PREMIÈRE PARTIE : UNE PROGRAMMATION DE RÉFORME

A. LA PROGRAMMATION NÉCESSAIRE D'UNE RÉFORME GLOBALE

La prochaine programmation militaire est d'autant plus importante et nécessaire qu'il s'agit d'une véritable programmation de réforme et qu'elle s'inscrit dans le cadre d'une adaptation globale de notre appareil de défense et d'un exercice de planification à long terme qui tire toutes les conséquences des bouleversements stratégiques récents et doit déboucher sur un modèle d'armée totalement rénové à l'horizon 2015.

1. Un exercice de programmation indispensable et urgent

L'élaboration et le vote, dès la présente session, d'une nouvelle loi de programmation n'allait pas nécessairement de soi, compte tenu à la fois de l'existence de la loi votée en 1994 qui ne prévoyait sa mise à jour -indispensable- qu'en 1997 et des réformes profondes annoncées par le Chef de l'État dont les conclusions législatives au plan du service national n'ont pas été encore tirées.

Un tel exercice de programmation apparaît cependant à votre rapporteur très opportun et urgent.

a) La pertinence des programmations militaires : un principe qui demeure valide

Les dérives qui ont affecté l'exécution des dernières lois de programmation ne doivent pas occulter le maintien de la validité et de la pertinence du principe d'une programmation militaire.

- L'objectif demeure nécessaire à la cohérence de notre politique de défense. La raison d'être de la programmation des crédits militaires reste de donner aux armées et aux industriels de la défense la lisibilité de l'avenir dont ils ont besoin. Une telle prévision permet à la fois : d'inscrire les décisions d'investissement et d'emploi dans un cadre pluriannuel, d'adapter les plans de charge aux commandes budgétaires, et de gérer la recherche-développement sur le moyen terme. A contrario, l'incertitude liée à l'absence de toute programmation favorise à la fois la mauvaise utilisation des deniers publics et le recours aux crédits militaires comme moyen de régulation conjoncturelle des dépenses publiques.

- Les méthodes de programmation, malgré leurs insuffisances et leur nécessaire amélioration, conservent également leur validité. Le jugement sceptique justifié par l'application incomplète des lois de programmation précédentes ne doit pas dissimuler le fait que, sur la longue période, les crédits d'équipement militaire suivent tendanciellement les montants définis par les lois de programmation et ont crû plus rapidement, au cours des dernières décennies, que les crédits d'équipement civils.

Le tableau ci-joint illustre cette efficacité relative des lois de programmation militaire depuis vingt ans et souligne que le taux moyen de réalisation des lois de programmation dans les lois de finances initiales successives a été, de 1977 à 1996, supérieur à 95 %.

C'est dire que le principe de la programmation militaire ne doit pas être condamné. C'est souligner aussi que les annulations en cours d'année constituent l'origine principale du déficit d'exécution des lois de programmation. C'est donc sur ce point que l'effort devra être principalement porté au cours des prochaines années.

MONTANT DES DOTATIONS ANNUELLES DE CREDITS

INSCRITS SUR LES TITRES V ET VI EN LOIS

OU PROJET DE LOI DE PROGRAMMATION

ET DES CREDITS OUVERTS EN LOIS DE FINANCES INITIALES

Années

Crédits prévus par les lois

de programmation

MF 96

Crédits ouverts en LFI

MF 96

Taux de

réalisation

Taux moyen

1977

67 653,44

67 328,25

99,52 %

1978

73 302,49

72 979,68

99,56 %

1979

80 560,74

77 748,57

96,51 %

1980

89 264,94

83 596,84

93,65 %

1981

99 437,70

90 191,26

90,70 %

1982

111 005,54

95 693,38

86,21 %

TOTAL

521 224,85

487 537,97

93,54 %

1984

97 252,37

96 336,69

90,06 %

1985

101 510,18

97 654,05

96,20 %

1986

108 190,04

97 773,46

90,37 %

TOTAL

306 952,59

291 764,21

95,05 %

1987

108 686,85

107 487,65

98,90 %

1988

112 140,25

110213,13

98,28 %

1989

120 990,01

115 228,34

95,24 %

TOTAL

341 817,11

332 929,11

97,40 %

1990

116 570,39

116571,12

100,00 %

1991

121 479,84

114 262,01

94,06 %

1992

126 617,69

111 805,46

88,30%

TOTAL

364 667,92

342 638,60

93,96 %

1993

108 654,96

109 459,68

100,74 %

1994

110 791,52

104 629,42 (*)

94,44 %

TOTAL

219 446,48

214 089,10

97,56 %

1995

104 521,12

105 029,38 (*)

100,49%

1996

105 720,00

94 941,03 (*)

89,80 %

TOTAL

210 241,12

199 970,41

95,11 %

TOTAL GENERAL

1 964 350,07

1 868 929,40

95,14 %

(*) Crédits disponibles

b) La nécessité et l'urgence particulière d'une loi de programmation

Par delà cette justification d'ordre général, de très fortes raisons rendent aujourd'hui l'élaboration d'une loi de programmation militaire particulièrement nécessaire et urgente :

- la première de ces raisons, qui pourrait être à elle seule déterminante, est de nature politique et réside dans la nécessité d'organiser et de planifier la mise en oeuvre de la réforme globale de notre appareil de défense engagée par le Chef de l'État ; de portée historique, cette réforme vise à tirer toutes les conséquences de la nouvelle donne internationale : une première étape, très utile mais incomplète, avait été franchie en 1994 avec l'élaboration du Livre blanc et de la précédente programmation ; il s'agit aujourd'hui de pousser cette adaptation à son terme en programmant l'évolution vers un modèle d'armée professionnelle ;

- la deuxième raison, naturellement de nature financière : l'objectif de maîtrise des finances publiques constitue aujourd'hui -et pour les années à venir- un impératif ; et le "décrochage" est devenu définitif entre les objectifs fixés par la programmation votée il y a deux ans et la réalité des budgets militaires : environ trente milliards manquent à l'appel sur les deux années 1995 et 1996 ; il fallait en tirer les conséquences et repartir sur de nouvelles bases ;

- la troisième raison est de nature technique et opérationnelle et a trait à la nécessité, pour nos forces armées, d'engager sans délai la profonde mutation et la très délicate transition qui doivent les conduire, d'ici à 2002, à l'armée professionnelle ; en particulier, les restructurations et les mesures d'accompagnement de la transition, qui devront être mises en oeuvre en 1997 et 1998, doivent être annoncées et préparées au plus tôt ; elles ne pourront cependant l'être qu'après l'adoption du présent projet de loi qui constituera la première traduction et le fondement légal de la professionnalisation ;

- la quatrième raison a trait à l'équipement de nos forces : la loi votée il y a deux ans devant être considérée comme caduque, la défense française se trouve à nouveau privée de repères précis pour le court et moyen termes ; il convenait donc de répondre sans délai à la question clé suivante : comment assurer le développement et le bon déroulement des multiples programmes en cours avec une enveloppe financière fortement réduite ?

- la cinquième raison -mais pas la moindre- est enfin de nature industrielle : à l'heure où l'industrie de défense traverse une crise et une période de restructurations d'une ampleur exceptionnelle, une loi de programmation demeure, quelles qu'en soient les imperfections et les incertitudes, indispensable pour donner aux industriels la "visibilité" minimale de l'avenir qui leur est nécessaire.

Toutes ces raisons soulignent, aux yeux de votre rapporteur, l'importance qu'il y avait à examiner rapidement le présent projet de loi de programmation.

c) Une traduction législative compromise ?

