B. LA RÉFORME DE LA GOUVERNANCE DE L'AUDIOVISUEL PUBLIC, UN ENJEU DE LONG TERME

La réforme de l'audiovisuel public abandonnée en février 2020, prévoyait la création de France Médias, holding censée chapeauter les sociétés publiques audiovisuelles. Arte France et TV5 Monde n'étaient pas, cependant, intégrées à cette nouvelle structure. Trois missions lui auraient été assignées :

- définir des coopérations éditoriales entre les différentes entités, les décisions éditoriales demeurant du ressort des entreprises éditrices de programme ;

- déployer une offre « trimédia » : télévision, radio et internet ;

- mutualiser les fonctions non éditoriales à l'image de la formation, de la régie publicitaire ou de la recherche et développement.

La mission conjointe de contrôle du Sénat sur le financement de l'audiovisuel a préconisé d'aller plus loin avec la création d'une entreprise unique, regroupant France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l'INA et de rendre enfin effectives les projets de coopération « par le bas » laborieusement mis en oeuvre ces dernières années, qu'il s'agisse des matinales communes à France 3 et France Bleu, du lancement de l'application numérique commune « Ici » ou du Club « Achats » lancé en 2017.

Une société unique garantirait une unité de pilotage, une réduction des niveaux hiérarchiques et donc une plus grande agilité en vue de répondre à la mutation du paysage audiovisuel, dans un contexte de montée en puissance des plateformes et de révolution des usages. La société unique permettrait de mettre en place deux organes communs :

- une véritable « newsroom » réunissant l'ensemble des journalistes de France Télévisions, Radio France et France Médias Monde, organisée en trois pôles distincts couvrant respectivement l'international, le national et le local. Ces pôles seraient chargés d'alimenter les différents supports et antennes qui pourraient conserver leur identité. L'existence d'une telle salle de rédaction commune francophone permettrait de supprimer les doublons, de renforcer l'expertise et de favoriser la réactivité. Les rédactions en langues étrangères seraient maintenues et développées au sein du pôle international tandis que le pôle local aurait pour mission de développer le maillage régional et ultramarin sur l'ensemble des supports ;

- la création d'un média de service public territorialisé qui puisse décliner son offre éditoriale sur tous les supports. France 3 et France Bleu seraient ainsi regroupées au sein d'une même filiale de la société unique, qui pourrait être dénommée « France Médias Régions ». Cette structure aurait pour mission de réorganiser à la fois l'offre et la présence territoriale de France 3 et France Bleu pour proposer des programmes conçus au plus près des territoires en partenariat avec les collectivités territoriales. Cette fusion de France 3 et France Bleu devrait également permettre de repenser les méthodes de travail en adoptant des modes de production plus souples et réactifs.

La société unique pose également la question du nombre de chaînes. La trajectoire de réduction des dotations entre 2018 et 2022 n'a eu aucune incidence sur celui-ci. Faute de réelle ambition, le nombre de chaînes dont le service public dispose a été, pour l'essentiel, maintenu, induisant dans le meilleur des cas des efforts de gestion mais, le plus souvent, une volonté de diversifier ses ressources, en particulier publicitaires, au risque d'un abaissement de la qualité des programmes. Le rapporteur spécial s'interroge, dans ces conditions, sur le nombre d'antennes de Radio France, s'interrogeant en particulier sur la pertinence de maintenir Mouv' ou FIP sur la bande FM ou la présence de deux orchestres en son sein). La question du périmètre de France Télévisions doit également être posée. Force est de constater que France 5 semble davantage satisfaire des missions de service public telles que la promotion de la culture et de la connaissance que France 2, dont la quête d'audience pousse à la production coûteuse d'un feuilleton quotidien assez peu ambitieux quant au contenu ou au rachat de programmes éculés sur les chaînes privées, à l'image de MasterChef ou des Enfants de la Télé. Un transfert des émissions de France 5 vers France 2 - qui conserverait un pan entier de son antenne dédié à l'information - et la vente du canal 5 pourrait donc faire sens. Ces deux éléments contribueraient substantiellement à diminuer le coût du service public de l'audiovisuel, qui serait recentré sur ce qui est supposé être son coeur de métier.

Alors que le temps presse désormais, le Gouvernement n'a toujours avancé ni piste ni calendrier pour l'établissement d'un nouveau mode de financement de l'audiovisuel public en 2025, ce qui traduit un pilotage « court-termiste » de la dépense. Il semble incompréhensible, au regard de l'ampleur des enjeux et de la proximité de l'échéance, que le Gouvernement ne s'inquiète pas davantage de l'absence de prévisibilité de la ressource pour l'ensemble des six sociétés de l'audiovisuel public.

Si la nécessité de parer aux risques d'absence d'indépendance avait légitimement occupé une grande part des débats lors de la suppression de la CAP, cette question n'est en rien résolue à l'heure actuelle. La mission commune de contrôle du Sénat27(*) comme celle de l'inspection générale des finances (IGF) et de l'inspection générale des affaires culturelles (IGAC) sur l'avenir de la contribution, dont les conclusions ont été rendues publiques en juillet 2022, mettaient pourtant en avant différentes solutions.

Il convient de rappeler à ce stade que le Gouvernement envisageait initialement une budgétisation des crédits affectés à l'audiovisuel public qui paraissait à tout le moins plus lisible et plus conforme à la loi organique relative aux lois de finances28(*). Alors qu'une proposition de loi organique a déjà été déposée à l'Assemblée nationale29(*) prévoyant que des impositions de toutes natures puissent être directement affectées aux organismes de l'audiovisuel public, le risque est grand de voir pérennisée sans débat une solution initialement pensée comme transitoire, et sans que ces années intermédiaires n'aient été mises à profit pour avancer en vue d'une échéance pourtant prévue par la loi.

Dès lors que le Gouvernement ne semble pas prêt à s'emparer des propositions du Sénat s'agissant de la réforme de l'audiovisuel public, et alors que le budget 2024 constitue une étape de plus dans la spirale haussière de l'audiovisuel public, le rapporteur spécial a déposé un amendement II-5 (FINC.1) visant à geler les crédits des sociétés de l'audiovisuel public en 2024, en les maintenant au niveau accordé en LFI 2023.


* 27 Changer de cap pour renforcer la spécificité, l'efficacité et la puissance du service public, rapport d'information n° 651 (2021-2022) de MM. Roger Karoutchi et Jean-Raymond Hugonet, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication et de la commission des finance - 8 juin 2022.

* 28 Loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.

* 29 Proposition de loi organique portant modification de l'article 2 de la LOLF, dans sa rédaction résultant de l'article 3 de la loi organique n° 2021-1836 du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, applicable à compter du dépôt du projet de loi de finances pour l'année 2025.

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