EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 8 novembre 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a examiné le rapport de Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure spéciale, sur la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons maintenant le rapport spécial de Mme Florence Blatrix Contrat sur les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure spéciale de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ». - La traduction budgétaire de l'engagement de « réarmement » de l'État territorial porté par le Gouvernement n'est pas à la hauteur. Les effectifs du programme 354 « Administration territoriale de l'État » augmenteront de 232 équivalents temps plein (ETP), loin en deçà de ce qui est devenu indispensable pour résoudre les difficultés auxquelles est confrontée l'administration déconcentrée du ministère de l'intérieur. Au rythme actuel, il faudrait plus d'une vingtaine d'années pour revenir au niveau des effectifs de 2012.

Dans un premier temps, je souhaite aborder les grands enjeux de la réforme de l'organisation territoriale de l'État. Les préfets sont au coeur de cette réforme et disposent de nouvelles marges d'action, en particulier pour redéployer des emplois entre les missions budgétaires. Outre la mission AGTE, plusieurs missions sont concernées : agriculture, écologie, culture, travail et emploi, solidarités, économie. Les préfets de région peuvent, en fonction des priorités locales et nationales, piocher dans ces viviers d'emplois et redéployer jusqu'à 2 000 ETP chaque année. Alors que le projet annuel de performances de la mission ne comporte aucune information sur l'utilisation de ce dispositif, je considère que l'information du Parlement devrait être assurée et que des précisions devront, à l'avenir, intervenir dès le dépôt du projet de loi de finances.

Par ailleurs, Mme Isabelle Briquet avait dressé un certain nombre de constats sur la situation des secrétariats généraux communs départementaux lors de ses travaux de contrôle, qui ont depuis été confirmés par les travaux interinspections. Les objectifs de la réforme n'ont pas été atteints et celle-ci a placé en grande difficulté les agents chargés de la mettre en oeuvre.

Dans ce contexte, les différents chantiers de convergence lancés dans le cadre de la réforme doivent permettre de rapprocher les fonctionnements en ressources humaines des principaux ministères. Ils doivent désormais se poursuivre afin de permettre que les secrétariats généraux communs départementaux fonctionnent dans de bonnes conditions.

Je souhaite également revenir sur certains constats de la Cour des comptes, exprimés dans son rapport sur les effectifs de l'administration territoriale. La Cour considère que les suppressions de postes de ces dernières années n'ont pas été réalistes au sein des préfectures ; celles-ci ne fonctionnent qu'au moyen de contrats courts qui précarisent leurs titulaires et désorganisent les services.

Elle fait le constat que le plan préfectures nouvelle génération (PPNG) de 2016 a été conçu pour adapter les missions aux réductions d'effectifs, et non l'inverse. En dix ans, le programme a enregistré la perte de 4 748 ETP, soit plus de 16 % des emplois de 2010. Aujourd'hui, la hausse proposée ne représente que 5 % des pertes d'effectifs auxquelles a été confronté le réseau des préfectures.

Par ailleurs, le ministère de l'intérieur a mis en place un document stratégique : missions prioritaires des préfectures (MPP) 2022-2025. Ce document est mal nommé ; loin de prioriser certaines missions, il rappelle l'importance de l'ensemble des missions préfectorales. En menant le chantier en trompe-l'oeil de la priorisation des missions, le Gouvernement veut faire croire que les difficultés de l'administration territoriale de l'État peuvent être résorbées à moyens constants. L'impossibilité de prioriser certaines missions pour le ministère témoigne de la nécessité d'augmenter les moyens afin de garantir la mise en oeuvre effective des différentes politiques publiques portées par la mission.

Je souhaite également revenir sur la délivrance des titres. En 2022, les délais d'obtention de cartes nationales d'identité et de passeports ont atteint des délais inacceptables. Aujourd'hui, ils ont été largement résorbés ; nous sommes revenus à des délais moyens d'obtention d'un rendez-vous en deçà de 20 jours.

