ARTICLE 6 TER
(ART. 29 DE L'ORDONNANCE DU 2 NOVEMBRE 1945)
REGROUPEMENT FAMILIAL

Cet article additionnel -adopté par l'Assemblée nationale, avec l'accord du Gouvernement, sur la proposition de M. Jean-Pierre Philibert - tend à modifier l'article 29 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, afin d'empêcher les regroupements familiaux de type polygamique .

Le dispositif relatif au regroupement familial a constitué l'un des aspects essentiels de la réforme opérée par la loi du 24 août 1993 qui a inséré dans l'ordonnance du 2 novembre 1945 un chapitre VI et des articles 29 à 30 bis nouveaux qui traitent de cette question.

Le législateur a ainsi consacré le droit au regroupement familial, conformément au principe dégagé par le Conseil d'Etat, du droit, pour les étrangers résidant régulièrement en France, à mener une vie familiale normale, droit inscrit à l'article 8 de la convention européenne des droits de l'Homme.

Mais il a également encadré ce droit pour assurer le respect de certains principes fondamentaux des lois de la République et pour permettre une insertion véritable des familles étrangères.

Reprenant en grande partie les dispositions qui figuraient auparavant dans le décret n° 76-383 du 29 avril 1976, la loi du 24 août 1993 a néanmoins sensiblement précisé ce dispositif.

Il ressort de l'article 29 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 -dans sa rédaction issue de la loi de 1993- que le droit au regroupement familial est ouvert à l'étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins deux ans, sous couvert d'un titre de validité d'au moins un an. Il concerne le conjoint et les enfants du couple mineurs de dix-huit ans. Il peut également être sollicité pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint dont, au jour de la demande, la filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ou dont l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux.

L'article 29 énonce, par ailleurs, limitativement les motifs pouvant fonder le refus du regroupement familial :

- le demandeur ne justifie pas de ressources personnelles stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. Sont prises en compte toutes les ressources du demandeur. Indépendamment des prestations familiales, les ressources doivent atteindre un montant au moins égal au salaire minimum de croissance mensuel ;

- le demandeur ne dispose pas d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant en France ;

- la présence en France des membres de la famille dont le regroupement est sollicité constitue une menace pour l'ordre public ;

- ces personnes sont atteintes d'une maladie ou d'une infirmité mettant en danger la santé publique, l'ordre public ou la sécurité publique ;

- ces personnes résident sur le territoire français.

Le regroupement familial est en principe sollicité pour l'ensemble des personnes concernées. Un regroupement partiel peut néanmoins être autorisé pour des motifs tenant à l'intérêt des enfants.

L'autorisation d'entrer sur le territoire dans le cadre de la procédure du regroupement familial est donnée par le préfet après vérification par l'office des migrations internationales des conditions de ressources et de logement et après avis motivé sur ces conditions du maire de la commune concernée.

Les membres de la famille qui sont entrés régulièrement sur le territoire français au titre du regroupement familial reçoivent de plein droit un titre de séjour de même nature que celui détenu par la personne qu'ils sont venus rejoindre, dès lors qu'ils sont astreints à la détention d'un tel titre.

En application de l'article 30 bis de l'ordonnance, ce titre de séjour confère à son titulaire, dès la délivrance, le droit d'exercer toute activité professionnelle de son choix dans le cadre de la législation en vigueur.

La loi du 24 août 1993 a néanmoins prévu certaines dispositions destinées à prévenir ou sanctionner les détournements de procédure.

D'une part, si les conditions du regroupement familial ne sont plus réunies lors de la demande du titre de séjour, celui-ci peut être refusé, le cas échéant après une enquête complémentaire demandée à l'office des migrations internationales.

D'autre part, en cas de rupture de la vie commune, le titre de séjour qui a été remis au conjoint de l'étranger peut, pendant l'année suivant sa délivrance, faire l'objet soit d'un refus de renouvellement s'il s'agit d'une carte de séjour temporaire, soit d'un retrait, s'il s'agit d'une carte de résident.

Par ailleurs, le titre de séjour d'un étranger, qui n'est pas protégé contre une mesure d'éloignement, peut faire l'objet d'un retrait lorsqu'il a fait venir son conjoint ou ses enfants en dehors de la procédure de regroupement familial.

