3. RELEVÉ DES EMPREINTES DIGITALES (ARTICLE 8-3 DE L'ORDONNANCE DE 1945)

L'article 3 du projet de loi crée, in fine, un article 8-3 dans l'ordonnance de 1945 relatif aux empreintes digitales .

Cette disposition, qui ne figurait pas dans le projet de loi initial, a été ajoutée par l'Assemblée nationale, par l'adoption d'un amendement de synthèse de plusieurs amendements individuels, présenté par la commission des Lois, et d'un sous-amendement de M. de Courson, approuvés par le Gouvernement.

Son premier alinéa prévoit que les empreintes des étrangers non ressortissants de l'Union européenne qui demandent à séjourner en France ainsi que celles des étrangers en situation irrégulière ou faisant l'objet d'une mesure d'éloignement peuvent être relevées et faire l'objet d'un traitement automatisé.

Son deuxième alinéa permet aux " services du ministère de l'intérieur " de consulter les empreintes des étrangers " détenues par les autorités publiques " afin de les identifier  " pour mener à bien l'éloignement du territoire français des étrangers en situation irrégulière . "

Ces deux alinéas soulèvent des questions complémentaires mais séparables. Ils tendent tous deux à renforcer les capacités d'identification des étrangers en situation irrégulière.

· Sur le premier alinéa , il existe à l'heure actuelle plusieurs fichiers d'empreintes digitales, pour certains faisant l'objet d'un traitement automatisé, dont la création résulte de textes réglementaires ; à titre d'exemple :

- le fichier informatisé des réfugiés géré par l'OFPRA créé par arrêté du ministère des affaires étrangères (arrêté du 21 décembre 1989 puis, à titre permanent, arrêté du 6 novembre 1995) ;

- celui de la carte nationale d'identité des Français géré par le ministère de l'Intérieur (décret n° 87-179 du 19 mars 1987) ;

- dans le cadre judiciaire, le fichier automatisé des empreintes digitales, géré par le ministère de l'Intérieur (décret n° 87-249 du 8 avril 1987).

L'intervention du législateur pour autoriser la création d'un nouveau recueil d'empreintes ne dispensera en tout état de cause pas de prendre un dispositif réglementaire, après avis de la CNIL, en application de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

Si le principe d'une telle création n'a donc rien d'original, en revanche, son extension à l'ensemble des étrangers non ressortissants de l'Union européenne demandant à séjourner en France apparaît exorbitante au regard de la finalité car elle pourrait s'appliquer au simple touriste. Son application serait au demeurant complexe en raison du principe de libre circulation des personnes dans le cadre de la convention de Schengen et de l'acte unique européen qui s'applique non seulement aux ressortissants de l'Union européenne, mais aussi aux non-ressortissants présents sur le territoire de l'un des Etats.

En conséquence, votre commission vous proposera un amendement tendant à limiter les données recueillies aux empreintes des ressortissants étrangers qui demandent un titre de séjour en application de l'article 6 de l'ordonnance de 1945, des étrangers en situation irrégulière ou faisant l'objet d'une mesure d'éloignement et à rappeler l'intervention de la CNIL. Celle-ci a au demeurant donné pour les fichiers cités un avis favorable en précisant certaines modalités de leur mise en oeuvre.

Cette nouvelle rédaction est au demeurant plus réaliste car le relevé éventuel d'empreintes ne concernera que des étrangers installés en France depuis trois mois et qui demandent à y demeurer plus longuement. Il sera donc effectué en France, dans les préfectures, déjà équipées pour recueillir les empreintes destinées au fichier de l'OFPRA.

· La rédaction proposée par l'Assemblée nationale pour le deuxième alinéa de l'article 8-3 permettrait de lever, d'une manière générale, au bénéfice des " services du ministère de l'intérieur ", les limitations d'accès aux empreintes digitales des ressortissants étrangers " détenues par les autorités publiques ". Cet accès est limité par sa finalité : il s'agit de procéder à l'identification " pour mener à bien l'éloignement du territoire français des étrangers en situation irrégulière ".

Première observation : Le recours à la loi est nécessaire car cette rédaction recouvre en réalité l'accès du ministère de l'Intérieur aux empreintes digitales du fichier de l'OFPRA et à celles du fichier automatisé du ministère de l'intérieur.

