N° 427

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 12 juin 1996.

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE APRÈS DÉCLARATION D'URGENCE, relatif à la programmation militaire pour les années 1997 à 2002,

Par M. Xavier de VILLEPIN,

Sénateur.

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(1) Cette commission est composée de : MM . Xavier de Villepin, président ; Yvon Bourges, Guy Penne, Jean Clouet, François Abadie, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jacques Genton, vice-présidents ; Michel Alloncle. Jean-Luc Mélenchon, Serge Vinçon, Bertrand Delanoë, secrétaires ; Nicolas About, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Mme Monique Ben Guiga, MM. Daniel Bernardet, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Charles-Henri de Cossé-Brissac, Pierre Croze, Marcel Debarge, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André Dulait, Hubert Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Gérard Gaud, Philippe de Gaulle, Daniel Goulet, Yves Guéna, Jacques Habert, Marcel Henry, Roger Husson, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune, Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain Peyrefitte, Bernard Plasait, Régis Ploton, Guy Robert, Michel Rocard, André Rouvière, Robert-Paul Vigouroux.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (10ème législ.) 2766, 2827, 2826 et T.A. 549.

Sénat : 415 (1995-1996).

Défense

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi de programmation militaire pour les années 1997 à 2002 qui nous est proposé est d'une importance exceptionnelle.

Il se situe, formellement, dans la continuité des huit lois de programmation qui se sont succédé depuis le début des années 1960. Comme les précédentes qui n'y sont pas toujours parvenues, la présente programmation s'efforce de donner aux armées et aux industriels de l'armement la "lisibilité" à moyen terme qui leur est indispensable et fixe l'enveloppe financière retenue pour les six prochaines années : 185 milliards de francs constants, exprimés en francs 1995, à hauteur de 99 milliards pour le titre III et de 86 milliards pour les titres V et VI.

Mais, ne nous y trompons pas, l'ampleur, l'ambition et, dès lors, l'importance de cette nouvelle programmation militaire sont d'une toute autre nature. Elle constitue en effet la traduction législative principale de la réforme d'ensemble, complète et profonde, de notre appareil de défense dont le Président de la République a tracé les contours les 22 et 23 février dernier et précisé les modalités, en ce qui concerne le service national, le 28 mai.

Il ne s'agit, certes, que d'une première étape en vue de la réalisation du modèle d'armée à l'horizon 2015 que le gouvernement a présenté au Sénat lors du débat d'orientation du 26 mars dernier et dont la mise en oeuvre intégrale devra s'étendre, dans certains domaines, sur les deux programmations suivantes.

Mais cette première programmation est naturellement décisive pour la réussite de l'adaptation entreprise de notre défense aux besoins du XXIe siècle. Ce projet de loi constitue l'aboutissement des réflexions conduites depuis juillet 1995 au sein du Comité stratégique et qui ont donné lieu à six réunions successives du Conseil de défense.

Il engage une mutation de notre défense aussi importante que celle qui marqua, il y a plus de trente ans, les débuts de la Ve République sous l'impulsion du général de Gaulle. Il s'agit, cette fois, d'adapter notre appareil de défense au monde de l'après-guerre froide.

Au terme de la période de six ans couverte par le projet de loi, notre défense devra être modifiée en profondeur par trois évolutions majeures :

- l'achèvement de la professionnalisation de nos forces qui se traduira par la mise en place d'un nouveau format de nos armées et par la suppression du service national sous sa forme actuelle, à dominante militaire,

- la poursuite, dans un contexte budgétaire très contraignant mais dans une perspective européenne réaffirmée, de la modernisation des équipements militaires qui se traduira, malgré les reports ou décalages obligés, par la mise en service progressive de multiples matériels de nouvelle génération qui arrivent aujourd'hui à maturité,

- enfin, la réorganisation de notre industrie de défense autour de pôles industriels forts, prenant là aussi pleinement en compte la dimension européenne indispensable, afin d'améliorer leur compétitivité dans un contexte de concurrence internationale exacerbée et au prix d'un effort généralisé et systématique de réduction du coût des programmes.