Ces progrès ont été rendus possibles grâce à la mise à disposition des communes de nouveaux dispositifs de recueil indispensables pour traiter les demandes. Ainsi, entre 2021 et 2023, le nombre de dispositifs a augmenté d'un peu plus de 40 %. Outre les évolutions de la dotation titres sécurisés (DTS), indispensables pour permettre aux communes d'absorber le flux de demandes, ces nouveaux dispositifs ont permis de réduire les délais.

Aujourd'hui, la hausse du nombre de demandes de carte nationale d'identité et de passeport est structurelle ; on peut prévoir environ 14 millions de demandes de titres par an. Un rapport commandé à la Cour des comptes par la commission des finances devrait être rendu dans les prochains mois ; il permettra de mieux comprendre les raisons qui ont conduit à une telle explosion des délais, et d'évaluer si les réponses apportées à ce stade offrent une solution durable aux difficultés rencontrées par nos concitoyens. Il est aujourd'hui indispensable d'assurer un suivi beaucoup plus fin de l'évolution des demandes de titres, afin d'être en mesure de beaucoup mieux anticiper en cas de dérapage des délais de délivrance de titres.

Par ailleurs, pour permettre aux services instructeurs des préfectures de faire face à l'évolution structurelle des demandes de titres d'identité, le nombre de contractuels a été multiplié par onze. On ne saurait admettre que pour répondre à une évolution d'ordre structurel, le Gouvernement fasse le choix d'apporter une réponse conjoncturelle en mobilisant des effectifs contractuels.

Les services en charge de l'accueil et des demandes de titres étrangers sont confrontés à des problématiques similaires. Ils sont toujours en grande difficulté, et les délais n'ont pas vraiment été réduits sur les principales procédures. La dématérialisation des rendez-vous et d'une partie des démarches, dans le cadre de l'administration numérique pour les étrangers en France (Anef), est très loin d'apporter les réponses attendues à la crise de ces services.

Si l'Anef a été initialement présentée comme un gisement potentiel d'économies d'emplois, le ministère de l'intérieur est heureusement revenu sur cette appréciation. Dans la lignée des engagements pris par le ministre de l'intérieur l'an dernier, la consigne a été passée aux services de mobiliser les marges en effectifs dégagées par l'Anef pour améliorer la qualité de l'accueil et du traitement des dossiers.

Les renforts en contractuels sont maintenus pour 2024. Je regrette, encore une fois, ce choix de mobiliser des contractuels, alors que de nouveaux renforts sont déjà envisagés en 2025. On sait déjà que des renforts de long terme seront nécessaires, et la priorité devrait être de consolider des services et de fidéliser des compétences, à rebours du choix du Gouvernement.

Je souhaite enfin revenir sur le rôle du Secrétariat général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SG-CIPDR), une structure qui a particulièrement occupé notre commission à l'occasion de la mission d'information sur le fonds Marianne. La tutelle de la ministre déléguée sur le SG-CIPDR a mis à mal la vocation interministérielle de cette structure ; l'évolution de l'activité et des relations avec le politique du SG-CIPDR a malheureusement conduit, comme l'a montré le rapport de notre commission, à « un mélange des genres regrettable ».

Au-delà des recommandations de la mission, il me semble indispensable de tirer des enseignements sur le rôle de cette structure et sur son positionnement. La nomination, comme nouveau secrétaire général, d'un ancien magistrat, doit être vue comme allant dans le bon sens. L'engagement pris par Mme Sonia Backès, avant sa démission du Gouvernement, de transformer le Secrétariat général en délégation me semble pertinente. Cette transformation permettrait de renforcer le caractère interministériel de la structure, et de donner à celui qui la dirige, devenu délégué interministériel, la capacité d'entretenir des rapports directs avec les autres ministres et cabinets. La prévention de la délinquance doit avant tout passer par une logique interministérielle, et cette dimension doit être réaffirmée.

L'évolution doit aussi passer par la normalisation de la situation des agents de l'unité de contre-discours républicain (UCDR), qui doivent pouvoir être des agents titulaires. Il conviendrait que la direction du budget admette un rehaussement ponctuel du plafond d'emploi du programme 216 pour intégrer ces agents.