Or, le premier a été créé par un arrêté qui aurait pu être modifié, après avis de la CNIL, pour prévoir un tel accès mais l'article 3 de la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 portant création de l'OFPRA prévoit que " tous les documents lui appartenant ou détenus par lui sont inviolables ". L'arrêté relatif au fichier interdit donc la connexion de ce fichier avec d'autres et en réserve l'utilisation à l'OFPRA. Seule l'intervention préalable du législateur permettrait d'ouvrir cet accès.

Le second n'est actuellement consultable que par les fonctionnaires habilités du service d'identité judiciaire du ministère de l'intérieur et des unités de recherches de la gendarmerie à la demande de l'autorité judiciaire ou des OPJ dans le cadre des affaires dont l'autorité judiciaire est saisie.

Si tel est bien le champ d'application que ces auteurs entendent donner à cette disposition, il apparait préférable à votre commission de le préciser dans la loi afin d'éviter que cette autorisation ne recouvre d'autres fichiers existants voire les futurs fichiers à venir sur l'accès desquels le législateur n'aurait plus à se prononcer.

Deuxième observation : L' intervention de la loi est nécessaire , est-elle possible ? Sauf à donner une valeur constitutionnelle soit à la règle de l'inviolabilité posée par la loi de 1952 qui résulte d'un choix du législateur français dont on chercherait vainement le fondement dans le texte de la Convention de Genève, soit à la sanction du changement de finalité d'un fichier ou des personnes autorisées à y accéder, aucune norme supérieure ne paraît interdire cette intervention.

Sur le changement de finalité il existe au demeurant des précédents législatifs en la matière dont l'un concerne également des informations nominatives relatives aux étrangers.

L'article 36 de la loi du 24 août 1993 précitée a en effet créé un article L. 115-7 du code de la sécurité sociale qui prévoit, in fine, que " les organismes chargés de la gestion d'un régime obligatoire de sécurité sociale assurant l'application, le versement des prestations ou le recouvrement des cotisations sont tenus de vérifier (...) que les assurés étrangers satisfont aux conditions de régularité de leur situation en France (... et) peuvent avoir accès aux fichiers des services de l'État pour obtenir les informations administratives nécessaires à cette vérification.

" Lorsque ces informations sont conservées sur support informatique, elles peuvent faire l'objet d'une transmission autorisée dans les conditions prévues à l'article 15 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés . "

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 13 août 1993, n'a pas critiqué cette disposition en constatant que " le législateur a explicitement entendu assurer l'application de dispositions protectrices de la liberté individuelle prévues par la législation relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ".

En effet, l'intervention de la CNIL se situera en tout état de cause en aval de l'autorisation législative.

Elle aura à se prononcer le cas échéant sur le changement de finalité des fichiers et sur les personnes autorisées à y accéder au regard de cette finalité ainsi que sur une éventuelle connexion des fichiers, celle-ci étant actuellement exclue.

En l'espèce, l'audition de M. Jacques Fauvet, président de la CNIL, par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale [4] a montré aux auteurs de l'amendement que la jurisprudence antérieure de la CNIL n'excluait pas qu'un tel accès puisse être organisé.

S'agissant de la finalité du fichier, l'avis rendu par la CNIL sur celui de l'OFPRA le 3 mars 1987 précisait d'ores et déjà qu'il aurait " pour finalité d'éviter qu'une même personne puisse sous des identités différentes demeurer en France, malgré une décision de rejet de sa demande par l'OFPRA et bénéficier plusieurs fois des avantages sociaux accordés aux demandeurs du statut de réfugié ".

A la lumière de ces observations, il est apparu à votre commission que, sous réserve d'entourer cette consultation de garanties portant sur sa finalité, les personnes autorisées à y accéder et l'intervention de la CNIL, le législateur pouvait autoriser l'accès à ces deux fichiers pour faciliter l'identification des étrangers en situation irrégulière en vue de leur éloignement.

Elle vous propose en conséquence un amendement tendant à:

- déterminer la finalité de la consultation par référence à l'article 27 de l'ordonnance de 1945 qui caractérise le refus de l'étranger de contribuer à son identification en vue de son éloignement;

- nommer les deux fichiers dont la consultation est autorisée;

- préciser que seuls les OPJ , APJ et APJ adjoints des services compétents pour mettre en oeuvre l'éloignement pourront y accéder;

- confirmer l'intervention de la CNIL .

Votre commission vous propose d' adopter l'article 3 ainsi modifié.

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