Une nouvelle programmation est donc nécessaire. Son exécution pleinement satisfaisante sera indispensable à la réussite de la refonte complète de notre appareil de défense proposée par le Président de la République. Tout doit être fait, dans cet esprit, pour renforcer, développer et améliorer les mécanismes susceptibles de garantir l'exécution du projet de loi de programmation qui nous est soumis.

Si tel ne devait pas être le cas, l'adaptation indispensable de la défense française se trouverait compromise.

Mais, après les expériences malheureuses de 1992 (programmation avortée) et de 1994 (programmation mal appliquée et finalement abandonnée), c'est aussi le principe même des lois de programmation qui se trouverait durablement remis en cause.

Certes, pour les raisons précitées, un exercice de programmation, fut-il indicatif et interne au ministère de la Défense, restera, de toute façon, nécessaire, tant pour les états-majors que pour les industriels.

Mais si nous devions, à nouveau, nous trouver sans référence fiable pendant plusieurs années, ou si les votes du Parlement devaient être à nouveau contredits par des budgets ou des régulations budgétaires successives, alors, il vaudrait mieux, selon votre rapporteur, en tirer -à regret- toutes les conséquences : constater que les programmations militaires ne peuvent échapper aux contraintes conjoncturelles et renoncer à un exercice législatif, pourtant souhaitable, mais qui aurait alors perdu toute crédibilité.

Tout doit être fait pour éviter une telle issue, dont notre défense serait la première victime. Mais le Parlement ne saurait continuer, sans se discréditer lui aussi, à examiner tous les deux ans une loi de programmation entièrement nouvelle. Votre rapporteur se devait de formuler ici cette solennelle mise en garde.

2. La programmation d'une réforme globale de notre système de défense

Le projet de programmation qui nous est proposé revêt cependant une importance plus grande et a priori d'atouts supérieurs à ceux des programmations précédentes dans la mesure où il s'inscrit dans le cadre d'une refonte globale de notre défense sur la base d'une planification à long terme.

a) Une refonte d'ensemble de notre défense

Le gouvernement a délibérément adopté une approche globale pour procéder à l'adaptation de notre outil militaire. Cette démarche vise à harmoniser tout à la fois la doctrine, les effectifs, les équipements et la politique industrielle. Elle touche tous les secteurs de notre défense :

- nos forces nucléaires, même si la dissuasion reste le coeur de notre stratégie, doivent être adaptées à une nouvelle posture stratégique ;

- la professionnalisation des armées, élément essentiel de cette adaptation de notre défense, se traduit par une réduction globale d'environ 24 % des effectifs militaires et par une profonde réforme du service national qui verra disparaître le service militaire sous sa forme actuelle ;

- les équipements militaires, élément central traditionnel des lois de programmation, subissent pour leur part d'importantes modifications -de manière à ce que les contraintes financières aient les conséquences les moins dommageables possible-, tant en ce qui concerne le choix des programmes eux-mêmes, que la maîtrise de leur coût ou la définition des spécifications militaires requises ;

- enfin, l'adaptation de nos industries de défense sera profonde, en cohérence avec l'effort de défense prévu et le nouveau modèle d'armée retenu ; les restructurations devront y être poursuivies, accélérées et amplifiées, la dimension européenne prise davantage en compte, et l'effort de compétitivité accru.

Cette approche d'ensemble doit faire prévaloir la cohérence des grandes orientations politiques, militaires et industrielles, dans un contexte d'économies et de rigueur financière, dont l'objectif est de limiter à un niveau raisonnable mais aussi de garantir les crédits consacrés par le pays à sa défense. L'objet de la présente programmation est de traduire dans les faits cette réduction de l'enveloppe financière et donc de faire contribuer la défense à l'effort national qui s'impose à tous. Mais elle doit aussi garantir les ressources ainsi prévues et éviter que, faute de vision à long terme, la réussite de la réforme entreprise ne soit compromise.

b) Une planification à l'horizon 2015

Le présent projet de programmation dispose d'autre part de l'atout de s'inscrire dans un nouveau modèle d'armée à l'horizon 2015.

- Une des lacunes principales de la plupart des programmations précédentes -qui avait d'ailleurs fait l'objet des critiques de la Cour des Comptes en 1990- était de ne pas s'appuyer sur des travaux de planification à long terme définissant les capacités nécessaires à l'accomplissement des missions affectées à nos armées et correspondant aux objectifs de défense.

Faute d'un tel exercice, la programmation serait construite dans l'incertitude sur la cohérence à long terme des projets qu'elle contient et certains choix nécessaires ne seraient pas effectués. A l'inverse, une programmation fondée sur une planification à 20 ans situe les options retenues dans une perspective qui correspond à l'horizon des décideurs industriels, contraints de s'engager sur le long terme et qui doivent donc connaître les grandes options des pouvoirs publics pour l'avenir.

- La programmation qui nous est aujourd'hui proposée répond à cette exigence dans la mesure où le modèle d'armée à l'horizon 2015 retenu -dont les deux tableaux ci-dessous précisent le contenu en effectifs, en équipements et par grandes fonctions opérationnelles- éclaire à long terme les choix de la prochaine loi de programmation.

Les caractéristiques générales de ce "modèle 2015" visent à atteindre, au cours des deux prochaines décennies, les objectifs généraux suivants :

- une armée de terre plus compacte et plus souple : appelée à connaître les changements les plus profonds, l'armée de terre doit voir son organisation territoriale entièrement revue pour accompagner la réduction de ses effectifs (- 30%), ramenés en six ans de 271 500 à 170 000 hommes (136 000 militaires et 34 000 civils) ; plus souple, elle devra être plus facilement projetable, 85 régiments répartis en quatre forces d'environ 15 000 hommes devant se substituer aux neuf divisions actuelles, composées de 129 régiments ; ses moyens de projection reposeront sur 420 chars lourds, 350 engins blindés légers (VAB et VBCI) et environ 180 hélicoptères modernes ;

- une marine de moindre tonnage mais aux capacités maintenues : hors SNLE, le nombre de bâtiments passera de 101 aujourd'hui à 81 ; la marine verra ainsi son tonnage diminuer (314 000 tonnes en 1995, 234 000 tonnes en 2015) et ses effectifs réduits de 19 % (de 70 400 à 56 500 hommes) ; mais ses capacités de dissuasion seront maintenues (avec 4 SNLE-NG et leur environnement) ; et ses capacités de projection de puissance seront modernisées : le porte-avions "Charles de Gaulle" entrera en service en 1999 ; il sera progressivement doté d'avions Rafale dont la cible est réduite à 60 unités ; enfin, le second porte-avions est prévu dans la planification, mais ne sera éventuellement programmé qu'après 2002, si la situation économique le permet ;

- une armée de l'air modernisée mais fortement resserrée :

subissant également une forte réduction d'environ 24 % de ses effectifs (de 94 100 à 70 000 hommes), l'armée de l'air doit surtout voir le nombre d'avions de combat en ligne passer de 405 aujourd'hui à 300 avions polyvalents de type Rafale en 2015 ; son aviation de transport -ATF ou pas- devra être modernisée, passant de 86 à 52 avions de transport, mais conservant une capacité équivalente en volume ; la fonction de projection sera néanmoins améliorée, l'objectif étant de pouvoir projeter, à tout moment, une centaine d'appareils dont le Rafale, doté de missiles modernes, constituera progressivement l'essentiel ;

- enfin, une gendarmerie renforcée : la gendarmerie, qui bénéficiera notamment de l'achèvement du réseau radioélectrique Rubis, sera la seule à voir ses effectifs croître (de 93 450 hommes à 97 900 hommes, soit 5 %), la mise en place d'une armée professionnelle devant se traduire par un accroissement des missions de la gendarmerie, notamment dans le domaine de la protection du territoire.

o

o o

B. UNE PROGRAMMATION FORTEMENT CONTRAINTE POUR DES FONCTIONS OPÉRATIONNELLES PRÉCISÉES

L'enveloppe financière retenue par le présent projet de loi, bien que supérieure aux prévisions qui avaient accompagné son élaboration, se traduit par une forte réduction de ressources par rapport aux annuités prévues par la précédente programmation.

