EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Ce projet de loi a pour objet de répondre à l'angoissant problème que pose à notre société la récidive de personnes appréhendées par la justice pour avoir commis des violences de nature sexuelle, dirigées en particulier contre les enfants.

L'évolution des techniques médicales depuis le début des années 70 permet d'espérer le succès d'une politique de prévention fondée sur des dispositifs de suivi appropriés se caractérisant notamment par l'application simultanée de soins psychiatriques et de prescriptions médicamenteuses.

La mise au point d'un dispositif juridique cohérent a fait l'objet de plusieurs études lancées à partir de décembre 1993 : rapport de la commission d'étude pour la prévention de la récidive des criminels installée par M. Pierre Méhaignerie, alors Garde des Sceaux, et présidée par Mme Marie-Elisabeth Cartier, professeur de droit pénal ; rapport de la commission d'étude sur l'évaluation et l'expertise psychiatrique des condamnés mise en place le 24 novembre 1994 et présidée par Mme Thérèse Lemperière, professeur honoraire de psychiatrie ; rapport du groupe de travail sur le traitement et le suivi médical des auteurs de délits et de crimes sexuels dont les rapporteurs étaient M. Claude Balier, psychiatre des hôpitaux, Mme Claudine Parayre, médecin inspecteur de la santé publique et Mme Colette Parpillon, directeur de l'administration pénitentiaire.

Ces travaux ont débouché sur la présentation, le 29 janvier 1997, par M. Jacques Toubon, alors Garde des Sceaux, d'un projet de loi renforçant la prévention et la répression des atteintes sexuelles commises sur les mineurs et les infractions portant atteinte à la dignité de la personne . Ce texte examiné en commission à l'Assemblée nationale a été rendu caduc par la dissolution de l'Assemblée nationale.

L'enjeu que représente la protection contre les actes les plus odieux qui frappent les enfants, entériné sur le plan international par le congrès des Nations-Unies de Stockholm (27 au 31 août 1996), rendait impératif le dépôt d'un nouveau projet de loi de la part du Gouvernement.

C'est pourquoi Mme Elisabeth Guigou a déposé, le 3 septembre 1997, un projet de loi relatif à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs qui reprend pour une très large part le texte précédent.

Parce qu'elle a vocation à aborder l'ensemble des problèmes qui concernent la famille et l'enfance et parce que ce projet de loi comprend un volet consacré aux relations du corps médical avec la justice, votre commission a souhaité émettre un avis sur les dispositions de ce texte qui ont trait à la santé publique ou à la sécurité sociale.

Avant d'examiner les aspects de ce projet de loi qui intéressent votre commission, il convient de revenir sur la notion de délinquant sexuel et la nature des thérapies applicables.

I. LES DIVERS ASPECTS DE LA DÉLINQUANCE SEXUELLE

Qualifiée de perversion dans le langage courant, la pédophilie, c'est-à-dire l'attirance sexuelle envers les enfants pré-pubères (de 13 ans ou plus jeunes) est considérée comme un " trouble sexuel " du point de vue psychiatrique.

La Classification internationale des maladies 1( * ) publiée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) classe la pédophilie parmi les " troubles de la préférence sexuelle " : le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux 2( * ) , publication de référence de l'Association américaine de psychiatrie, distingue, au sein des troubles sexuels, les " dysfonctions sexuelles " des troubles de la préférence sexuelle appelées " paraphilies " 3( * ) parmi lesquelles la pédophilie.

Il n'existe pas de tableau clinique définitif de la personnalité des pédophiles. Le rapport du professeur Claude Balier distingue :

- les sujets très " carencés " sur le plan affectif dont le psychisme est peu organisé et parfois assorti d'une débilité intellectuelle ;

- les sujets fragiles dont le sentiment d'identité est mal assumé et qui peuvent dans des situations " limites " recourir à des actes de violence, voire passer au meurtre dans le cadre d'une scène de violence sexuelle ;

- les sujets stables, intelligents et organisés, souvent de mauvaise foi, à l'origine de nombreux actes déviants mais commettant rarement des meurtres.

Les typologies plus complexes présentées par certains psychiatres ne semblent pas explicatives dans la mesure où elles sont trop nombreuses et où un même pédophile peut appartenir simultanément à plusieurs des catégories prédéfinies.

La pédophilie correspond à un profil psychologique qui n'est pas condamné en tant que tel par le code pénal : la pédophilie n'est pas réprimée pour elle-même, mais pour les actes criminels ou délictueux auxquels elle peut conduire. Ces infractions ne concernent pas seulement les pédophiles.