Enfin, la loi du 24 août 1993 a fermement interdit le regroupement familial polygamique qui fait l'objet du présent article.

Ainsi, remédiant à certaines difficultés qui avaient pu résulter d'une jurisprudence intérieure du Conseil d'Etat (arrêt Montcho du 11 juillet 1980), l'article 30 de l'ordonnance précise que lorsqu'un étranger polygamique réside sur le territoire français avec un premier conjoint, le bénéfice du regroupement familial ne peut être accordé à un autre conjoint pas plus qu'aux enfants de ce conjoint, sauf si celui-ci est décédé ou déchu de ses droits parentaux.

Le titre de séjour dudit conjoint est, selon les cas, refusé ou retiré. De même, le titre de séjour de l'étranger qui aura enfreint ces règles est retiré.

L'article 15 bis de l'ordonnance précise également que la carte de résident ne peut être délivrée à un ressortissant étranger qui vit en état de polygamie ni aux conjoints d'un tel ressortissant. La carte de résident délivrée en méconnaissance de ces règles doit être retirée.

Cependant, afin de mieux prévenir les risques de détournement de procédure, l'article 21 du projet de loi examiné par le Parlement en 1993 avait prévu que " lorsque le mariage entre un étranger résidant en France et son conjoint qui a été admis au séjour comme membre de la famille a été dissous ou annulé au terme d'une procédure juridique, cet étranger ne peut faire venir auprès de lui un nouveau conjoint au titre du regroupement familial qu'après un délai de deux ans à compter de la dissolution ou de l'annulation du mariage ".

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 13 août 1993, a déclaré contraire à la Constitution cette disposition en considérant " que le délai de deux années imposé à tout étranger pour faire venir son nouveau conjoint après dissolution ou annulation d'un précédent mariage dans le cadre du regroupement familial méconnaît le droit de mener une vie familiale normale ".

L'article 6 ter nouveau -ajouté par l'Assemblée nationale au projet de loi- tend à reprendre une disposition comparable mais avec une formulation différente qui est la suivante :

" Lorsque le mariage entre un étranger résidant en France et son conjoint qui a été admis au séjour comme membre de la famille, a été dissous ou annulé au terme d'une procédure juridique moins de deux ans après l'admission au séjour de ce conjoint, cet étranger ne peut faire venir auprès de lui un nouveau conjoint au titre du regroupement familial qu'après un délai de deux ans à compter de la dissolution ou de l'annulation du mariage ".

Cette rédaction prévoit -par rapport à celle adoptée en 1993- une condition supplémentaire, à savoir que le mariage ait été dissous ou annulé moins de deux ans après l'admission au séjour du conjoint. Ce n'est que dans ce cas que l'étranger ne pourra pas faire venir un nouveau conjoint au titre de regroupement familial dans un délai de deux ans à compter de la dissolution ou de l'annulation du mariage.

Suivant les explications données devant l'Assemblée nationale par l'auteur de l'amendement, M. Jean-Pierre Philibert, il s'agit bien d' " empêcher, lorsqu'un premier regroupement familial a eu lieu et que, dans un délai de deux ans, le mariage est dissous ou annulé, qu'un autre regroupement puisse avoir lieu dans un autre délai de deux ans . "

Seraient ainsi visés " ceux qui se sont mariés de façon polygamique dans leur pays d'origine et qui, après avoir fait venir leur premier conjoint dans le cadre du regroupement familial, ou après avoir divorcé ou bien encore après que le premier mariage a été dissous, font venir un deuxième conjoint. "

Tout en comprenant la motivation de cette disposition, on peut néanmoins se demander si la différence de rédaction avec la disposition censurée 1993 serait de nature à prévenir une nouvelle censure par le Conseil constitutionnel. Celui-ci a en effet jugé incompatible avec le droit de mener une vie familiale normale l'impossibilité pour un étranger de faire venir son nouveau conjoint dans le délai de deux ans après dissolution ou annulation d'un précédent mariage dans le cadre du regroupement familial. Or, le même délai est reproduit dans l'article 6 ter adopté par l'Assemblée nationale.

Cet article introduit, en outre, une présomption de fraude à l'égard de ceux qui ont divorcé et se sont remariés en dehors de toute intention polygamique.

Dans ces conditions, votre commission vous soumet un amendement de suppression l'article 6 ter.

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