Cette programmation particulièrement contrainte a des conséquences nécessairement sévères pour de nombreux programmes.

Cette programmation se veut ainsi adaptée à nos moyens financiers. Ici résident tout à la fois son caractère courageux et sa meilleure chance d'exécution -qui est, à certains égards, plus importante encore que le volume des crédits lui-même.

Mais cette programmation se veut aussi adaptée à nos besoins dans le nouveau contexte international et dans le cadre de l'adaptation d'ensemble de notre appareil de défense. C'est dans cette optique que sont précisés les objectifs retenus pour chacune des principales fonctions opérationnelles (dissuasion, prévention, projection et protection) destinées à remplir les missions assignées à nos forces.

1. Une enveloppe financière réduite

Conformément aux orientations retenues par le Président de la République, le projet de loi qui nous est soumis repose sur une enveloppe financière constante de 185 milliards de francs par an, soit au total 1 110 milliards pour l'ensemble des six années 1997-2002 couvertes par la programmation.

Cette enveloppe globale présente deux caractéristiques positives :

- elle est exprimée en francs constants 1995 et les crédits seront actualisés chaque année par application de l'indice des prix retenu pour l'élaboration du budget de l'État ; les crédits militaires -par dérogation à la règle qui sera applicable à l'ensemble des ministères civils- seront ainsi mis à l'abri de l'érosion monétaire ;

- en second lieu, les ressources prévues sont des crédits budgétaires, c'est-à-dire des crédits inscrits dans les lois de finances initiales annuelles ; à la différence de la programmation précédente, elle ne prend donc en compte ni les recettes de fonds de concours ni la consommation de crédits de report.

Cette masse de crédits, dont la répartition d'ensemble est précisée dans le tableau ci-dessous, appelle trois observations principales de votre rapporteur.

Répartition générale des crédits inscrits dans le
projet de loi de programmation 1997-2000

MdF 95

TITRE III

TITRE V

TOTAL

EN %

TERRE

202,4

113,1

315,5

28,4 %

MARINE

86,5

128,9

215,4

19,4 %

AIR

96,7

120,7

217,4

19,6 %

GENDARMERIE

114,7

13,3

128,0

11,5 %

SERVICES COMMUNS et financement de la professionnalisation

93,7

140,0

233,7

21,1 %

TOTAL

594,0

516,0

1 110,0

100 %

a) Un effort d'économies considérable pour une défense moins coûteuse

La masse financière retenue représente d'abord un effort d'économies considérable. Par rapport aux quelque 205 milliards de francs annuels qui résultaient des prévisions de la précédente programmation (environ 105 milliards d'équipements auxquels il convenait d'ajouter 100 milliards de crédits de fonctionnement par an), l'enveloppe financière proposée représente une économie annuelle de l'ordre de 20 milliards sur le budget de la Défense.

Ne nous leurrons pas : les difficultés qui devront être surmontées, les efforts qu'il faudra consentir seront considérables. Il s'agit de relever le défi de construire, dans les prochaines années, une armée à la fois plus efficace et moins coûteuse.

Cette observation faite, trois données conduisent votre rapporteur à considérer l'enveloppe retenue comme un point d'équilibre raisonnable par rapport à un ensemble d'objectifs (professionnalisation, équipement de nos forces, et contraintes budgétaires) par nature contradictoires :

- le chiffre retenu pour les crédits d'équipement écarte d'abord heureusement les hypothèses les plus alarmistes qui avaient circulé avec insistance, au point d'être considérées comme inéluctables, durant la période d'élaboration du projet de loi ; ainsi, l'hypothèse basse des 75 milliards au titre V, qui n'aurait donné le choix qu'entre des décisions inacceptables, a été écartée ; l'hypothèse intermédiaire des 80 milliards d'équipement annuels, qui aurait également eu des conséquences graves sur nos forces et sur la situation, déjà très préoccupante, de notre industrie, n'a pas, elle-même, été retenue ; c'est donc, d'une certaine manière, la moins mauvaise des hypothèses raisonnablement envisageables qui nous est proposée ;

- est-il d'autre part aujourd'hui cohérent de continuer à plaider pour une augmentation des dépenses militaires ? Nous l'aurions, certes, souhaité, notamment pour favoriser et faciliter le déroulement plus aisé des multiples programmes d'équipement en cours et réduire le choc des restructurations militaires et industrielles, mais chacun sait que la redéfinition de notre outil de défense s'inscrit dans un contexte d'indispensable maîtrise des finances publiques ; il n'était pas, dès lors, possible, dans l'actuel contexte international, de programmer l'accroissement des seuls crédits militaires alors que la quasi-totalité des budgets civils sont soumis aux restrictions financières de plus en plus lourdes que chacun connaît. Mais ce choix ne pourra être assumé qu'à une double condition : que les masses financières retenues soient strictement respectées par les lois de finances successives ; et que le budget de la défense soit préservé des régulations budgétaires en cours d'année ;

- était-il enfin envisageable, compte tenu des nouvelles données géostratégiques, de prôner un effort de défense national accru ? Tirant les leçons du nouveau contexte international, tous les grands pays industrialisés, à l'exception de la France, ont, au cours des cinq dernières années, fortement réduit leurs budgets militaires - à commencer par les États-Unis et la Grande-Bretagne, sans parler du cas particulier de l'Allemagne dans le contexte de la réunification. Votre rapporteur, pour sa part, s'inquiète de l'ampleur de ce phénomène dans les différents pays européens -y compris en Allemagne- au moment où des risques multiformes demeurent ou apparaissent et où nous devons bâtir enfin concrètement une véritable identité européenne de défense. Mais il souligne l'effort singulier que continuera à accomplir la France en Europe au terme du projet de loi proposé.

b) Des crédits de fonctionnement (titre III) quasi inchangés pour accompagner le passage à l'armée professionnelle

Sur les 185 milliards de francs constants 1995, 99 milliards devraient être chaque année affectés au titre III, soit 594 milliards sur la période 1997-2002. Ils traduiront une quasi-stabilité de ces crédits, par rapport à la situation actuelle. Cette masse financière devra accompagner, au cours des six années à venir, le passage progressif à l'armée professionnelle, notamment les conséquences qui en résultent en termes de restructuration et de réduction du format des forces.

Deux observations complémentaires doivent être à cet égard formulées :

- le pari fait ici est que, du fait d'un format globalement réduit, le coût de l'armée professionnelle ne soit pas supérieur et soit même légèrement inférieur à celui de l'armée mixte actuelle ; certes, en raison du remplacement nécessaire de postes actuellement occupés par des appelés, par des professionnels, les effectifs, militaires et civils, du ministère de la défense seront en moyenne plus coûteux ; mais, en contrepartie, la diminution d'environ 24 % des effectifs et la réduction des coûts de fonctionnement qui résultera de la professionnalisation se traduiront par des économies substantielles ;

- il faut d'autre part souligner -pour s'en féliciter- que cette enveloppe n'inclut pas le coût des formes civiles du futur service national qui n'a pas à être financé par le budget du ministère de la défense ; en ce qui concerne le coût des restructurations, la défense ne financera que les mesures d'accompagnement social destinées à ses personnels et participera à la reconversion des sites grâce au FRED (fonds pour les restructurations de la défense) dont les crédits seront considérablement abondés.

c) Des crédits d'équipement (titre V) en retrait d'environ 18 % par rapport à la dernière programmation

Le reste de l'enveloppe budgétaire annuelle sera naturellement consacré à l'équipement de nos forces -qui constituait l'objet quasi exclusif des précédentes programmations.