La notion d'infraction sexuelle

Le fait qu'une atteinte sexuelle soit commise à l'encontre d'un mineur de moins de quinze ans peut, selon les cas, soit être considérée comme une circonstance aggravante en cas d'infraction sexuelle, soit être considérée comme une infraction à part entière.

Le nouveau code pénal en vigueur depuis le 1er mars 1994 a modifié la terminologie en matière d'infraction sexuelle et a renforcé l'échelle des peines applicables.

Les agressions sexuelles recouvrent toutes les atteintes sexuelles commises avec " violence, contrainte, menace et surprise ". L'agression sexuelle la plus grave est le viol, défini comme " tout acte de pénétration sexuelle quel qu'il soit commis sur la personne d'autrui ". Il est puni de quinze ans de réclusion criminelle au maximum. Cette peine est portée à vingt ans en cas d'atteinte sur un mineur de moins de quinze ans ( articles 222-23 et 222-24 du code pénal ).

Les agressions sexuelles autres que le viol -commises avec violence, contrainte, menace et surprise mais sans pénétration sexuelle d'aucune sorte- sont passibles d'une peine maximale de cinq années d'emprisonnement et de 500.000 francs d'amende ( art. 222-27 ), laquelle peut être portée à sept années d'emprisonnement et 700.000 francs d'amende en cas d'agression commise sur un mineur de moins de quinze ans. L'exhibitionnisme entre dans cette catégorie. Il est puni d'un an d'emprisonnement et de 100.000 francs d'amende ( art. 222-32 ).

Les atteintes sexuelles ne sont pas des agressions sexuelles car elles sont commises " sans violence, contrainte, menace ni surprise " ce qui peut recouvrir l'hypothèse que le mineur soit consentant. Elles sont punies au maximum de deux ans d'emprisonnement et de 200.000 francs d'amende ( art. 227-25 ) dès lors qu'elles sont perpétrées par une personne majeure contre un mineur de moins de quinze ans.

Enfin, la corruption de mineurs, qui correspond à l'ancienne appellation " d'excitation de mineurs à la débauche ", est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 500.000 francs d'amende. Cette peine est portée à sept ans d'emprisonnement et 700.000 francs d'amende lorsque la corruption a porté sur un mineur de moins de quinze ans ( art. 227-22 ).

Il est à noter que le fait de fixer, d'enregistrer de transmettre et de diffuser l'image à caractère pornographique d'un mineur est puni d'une peine d'un an de prison et de 300.000 francs d'amende. Cette peine est portée à cinq ans de prison et 500.000 francs d'amende lorsqu'il s'agit de documents montrant des mineurs de moins de quinze ans. Enfin, comme l'actualité l'a récemment rappelé, la détention individuelle de tels documents peut être considérée comme un recel au sens de l'article 321-1 de l'ancien code pénal.

Enfin, suite à plusieurs graves affaires au début des années 90, la période de sûreté incompressible 4( * ) a été portée à trente ans pour les assassinats dont la victime est un mineur de moins de quinze ans ou lorsque " l'assassinat est précédé ou accompagné d'un viol, de tortures ou d'actes de barbarie " ( art. 222-26 ).

Des statistiques inquiétantes à interpréter avec prudence

Concernant les statistiques disponibles sur les infractions sexuelles qui sont nombreuses et diversifiées, trois observations peuvent être faites.

· Les statistiques diffusées par le ministère de l'Intérieur et le ministère de la Justice ne présentent que des faits criminels ou délictueux qui ont été " mis à jour " par les institutions ; elles ne rendent pas entièrement compte de la réalité du phénomène.

La Direction centrale de la Police Judiciaire fait état d'environ 18.000 infractions sexuelles constatées en 1995 qu'il s'agisse de viols, d'attentats à la pudeur ou d'excitations de mineurs à la débauche, sans opérer de distinction entre mineurs et majeurs.

La Direction centrale de la sécurité publique dispose de données sur les infractions sexuelles relatives aux mineurs 5( * ) (viols et agressions sexuelles) qui font apparaître en 1996 un total de 2.237 viols sur mineurs (dont 466 cas d'inceste) et 4.365 autres catégories d'agressions sexuelles sur mineurs.

Le ministère de la Justice fait état de 8.400 condamnations pour infraction aux moeurs en 1993, dont près de 1.800 sanctionnant des infractions sexuelles commises sur des mineurs de moins de quinze ans.

