N° 9

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 octobre 2023

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur la proposition de loi visant à renforcer le rôle des maires dans l'attribution des logements sociaux,

Par Mme Dominique ESTROSI SASSONE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente ; MM. Alain Chatillon, Daniel Gremillet, Mme Viviane Artigalas, MM. Franck Montaugé, Franck Menonville, Bernard Buis, Fabien Gay, Pierre Médevielle, Mme Antoinette Guhl, M. Philippe Grosvalet, vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, M. Rémi Cardon, Mme Anne-Catherine Loisier, secrétaires ; M. Jean-Pierre Bansard, Mme Martine Berthet, MM. Yves Bleunven, Michel Bonnus, Denis Bouad, Jean-Marc Boyer, Jean-Luc Brault, Frédéric Buval, Henri Cabanel, Alain Cadec, Guislain Cambier, Mme Anne Chain-Larché, MM. Patrick Chaize, Patrick Chauvet, Mme Evelyne Corbière Naminzo, MM. Pierre Cuypers, Daniel Fargeot, Gilbert Favreau, Stéphane Fouassin, Mmes Amel Gacquerre, Annick Jacquemet, Micheline Jacques, MM. Yannick Jadot, Vincent Louault, Mme Marianne Margaté, MM. Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Sebastien Pla, Mme Sophie Primas, M. Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Lucien Stanzione, Jean-Claude Tissot.

Voir les numéros :

Sénat :

494 (2022-2023) et 10 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

La proposition de loi de Mme Sophie Primas visant à renforcer le rôle des maires dans l'attribution des logements sociaux a été déposée début avril 2023 et a été signée par plus de quatre-vingts sénateurs.

Recevant à l'Élysée 220 maires, le 25 juin 2023, après les émeutes qui ont touché nombre de villes de France, le Président de la République a fait part de son intention de travailler sur les attributions de logements sociaux afin de laisser une plus grande marge de manoeuvre aux maires et leur donner une meilleure maîtrise du « peuplement » de leur commune.

Convaincue depuis longtemps que le bloc communal doit pouvoir jouer un rôle plus important en matière de logement, la commission formalise, en adoptant cette PPL, une première proposition qui replace les maires au coeur des attributions.

I. LA PLACE INSUFFISANTE DES MAIRES DANS L'ATTRIBUTION DES LOGEMENTS SOCIAUX

L'article L. 441 du code de la construction et de l'habitation (CCH)1(*) prévoit que les bailleurs sociaux attribuent les logements sociaux.

Pour ce faire, en application de l'article L. 441-2 du CCH2(*), il est créé par chaque bailleur social une commission d'attribution des logements et d'examen de l'occupation des logements (CALEOL). Une commission intercommunale peut toutefois être créée dès lors que le bailleur dispose de plus de 2 000 logements sur le territoire de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI).

Cette commission est composée de six représentants du bailleur, dont le président, du maire de la commune où sont implantés les logements, qui dispose d'une voix prépondérante en cas de partage, du représentant de l'État et de celui de l'EPCI. Par ailleurs, peuvent participer avec voix consultative des maires d'arrondissement ou les autres réservataires.

« Nous devons combattre un véritable sentiment de dépossession des maires
dans l'attribution des logements sociaux »

Or, la place des maires dans les CALEOL n'est pas à la mesure de leur rôle central dans le développement du logement social, notamment à travers l'attribution des permis de construire et la garantie des emprunts. De fait, l'attribution des logements leur échappe majoritairement. Ils pèsent peu dans les commissions d'attribution à côté de l'État ou des organismes HLM, étant seuls parmi une dizaine de membres.

Nombreux sont ceux, aujourd'hui, qui déplorent le sentiment de dépossession des maires vis-à-vis de l'attribution des logements sociaux. Ces difficultés impactent négativement la construction et l'acceptation de nouveaux logements sociaux. Cette perception semble alimentée par quatre facteurs principaux :

- le manque de logements sociaux face à une demande croissante alors que le parcours résidentiel, de la location vers la propriété, est bloqué ;

- la montée en puissance de politiques publiques conduisant à des relogements prioritaires, comme le renouvellement urbain, la politique du logement d'abord ou du droit au logement opposable (DALO), qui préemptent le peu de logements disponibles et échappent aux maires et à leurs administrés ;

- la très grande complexité, et l'incompréhension qui en découle, de la gestion en flux3(*) et de la cotation4(*) des demandes de logements sociaux créées par la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique ( ELAN5(*)) du 23 novembre 2018 et qui doivent entrer en vigueur fin 2023 ;

- et, enfin, la montée en puissance des intercommunalités en matière de logement6(*) qui peut contribuer à complexifier encore plus les modalités de la décision.