Avant de conclure, je souhaite évoquer la situation des intervenants sociaux en commissariat et gendarmerie (ISCG). Ils jouent un rôle majeur pour l'accueil des victimes en situation de fragilité, notamment les femmes victimes de violences intrafamiliales et les personnes en situation de handicap ; les retours sur le sujet, dans les territoires, sont très positifs.

Alors que le fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) couvre 80 % du coût la première année, 50 % la deuxième et 30 % la troisième, le Gouvernement a fait le choix, raisonnable, de maintenir son financement à 30 % au-delà de la troisième année de manière pérenne. C'est une avancée importante, qui permet de soutenir ce dispositif indispensable pour l'accompagnement des victimes.

En conclusion, je souhaite évoquer la sortie du champ du SG-CIPDR des crédits dédiés au financement de la vidéoprotection. Ces financements sont désormais portés par la direction des entreprises et partenariats de sécurité et des armes (Depsa), qui a vocation à unifier la politique de l'État en direction des différents acteurs de la sécurité.

D'un point de vue budgétaire, les crédits de la vidéoprotection sortent de l'action dédiée au FIPDR et rejoignent une action ad hoc. D'après mes échanges avec le ministère, bien que retracés sur un budget opérationnel de programme et une action distincts, les crédits de la vidéoprotection seraient néanmoins toujours considérés comme des crédits relevant du FIPDR. Je déplore l'incohérence et le manque de clarté qui résulte de ce changement de maquette budgétaire.

Surtout, je considère que ces évolutions auraient pu constituer une occasion de faire évoluer les règles applicables au financement de la vidéoprotection et de les sortir du cadre rigide du FIPDR. L'installation de la vidéoprotection n'est pas une dépense d'équipement comme une autre ; elle mériterait d'être traitée comme une dépense d'investissement. Une telle évolution permettrait aussi de renforcer la dimension pluriannuelle de l'engagement de ces crédits, et de favoriser le financement d'opérations complexes ou d'une plus grande ampleur. En ce sens, les changements introduits par le projet de loi de finances auraient pu constituer l'occasion d'adapter les conditions du financement par l'État des projets des collectivités.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, je propose le rejet des crédits de la mission.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le rapport met bien en lumière un problème déjà évoqué pour ce PLF : l'absence de priorités. La question des titres sécurisés l'illustre bien. Il a fallu batailler pendant trois ou quatre ans pour que la montée en charge du dispositif commence. Cependant, un travail important reste à fournir puisqu'il faut évaluer les besoins afin d'apporter une réponse durable, sans surcharger les effectifs et tout en assurant une bonne qualité de service. Au début de la mise en place du dispositif, il fallait une semaine pour obtenir sa pièce d'identité, mais aujourd'hui les délais sont plus longs. Les élus locaux font remonter des demandes en la matière, en réaction à une réalité vécue et non pour le plaisir de contester. Je note que les collectivités locales sont au rendez-vous de l'équilibre budgétaire et financier. Je partage l'avis de notre rapporteure spéciale.

M. Marc Laménie. - La baisse des effectifs est largement signalée depuis une dizaine d'années. Des sous-préfectures ont été supprimées il y a quelques années ; où en est-on à ce sujet ?

Pourriez-vous revenir sur l'efficacité des maisons France Services ?

Enfin, les intervenants sociaux au sein des commissariats de police et des unités de gendarmerie sont trop peu nombreux. Pourtant, ils représentent un lien et contribuent notamment à lutter contre les violences intrafamiliales.

Mme Isabelle Briquet. - La mission montre bien les conséquences du désarmement des services de l'État. Nous observons une perte de services et de compétences, ainsi qu'un recours massif à des contractuels. La Cour des comptes souligne que la situation n'est pas acceptable.

Les éléments communiqués cette année permettent-ils d'envisager le retour à un délai correct pour la délivrance des titres ?

Les crédits liés à la vidéoprotection changent d'affectation. Néanmoins, un meilleur fléchage serait souhaitable. Le FIPD montrait que ces crédits étaient insuffisants par rapport à la demande croissante des communes à tel point que, dans certains départements, la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) doit pallier ces manques. Je ne peux qu'appuyer la demande formulée pour tenter d'y voir plus clair sur la répartition et l'usage de ces fonds.