Une dotation annuelle de 86 milliards de francs 1995 sera ainsi consacrée au titre V, soit au total 516 milliards pour les six années couvertes par la loi de programmation. Cette masse financière d'ensemble appelle les cinq remarques suivantes :

- cette enveloppe de crédits d'équipement représente une réduction moyenne d'environ 18 % par rapport aux dotations prévues par la précédente programmation, mais aussi une stabilisation par rapport aux crédits votés en loi de finances initiale 1996, ainsi que l'illustre le graphique ci-dessous ; la loi votée en 1994 prévoyait en effet, jusqu'en l'an 2000, les sommes suivantes, exprimées de surcroît en francs 1994 : 101 928 millions en 1997, 102 438 millions en 1998, 102 950 millions en 1999, et 103 465 millions en 2000 ; il avait même alors été prévu, « si la situation économique et financière le permet », de porter les dotations prévues pour les trois dernières années à : 103 457 millions pour 1998, 105 009 millions pour 1999, et 106 584 millions pour l'an 2000...

- cette réduction importante, mais déjà annoncée par les budgets 1995 et 1996, suppose une action volontariste et très rigoureuse pour réduire les coûts des programmes, améliorer l'efficacité du dialogue avec les industriels et accroître la productivité, mais aussi pour diminuer les coûts structurels liés au ministère de la défense ;

- il est néanmoins évident qu'une réduction de cette ampleur passe nécessairement -sous peine d'incohérence- par des diminutions de cibles, des étalements, voire des abandons de programmes ; ces décisions sont douloureuses, les choix qu'elles imposent sont difficiles et engendrent d'ailleurs parfois elles-mêmes -nous le savons bien- des coûts supplémentaires ; la programmation évite, en tout cas, de poursuivre sur la voie des réductions « homothétiques » sur l'ensemble des programmes et s'efforce d'effectuer des choix cohérents avec le format de l'armée professionnelle et correspondant aux moyens qui seront disponibles dans les années à venir ;

- on relèvera également que cette enveloppe financière ne recouvre ni les coûts de recapitalisation des entreprises publiques de la défense -qui doivent incomber au budget des charges communes-, ni les crédits affectés à la recherche duale, c'est-à-dire les contributions au budget civil de recherche et de développement (BCRD) ;

- en ce qui concerne enfin le financement des opérations extérieures, le ministre de la défense a précisé devant notre commission que seules les opérations extérieures « courantes » (telles que la présence française au Tchad ou en Centrafrique) seront imputées à l'avenir au budget de la défense, et que les opérations exceptionnelles (comme dans l'ex-Yougoslavie), décidées par le Chef de l'État et le Premier ministre, devront donner lieu à une décision d'affectation budgétaire complémentaire ; cette solution n'est évidemment que partiellement satisfaisante et les crédits d'équipement disponibles risquent de se voir encore réduits du fait des opérations extérieures -même si certaines ressources comme les fonds de concours (environ 500 millions de francs de ressources annuelles) pourraient être affectées au financement des OPEX ; elle apporte en tout cas un début de réponse à une question lancinante depuis de nombreuses années et doit mettre surtout nos armées à l'abri des conséquences financières d'une opération extérieure d'envergure qui auraient pu, à elles seules, compromettre l'effort entrepris de réforme de notre appareil de défense.

2. Les objectifs retenus pour les grandes fonctions opérationnelles

Cette enveloppe financière réduite, adaptée à nos moyens, se veut également adaptée à nos besoins dans le contexte actuel de "pause" stratégique et compte tenu de l'adaptation d'ensemble de notre système de défense et notamment de la réduction du format de nos armées.

Les missions assignées à nos forces armées -pour protéger nos intérêts vitaux, nos intérêts stratégiques et nos intérêts de puissance- restent :

- de garantir la protection du territoire national et de notre population et le libre exercice de notre souveraineté,

- d'assurer le respect de ses engagements internationaux (alliances, accords de défense),

- et de permettre à notre pays d'assumer ses responsabilités particulières sur le plan international, comme membre permanent du Conseil de sécurité et comme puissance nucléaire.

Pour remplir ces missions avec les crédits disponibles, les forces armées doivent articuler, indique le projet de loi, leur action autour de quatre grandes fonctions opérationnelles -dissuasion, prévention, projection de puissance, et protection du territoire et de la population- qui voient leurs objectifs précisés.

a) La dissuasion : vers le deuxième âge de l'ère nucléaire

La protection de nos intérêts vitaux maintient l'impérieuse nécessité de la dissuasion, dont la pertinence demeure entière et qui doit rester en conséquence l'élément fondamental de la stratégie française.

La situation actuelle permet cependant -selon le projet de loi- de repenser notre posture nucléaire, d'où la réduction du nombre de nos armes nucléaires, et notamment l'abandon de la composante terrestre.

Dans ce cadre, et dans le strict respect du principe de suffisance attaché à notre politique de dissuasion, les moyens -réduits- consacrés au nucléaire doivent en particulier prévoir et garantir :

- la modernisation de notre composante sous-marine qui doit s'appuyer sur quatre SNLE de nouvelle génération équipés de missiles M45 et, à partir de 2010, des futurs missiles M51 ;

- la fiabilité de notre composante aéroportée avec la modernisation du couple avions-missiles, le renouvellement des missiles ASMP (air sol moyenne portée) devant être assuré, en fin de vie, par un missile amélioré de la même famille ;

- enfin, le développement -et le financement- des programmes de modélisation et de simulation qui constituent un immense défi technologique dont nous devons impérativement nous donner les moyens dans le cadre de l'arrêt définitif des essais.

b) La priorité affirmée de la prévention

La disparition de l'ordre bipolaire et la multiplication des crises et des conflits locaux dans le monde de l'après-guerre froide rendent aujourd'hui plus importante que jamais la maîtrise de l'intelligence des crises. C'est pourquoi la prévention, qui dit à la fois éviter l'apparition des menaces pour notre sécurité et favoriser la résolution des crises, constitue -souligne le rapport annexé au projet de loi- une priorité dans notre stratégie.

Cette politique de prévention suppose :

- des moyens humains et de traitement de l'information adaptés, ce qui exige de préserver et de renforcer, malgré les contraintes financières, les services spécialisés de renseignement ;

- et l'acquisition de moyens spatiaux d'observation nous permettant de développer une analyse en toute indépendance et d'assurer ainsi, avec nos partenaires européens, notre autonomie de décision ; c'est dans ce cadre que doivent être notamment développés les programmes Hélios 2 d'observation optique et Horus d'observation radar.

On ne saurait enfin oublier que la prévention repose aussi sur nos forces prépositionnées, notamment en Afrique, qui représentent à la fois une capacité de réaction immédiate et des structures d'accueil pour des renforts éventuels.

c) La projection des forces : une importance nouvelle pour nos forces classiques

Dans ce cadre de la gestion des crises dans le nouveau contexte international, la projection des forces revêt une importance nouvelle pour nos forces classiques. Loin de toute dérive expéditionnaire, ces indispensables capacités de projection doivent faire face à des conflits ou des crises qui, bien qu'éloignés, sont susceptibles -ainsi que le soulignait déjà le Livre blanc- de remettre en cause notre sécurité.