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Cette réforme structurelle de notre appareil de défense vise fondamentalement à adapter notre défense à l'évolution des menaces et des risques auxquels notre pays doit désormais faire face depuis la chute du mur de Berlin et l'effondrement du bloc soviétique.

Sans se livrer une nouvelle fois ici à l'examen détaillé des bouleversements internationaux intervenus depuis 1989 et de leurs conséquences, que notre commission a analysées à de nombreuses reprises (cf notamment les rapports n° 303, 1990-1991, sur les enseignements militaires de la guerre du Golfe, n° 489, 1993-1994, sur la programmation militaire pour les années 1995 à 2000, et tout récemment n° 349, 1995-1996, sur l'avenir du service national), deux séries d'observations doivent être ici réitérées.

- Il convient d'abord de rappeler l'évolution fondamentale des menaces et des besoins de sécurité qui caractérisent l'après-guerre froide, et dont tous les pays occidentaux ont d'ailleurs déjà tiré les leçons.

L'effondrement de l'Union soviétique et la disparition du pacte de Varsovie ont éloigné, voire effacé, la menace majeure, massive, mais clairement identifiée et quasi-exclusive en fonction de laquelle s'est organisé tout notre effort de défense pendant plus de quarante ans. La chute du rideau de fer et la disparition de la politique des blocs ont rendu caduque cette vision de notre défense axée contre la menace soviétique. La France ne connaît plus aujourd'hui de menace militaire permanente et directe à proximité immédiate de ses frontières.

Mais, dans le même temps, des risques multiples et diffus, des menaces moins prévisibles mais réelles sont apparus et ont, d'une certaine manière, été libérés par la fin de la guerre froide. C'est ainsi que de très nombreuses crises locales ou régionales se sont produites au cours des cinq dernières années -depuis la guerre du Golfe jusqu'au dramatique conflit de l'ex-Yougoslavie, sur le continent européen lui-même, en passant par de nombreuses crises pour le règlement desquelles nos forces ont été directement sollicitées (Cambodge, Somalie, Rwanda...).

Plus généralement, le contexte géostratégique de l'après-guerre froide, bien que radicalement transformé, demeure dangereux et imprévisible et les risques d'atteinte à la stabilité internationale, voire à notre sécurité, sont à la fois nombreux et diversifiés :

- à l'Est de l'Europe, subsistent des arsenaux militaires -et notamment nucléaires- surdimensionnés dont le contrôle, voire une remontée en puissance à terme -qui exigerait toutefois beaucoup de temps et d'argent, quelle que soit la volonté politique affichée-, demeure une source de préoccupation d'autant plus forte que l'avenir politique des pays concernés est incertain ;

- en Europe même, la paix demeure fragile, ainsi que l'illustre la situation qui prévaut dans l'ex-Yougoslavie -où nos forces sont constamment présentes depuis plusieurs années- ; d'autres tensions potentielles (désaccords frontaliers, statut des minorités, rivalités ethniques ...) existent et peuvent donner naissance à de nouveaux conflits si les crises ne sont pas maîtrisées à temps ;

- hors d'Europe, les ambitions régionales et la prolifération des armements de destruction massive (nucléaires, mais aussi chimiques, bactériologiques et balistiques) peuvent être sources d'instabilité ou de conflits ; c'est particulièrement le cas : dans l'"arc de crise" qui va du Maroc à l'Océan Indien dans le contexte d'instabilité du Moyen-Orient et du monde méditerranéen ; en Afrique subsaharienne -où l'histoire nous a légué des responsabilités particulières ; et en Asie , vers laquelle tend à se déplacer le centre de gravité du monde mais qui reste lourde de graves tensions ;

- nous devons enfin prendre aujourd'hui en compte une série de "risques périphériques" qui, s'ils ne s'exercent pas dans le cadre des rapports traditionnels entre États, sont de nature à déstabiliser nos sociétés ; c'est bien sûr le cas des activités terroristes ou de certains mouvements nationalistes ; il peut en aller de même des mafias organisées ou des trafics divers, à commencer par les trafics d'armes ou de stupéfiants.