M. Grégory Blanc. - S'agissant de la délivrance des titres sécurisés, je souhaiterais obtenir quelques éclaircissements sur les plans de renfort exceptionnel pour 2024.

Par ailleurs, la dématérialisation mise en place pour la délivrance des titres pour les étrangers est une catastrophe, qui crée des difficultés et même certaines situations irrégulières. Pourriez-vous donner des précisions à ce sujet ?

M. Olivier Paccaud. - Ma question reprend celle d'Isabelle Briquet sur la vidéoprotection. Je suis issu d'un territoire dans lequel le conseil départemental comme la région ont fourni de gros efforts en la matière. Aujourd'hui, de nombreuses communes ont recours à cet outil - que leur maire soit de droite ou de gauche - et doivent faire appel à l'État pour compléter leur plan de financement. Un flou demeure sur les crédits alloués et une clarification semble nécessaire.

Mme Christine Lavarde. - Je voudrais poser une question concernant la délivrance des titres pour les étrangers, que j'ai adressée au ministre de l'intérieur il y a presque un an et à laquelle je n'ai toujours pas reçu de réponse : pourquoi le dépôt numérique n'est-il pas possible pour tous les dossiers ? En effet, cette possibilité ne concerne que les étudiants, les visiteurs, ceux qui relèvent du « passeport talent » ou demandent des duplicatas. Cet accès restreint crée des difficultés et oblige les personnes étrangères à obtenir un rendez-vous physique pour apporter leurs pièces justificatives. Ce problème aurait dû être résolu par le déploiement complet de l'Anef, prévu pour 2020. D'où vient le blocage ? S'agit-il uniquement de questions de personnel que vous avez évoquées ou aussi de problèmes techniques ?

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure spéciale. - Je partage les propos du rapporteur général sur l'incapacité à prioriser et sur le manque d'évaluation des besoins pour répondre aux demandes de l'administration territoriale. Nous devons adapter les moyens aux besoins et non les besoins aux moyens, ce qu'a fait le Gouvernement.

Pour répondre à Marc Laménie, six sous-préfectures ont été créées l'année dernière et il n'y a pas de nouvelles créations prévues.

Par ailleurs, les maisons France Services présentent une grande disparité. Dans mon département, certaines fonctionnent très bien et bénéficient d'une forte affluence, quand d'autres rencontrent plus de difficultés. Une évaluation est nécessaire pour que les collectivités soient accompagnées en la matière.

Enfin, je partage vos propos sur la question des intervenants sociaux.

Madame Briquet, pour la délivrance de titres, la durée moyenne pour obtenir un rendez-vous est de 18,4 jours, ce qui représente une amélioration sensible.

En ce qui concerne la vidéoprotection, nous allons mener des travaux complémentaires avant l'examen dans l'hémicycle, pour tenter de remédier au manque de clarté. Les crédits ne sont plus rattachés à l'action dédiée au FIPD au sein du programme 216. Le FIPD devra-t-il contribuer au financement de la vidéoprotection au détriment d'autres actions ? Nous le craignons.

Monsieur Grégory Blanc, selon une décision du Conseil d'État, les procédures doivent être revues pour garantir un meilleur accompagnement dans le cadre de l'Anef. Dans certains départements, des points d'accueil numérique renforcés (PAN+) sont mis en place en parallèle du déploiement du dispositif PAN-Emeraude, dont les évaluations semblent positives. Les moyens dont dispose le ministère ne permettent malheureusement pas que ce déploiement soit généralisé à ce stade.

Enfin, madame Lavarde, je n'ai pas de réponse à votre question, l'essentiel des procédures ANEF étant censées être aujourd'hui accessibles. Nous nous renseignerons pour vous répondre.

La commission a décidé de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

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Réunie à nouveau le jeudi 23 novembre 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances, après avoir pris acte des modifications adoptées par l'Assemblée nationale, a confirmé sa décision de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

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