Les objectifs de projection retenus à terme par le Chef de l'État, et réaffirmés par le présent projet de loi, sont les suivants :

- pour l'armée de terre : une capacité de projection de plus de 50 000 hommes dans le cadre d'un engagement majeur au sein de l'Alliance ou une capacité de 30 000 hommes relevables très partiellement (soit 35 000 hommes) sur un théâtre, tandis que 5 000 hommes relevables (soit 15 000 hommes) pourraient être engagés sur un second théâtre ;

- pour l'armée de l'air : une centaine d'avions de combat et de ravitailleurs sur des bases projetables, avec une capacité de transport maintenue au niveau actuel ;

- pour la marine : un groupe aéronaval et son escorte, et une force sous-marine significative ;

- pour la gendarmerie, des éléments spécialisés et d'accompagnement des forces ;

- enfin, des capacités de commandement interarmées, comprenant notamment un poste de commandement interarmées de théâtre (PCIAT).

La réalisation de ces objectifs suppose des efforts considérables, en particulier -votre rapporteur tient à le souligner- dans le domaine du transport (flotte de transport aérien, mais aussi porte-chars et transports de chalands de débarquement - TCD).

d) La protection du territoire national : un concept rénové

Face aux menaces multiformes de l'après-guerre froide, le présent projet de loi précise enfin un concept rénové de protection du territoire national. Cette mission traditionnelle des forces armées prend en effet des formes nouvelles.

La protection contre les agressions extérieures demeure naturellement la mission permanente de nos forces armées. La sûreté aérienne devra continuer à être assurée, de même que la surveillance des approches maritimes.

Mais la mobilité accrue des forces devra aussi leur permettre d'intervenir en tout lieu du territoire pour concourir à la sécurité intérieure, sur réquisition des autorités civiles, pour répondre à la diversification des menaces (terrorisme, trafic de drogue, grande criminalité...).

La gendarmerie est la première engagée dans la lutte contre ces nouvelles formes de menaces intérieures. Elle doit, en conséquence, à la différence des autres forces armées, voir ses effectifs accrus durant la période couverte par la programmation.

o

o o

C. UNE MÉTHODE DE PROGRAMMATION AFFINÉE

Correspondant à une adaptation globale de notre appareil de défense, disposant d'une enveloppe financière réduite mais qui s'efforce d'adapter nos moyens à nos besoins, le projet de loi de programmation qui nous est présenté repose d'autre part sur une méthode affinée qui correspond à des voeux exprimés au cours des dernières années par notre commission.

La démarche de programmation militaire est en effet ancienne : depuis 1960, huit lois de programmation ont été votées par le Parlement -sans compter le projet élaboré mais non voté de 1992. Mais les méthodes de la programmation ont été, d'une loi à l'autre, fluctuantes et imparfaites, au moins à trois titres :

- du point de vue de la période couverte par les programmations successives qui a été, selon des lois, de 3, 4, 5 ou 6 années ;

- du point de vue du champ d'application des lois de programmation, couvrant, selon les cas, une partie du titre V, la totalité du titre V, le titre V et les effectifs, ou l'ensemble des crédits militaires (titre III et titre V) ;

- du point de vue, enfin, des mécanismes d'exécution et de suivi de ces lois de programmation qui ont été, on le sait, jusqu'ici peu satisfaisants.

Sur ces trois points, le projet de loi proposé apporte des améliorations ou des innovations substantielles de nature -c'est en tout cas l'espoir de votre rapporteur- à corriger les dérives constatées antérieurement.

1. Une période de programmation (1997-2002) donnant un véritable éclairage à moyen terme

Bien que s'inscrivant dans le cadre d'un projet à long terme -le modèle d'armée retenu à l'horizon 2015-, la loi de programmation doit elle-même couvrir une période de durée suffisante pour apporter aux décideurs -militaires et industriels- la clarté à moyen terme qui constitue l'objectif même des lois de programmation. L'horizon de temps dans lequel s'inscrivent aujourd'hui les décisions majeures en matière d'équipement militaire atteint aujourd'hui plusieurs décennies. La programmation doit donc aller aussi loin que le permettent les mécanismes de décisions financières et politiques. C'est pourquoi votre rapporteur rejoint le point de vue exprimé par le Livre blanc et par la plupart des experts des méthodes de programmation ainsi que des responsables militaires et industriels en faveur d'une programmation portant sur six années.

La période couverte par le présent projet de loi, portant sur les années 1997 à 2002, répond à cette préoccupation. Cela est aujourd'hui d'autant plus indispensable que la programmation correspondra précisément à la période de transition vers la professionnalisation, exigeant une programmation précise de l'évolution des effectifs, des crédits consacrés au titre III et des mesures d'accompagnement de la professionnalisation.

Il convient toutefois de relever qu'aucun mécanisme de révision de la programmation n'est prévu par le présent projet de loi -à la différence de la programmation votée en 1994 qui prévoyait une révision à mi-parcours. Dans l'absolu, une telle clause de révision accroît la flexibilité et le caractère évolutif de la programmation en permettant de retrouver, tous les deux ou trois ans, un horizon de six ans.

En l'occurrence, votre rapporteur, après s'être interrogé, estime cependant qu'un tel mécanisme de révision n'est pas a priori opportun. Notre pays étant engagé dans une profonde réforme de sa défense, la programmation doit conserver, tout au long des six années qu'elle couvre, correspondant à la période de transition vers la professionnalisation, son caractère de référence financière contraignante, qui ne doit pas être remis en cause. De surcroît, les perspectives économiques et financières et l'impératif de maîtrise des déficits publics ne permettent pas d'entrevoir, d'ici deux ou trois ans, une conjoncture susceptible de permettre une révision de la programmation dans le sens d'un accroissement de l'effort de défense prévu.

2. Une programmation englobant l'ensemble des crédits militaires et l'évolution des effectifs

La caractéristique la plus intéressante du projet de loi de programmation qui nous est présentée est son caractère global puisque son champ d'application recouvre la totalité des crédits consacrés à la Défense (à l'exception des pensions) et l'évolution précise des effectifs.

a) Une programmation étendue à l'évolution des effectifs et aux crédits de fonctionnement (titre III)

Le projet de programmation 1997-2002 inclut d'abord à la fois l'évolution précise des effectifs civils et militaires du ministère de la Défense, pour chaque année et par catégorie de personnel, et l'ensemble des crédits de fonctionnement du titre III. Deux raisons rendent cette innovation particulièrement opportune :

- De manière générale, l'exclusion habituelle des dépenses de fonctionnement du champ de la programmation militaire en ont le plus souvent (sauf pour les programmations 1977-1982 et 1984-1988) réduit la portée véritable. Cette réduction du champ de la programmation n'est pas, aux yeux de votre rapporteur, satisfaisante en raison, bien sûr, de l'importance financière du titre III mais aussi en raison de la cohérence indispensable entre format des forces, dépenses de fonctionnement et dépenses d'équipement. Le format des forces rejaillit évidement sur les matériels dont elles sont équipées, et réciproquement. Il est nécessaire de prendre en compte ces interactions, d'ailleurs complexes, entre les personnels et les matériels. Il est donc souhaitable, même si les facteurs qui conditionnent l'évolution des titres III et V sont différents, de disposer avec la programmation d'un cadrage général couvrant à la fois dépenses de fonctionnement et dépenses d'équipement.

