pas appliquées.

* 11 Selon les chiffres cités en audition par certains représentants syndicaux, 250 démissions à Paris et 250 en Haute-Garonne.

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