B. L'EFFET DES MESURES PRISES DEPUIS 2020 EST LIMITÉ

Plusieurs autres mesures sont entrées en vigueur à partir du 1er janvier 2020 afin de mieux prévenir les risques de fraudes et de détournements abusifs du dispositif de l'AME.

Depuis le 1er janvier 2020, une condition de durée minimale de séjour irrégulier de trois mois est nécessaire pour obtenir le bénéfice de l'AME16(*), afin d'éviter un accès immédiat au dispositif dès l'expiration d'un visa touristique ; de même, une obligation de dépôt physique de la première demande d'AME17(*) a été instituée à compter du 1er janvier 2020.

À compter du second semestre, les caisses primaires d'assurance maladie ont commencé, par l'interrogation de la base Visabio, à pouvoir vérifier que les demandeurs ne disposaient pas d'un visa en cours de validité, situation devant les exclure du bénéfice de l'AME. Une proportion de 6 % de détenteurs de visas a été identifiée parmi les demandeurs, mais un sondage mené au printemps sur un échantillon de dossiers a montré que 90 % des cas détectés correspondaient à des visas échus depuis plus de trois mois, seul un dixième des cas s'étant donc traduit par un rejet de la demande.

Depuis le 1er janvier 2021, le bénéfice de certaines prestations programmées et non urgentes est subordonné à un délai d'ancienneté de neuf mois de bénéfice de l'AME18(*). Pour les cas les plus urgents ne pouvant attendre le délai d'ancienneté, la prise en charge par l'AME est également possible après accord préalable du service du contrôle médical de la caisse primaire d'assurance maladie. Selon les informations communiquées au rapporteur par le Gouvernement, 8 demandes d'accord préalable seulement avaient été dénombrées par l'assurance maladie au premier semestre 2021 et 2 avaient fait l'objet d'un refus de prise en charge.

L'effet de ces différentes mesures apparaît toutefois limité. En effet, le projet annuel de performances indique que « le montant des crédits ouverts pour l'AME de droit commun intègre 20 millions d'euros de moindres dépenses en 2024 au titre des diverses mesures mises en place depuis 2020 », à comparer avec le montant total de l'AME, de 1 208 milliards d'euros.

C. UNE RÉFORME STRUCTURELLE DE L'AIDE MÉDICALE D'ÉTAT DEMEURE NÉCESSAIRE

L'absence d'articulation entre politique de l'immigration et prise en charge des soins délivrés aux étrangers en situation irrégulière met une nouvelle fois en cause la pertinence de l'inclusion de l'AME à la mission « Santé ».

Le rapport conjoint de l'inspection générale des affaires sociales et de l'inspection générale des finances d'octobre 201919(*) avait relevé, dans la dépense de soins des bénéficiaires de l'AME et son évolution, des atypies qui « renforcent de façon convaincante l'hypothèse d'une migration pour soins » et considéré « comme une priorité la lutte contre la fraude et les abus, qui fragilisent l'acceptabilité politique du dispositif ».

Certaines actions ont été engagées depuis juin 2019 dans le cadre d'un programme national de contrôle, mais les fraudes détectées représentaient des montants assez modestes (0,5 million d'euros en 2020, 0,9 million d'euros en 2021). Les modifications intervenues en 2020 dans le régime de l'AME ont pour partie été en ce sens, mais d'autres recommandations n'ont semble-t-il été que peu prises en compte.

Les inspections recommandaient notamment, dans une optique de lutte contre la fraude, de sécuriser dès l'instruction des demandes l'usage des attestations d'hébergement comme preuve de résidence et de renforcer la vérification de la condition de ressources, notamment auprès des consulats lorsque le demandeur a été détenteur d'un visa. Or la pièce d'identité de l'hébergeur n'est pas exigée pour les demandes d'AME, ni d'ailleurs pour les autres prestations, et la sollicitation des consulats ne paraît pas avoir été suivie d'effet.

Les inspections préconisaient également, afin de détecter les suspicions de migration pour soins, de permettre aux consulats et à la police aux frontières de connaître les bénéficiaires de l'AME et les redevables d'une créance hospitalière, grâce à la constitution d'un fichier centralisé des impayés hospitaliers. Un projet de décret a récemment été établi sur le premier point et fait l'objet d'une saisine de la Cnil. Quant au signalement des impayés hospitaliers, il suppose que les établissements de santé concernés renseignent la nationalité des patients, ce qui n'est le plus souvent pas le cas.

Face au rythme soutenu d'augmentation des dépenses et à l'effet limité des contrôles et vérifications, qu'il faut bien entendu renforcer, il est légitime de s'interroger sur l'étendue des soins pris en charge, qui est notablement plus large que celle assurée dans les autres pays européens pour les étrangers en situation irrégulière.

Dans la plupart d'entre eux, seuls les soins urgents, les soins liés à la maternité, les soins aux mineurs et les dispositifs de soins préventifs dans des programmes sanitaires publics sont pris en charge gratuitement :

- au Danemark, en Espagne et en Italie, l'assistance sanitaire pour les étrangers en situation irrégulière est limitée aux cas d'urgence, de maternité ou de soins aux mineurs. Les personnes concernées peuvent également bénéficier, en Espagne et en Italie, des programmes de santé publique, notamment en matière de vaccination ou de prévention des maladies infectieuses ;

- en Allemagne, seul l'accès gratuit aux soins urgents est garanti : traitement de maladies graves et de douleurs aigües, grossesses, vaccinations réglementaires et examens préventifs ;

- en Belgique, les soins dits « de confort », tels que déterminés dans la nomenclature locale ne sont pas remboursés aux centres publics d'action sociale qui les dispensent aux personnes en situation irrégulière dépourvues de ressources ;

- au Royaume-Uni, pour les prises en charge hospitalière, les étrangers qui ne disposent pas du statut de résident doivent s'acquitter d'avance du coût des soins, avant que l'acte ne soit réalisé, selon un tarif supérieur de 50 % à celui du NHS ; l'avance des frais n'est pas requise lorsque le praticien atteste d'une urgence médicale.

Par l'éventail des soins couverts, l'AME constitue ainsi, par rapport aux dispositions appliquées dans les principaux pays voisins, une exception difficile à justifier. Pour ces raisons, la commission des lois du Sénat a adopté, à l'occasion de l'examen du projet de loi pour contrôler l'immigration et améliorer l'intégration, un amendement20(*) de notre collègue Françoise Dumont portant réforme de l'AME en une aide médicale d'urgence (AMU), comparable aux autres dispositif existant en Europe.

Ce dispositif s'inspire de plusieurs amendements adoptés par le Sénat, souvent à l'initiative de sa commission des finances. Il comporte en outre une disposition prévoyant le rétablissement d'un « droit d'entrée » afin de bénéficier de l'AME, qui avait été adopté dans la loi de finances pour 2011 et abrogé en 2012. Ce dispositif, qui pourrait engendrer jusqu'à 410 millions d'euros d'économies, paraît satisfaisant. Il convient d'en tirer les conséquences budgétaires lors de l'examen de la mission « Santé ». Tel est l'objet de l'amendement de crédits que le rapporteur spécial propose.


* 16 Article L. 251-1 du code de l'action sociale et des familles.

* 17 Article L. 251-2 du code de l'action sociale et des familles.

* 18 Articles L. 251-1 et R. 251-4 du code de l'action sociale et des familles.

* 19 L'aide médicale d'État : diagnostic et propositions.

* 20 Amendement COM-3.

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