- En second lieu, l'inclusion des crédits de fonctionnement et de l'évolution précise des effectifs apparaît cette année incontournable. La professionnalisation de nos forces constitue en effet le point central de l'adaptation de notre appareil de défense dont le projet de loi de programmation constitue la première traduction législative. Il en résulte des bouleversements majeurs tant dans les effectifs que dans l'organisation de nos forces armées. En attendant la prochaine réforme du code du service national, il allait de soi que la présente programmation -couvrant les années 1997-2002 correspondant précisément à la professionnalisation progressive de nos armées- ne pouvait ignorer les conséquences de la période de transition vers l'armée professionnelle.

Il n'était dès lors, aux yeux de votre rapporteur, pas envisageable de déconnecter l'évolution prévisionnelle des effectifs et des dépenses de fonctionnement de celle des dépenses d'équipement.

b) Une programmation couvrant l'ensemble des dépenses d'équipement, en autorisations de programme et en crédits de paiement

La seconde caractéristique, essentielle, du projet de loi au regard du champ couvert par la programmation est son extension à l'ensemble des crédits d'équipement et la programmation de ces dépenses d'investissement en autorisations de programme (AP) et en crédit de paiement (CP).

Sur le premier point, il était naturellement souhaitable que la programmation inclue la totalité des dépenses des titres V et VI et l'ensemble des programmes d'équipement. Certains avaient suggéré de ne retenir que les seuls programmes majeurs. Mais cette hypothèse, sans doute plus facile à élaborer dans les très courts délais impartis, présentait l'inconvénient de ne pas donner une vue d'ensemble des crédits d'équipement et le danger majeur de sacrifier en permanence les programmes financièrement moins lourds, mais indispensables à la cohérence et à la capacité opérationnelle des forces.

Sur le deuxième point, la programmation des investissements à la fois en AP et en CP constitue une évolution -inédite depuis la loi de programmation 1971-1975- particulièrement opportune. Le respect insuffisant des dernières lois de programmation impose, en effet, de faire enfin de la loi de programmation un texte qui s'impose à tous, au ministère de la défense comme à Bercy.

Or, l'une des raisons de la non-exécution satisfaisante des lois de programmation réside dans le décrochage constaté entre autorisations de programme et crédits de paiement. Il était donc nécessaire de rétablir pleinement les autorisations de programme dans leur rôle, en tant que « limite supérieure des dépenses que les ministres sont autorisés à engager pour l'exécution des investissements prévus par la loi ».

Il faut donc se féliciter que le présent projet de loi établisse la prochaine programmation des investissements en autorisations de programme et en crédits de paiement, en crédits budgétaires et en francs constants, pour favoriser une gestion plus transparente et plus rigoureuse des dotations et un respect intégral des dispositions de la programmation.

Ce résultat devrait être enfin conforté par le développement des commandes pluriannuelles, qui apparaît à votre rapporteur comme un progrès essentiel, constituant à la fois une garantie qui fait actuellement cruellement défaut aux entreprises et une source d'économies potentielle pour nos armées.

3. Une programmation qui doit surmonter les aléas qui affectent son exécution

L'ampleur exceptionnelle de la mutation de notre défense organisée par la programmation militaire pour les années 1997-2002 supposait enfin des mécanismes renforcés d'exécution et de suivi de la programmation. Deux dispositions sont prévues à cet égard :

- le projet de loi reconduit d'abord, en son article 3, une disposition adoptée lors de l'examen de la loi de programmation 1995-2000 et prévoit que le gouvernement présentera chaque année au Parlement, lors du dépôt du projet de loi de finances, un rapport sur l'exécution de la loi de programmation militaire et sur son accompagnement économique et social ;

- un débat sera d'autre part organisé tous les deux ans au Parlement sur la base du rapport annuel présenté par le gouvernement, qui pourra inclure une révision des échéanciers des programmes industriels ;

- il est enfin prévu que le conseil de défense -qui réunit le Chef de l'État, le Premier ministre, les ministres de la défense, des affaires étrangères, de l'intérieur et de l'économie et des finances et qui a arrêté le projet de programmation -se réunira chaque année pour en examiner l'exécution et en assurer le suivi.

Ces dispositions ne garantiront pas, à elles seules, une application intégrale et intangible de la future programmation. L'expérience des dernières lois et les contraintes financières et budgétaires actuelles -notamment l'impératif de réduction des déficits publics- n'incitent d'ailleurs pas, a priori, à l'optimisme quant à la possibilité de surmonter totalement et durablement les aléas qui affectent l'exécution des lois de programmation. Ces aléas sont de trois types : techniques, financiers et politiques.

Les difficultés techniques perturbent souvent le déroulement des programmes d'armement, en raison notamment du caractère très novateur et de la longue durée de réalisation des programmes modernes ; leur maîtrise supposera un effort considérable de réduction des coûts et de gains de productivité de la part des industriels et de la DGA ; un objectif très ambitieux de réduction des coûts de 30 % sur la période de programmation a été fixé par le gouvernement ; les économies réalisées sur le programme de missile nucléaire M51 montrent que cet objectif n'est pas nécessairement hors d'atteinte ; en tout état de cause, ces économies potentielles ne sont pas incluses dans la programmation et pourraient constituer une marge de manoeuvre très utile ;

Les difficultés financières -dont il est clair qu'elles ne disparaîtront pas durant la période de programmation- entraînent trop souvent un décalage entre les ressources prévues en programmation et celles inscrites dans les lois de finances successives ; mais il faudra s'en tenir, cette fois, strictement aux décisions prises. Cela exigera d'abord une programmation fidèlement traduite dans les budgets annuels. Mais cela exigera aussi de renoncer a priori, sauf situation tout à fait exceptionnelle, aux régulations budgétaires en cours d'année dont votre rapporteur tient à réaffirmer ici solennellement qu'elles sont :

- contradictoires avec les votes du Parlement ;

- préjudiciables au bon déroulement des programmes ;

- et contraires à tout effort de bonne gestion.

L'expérience de ces dernières années pourrait à cet égard accroître notre inquiétude si les aléas politiques devaient être dans l'avenir aussi importants que dans le passé récent. Mais le contexte politique et la détermination affichée par le Chef de l'État créent, cette fois, plusieurs facteurs favorables :

- contrairement aux dernières lois de programmation, le Chef de l'État doit pouvoir conduire à son terme l'exécution de la prochaine programmation, puisque le projet de loi proposé couvrira les années 1997-2002 ; tout devient alors affaire de volonté politique ;

- or, le Président de la République a indiqué solennellement, le 23 février dernier, qu'il veillerait personnellement au respect de la programmation.

Le budget de la défense ne saurait donc plus être « la variable d'ajustement du budget de l'État », comme l'a confirmé le ministre de la défense devant le Sénat le 26 mars 1996, précisant que « les mesures visant, le cas échéant, à le réguler ou à le réduire seront soumises à l'approbation du Chef de l'État ».

Cet aspect des choses est essentiel. Il y va de la crédibilité du principe même des lois de programmation militaire. Il y va surtout de la cohérence et du succès de l'entreprise de réforme en profondeur de notre appareil de défense.

o

o o

D. UNE PROGRAMMATION À LA DIMENSION EUROPÉENNE RENFORCÉE

Le présent projet de loi de programmation porte enfin la marque d'une politique de défense qui s'inscrit clairement dans une perspective européenne. Cette orientation politique majeure répond au renforcement des solidarités européenne et atlantique, l'objectif réaffirmé de la France étant que, dans le respect de l'Alliance et dans le cadre de l'Union, les Européens progressent sans délai vers une défense commune à la mesure des enjeux stratégiques du XXIe siècle.