Il est difficile au-delà de ces données de mesurer l'ampleur profonde et réelle du phénomène de la délinquance sexuelle. Il peut être intéressant d'observer que le service national d'accueil téléphonique pour l'enfance maltraitée (SNATEM), financé par l'Etat et les départements, qui propose un numéro vert national ayant pour but de concourir à la mission de prévention des mauvais traitements et de protection des mineurs maltraités, a reçu au total 960.000 appels en 1996. Sur 160.000 appels " sérieux " ayant donné lieu à une réponse spécifique, 23.000 ont donné lieu à une orientation au titre d'abus sexuel.

L'autre caractéristique des appels transmis au SNATEM relatifs à des infractions sexuelles est qu'ils concernent à 67 % des actes commis par des membres de la famille proche (père, mère, frère, soeur, beau-père, belle-mère, grands-parents).

Ces chiffres ne peuvent être considérés comme significatifs dans la mesure où l'appel téléphonique volontaire peut introduire des distorsions statistiques. Il reste qu'une délinquance sexuelle non dénoncée peut perdurer. Les cas d'inceste sont encore plus difficiles à appréhender car les enfants sont souvent entraînés dans une " logique du secret " par l'adulte impliqué et craignent au demeurant qu'une éventuelle révélation ne déstabilise gravement la cellule familiale.

· Les statistiques révèlent une augmentation constante du nombre d'infractions sexuelles : le nombre de viols sur majeurs et mineurs enregistrés par la DCPJ passe de 5.068 en 1991 à 7.350 en 1995. Selon la DCSP, le nombre de viols sur mineurs qui était de 1.282 en 1991 est passé à 2.237 en 1996.

La France comptait 1.593 détenus pour viol et autres agressions sexuelles sur mineurs en 1991 ; ce chiffre s'élève à 2.858 en 1996, soit 9,1 % de la population pénale.

Les causes de cette augmentation de la délinquance sexuelle, envisagée à travers le prisme statistique de la police et de la justice, doivent être analysées avec prudence. Deux thèses peuvent s'affronter.

Pour certains, la hausse des infractions sexuelles constatée peut traduire la multiplication du nombre de ces actes. Il conviendrait dès lors de s'interroger sur les risques que ferait courir le développement d'images, de produits ou de réseaux de communication à caractère pornographique ainsi que sur les messages permissifs véhiculés complaisamment par divers médias (publicité, télévision).

Dans cette perspective, il faudrait s'interroger sur la durée nécessaire du suivi socio-judiciaire prévue par le texte car un délinquant sexuel, à l'issue de cette peine, courrait le risque d'être plongé à nouveau rapidement dans un environnement porteur de nombreuses " stimulations " de nature à réveiller les pulsions enfouies par le traitement.

L'autre thèse voudrait que la hausse de la délinquance sexuelle trouve son origine dans une plus grande vigilance des institutions judiciaires et policières à l'égard de ces problèmes et surtout à un changement d'attitude morale qui tient au fait que les victimes portent plainte plus fréquemment qu'auparavant.

·  Enfin, il est frappant de constater que certaines infractions sexuelles donnent lieu à un risque de récidive élevé en particulier quand il s'agit d'attentat à la pudeur .

Les données sur la récidive dépendent d'études partielles sur échantillon qui peuvent toujours comporter une marge d'erreur.

Selon le rapport de Mme Lemperière, il est possible de se référer tout d'abord à une étude réalisée par le service médico-psychologique régional (SMPR) de Grenoble-Varces selon laquelle le taux de récidivistes atteignait 8 % en cas de viol, 3,7 % en cas d'inceste mais 20,4 % en cas d'attentat à la pudeur, cette dernière catégorie était celle à laquelle appartiennent de nombreux pédophiles.

Par ailleurs, selon diverses études réalisées au Canada, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et dans les pays scandinaves, le taux de récidivistes serait de 15 % pour l'ensemble des condamnés pour infraction sexuelle. Il semble relativement faible chez les ascendants incestueux (moins de 10 %) et très fort chez les exhibitionnistes (20 à 40 %). Mais surtout la probabilité de récidive croît avec le nombre d'actes déjà commis : faible pour les primo-délinquants (moins de 10 %), il est plus que doublé pour les primo-récidivistes et peut aller jusqu'à 40 à 50 % pour ceux déjà condamnés à deux reprises.

Le taux de récidive n'est pas relativement plus élevé pour les délinquants sexuels que pour d'autres formes de délinquance ; en revanche, il est clair que pour certaines catégories de délinquants sexuels, le risque de récidive est particulièrement élevé.

Ce risque élevé de récidive justifie d'autant plus la mise en place d'un véritable suivi des délinquants sexuels et en particulier des pédophiles.

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