II. LA PPL ET LA POSITION DE LA COMMISSION : REPLACER LES MAIRES AU CENTRE DE LA DÉCISION D'ATTRIBUTION

L'article unique de la PPL conduirait à deux modifications :

- le maire deviendrait le président de la CALEOL, en lieu et place d'un représentant de l'organisme de logement social ;

et la représentation de la commune serait renforcée et portée au même niveau que celle de l'organisme de logement social, soit six membres, choisis parmi les élus du conseil municipal.

L'objectif de ces deux changements est de renforcer le poids des communes en les rendant incontournables dans le processus d'attribution des logements puisque, par ailleurs, depuis la loi ELAN, les maires disposent à nouveau d'une voix prépondérante dans ces commissions.

En revanche, cette PPL ne vient pas modifier les règles définissant les publics prioritaires, découlant de la mise en oeuvre du droit au logement opposable ou encore la future mise en oeuvre de la gestion en flux et de la cotation à partir de la fin de cette année. La PPL est bien centrée sur le rôle des maires dans le processus d'attribution.

« La place des maires dans les CALEOL est un élément aussi symbolique
que central. »

Cependant, l'augmentation importante de la représentation des élus dans ces commissions pose de réels problèmes pratiques de disponibilité et de quorum, car elles sont beaucoup plus fréquentes - parfois plusieurs par mois - que d'autres instances locales. Elle pourrait donc entraîner des difficultés de fonctionnement et un ralentissement des attributions.

À défaut donc d'établir l'égalité numérique entre la délégation du bailleur social et celle de la commune, la commission des affaires économiques a adopté un amendement du rapporteur ( COM-27(*)) donnant au maire un droit de veto plutôt qu'une voix prépondérante en cas de partage. Ce veto devrait être motivé et pourrait par exemple s'appuyer sur la qualification du parc social et de son occupation établie par le bailleur8(*) et d'ores et déjà prévue par les textes.

Par ailleurs, la commission des affaires économiques estime essentiel d'attribuer aux maires la présidence de ces commissions, tout en veillant à conserver leur caractère intercommunal lorsque c'est le cadre de fonctionnement établi. Dans ce cas, il apparaît cohérent qu'elles soient présidées par le représentant de l'EPCI, responsable de la politique du logement sur un territoire donné.

Enfin, la commission propose de généraliser la délégation des droits de réservation de l'État au maire lors de la première mise en location d'un programme neuf, comme le rend déjà possible une lecture souple du décret de 2020 qui régit la mise en oeuvre de la cotation, de la gestion en flux et des conventions de réservation. Cela se pratique déjà dans les Yvelines et dans d'autres territoires, selon les témoignages recueillis.

Non seulement cela redonnerait une vraie capacité au maire pour maîtriser le peuplement d'une résidence en lui donnant la possibilité d'attribuer environ la moitié des nouveaux logements, mais cela paraît également de nature à soutenir la construction de nouveaux logements sociaux et l'application de la loi SRU en permettant de répondre à la demande locale et donc de légitimer ce type de construction par rapport aux critiques récurrentes que nous connaissons.


* 1 https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000037667676

* 2 https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000045211440

* 3 https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/fiche_politique_attribution_logements_locatifs_sociaux_gestion_flux_droits_reservation_logements_sociaux.pdf

* 4 https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/fiche_cotation_des_demandes_de_logement_social.pdf

* 5 https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl17-567.html

* 6 https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/fiche_politique_attribution_logements_locatifs_sociaux_gouvernance_intercommunale.pdf

* 7 https://www.senat.fr/amendements/commissions/2022-2023/494/Amdt_COM-2.html

* 8 https://boutique.union-habitat.org/publications/la-qualification-du-parc-social-et-de-son-occupation-elements-de-methode-et-retours