1. Une programmation qui s'inscrit dans le cadre d'une ambition européenne forte

L'exposé des motifs du projet de loi qui nous est soumis fait figurer la construction d'une politique de défense européenne parmi les quatre objectifs majeurs de la présente programmation, à côté de la professionnalisation, de la modernisation de nos forces et de la restructuration de l'outil de défense.

Cette orientation marque d'abord une volonté politique forte de progresser vers une défense commune. Elle s'inscrit dans le strict prolongement des analyses du Livre blanc sur la défense de 1994 qui se trouvent ainsi réaffirmées. Elle se traduit aussi aujourd'hui par les propositions formulées par la France dans le cadre de la Conférence intergouvernementale afin d'édifier une politique commune qui soit à la fois l'expression de l'Union européenne et le moyen de renforcer le pilier européen de l'Alliance atlantique tout en lui permettant de recourir à l'UEO pour conduire des opérations européennes.

Cette orientation se traduit surtout, sur le plan opérationnel, par une réforme en profondeur mais réaliste de notre défense qui prend pleinement en compte la dimension européenne dans chacune de ses composantes.

Dans le domaine de la projection d'abord, les objectifs ambitieux fixés -une capacité de projection pouvant aller jusqu'à 50 000 hommes- se conçoivent d'abord au service de la défense européenne. Le but est d'être capables de nous porter, conjointement avec nos partenaires européens et nos alliés, sur des théâtres éloignés, en Europe ou hors d'Europe, avec des forces professionnelles très disponibles, capables d'être projetées rapidement avec des éléments de commandement rompus à la coopération interalliée et des moyens de communications interopérables.

Dans le domaine de la prévention et du renseignement, la dissuasion européenne revêt également une importance majeure. Elle se traduit concrètement, au-delà de l'échange de renseignements et de la mise en commun de moyens d'analyse, par une coopération renforcée sur les systèmes spatiaux d'observation qui suppose, non seulement la réalisation, mais aussi l'exploitation en commun de ces moyens de renseignement.

La dissuasion elle-même pourrait revêtir, si nos partenaires le souhaitent, une dimension européenne plus marquée. C'est dans ce cadre que la stratégie française prend en compte l'imbrication croissante des intérêts vitaux des pays européens et des menaces auxquelles ils doivent faire face et que Paris a avancé l'idée -qui ne peut évidemment reposer que sur une démarche pragmatique et progressive- d'une « dissuasion concertée » dans le cadre d'une approche d'ensemble de la sécurité européenne.

Quant à la protection du territoire, si elle repose naturellement sur différents moyens relevant de la sécurité intérieure, elle sera également renforcée par une coopération à l'échelle européenne. Compte tenu de la liberté de circulation au sein de l'Union européenne, la protection du territoire s'inscrira en effet de plus en plus dans une perspective commune avec nos partenaires.

Il va de soi, enfin que la restructuration accélérée de notre industrie de défense a pour objectif majeur de participer à l'édification de capacités européennes fortes et compétitives de nature à résister à la concurrence internationale, principalement américaine. Cet effort doit contribuer à doter l'Europe d'une base industrielle et technologique de défense compétitive, performante et adaptée.

Ainsi, malgré les très fortes contraintes budgétaires qui caractérisent cette programmation, les programmes conduits en coopération européenne verront leurs crédits doubler entre 1997 et 2002. Dans le même esprit, la structure d'armement franco-allemande est ouverte à tous les pays européens qui souhaiteront développer en commun l'équipement de leurs forces, dans la perspective de la création d'une véritable Agence européenne des armements.

2. Le renforcement des solidarités européennes et atlantiques

Cette ambition européenne de la politique de défense française appelle deux séries d'observations de votre rapporteur :

- elle est compatible et complémentaire avec la nouvelle approche française à l'égard de l'Alliance atlantique ;

- elle souligne l'urgence, mais aussi les fragilités actuelles, de la construction d'une défense européenne.

a) La nouvelle approche française à l'égard de l'Alliance atlantique

L'Alliance atlantique et l'engagement militaire américain en Europe demeurent, pour la France, une garantie indispensable pour l'équilibre et la sécurité en Europe. Ainsi que le souligne le présent projet de loi, « le développement des capacités politiques et militaires des Européens et le renforcement du pilier européen de l'OTAN sont les deux volets indissociables d'une même politique ».

Il convient, dans cet esprit, de rappeler les décisions importantes annoncées, le 5 décembre 1995, par le ministre français des affaires étrangères :

- le ministre français de la défense pourra participer régulièrement aux travaux de l'Alliance, aux côtés de ses collègues ; cette participation se fera dans le cadre du Conseil atlantique et non dans celui du Comité des plans de défense ;

- le chef d'état-major des armées participera pleinement désormais au Comité militaire ainsi qu'aux organes qui en dépendent : collège de l'OTAN, collège d'Oberammergau et Centre de situation de l'Alliance ;

- la France est enfin décidée à engager un processus de nature à améliorer ses conditions de travail avec le quartier général allié en Europe (SHAPE).

L'objectif de la France est donc de contribuer à une Alliance rénovée, forte, adaptée à ses nouvelles missions et ouverte vers l'extérieur, tout en favorisant l'émergence d'une véritable identité européenne au sein de l'Alliance.

Notre pays avait, notamment lors de la négociation du traité de Maastricht, plaidé pour que soit énoncé le principe d'une défense européenne distincte de l'Alliance atlantique, considérée comme une condition essentielle à l'émergence d'une identité européenne, en matière de relations extérieures et de sécurité. Cette proposition s'est en fait heurtée à la volonté de la majorité de nos partenaires européens de ne rien faire qui risque d'affaiblir l'Alliance atlantique. La nouvelle démarche française est donc, selon votre rapporteur, une décision réaliste. Il sera plus aisé de parvenir à promouvoir un entité européenne de défense en agissant à l'intérieur de l'Alliance qui est aujourd'hui, sur le plan militaire, la structure la plus crédible.

La France entend ainsi participer pleinement, de l'intérieur, au processus de réforme et de rénovation engagé par l'Alliance, en 1994, sur trois principes essentiels :

- l'adaptation des structures politiques et militaires par un renforcement du contrôle politique, une flexibilité accrue de la structure militaire, une approche plus fonctionnelle des commandements ;

- une meilleure affirmation des Européens, en tant que tels, au sein de l'OTAN, sur les plans politique et militaire ;

- la préservation du lien transatlantique et de l'engagement américain en Europe.

La constitution d'un pilier européen de défense au sein de l'OTAN n'est cependant que l'un des aspects de la défense européenne. Loin de s'y résumer, celle-ci suppose aussi que l'UEO soit à même, sur le long terme, d'assumer seule une part des responsabilités européennes de sécurité.

b) L'urgence et les fragilités actuelles de la construction d'une défense européenne

Créée en 1948 sur la base du traité de Bruxelles, l'UEO est toutefois longtemps demeurée une « belle endormie ». La tâche d'exécution de la défense collective, consignée à l'article 5 du traité, avait été transférée à l'OTAN. Ce n'est qu'en 1984 avec la déclaration de Rome, puis en 1987 avec l'adoption de la « plate-forme » de La Haye sur les intérêts européens en matière de sécurité, que l'UEO fut progressivement réactivée. Depuis 1990, la nécessité de donner un cadre approprié à l'émergence d'une identité européenne de défense a conforté la valeur de cette organisation, dont le traité de Maastricht, par delà des formulations ambiguës et imprécises, a entendu faire le « bras armé » de l'Union européenne.

