2. LES VISITES SOMMAIRES DES VÉHICULES À L'EXCLUSION DES VOITURES PARTICULIÈRES, DANS LES VINGT KILOMÈTRES DES FRONTIÈRES TERRESTRES SCHENGEN (ARTICLE 8-2 NOUVEAU DE L'ORDONNANCE DE 1945)

L'article 3 insère dans l'ordonnance de 1945 un article 8-2 nouveau permettant aux officiers de police judiciaire, assistés des agents de police judiciaire de l'article 20 du code de procédure pénale et des agents de police judiciaire adjoints du 1° de l'article 21 du même code d'opérer des visites sommaires de véhicules, à l'exclusion des voitures particulières , en vue de rechercher et constater les infractions aux règles relatives à l'entrée et au séjour des étrangers, dans les vingt kilomètres des frontières terrestres entre la France et ses voisins signataires de la Convention de Schengen.

Au-delà des contrôles d'identité déjà prévus dans cette zone par l'article 78-2, huitième alinéa, du code de procédure pénale, lesquels peuvent être assortis, pour les étrangers, de la vérification des pièces et documents de séjour en application du troisième alinéa de l'article 8 de l'ordonnance, il s'agit de vérifier, par une visite sommaire, que ces véhicules (poids-lourds ou autocars) ne dissimulent pas des étrangers en situation irrégulière.

L'objectif précis assigné par le texte à cette visite permet d'en définir le caractère sommaire qui la distingue d'une fouille, notamment au sens des contrôles douaniers . Il s'agit de vérifier que l'habitacle ou la remorque ne dissimule aucun passager clandestin en infraction avec les règles de séjour et non de se livrer à une fouille de la cargaison.

La visite ne peut avoir lieu qu'avec l'accord du conducteur ou à défaut sur " instructions " du procureur de la République. Le véhicule peut être immobilisé pendant quatre heures. Le texte du projet de loi initial prévoyait un délai de six heures.

Outre l'utile précision rédactionnelle sur les " instructions " du procureur (au lieu de l' " autorisation " prévue par le projet de loi), l'Assemblée nationale, à l'initiative de sa commission, approuvée par le Gouvernement, a préféré aligner ce délai sur les quatre heures déjà prévues par l'article 78-3 du code de procédure pénale. Celui-ci concerne la rétention dans les locaux de la police d'une personne qui lors d'un contrôle a refusé ou s'est trouvé dans l'impossibilité de justifier de son identité.

L'Assemblée nationale a également apporté des précisions concernant les modalités de la visite qui se fait en présence du conducteur auquel est remis, comme au procureur, un procès-verbal de visite mentionnant les dates et heures du début et de la fin des opérations.

Cette nouvelle rédaction du troisième alinéa de l'article 8-2 a supprimé l'exigence figurant dans le projet de loi initial concernant la durée de la visite " limitée au temps strictement nécessaire à compter de l'autorisation du procureur ".

Votre commission vous proposera un amendement tendant à rétablir cette précision, comparable à celle figurant à l'article 78-3 du code de procédure pénale en matière de vérification d'identité, en la plaçant en facteur commun afin qu'elle s'applique également lorsque le conducteur donne son accord, et non uniquement en cas de saisine du procureur.

L'Assemblée nationale a en outre supprimé le quatrième alinéa de cet article, clause de style pour éviter la nullité des procédures incidentes, dont le caractère superfétatoire lui est apparu, bien qu'elle figure notamment à l'article 78-2 du code de procédure pénale, à son initiative. Les règles habituelles en matière de flagrance permettent en tout état de cause de poursuivre les infractions qui seraient constatées fortuitement à l'occasion de cette visite.

Ce dispositif de visite des véhicules entre-t-il dans le cadre défini, jusqu'à présent par le Conseil constitutionnel ?

Celui-ci a admis, dans sa décision n° 93-323 du 5 août 1993, la situation particulière de la bande de Schengen en matière de contrôles d'identité :

" Considérant (...) que les zones concernées, précisément définies dans leur nature et leur étendue, présentent des risques particuliers d'infractions et d'atteintes à l'ordre public liés à la circulation internationale des personnes ; que, dès lors, la suppression de certains contrôles aux frontières qui découlerait de la mise en vigueur des accords de Schengen pouvait conduire le législateur à prendre les dispositions susmentionnées sans rompre l'équilibre que le respect de la Constitution impose d'assurer entre les nécessités de l'ordre public et la sauvegarde de la liberté individuelle ; que les contraintes supplémentaires ainsi occasionnées pour les personnes qui résident ou se déplacent dans les zones concernées du territoire français ne portent pas atteinte au principe d'égalité dès lors que les autres personnes sont placées dans des situations différentes au regard des objectifs que le législateur s'est assigné ; qu'en outre de telles dispositions ne sauraient être regardées en elles-mêmes comme portant atteinte à l'indivisibilité de la République. "

Il s'est en revanche à deux reprises en 1977 et en 1995 prononcé contre des fouilles de voitures particulières.