- Ainsi, le contexte actuel de "pause stratégique" doit-il être mis rapidement à profit, tout en gardant la vigilance indispensable, pour adapter notre défense aux défis du XXIe siècle. Ces menaces multiples dans un monde devenu très instable conservent sa valeur à la dissuasion nucléaire -qui demeure la garantie contre toute menace contre nos intérêts vitaux, même si l'environnement international actuel et prévisible permet d'en redéfinir la posture-, tandis que la protection du territoire et de la population reste naturellement une mission permanente de nos forces armées -particulièrement pour faire face au terrorisme ou à la grande criminalité. Mais les risques présents imposent surtout -c'est la deuxième observation- un effort particulier et des capacités supplémentaires de notre appareil de défense dans deux directions : la prévention et la projection.

La prévention doit permettre d'éviter l'apparition de menaces importantes, susceptibles d'affecter nos intérêts et notre sécurité, et de parer à l'émergence de crises ou de permettre de les gérer au plus bas niveau possible. Elle repose sur le prépositionnement de forces et la coopération. Mais elle suppose surtout le renforcement de nos capacités de renseignement, qu'il soit humain ou d'origine spatiale.

La projection de forces dans des conflits géographiquement limités doit pour sa part permettre de répondre à des préoccupations politiques, morales ou humanitaires, mais aussi et surtout sécuritaires, pour éviter l'extension d'un conflit qui pourrait affecter nos intérêts. La projection est d'abord consacrée à la défense de l'Europe, conjointement avec nos alliés, mais se jouera surtout à distance de nos frontières. Elle doit également permettre d'engager nos forces dans la résolution de crises, en des lieux qui seront souvent éloignés de notre territoire.

La nécessité de disposer ainsi, dans des délais très brefs, de forces immédiatement disponibles et opérationnelles pour remplir des missions extrêmement variées, les difficultés rencontrées à cet égard au cours des dernières années -depuis la guerre du Golfe-, les cadres alliés et internationaux d'engagement de nos forces -qui exigent une très grande faculté d'adaptation-, et la formation longue et coûteuse qu'exige aujourd'hui l'évolution des systèmes d'armes de plus en plus sophistiqués sont les raisons principales qui plaidaient et qui justifient la décision majeure, prônée par le Chef de l'État et que traduit le présent projet de loi, de conduire jusqu'à son terme la professionnalisation de nos forces.

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Toutes ces données soulignent, aux yeux de votre rapporteur, à la fois l'ambition et l'importance majeure du présent projet de loi de programmation, d'autant plus nécessaire qu'après la programmation avortée de 1992, le "décrochage" est devenu définitif entre les objectifs de la programmation votée il y a deux ans et la réalité des budgets militaires pour 1995 et 1996, et d'autant plus difficile qu'elle s'inscrit, dans le cadre actuel des finances publiques, dans un contexte budgétaire extrêmement contraignant.

Le présent rapport envisagera successivement :

- les caractéristiques majeures de la programmation proposée qui est, fondamentalement, une programmation de réforme (première partie),

- ses incidences sur les effectifs et personnels de la défense et sur les crédits de fonctionnement dans le cadre du processus de transition vers la professionnalisation (deuxième partie),

- ses conséquences sur la modernisation des équipements de nos forces, qu'il s'agisse des forces nucléaires ou des moyens de chacune des trois armées ou de la gendarmerie (troisième partie),

- et son influence sur l'industrie de défense dont la restructuration doit s'accélérer, dans une perspective européenne, pour faire face à la crise actuelle (quatrième partie).

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