Ainsi la déclaration dite de Petersberg (1992) a-t-elle précisé les missions nouvelles que l'UEO serait compétente à conduire : gestion de crises, aide humanitaire, opérations de maintien ou de rétablissement de la paix. A cette fin, était également préconisée la création d'unités militaires sur une base multinationale et interarmées. Quatre ans après, quatre forces nouvelles ont été créées, désormais fonctionnellement opérationnelles. Ces forces relevant de l'UEO (FRUEO) ont toutefois une double dévolution soit à l'OTAN, soit à l'UEO. Par ailleurs, le concept de GFIM (groupements de forces interarmées multinationales) doit permettre de faire coopérer fructueusement sur le plan militaire l'UEO et l'OTAN dans le contexte d'un pilier européen de défense.

1. La constitution de forces européennes multinationales constitue à ce jour le champ privilégié de concrétisation des efforts européens. Ces forces, comme le souligne le projet de loi, doivent voir leurs capacités opérationnelles et leur disponibilité accrues par la professionnalisation de nos forces. Il n'est sans doute pas inutile de rappeler ici la composition et le rôle de ces différentes forces.

Le Corps européen : officiellement créé lors du sommet franco-allemand de La Rochelle en mai 1992, le Corps européen regroupe aujourd'hui cinq pays : la France, l'Allemagne, la Belgique, le Luxembourg et l'Espagne. Désormais opérationnel, son effectif est actuellement de 50 800 hommes -dont 10 300 Français et 18 500 Allemands. Des unités nationales prédésignées lui sont affectées, bien que demeurant stationnées sur leur sol national d'origine. Il est probable que la professionnalisation de nos forces modifiera substantiellement la part française au Corps européen. A cet égard, il convient de souligner que le fait que la principale unité française affectée au Corps européen -la 1ère DB- soit essentiellement constituée d'appelés constituait une faiblesse opérationnelle de taille pour la participation de cette unité à des opérations de gestion de crises hors du territoire national. La professionnalisation doit ainsi conforter le caractère opérationnel du Corps européen, même si le format de la participation française est réduit.

Les missions assignées au Corps européen sont de trois ordres : les opérations humanitaires, les opérations de maintien ou de rétablissement de la paix et les opérations d'assistance mutuelle et de défense commune des alliés en application des articles 5 des traités de Washington (OTAN) et de Bruxelles (UEO).

L'Eurofor et l'Euromarfor : ces deux forces, l'une terrestre, l'autre maritime, on été créées le 15 mai 1995 par la France, l'Italie et l'Espagne, auxquelles s'est adjoint le Portugal, la Grande-Bretagne ayant en outre signifié son intérêt pour l'Euromarfor.

L'Eurofor, rassemblant en effectifs l'équivalent d'une division, aura une capacité d'action et de déploiement rapide. Apte à agir seule ou en liaison avec l'Euromarfor, elle ne dispose pas -contrairement à l'Eurocorps- d'unités permanentes, mais sera constituée d'unités préaffectées et professionnalisées, disponibles à bref délai (5 000 hommes, et éventuellement 10 000). Son commandement permanent et son état-major international sont installés à Florence.

L'Euromarfor, force maritime multinationale non permanente, est dotée de capacités aéronavales et amphibies : un porte-avions -français-associé à 4 ou 6 bâtiments d'escorte, une force de débarquement, des unités amphibies et un ravitailleur. Sans structures ni état-major permanents, l'Euromarfor sera commandée à tour de rôle par chaque pays participant.

Les missions de ces deux forces s'inscrivent dans les objectifs de la déclaration de Petersberg : gestion de crises, actions humanitaires, à l'exception, notable, des missions liées à la mise en oeuvre de l'article 5 UEO ou de l'article 5 OTAN.

Le groupe aérien européen franco-britannique : cette unité a été créée lors du 17e sommet franco-britannique de Chartres le 18 novembre 1994. Sa portée semble toutefois à ce jour plus politiquement symbolique -c'est l'un des premiers cas concrets de coopération franco-britannique dans ce domaine- que militaire. Il s'agit d'une cellule de planification et de coordination qui ne dispose pas d'appareils en permanence. Il lui reviendrait, en cas de crise, de désigner les escadrons de combat ou de transports les plus appropriés. Cette unité aura, comme les deux précédentes, la double dévolution OTAN-UEO.

2. Le concept de groupements de forces interarmées multinationaux (GFIM), né d'une proposition américaine, a été agréé lors du sommet de l'OTAN de Bruxelles en juin 1994. Son principe tend à résoudre la concurrence entre l'UEO et l'OTAN dans le lancement d'opérations militaires, en particulier dans l'hypothèse où les États-Unis ne souhaiteraient pas être partie à une coalition réunissant exclusivement des Européens, en permettant à ces derniers de recourir aux moyens OTAN.

Les quartiers généraux de GFIM doivent être des structures légères de quelques dizaines d'officiers, chargés de préparer des missions de gestion de crises. Ils doivent être constitués en temps normal de « noyaux » complétés, en cas de besoin, par des « modules » de spécialistes. Noyaux et modules formeront l'état-major de la force GFIM déployée sur le théâtre.

A partir des états-majors des GFIM situés dans des quartiers généraux de l'OTAN, les Européens devraient ainsi pouvoir conduire des missions en recourant aux moyens de l'Alliance. Symétriquement, certains états-majors européens multinationaux (Eurocorps) ou nationaux pourraient héberger des quartiers généraux de GFIM.

Le récent sommet de Berlin (3 juin 1996) a précisé certaines modalités de mises en oeuvre de ces GFIM, en évitant la duplication des structures qui aurait abouti à reproduire, au sein de l'UEO, la totalité d'une chaîne de commandement et en maintenant une structure militaire unique, mais allégée et assouplie.

3. Une ambition européenne plus forte reste toutefois, aux yeux de votre rapporteur, nécessaire.

Les intérêts français seront, en tout état de cause, préservés dans le cadre de la future Alliance atlantique :

- aucune force française ne pourra naturellement être engagée dans une opération militaire quelconque sans l'accord des autorités françaises ;

- si l'accord se fait sur une réforme satisfaisante de l'Alliance et sur l'affirmation de l'identité européenne en son sein, la France devra y participer pleinement ;

- si, en revanche, cette adaptation ne faisait pas une place suffisante à l'Europe, notre pays devrait s'en tenir aux décisions du 5 décembre 1995.

De manière générale, les relations à venir entre la France et l'OTAN seront très largement dépendantes de l'évolution des structures et des procédures de l'Alliance elle-même.

Il reste que le risque existe que la rénovation de l'Alliance -et

notamment la formule des GFIM- si elle marie heureusement l'OTAN et des ambitions européennes minimales, coupe court à une véritable ambition propre à promouvoir une défense européenne reposant sur des moyens proprement européens, mais qui comporterait, pour beaucoup de nos partenaires le risque d'affaiblir l'Alliance.

C'est pourquoi votre rapporteur croit nécessaire une ambition forte :

- sur le plan opérationnel, pour renforcer fortement des capacités de l'UEO encore balbutiantes (coordination des forces multinationales existantes, chaîne de commandement crédible...)

- et sur le plan politique : l'UEO est aujourd'hui, à travers notamment un format incertain, en mal d'identité : 10 membres « pleins », 27 si l'on y ajoute les membres associés, les observateurs et les partenaires, sans oublier la figure intermédiaire à 18. Comme le soulignait le ministre français de la défense le 19 décembre 1995 : « la tâche la plus urgente est donc de rendre à l'UEO son rôle de référence politique en valorisant les 10 États qui souscrivent aux engagements les plus contraignants et qui sont membres de l'Union européenne ». La conférence intergouvernementale actuelle constitue à cet égard une occasion qu'il ne faut pas laisser passer.

Page mise à jour le

Partager cette page