Dans sa décision 76-75 DC du 12 janvier 1977, il a écarté la visite par des officiers de police judiciaire et agents de police judiciaire  " de tout véhicule ou de son contenu aux seules conditions que ce véhicule se trouve sur une voie ouverte à la circulation publique et que cette visite ait lieu en la présence du propriétaire ou du conducteur " .

Il a considéré qu'il y avait atteinte à la liberté individuelle dans la mesure où cette visite pourrait avoir lieu " sans restriction, dans tous les cas, en dehors de la mise en vigueur d'un régime légal de pouvoirs exceptionnels, alors même qu'aucune infraction n'aura été commise et sans que la loi subordonne ces contrôles à l'existence d'une menace d'atteinte à l'ordre public ".

Dans sa décision 94-352 DC des 17-18 janvier 1995, le Conseil constitutionnel fonde l'atteinte à la liberté individuelle sur d'autres arguments : il s'agissait de la fouille des véhicules pour y rechercher des projectiles aux abords d'une manifestation dans des circonstances faisant craindre des troubles graves à l'ordre public. Le Conseil constitutionnel précise que " s'agissant de telles opérations qui mettent en cause la liberté individuelle, l'autorisation d'y procéder doit être donnée par l'autorité judiciaire ".

En l'occurrence, l'information sans délai du procureur sur les instructions données en ce sens par le préfet et le contrôle a posteriori des autorités judiciaires ne répondaient pas à cette exigence.

Dans ces deux cas, le Conseil constitutionnel ne fait en tout état de cause pas référence à la notion de " domicile " à propos de véhicules.

Le Conseil constitutionnel n'a pas eu jusqu'ici à se prononcer sur " des visites sommaires " de véhicules excluant les voitures particulières.

Dans la nouvelle procédure proposée par le présent article, trois éléments peuvent être pris en compte pour apprécier le respect de la liberté individuelle : 1) la visite est sommaire et l'objet délimité ; 2) elle n'a lieu qu'avec l'accord du conducteur ou à défaut sur instructions du procureur ; 3) elle est effectuée dans une bande de 20 km le long des frontières, dans laquelle le Conseil constitutionnel a autorisé les contrôles d'identité.

Sous réserve de son amendement sur la durée de la visite, cette disposition est apparue justifiée par son objet à la commission des Lois.

Enfin, l'Assemblée nationale a adopté un amendement de MM. Léon Bertrand et Gérard Léonard, sous-amendé par le Gouvernement, permettant de procéder aux mêmes visites sommaires des mêmes véhicules dans une bande de vingt kilomètres à l'intérieur des frontières terrestres de la Guyane .

Les auteurs de cet amendement l'ont justifié amplement par la situation de la Guyane en matière d'immigration irrégulière dont votre commission a rendu compte chaque année lors de l'examen de la loi de finances dans son avis budgétaire consacré aux départements d'outre-mer.

On estime la population étrangère en Guyane à 65 000 personnes, soit environ 50 % de la population de ce département de 83 534 km2 (300 km dans sa plus grande largeur, 400 km en hauteur).

Les étrangers en situation irrégulière représenteraient la moitié de cette population étrangère, soit un quart des habitants de la Guyane .

Cette population étrangère en situation irrégulière pèse sur les dépenses publiques dans les domaines sanitaires, sociaux et scolaires notamment. En outre la Guyane a le taux de criminalité le plus élevé de l'ensemble du territoire : 231,42 pour mille habitants en 1995 ; 58 % des faits constatés par les services de police et de gendarmerie résultent des infractions à la police des étrangers.

Ces statistiques traduisent indirectement la présence très active de ces services en Guyane où le ratio des forces de l'ordre est de 6,6 pour 1 000 habitants (contre 3,7 en moyenne).

La DICCILEC y compte 115 agents dont 35 à Saint-Laurent du Maroni. Un centre de rétention a été installé près de l'aéroport de Rochambeau (Cayenne).

En 1995, 11 900 étrangers ont été ainsi reconduits à la frontière en Guyane, soit autant que pour l'ensemble de la métropole .

Malgré les efforts constants déployés dans le cadre du plan Alizé bis qui permet une surveillance 24 heures sur 24 par pirogues rapides, la situation géographique limite ces actions : la plus grande partie de ce territoire est en effet localisée dans la forêt amazonienne et l'essentiel de ses frontières avec le Surinam et le Brésil est bordé par deux fleuves, respectivement le Maroni et l'Oyapock.

Dans ces conditions, la possibilité d'épaissir la zone frontière pour faciliter l'appréhension des irréguliers au plus près de leur arrivée apparaît justifiée.

De même que la levée des contrôles sur les frontières intérieures de l'espace Schengen a impliqué une possibilité de contrôle d'identité sur une profondeur de 20 km, de même, en Guyane, le contrôle aux frontières est extrêmement aléatoire car cette ligne théorique passe au milieu de fleuves adossés à la forêt amazonienne. Par ailleurs, des populations locales réparties de part et d'autre de cette frontière connaissent des situations économiques si disparates que " l'appel d'air " est inévitable et massif.

Les zones concernées présentent donc des risques particuliers d'infractions et d'atteintes à l'ordre public en raison de leur situation géographique, économique et démographique qui justifient l'extension proposée par l'Assemblée nationale.

Page mise à jour le

Partager cette page